eJournals lendemains 44/173

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2019-0008
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2019
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Perspectives postcoloniales sur Marie NDiaye et son oeuvre

2019
Philippe Kersting
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100 DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 Arts & Lettres Philippe Kersting Perspectives postcoloniales sur Marie NDiaye et son œuvre 1. Introduction „La situation postcoloniale est une réalité historique, politique, culturelle et sociale“ (Smouts 2007: 28). L’analyse critique de cette situation est l’objet des études postcoloniales. Ce courant de pensée hétérogène (Mbembe 2006: 117) s’est développé dans de nombreuses disciplines, „si bien que l’on ne saurait trouver une ‚théorie postcoloniale‘“ (Smouts 2007: 33) unique. C’est donc de façon très générale que Smouts décrit l’approche postcoloniale comme „une démarche critique qui s’intéresse aux conditions de la production culturelle des savoirs sur Soi et sur l’Autre, et à la capacité d’initiative et d’action des opprimés (agency) dans un contexte de domination hégémonique“ (ibid.). Ces propos introduisent les deux objectifs de cet article. Premièrement, montrer comment les études littéraires d’inspiration postcoloniale cherchent à dévoiler dans les romans de Marie NDiaye, mais aussi dans la situation de l’auteure au sein du champ littéraire français, les caractéristiques d’une telle „situation postcoloniale“. Et deuxièmement, présenter une critique des approches postcoloniales axées sur la „domination hégémonique“ afin de mettre au contraire en avant la question de l’agency dans l’œuvre de Marie NDiaye. 2. Perspectives postcoloniales sur l’œuvre et la personne de Marie NDiaye Cette première partie présente différentes approches développées au sein des études littéraires postcoloniales en vue d’analyser les romans de Marie NDiaye et sa position dans le champ littéraire français. Malgré les nombreuses références à Foucault, Derrida, Barthes et autres protagonistes de ce que les anglophones appellent la french theory, les études postcoloniales ont du mal à s’établir dans le contexte francophone pour des raisons qui ne peuvent être développées ici (Smouts 2007). Ceci explique pourquoi les concepts qui suivent viennent pour la plupart d’auteurs anglophones ou fortement influencés par le contexte anglophone. 1 2.1 ‚White dead mother‘ Asibong est convaincu que „the disintegration of NDiaye’s protagonists proceeds from their incapacity to have emotional relationships with other or with themselves“ (Asibong 2012: 543). Pour expliquer les relations mère-fille dans les œuvres de Marie NDiaye, il se sert du modèle psychanalytique de la ‚mère morte‘ d’André Green. Selon ce modèle, la mort de l’imago de la mère dans la psyché de l’enfant, suite par exemple à une dépression maternelle, peut entraîner „l’enkystement de DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 101 Arts & Lettres l’objet“ et la transformation de l’identification positive en identification négative. L’identification se fait donc „au trou laissé par le désinvestissement et non à l’objet“ (Green 1983: 235, cité d’après Asibong 2012: 545), provoquant une vacuité psychique (blankness): „NDiaye’s protagonists are haunted as children and teenagers by the holes that have been left in them by their physically or psychically absent parents, and they almost always end up turning into unmanageably blank and empty adults“ (Asibong 2012: 546). Constatant l’aveuglement aux couleurs (colour blindness) du modèle de Green, Asibong le racialise pour l’adapter à la situation des „biracial identities“. Son modèle de la „white dead mother“ permet de comprendre comment de tels enfants intègrent „a phantom whose colour dominates their own“ (ibid.: 548). Dans son article, Asibong applique cette grille de lecture racialisée („racialized psychonalytic framework“) aux romans Autoportrait en vert et Mon cœur à l’étroit afin de démontrer la nécessité et la pertinence