eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/89

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4589

Charles Mazouer: Théâtre et christianisme. Études sur l’ancien théâtre français. Paris: Honoré Champion, «Convergences (Antiquité - XXIe siècle) 2», 2015. 618 p.

2018
Volker Kapp
Comptes rendus 431 Charles Mazouer : Théâtre et christianisme. Études sur l’ancien théâtre français. Paris : Honoré Champion, « Convergences (Antiquité - XXI e siècle) 2 », 2015. 618 p. Grand spécialiste du théâtre français et historien versé du théâtre classique aussi bien que de celui du Moyen Age, Charles Mazouer n’a cessé de s’occuper des rapports conflictuels entre l’ancien théâtre français et la religion chrétienne. D’où le projet de réunir ses articles dispersés, publiés pendant une trentaine d’année. Après une introduction générale (13-32), le volume commence par un panorama des différents types de drames médiévaux (33-218), puis passe aux théâtres de la Renaissance (219-406) et du siècle classique (407-500) et aboutit aux efforts du XX e siècle entrepris pour ressusciter le mystère médiéval (501-556). Après l’inventaire des « sources » (565-568), on trouve une « Bibliographie sélective » (569-582), les index « nominum » (583-596) et des « pièces de théâtre » (597-604), index qui facilitent la consultation du volume. L’auteur ne présume pas une lecture continue de son livre parce qu’il répète dans chaque chapitre l’énumération des éditions utilisées, même s’il ne reprend que les informations des parties précédentes. L’introduction situe le dialogue entre l’art du théâtre et la foi religieuse « dans une évolution, marquée par de fortes ruptures » (13) en le rattachant au « développement de l’Humanisme et des Réformes, l’établissement de l’absolutisme d’une monarchie chrétienne ou la propagation des Lumières » (13). Elle se termine en évoquant la monumentale Dramaturgie divine de Hans Urs von Balthasar, un « des plus grands théologiens catholiques du XX e siècle » (31), éloge répété à propos du théâtre classique (470). Mais Mazouer ignore les développements de Balthasar sur les correspondances entre le jeu théâtral et l’existence. Il préfère expliquer la dérision observée des mystères médiévaux dans l’optique de la « contestation » (145) au lieu de se hasarder dans les spéculations géniales de Balthasar sur le bouffon (dans La Gloire et la Croix IV, autre volet de la trilogie que la Dramaturgie divine). À propos du théâtre de la Renaissance, il s’en tient aux distinctions traditionnelles entre le tragique païen et le christianisme (221-232) et prolonge cette réflexion dans l’analyse de la « théologie » du théâtre de la Renaissance (361-406). La partie sur le classicisme jette un regard rapide sur La Cour sainte du jésuite Nicolas Caussin parce que les dramaturges l’exploitent en tant que « source » (411). La querelle de la moralité du théâtre est évoquée tant chez les adversaires de Corneille (436-470) que de Molière (458-470 et 489-500). Selon Mazouer, Molière est chrétien parce qu’il est né Français mais il est devenu « un libertin et il propose dans son théâtre un univers fort étranger au christianisme » (499). On peut donc en PFSCL, XLV, 89 (2018) 432 conclure que l’auteur garde ses distances vis-à-vis de ceux qui voudraient récupérer ses comédies pour la foi. Dans ce volume, le spécialiste ne retrouve non seulement ce qu’il connaissait depuis longtemps, mais il a le plaisir de le voir intégré dans un contexte plus vaste sans que l’auteur prétende fournir une histoire exhaustive de la problématique envisagée. On est frappé du don de Mazouer de retrouver toujours, dans ses différentes études, le fil conducteur de ses réflexions sur un même thème et on le félicite d’avoir le courage de se contenter de l’indispensable en écartant, par exemple à propos de Garnier (voir p. 377 note 68), tout ce qui aurait transformé