eJournals lendemains 34/134-135

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
2009
34134-135

62 propositions sur la vie et la mort

2009
Jean-Michel Espitallier
ldm34134-1350083
83 Jean-Michel Espitallier 62 propositions sur la vie et la mort „de toute façon, on n’en sortira pas vivant.“ (Internationale Lettriste) 1. La mort est tout ce qui n’existe plus. 2. Pour cette raison, elle est ce qui, en existant, fait exister ce qui n’existe plus. 3. Parce que si la mort n’existait pas, la non-existence de ce qui n’existe plus n’existerait plus. 4. Or si la mort, qui est tout ce qui n’existe plus, n’existait plus, tout ce qui n’existe plus existerait encore et la non-existence de ce qui n’existe plus n’existerait plus. Mais en n’existant plus, la mort ne ferait pas exister ce qui n’existe plus et sa non-existence ferait ne pas exister la non-existence de ce qui a existé. La mort ne peut donc exister qu’en faisant exister ce qui n’existe plus. D’où l’on déduit que c’est parce que ce qui a existé n’existe plus que la mort existe. 5. Etant donné qu’il y a ou bien la vie ou bien la mort, si la mort n’existait plus, ce qui n’existe plus devrait trouver refuge dans la vie. Et ce serait la mort. 6. Si je vis je ne meurs pas. Si je suis mort je ne suis plus en vie. On ne peut pas faire les deux à la fois. Il n’y a que la vie ou la mort, jamais les deux en même temps. L’une après l’autre et toujours dans le même sens. 7. La mort est donc au bout de la vie qui est le commencement de la mort. Si bien qu’il n’y a aucune place, aucun jeu, entre la vie et la mort. 8. Se trouver „entre la vie et la mort“ est donc un abus de langage 9. D’où il découle que le fait d’être en vie est la preuve irréfutable que l’on n’est pas mort. 10. Le problème est que l’on ne peut pas mourir tant que l’on est en vie. Mais en même temps on ne peut mourir que si l’on est en vie. La vie est donc la condition préalable à la mort. 11. L’un des inconvénients de la vie est de permettre la peur de la mort. 12. Pour remédier à la peur de la mort on a le choix entre supprimer la mort et supprimer la peur. Or la mort ne pouvant être supprimée, et la peur appartenant à la vie, il convient donc de supprimer la vie pour supprimer la peur de la mort. 13. D’où l’on déduit que la mort ne fait peur que lorsqu’elle n’est pas là. 14. La mort appartient à la vie. Or la vie sans la mort ne serait pas la vie et c’est pourtant parce qu’il y a la mort, au bout de la vie, qu’à un certain moment il n’y a plus de vie. 15. Du point de vue de la vie, la mort apparaît donc comme une deuxième phase de la vie. Il n’y a pas de point de vue de la mort. 16. Ce jugement se fait depuis la vie. Puisque l’on ne peut évaluer la mort que depuis la vie et selon les critères de la vie. 17. On ne peut réellement savoir si la mort remplace la vie en la chassant ou si elle se superpose à la vie en la cachant. 18. De la même façon, on ne sait donc pas si c’est la vie qui empêche la mort de venir ou la mort qui empêche la vie de poursuivre. 84 19. Il semble pourtant avéré que la mort ne s’installe pas dans la vie mais chasse la vie de la vie et se mette à sa place. 20. Cette proposition n’est pas réciproque. Si la mort finit toujours par se mettre à la place de la vie, la vie ne peut jamais se mettre à la place de la mort. 21. Mais dire que la mort chasse la vie de la vie revient à reconnaître l’existence d’une vie possible ailleurs que dans la vie. 22. La mort empêche de connaître la durée virtuelle de la vie. Elle masque la fin de la vie et nul ne saurait dire quelle aurait été la durée virtuelle de la vie s’il n’y avait eu la mort pour l’interrompre. 23. La durée réelle de la vie n’est mesurable qu’à partir du moment où commence la mort. Parce que la mort arrête le décompte de la vie et affiche sa durée exacte. 24. La mort est donc un instrument de mesure et d’évaluation de la vie. 25. Ca n’est pas la mort qui est mortelle, c’est la vie. 26. Objection: ça n’est pas la vie qui est mortelle, ce sont ceux qui s’y aventurent. 27. Autant il est tout à fait possible de décider de mourir, autant l’on ne peut décider de venir à la vie. Nous sommes donc davantage responsables de notre mort que nous ne le sommes de notre vie. 28. De la même façon, personne ne semble avoir encore sérieusement décidé de ne pas mourir. 