d’une lecture racialisée des personnages ndiayens (Asibong 2012: 550). Dans son analyse du livre Autoportrait en vert, Asibong constate que les personnages sur les photos sont tous blancs et suppose qu’en raison de leur colour-blindness, la plupart des lecteurs blancs ne perçoivent pas cette couleur. Et en effet, le fait que Ruhe (2013) et Parent (2013) analysent ces photos de façon très détaillée, sans pourtant préciser la couleur de peau des personnages, semble donner raison à Asibong. Dans son analyse de Mon cœur à l’étroit, Asibong affirme que la rencontre de Nadia et Nathalie est „[…] exemplary of the classic NDiayean repetition of a ‚white dead mother complex‘, played out with a new object who subjugates the subject both with her needy melancholia and racialized superiority“ (Asibong 2012: 553). Il montre comment, lors de sa rencontre avec Nathalie, Nadia - métisse franco-maghrébine - est fascinée et attirée par „cette claire jeune femme dominante“, blonde aux yeux bleus, „si différente“ d’elle (NDiaye 2007: 196sq.). Enfant de la white dead mother, Nadia se sent inférieure à Nathalie et désire profondément être acceptée par cette nouvelle mère blanche: „J’ai le cœur en joie. Cette femme si différente de moi accepte ma présence à côté d’elle […]“ (ibid.: 195). Selon Asibong, le trouble psychologique d’un grand nombre de personnages ndiayens viendrait de leur refus ou de leur incapacité à accepter leur identité noire. 2.2 Passing literature Jensen (2017) est convaincue que NDiaye fait structurellement partie d’un milieu colour-blind, la société française, où la race est une catégorie invisible et indicible. À partir de ce constat, Jensen cherche à montrer l’influence de la passing literature nord-américaine sur NDiaye. Selon elle, c’est en lisant les romans afro-américains de la Harlem Renaissance que NDiaye aurait développé la faculté de faire transparaître dans ses romans „the real violence and pain inflicted on the black body by the ideology of race-blindness“ (Jensen 2017: 227). Jensen observe que la structure narrative de Ladivine correspond à la structure des romans de passage étasuniens: la souffrance noire (black suffering), le passage (passing), l’usurpation raciale (racial cheating), le regret, l’échec du passage-retour, la fin tragique (ibid.: 102 DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 Arts & Lettres 111). Ainsi, la métisse Malinka Sylla se fait passer dès son enfance pour Clarisse - nom qui évoque en soi le processus de blanchissement - et semble vivre par la suite toutes les étapes des romans de passage. Selon Jensen, NDiaye aurait été fortement inspirée par le roman Passing de Nella Larsen (1929), traduit en français en 2010 sous le titre Clair-Obscur (ibid.: 96-101). Mais Jensen va encore plus loin et affirme que NDiaye aurait calqué Ladivine sur un autre roman de la passing literature: „NDiaye borrows key plot points of Hurst’s novel [Imitation of Life, 1933] and in so doing, imports the complex morality of the American passing novel to France. In particular, she rewrites the character of Peola as Malinka/ Clarisse in order to explore the complex relationship between skin color, racial identity, and individual identity“ (ibid.: 102sq.). Jensen explique que la tâche de NDiaye est cependant plus compliquée que celle de Hurst, car elle écrit dans un contexte d’aveuglement racial (colour blindness), développant par conséquent un langage „heavily coded“ (ibid.: 108). Il est vrai que de nombreux caractères des romans ndiayens ressentent et vivent un trouble, un malaise, un décalage, une exclusion sans que la raison en soit explicitement nommée. Selon Jensen, la raison indicible de ce trouble est la race. La race étant une structure dont il est impossible de s’extraire, d’où la fin tragique des romans de passing. Les individus restent déterminés par cette structure: „[…] Malinka/ Clarisse is not the author of that choice [race passing, race cheating]. Rather, it is a choice imposed on her by a history of scientific racism and of imperialism that continues to govern the way black people are seen in France, well after the era of decolonization“ (ibid.: 110sq.). Le racisme structurel l’emporte sur l’agency individuelle. L’individu ne peut s’extraire de sa condition raciale. Ceci explique pourquoi pour Jensen, quoi qu’en dise NDiaye, ni l’écrivaine, ni son écriture ne peuvent être autre chose que noires. 2.3 „Marketting the margins“, l’industrie de l’altérité Dans sa thèse de doctorat, Les frontières racialisées de la littérature française (2017), Burnautzi juge le roman Trois femmes puissantes comme étant réactionnaire, raciste et sexiste. Selon elle, il enfermerait „les femmes ‚noires‘ dans une culture hégémonique ‚blanche‘ et patriarcale“ (Burnautzi 2017: 365), pratiquerait une „diabolisation culturaliste de l’Afrique“ (ibid.: 376), reproduirait le „discours de la menace de l’immigrant africain“ ainsi que le stéréotype de l’homme africain „mystérieux et fanatique“ (ibid. 377), fournirait „un mythe légitimateur de la politique raciste d’immigration de l’Union Européenne“ (ibid.: 391) et enfin refuserait de donner au lecteur „les clés pour déconstruire le discours de domination qu’elle propose“ (ibid.: 376). Afin d’essayer de comprendre pourquoi ce roman est devenu un „véritable spectacle performatif de racialisation littéraire“ (ibid.: 365), elle procède à une analyse du positionnement de NDiaye dans le champ littéraire français. À partir de la théorie du champ littéraire de Bourdieu - qu’elle critique comme étant colour blind et qu’elle racialise au passage - ainsi que du concept de l’„industrie de l’altérité“ de Graham Huggan, Burnautzki développe une critique postcoloniale acerbe du champ littéraire français, de l’hégémonie néolibérale et du comportement de Marie NDiaye. DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 103 Arts & Lettres Dans son analyse, Burnautzki différencie deux grandes phases dans l’œuvre de NDiaye qu’elle explique par le changement de paradigme de l’universalisme au multiculturalisme s’opérant dans la société française au cours des années 1990. En réaction à ce changement, Marie NDiaye aurait modifié sa stratégie de transgression de la „ligne de couleur“ (colour line) qui ségrègue le champ littéraire français. À une stratégie de passage aurait succédé une stratégie d’autoexotisation. Dans le premier cas, NDiaye procèderait à une invisibilisation ethnoraciale et cultiverait - avec le soutien de sa maison d’édition - l’image de l’écrivaine autonome, pure, universelle 2 et donc blanche 3 (Burnautzki 2017; Behar s. d. 2011; Moudileno 2011: 69sq.). Selon Burnautzki, les propos suivants de NDiaye étaieraient cette thèse: „[…] je n’arrive pas à me voir, moi, comme une femme noire. Je ne me vois pas, en fait, je crois. Ça rejoint un peu la question d’être une femme qui écrit. Je ne me vois ni comme une femme qui écrit, ni comme une femme noire qui écrit“ (cité d’après ibid.: 181). 4 Pour la stratégie d’autoexotisation, NDiaye aurait recours à la „performance raciale“ (ibid.: 197). Burnautzki lui reproche un passage du postcolonialism à la postcoloniality, 5 de jouer le jeu du tokenism 6 et d’accepter son inclusion stratégique dans un système littéraire au prix de stabiliser les structures racistes. Contrairement à Jensen (2017), qui a plutôt tendance à considérer NDiaye comme une ‚noire‘ colour-blind, donc aveugle à sa propre black condition et victime d’une hégémonie ‚blanche‘, Burnautzki concède une plus grande agency à NDiaye, avec pour effet de lui imputer une plus grande responsabilité. Selon Burnautzki, avec Trois femmes puissantes, Marie NDiaye succomberait à la tentation de l’autoexotisation opportuniste et ainsi de la reproduction des discours dominant sur l’Afrique, la migration et les femmes noires. Burnautzki explique que ce changement de stratégie va de pair avec le passage des Éditions de Minuit à Gallimard et expliquerait les changements dans l’écriture ndiayenne. D’une écriture floue, fantastique, polysémique et pleine de nondits permettant d’exprimer les choses sans les nommer, NDiaye passerait à un réalisme conventionnel, une écriture linéaire, reproduisant de façon opportuniste les discours dominants sans plus aucune mise à distance du lecteur et sans potentiel subversif (Burnautzki 2017: 372sq.). Ainsi, Burnautzki écrit à propos du roman Trois femmes puissantes: „NDiaye puise dans un répertoire de clichés, de stéréotypes, de préjugés, de mythes essentialistes et victimisants, sans proposer sur le plan esthétique les outils de prise de distance et d’analyse critique appropriés pour les déconstruire, mais en les naturalisant et en les réinscrivant dans un discours symbolique de domination“ (ibid.: 373). 