29. Jusqu’à preuve du contraire, on passe infiniment plus de temps dans la mort que dans la vie. 30. D’où il se vérifie que comparée à la durée de la mort, la durée de la vie paraît tout à fait rachitique. 31. Objection: on ne doit pas mesurer le temps de la mort avec le temps de la vie puisque le temps de la mort est un temps mort. 32. Nous pouvons donc poser que lorsque l’on meurt c’est pour la vie. 33. On peut assister à toutes les morts du monde sauf à la sienne. D’où il se confirme que la mort n’arrive qu’aux autres. 34. Ma propre mort m’empêche de la vivre. / Ma propre vie ne m’empêche pas de mourir. / Ma propre vie ne m’empêche pas de la vivre. / Ma propre mort ne m’empêche pas d’avoir vécu. 35. La mort est le seul moyen vraiment efficace de tuer la vie. Laquelle, en retour est le seul moyen vraiment efficace de nous protèger de la mort. Jusqu’à un certain point. 36. En tout cas c’est la vie qui empêche la vie de partir. Jusqu’à un certain point. 37. Dit autrement, la vie est l’ensemble des situations qui ne me donnent pas la mort. 38. Jusqu’au moment où c’est justement quelque chose de la vie qui me donne la mort. 39. La vie porte donc en elle sa propre mort. D’où il résulte que l’on ne peut faire entièrement confiance à la vie. 40. Il découle de cette observation que la vie est une période où la mort se fait attendre. 41. La vie peut donc se définir comme l’ensemble des situations de résistance à la mort. 85 42. Mais on peut tout aussi bien définir la vie comme l’action plus ou moins prolongée de mourir à petit feu. 43. Quand survient la vie on est sûr qu’elle finira par repartir. Quand la mort survient, on est (à peu près) sûr qu’elle ne repartira plus. 44. S’il est avéré que la mort gagne la vie, il se confirme que la mort est plus forte que la vie. 45. L’énoncé „je suis mort“ est une aberration logique puisque la parole est le sujet de la vie et l’absence de parole le sujet de la mort. 46. Une belle mort ne servant qu’à la vie, elle ne m’est donc strictement d’aucun profit. 47. L’énoncé „une mort atroce“ induit que la mort généralement ne l’est pas. 48. En réalité une mort atroce désigne que ce qui est atroce ça n’est pas la mort mais la façon d’y parvenir. Il découle donc que si la façon de parvenir à la mort est atroce, la mort met fin à cette atrocité. 49. Et donc „une mort atroce“ est un abus de langage qui décrit une situation dans laquelle la mort met fin à l’atrocité de ce qui la fait venir. 50. „J’ai été mort“ est un énoncé logiquement impossible mais eschatologiquement recevable. 51. On ne peut parler de la mort que si l’on est en vie. Ce que je fais. Parler de la mort est donc la démonstration que je suis en vie. 52. Il existe des endroits où l’on ne peut pas vivre mais point d’endroit où l’on ne puisse pas mourir. Une coïncidence peut même s’établir entre les endroits où l’on ne peut pas vivre et les endroits où l’on peut mourir, en ce sens qu’un certain nombre d’endroits où l’on ne peut pas vivre sont précisément des endroits qui font mourir. 53. En revanche on peut être mort là où l’on a été en vie de la même façon que l’on peut très bien vivre et vivre très bien là où l’on finira par mourir. 54. Il y a sur la Terre infiniment plus de morts que de vivants. 55. Il y a au Ciel, si l’on y croit, infiniment plus de morts que de vivants. Il est même probable qu’il n’y ait au Ciel, si l’on y croit, pas âme qui vive. 56. L’absence de la vie n’induit pas forcément la présence de la mort. La mort n’est présente qu’après la vie. Jamais avant. 57. Mais il se pourrait que ce soit la vie qui ait donné un nom à l’absence de vie après la vie en omettant d’avoir donné un nom à l’absence de vie avant la vie. 58. D’où l’on pourrait conclure que, si nous appelions l’avant vie, la mort, puisque la mort est l’absence de vie, alors, M. de Lapalice aurait pu affirmer que cinq minutes avant sa vie il était encore en mort. 59. Nous pouvons donc poser que la mort n’est jamais plus là, mais toujours pas encore là. 60. La vie sera alors considérée comme étant le passé de la mort et, en quelque sorte, la salle d’archives de la mort. 61. Et donc l’avenir c’est la mort, et, réciproquement, la mort c’est l’avenir. 62. D’où il découle que toute vie a de l’avenir. (inédit)