7 Contrairement aux propos de NDiaye, 8 Burnautzki refuse de voir sa production littéraire comme un processus autonome et met en doute „l’argument selon lequel la transformation formelle et thématique […] de son écriture ne serait rien d’autre que la manifestation d’une plus grand autonomie, voire d’une plus grande liberté d’écriture de l’auteure qui accèderait au stade d’une véritable maturité littéraire“ (ibid.: 137). Selon elle, ce choix de la simplification du style et de la stéréotypisation des sujets correspond avant tout à une logique de commodification littéraire de l’altérité selon le principe du „marketing the margins“ de Huggan (2001). 104 DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 Arts & Lettres 2.4 Le mythe de la strong Black woman Traduisant le titre du roman Trois femmes puissantes en anglais (Three strong women), Burnautzki s’appuie sur le concept de Barthes, pour démontrer l’„ex-nomination“ du mot ‚black‘ (Burnautzki 2017: 63sq.). Selon elle, en anglais, „le renvoi au mythe de la strong Black woman devient apparent et le vide créé par l’absence du mot ‚Black‘ renvoyant à l’identité racialisée devient plus nettement perceptible“ (ibid.: 394). À partir de ce constat, Burnautzki pose la question: „Comment interpréter […] l’omission de l’attribut ‚noires‘ dans le titre? “. En référence à Patricia Hill Collins, elle explique cette absence par le concept de „controlling images“. Les „représentations réductrices, stéréotypées, manipulatrices et racistes“ (ibid.: 395), une fois intériorisées par „les personnes opprimées“ et par les „personnes socialement dominantes“ (ibid.), stabilisent le système de domination. Selon Collins, la strong Black woman est un mythe produit par le groupe dominant pour asseoir sa domination sur le groupe dominé. Le fait de décrire des personnes opprimées (Black women) comme étant puissantes (strong) semble tout d’abord faire hommage aux personnes opprimées, mais „un tel hommage ne sert en réalité qu’à minimiser l’outrage provoqué par des circonstances intenables et vise à rendre superflue toute assistance. Pis encore, l’hommage à la femme ‚noire‘ puissante met le lecteur ou la lectrice dans une position telle qu’il ou elle peut s’affranchir facilement de sentiments de responsabilité ou de culpabilité […]. L’hommage à la strong Black woman se révèle ainsi être porteur d’un déni actif d’humanité […]“ (ibid.: 400). Et Burnautzki de conclure: „Ainsi, il semblerait qu’elle [NDiaye] participe […] à la consolidation du mythe de la strong Black woman“ (ibid.: 401). Faut-il en conclure que Marie NDiaye participe au déni actif d’humanité? Burnautzki ne le dit pas de façon explicite, mais la structure de ses arguments le laisse penser… Critique de la critique postcoloniale ‚orthodoxe‘ 9 Avant de clore cet article, une critique de la critique postcoloniale ‚orthodoxe‘ s’impose afin de nuancer certains propos présentés ci-dessus. Dans un entretien accordé au journal Les Inrockuptibles, Marie NDiaye estime être étrangère à la question postcoloniale des Noirs en France, car elle ne se sent „pas du tout visée par les problèmes que de nombreux Noirs rencontrent, même si ces problèmes sont réels“ (Kaprièlian 2009). Ce refus d’adhérer de façon identitaire au projet politique du combat postcolonial et au projet scientifique des études postcoloniales explique certainement les jugements parfois particulièrement sévères à son encontre de la part de représentants des études postcoloniales. Il est important de constater que NDiaye ne nie pas les discriminations que certaines personnes noires ont le malheur de subir en France, mais elle semble refuser la catégorie monolithique de la condition noire (Black condition), catégorie dans laquelle nombre d’auteurs postcoloniaux souhaiteraient l’enfermer, tout comme ses œuvres et ses personnages. Pour NDiaye, noir DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 105 Arts & Lettres n’est pas noir. Ses romans sont trop subtils et complexes pour des études postcoloniales qui se bornent à reproduire par la dénonciation les dichotomies et identités coloniales au lieu de procéder à leur déconstruction. Il semble en effet inconcevable pour nombre de postcoloniaux orthodoxes de voir NDiaye construire des personnages métisses, ambigus, hybrides, 10 fluides et inconsistants, et ainsi déconstruire systématiquement les catégories dichotomiques blanc/ noir, 11 Afrique/ Europe, bon/ méchant, opprimé/ dominant, puissant/ impuissant etc., dichotomies qui sont le fondement même de leur épistémè et de leur normativité. Les personnages ndiayens ont généralement des identités rhizomes et sont donc en contradiction totale avec le concept d’identité autocentrée, univoque, figée et essentialiste que l’on trouve souvent dans les études postcoloniales. Les études postcoloniales orthodoxes semblent également incapables de saisir la complexité des relations de pouvoir dans les romans de Marie NDiaye. Dans son analyse du roman Trois femmes puissantes, Burnautzki interprète l’histoire de Norah comme celle d’une „soumission totale“, d’une „résignation“, d’un „abandon de la résistance“ (Burnautzki 2017: 378). Selon elle, au lieu de se libérer, Norah obéit à son père et se résigne à le rejoindre sur les branches du flamboyant (ibid.). Burnautzki interprète Norah comme un personnage impuissant, victime des structures racistes en France et des structures sexistes en Afrique. Selon moi, la pensée de Marie NDiaye est cependant bien plus complexe. Ainsi, alors que dans un entretien, François Busnel lui demande si le fait que „[…] des années plus tard, […] [le père] se rappelle […] qu’il a une fille et [qu’]il la fait venir en la convoquant…“ ne serait pas un signe de l’humiliation constamment subie par Norah, la réponse de NDiaye est des plus nuancées: „Elle vient de son plein gré. Elle vient avec une certaine assurance. Elle ne vient pas en être humilié. Elle vient parce qu’elle a décidé de répondre à […] cet ordre de son père“ (La Grande Librairie 2009: 12’03’’). Cette réponse exprime toute la différence qui sépare Burnautzki de NDiaye. Dans les théories postcoloniales, les relations entre les êtres humains sont généralement conçues comme des relations de domination et non de pouvoir. Si, comme l’explique NDiaye, Norah a librement choisi de suivre l’appel de son père, c’est qu’elle est libre et donc puissante. Car, comme le précise Han: „Die Macht ist der Freiheit nicht entgegengesetzt. Es ist gerade die Freiheit, die die Macht von der Gewalt oder vom Zwang unterscheidet“ (2005: 18). Obsédées par la dénonciation des différentes formes de domination, les études postcoloniales ‚orthodoxes‘ sont incapables de reconnaître la puissance ou l’agency des personnages ndiayens. La complexité et l’authenticité du personnage de Norah réside justement dans le fait d’être à la fois puissante et impuissante. C’est dans cette ambivalence entre structure et agency que se situe toute la puissance subversive et émancipatrice de l’œuvre de Marie NDiaye. On ne peut que rejoindre Besand quand elle constate que l’„art de l’étrange“ permet à NDiaye „de montrer et de dénoncer avec subtilité une époque et ses troubles, mais au-delà, il lui permet surtout de transcender cette époque pour nous parler de l’être humain dans son universalité, mettant ainsi en lumière une approche qui se veut aux 106 DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 Arts & Lettres antipodes des interprétations dogmatiques ou idéologiques relatives à la race […]“ (Besand 2013: 121). En 2014 la revue des Études littéraires africaines publiait un entretien avec Dominic Thomas, l’un des grands noms des études littéraires francophones d’inspiration postcoloniale, professeur au Department of French and Francophone Studies à l’Université de Californie ( UCLA ) et auteur, entre autres, de Black France en 2007. Suite à la traduction française de cet ouvrage en version française en 2013 sous le titre Noirs d’encre. Colonialisme, immigration et identité au cœur de la littérature afrofrançaise, Nathalie Carré avançait que ce livre marquait un moment important des études littéraires francophones „par la manière de s’intéresser aux continuités visibles dans la littérature noire francophone, depuis l’époque coloniale jusqu’à l’époque contemporaine“ (Carré 2014: 121). Cependant, les propos de Thomas concernant ces continuités sont parfois quelque peu déconcertants: la position de NDiaye en France ressemblerait ainsi, selon lui, à celle des évolués dans les colonies (Thomas 2012: 151). On peut effectivement s’interroger sur la pertinence heuristique d’une telle comparaison. Thomas considère NDiaye comme une victime - naïve ou opportuniste, il ne le précise pas 12 - de la domination blanche. Aux propos de NDiaye stipulant que sa couleur de peau ne joue qu’un rôle mineur dans la façon de se penser et dans son écriture, Thomas rétorque que la couleur de peau „cannot be played down since this razialized identity informs the status of citizens in the postcolonial French Republic […], and serves as a constant reminder of a marginal status in a context in which there exists little ambiguity concerning the parameters of Frenchness“ (ibid.: 152). Cette conception de la race comme une structure omniprésente et inaltérable réduit les conduites individuelles à l’actualisation de ce déterminisme structurel. Chez Thomas, il n’y a de place ni pour la liberté d’action individuelle (agency), ni pour des identités autres que noires ou blanches. Invité par la revue des Études littéraires africaines à commenter Noirs d’encre, Anthony Mangeon exprime le besoin de développer une „critique désormais postpostcoloniale“ (Mangeon 2014: 127). Mais à quoi pourrait donc bien ressembler une telle critique? Véronique Porra nous livre certains éléments de réponse: Les processus récents liés à la mondialisation et au décentrement […] ont suscité chez un certain nombre d’auteurs africains d’expression française une modification dans la perception de leurs attaches territoriales et identitaires et, de fait, dans la traduction de ces perceptions en littérature. Ces littératures […] se présentent en décalage par rapport aux littératures précédentes, notamment au niveau du discours identitaire. Cette caractéristique s’accompagne souvent […] d’une revalorisation du statut d’écrivain, au détriment de celui de témoins, direct d’une culture ou de représentant d’une idéologie de contestation et d’affirmation postcoloniale“ (Porra 2009: 34). Déterritorialisation, 13 refus d’identités figées, 14 distanciation par rapport à l’engagement, 15 valorisation de l’autonomie de l’écrivain et de l’écriture, 16 voilà de nombreux aspects qui marquent aussi la façon de penser et d’écrire de Marie NDiaye. Certes, Porra décrit ici la situation des auteurs africains et NDiaye n’est pas une auteure africaine, 17 mais ces aspects valent aussi pour les auteurs du courant littéraire que DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 107 Arts & Lettres Chevrier appelle la „migritude“. Chevalier oppose la migritude au concept essentialisant et territorialisant de la Négritude et insiste sur la fluidité spatiale, l’hybridité et le décentrement de cette littérature (Schüller 2008: 16). NDiaye est-elle alors une auteure de la migritude? 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Tomescu, Daniela G., Tournant postcolonial francophone: nouvelles résistances et savoirs subalternes dissidents, thèse de doctorat à l’université de Western Ontario, 2016. 1 À titre d’exemple, Burnautzki constate lors de son arrivée à Paris (elle vient d’Allemagne): „Nourrie par des théories postcoloniales anglophones, j’étais alors à la recherche d’un discours littéraire radical, alternatif, critique de l’eurocentrisme; en d’autres termes, véritablement subversif et novateur sur le plan esthétique. Or, au lieu du ‚writing back‘ intransigeant et rebelle, je découvrais avec une certaine déception un nombre considérable de textes francophones qui tous reproduisaient à mes yeux le même discours littéraire ‚assimilé‘, exotique, pour ainsi dire préfabriqué“ (Burnautzki 2017: 12sq.). 2 Selon Moudileno (2009), le choix de la maison Les Éditions de Minuit aurait permis l’effacement de l’auteure, car les livres sont dépourvus d’informations sur l’auteur et de photos. De plus, le style singulier, travaillé et soutenu de Marie NDiaye marquerait son besoin de prouver son appartenance à la France, malgré son identité non-blanche. 3 Selon Asibong, la négation de son identité noire, ainsi que des identités univoques en général, a fait de Marie NDiaye „the ultimate poster-girl [sic] for a ‚postmodern‘ era, in which the subject has been ‚decentred‘, and ‚identity‘ is old hat“ (Asibong 2013: 6). Son refus de DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 109 Arts & Lettres se sentir comme faisant partie d’une communauté noire fait dire à Asibong qu’elle est „[the] perfect mimicry of the Republican, anti-communautarist French subject“. Ce qui apparaît ici - outre le sexisme dépréciatif de l’expression „poster girl“ - c’est l’obsession de la question identitaire et communautaire de nombreux auteurs postcoloniaux anglophones. Ainsi, Asibong et Jensen demandent: „[…] if this author [NDiaye] is ‚really‘ French, why is her skin brown? “ (Asibong 2013: 6), voire „[c]omment peut-on être noire et française? “ (Jensen 2017: 111). 4 Il est important de noter qu’elle tient ces propos en 2009, donc après avoir rédigé la nouvelle Les sœurs (NDiaye 2008), qui servit de préface au livre de son frère Pap Ndiaye sur la condition noire en France (Ndiaye 2008). Ceci est intéressant, car selon Jensen (2017), Asibong (2013), Burnautzki (2017) et d’autres critiques postcoloniaux, la lecture du livre de son frère aurait sensibilisé Marie NDiaye à la question noire et aiguisé sa „conscience raciale“. Marie NDiaye explique effectivement que le livre de son frère a eu un certain effet sur elle, mais elle continue pourtant à défendre qu’elle „n’arrive pas à [se] voir comme femme noire“. Affirmer qu’elle aurait développé une conscience noire (black consciousness) revient donc à travestir son propos et à insinuer qu’elle nie stratégiquement son identité noire pour favoriser son passing au sein des institutions littéraires blanches. 5 Cette distinction introduite par Huggan (2001) désigne la différence entre une contestation militante de l’ordre (post)colonial (postcolonialism) et la complicité autoexotisante et néolibérale avec cet ordre (postcoloniality). 6 Burnautzki décrit le tokenism comme un ensemble de „[…] gestes d’inclusion superficiels à l’égard de personnes minorisées qui favorisent le maintien des frontières racialisées tout en rejetant le reproche de la discrimination“ (ibid.: 180). 7 Thomas formule la même critique radicale quand il écrit que Trois femmes puissantes est „filled with an overwhelming range of negative representations and stereotypes“ (2012: 154). Quant à l’explication de NDiaye, disant qu’elle voulait donner une visibilité à des gens si souvent marginalisés dans la littérature française, Thomas répond qu’elle est „blinded by her own ignorance [sic] of the vast corpus of works that had already addressed the postcolonial concerns in recent years“ (ibid.). Comme dans le cas de Jensen, Asibong et Burnautzki, la dureté de la critique de Thomas à l’égard de ceux qui n’adoptent pas le système idéologique des études postcoloniales est choquant et semble donner raison à Bayart quand il constate que les études postcoloniales „existent surtout par l’accusation que leurs tenants profèrent contre les coupables qui ont le front de ne pas y adhérer“ (2010: 17). Toujours avec Bayart (ibid.: 13), on peut déplorer ici la confusion entre épistémè et normativité, et donc entre une visée scientifique et une visée politique. 8 „[J]e crois que j’étais un peu lassée aussi de cela, des belles phrases syntaxiquement irréprochables et longues et donc assez difficiles à bâtir […]. Peut-être aussi que maintenant, après plus de vingt ans d’écriture, peut-être que je suis aussi plus tranquille et que j’éprouve moins le besoin de montrer que je sais faire […]“ (NDiaye, citée d’après Asibong/ Jordan 2009: 192). 9 Une précision doit être apportée d’emblée pour éviter tout malentendu: la critique développée ici ne vaut pas pour les études postcoloniales, courant bien trop pluriel pour en parler au singulier. La critique se réfère à un certain courant des études postcoloniales très développé dans le contexte anglophone et représenté notamment par les auteurs cités dans cet article, à savoir Asibong, Behar, Burnautzki, Jensen et Thomas. Tomescu (2016: 26) appelle ce courant la „doxa postcoloniale“ et l’oppose aux perspectives postcoloniales „dissidentes“. La posture combative, intransigeante, souvent dénonciatrice et polémique de ce 110 DOI 10.2357/ ldm-2019-0008 Arts & Lettres courant „orthodoxe“ vient sans doute de sa focalisation sur les structures dites hégémoniques et de ses convictions politiques identitaires. Mais il s’agit certainement aussi d’„une stratégie de niche de la part de chercheurs en quête d’une part du marché académique“ (Bayart 2010: 37). 10 Certes, Homi Bhabha a introduit la notion d’hybridité dans les études postcoloniales, „[m]ais cette ligne de réflexion a été à son tour vivement critiquée“ (Pouchepadass 2007: 193sq.). Le concept d’hybridité reste très controversé au sein des études postcoloniales, notamment chez les auteurs ‚orthodoxes‘ qui se revendiquent des politiques identitaires. 11 Ainsi, Ducournau conclut à propos de Rosie Carpe (2001) et de Papa doit manger (2003): „En définitive, si le traitement littéraire de la couleur de peau part dans ces deux livres d’une opposition binaire entre noir et blanc, il permet de la transcender […]“ (2009: 116). 12 Les avis sont partagés. Tandis que Moudileno atteste à NDiaye „a naiveté [sic] about the dynamics of racial identification in France today“ (2011: 71), Burnautzki l’accuse d’être „complice [sic] des modes de représentation hégémoniques“ (2017: 199). 13 „[Question: ] Et en France, vous vous sentez une étrangère? [NDiaye: ] Non, je me sens chez moi en France. [Question: ] Même si vous habitez à Berlin aujourd’hui? [NDiaye: ] Je me sens chez moi à Berlin“ (NDiaye, cité d’après La Grande Librairie 2009: 16’50’’). 14 „Non, je n’écris ni en tant que femme, ni en tant que femme noire. Je ne me définis pas comme une femme noire, née en France en 1967. Ce sont des notions factuelles qui n’ont pas d’importance, s’agissant de mon écriture. J’écris en tant qu’être humain“ (NDiaye, citée d’après Chanda 2013). 15 „[Question: ] Est-ce qu’il faut lire ce livre comme une dénonciation de la condition noire? [NDiaye: ] Je ne suis pas un écrivain engagé. L’écrivain engagé a tendance à être peu subtil car il doit faire passer un message. Dans ses textes, il n’y a pas de place pour l’ambiguïté. Moi, au contraire, j’aime travailler dans l’ambivalence parce qu’il me semble qu’elle nous fait réfléchir davantage“ (NDiaye, citée d’après Chanda 2013). 16 À propos de l’histoire de Khady Demba dans Trois femmes puissantes, NDiaye explique: „Mon but, donc, n’était pas de décrire ce que l’on avait déjà lu ou entendu mais de donner une forme romanesque, artistique à cette histoire […]“ (NDiaye, cité d’après La Grande Librairie 2009: 7’35’’). 17 „On commettrait […] un lourd contresens en la rangeant - c’est parfois le cas dans certaines études nord-américaines - dans une littérature francophone africaine qui n’est en rien son milieu, ni son horizon“ (Rabaté 2008: 25, cité d’après Neamtu-Voicu 2016: 14). En ce sens, la thèse de doctorat de Neamtu-Voicu est particulièrement intéressante, car elle explique ne pas s’intéresser à la „filiation paternelle“ de Marie NDiaye mais aux „filiations artistiques“ de ses romans (ibid.: 21).