ce panorama conflictuel en la somme des articles se rattachant à la problématique envisagée. Un autre avantage est la mise à jour des textes d’origine. Cependant, on est surpris que, d’après notre auteur, l’étude remarquable de Françoise Karro sur L’Histoire tragique de la Pucelle de Dom-Remy, autrement d’Orléans de Fronton Du Duc (Le Porche décembre 2009, 6-19) n’ajoute rien « à l’analyse de la pièce » (308) qu’il présente (306-315). On lui atteste cependant la cohérence des développements due soit à l’insertion de transitions soit à la suppression de redites ou de réflexions nuisant à la logique de la démonstration. Quoique situé dans la première partie consacrée au théâtre médiéval, le chapitre « Théâtre et mission pendant la conquête du Chablais » (173-194) attire l’attention sur la fin du XVI e siècle où, dans la représentation du Sacrifice d’Abraham à Annemasse, François de Sales joue le rôle « de Dieu le Père dans la pièce écrite par son frère et son cousin » (190). Mazouer doit cette information au dépouillement d’un « document d’ordinaire négligé […] par les historiens du théâtre » (194), un écrit de conversion publié en 1599. C’est pour lui l’occasion d’insérer une esquisse du « regain du genre des mystères dans la première moitié du XX e siècle » (196-204). Il y fait « le partage entre des œuvres certes populaires et chrétiennes, mais esthétiquement médiocres [celles de Ghéon], et les œuvres de véritables créateurs qui, sans perdre de vue la référence au genre médiéval, font œuvre neuve et belle » (198). Analysant « Henri Ghéon et le mystère médiéval » (205-218), Mazouer y est « plus réservé » que Copeau parce qu’il est rebuté par « la pensée édifiante […] monnayée dans des textes d’une telle platitude, d’une telle faiblesse » (218). Dans la partie finale en revanche, il tient la Jeanne d’Arc de Péguy pour « une bonne et belle œuvre, trop délaissée » (511). En ce qui concerne Claudel, il souligne n’avoir « jamais rien lu de tel dans les mystères hagiographiques du Moyen Age ou du XVI e siècle » (520) que dans les différentes versions du drame intitulé finalement L’Annonce faite à Marie. Il ne se contente pas de rapprocher Asmodée de Mauriac du Tartuffe de Molière mais découvre chez Mauriac Comptes rendus 433 « un autre éclairage, venu de sa foi chrétienne, et permettant de sonder le mystère des personnages à une autre profondeur » (563). Des jugements sévères parsèment la première et la deuxième partie du livre. Bien qu’appréciant le mystère du Viel Testament, Mazouer critique que « le dramaturge ajoute à la matière plus qu’il ne retranche ! […] Mais pour lui, massivement, dramatiser, c’est mettre en œuvre une inventio foisonnante, trop peut-être à notre goût » (124). Pire est le bilan sur Marguerite de Navarre, qui s’inspire de la dramaturgie des mystères médiévaux, « mais elle n’en reprend ni le mouvement ni le goût de réalités données en spectacle ». C’est pourquoi ses « petits drames bibliques donnent une terrible impression de statisme » (25). La Tragédie française à huit personnages (1571) de Jean Bretog, la « plus intéressante » de ce type de pièces, « n’introduit aucune vision tragique » et signale davantage « la capacité de la moralité à persister qu’à se renouveler » (260). La Tragédie de feu Gaspard de Coligny (1575), dans laquelle François de Chantelouve cherche à justifier les atroces massacres de la Saint-Barthélemy, est tirée par lui « de l’oubli des œuvres mineures ». Elle « présente peu de beautés » mais elle mérite notre attention « comme bon modèle d’une dramaturgie de propagande » (290). Il semble mesurer ces œuvres à l’aune du classicisme dont il ne condamne rien. Mazouer est plus familier des données religieuses que la plupart des critiques d’aujourd’hui qui lui seront reconnaissants de mettre à leur disposition des informations qu’ils auraient autrement beaucoup de difficultés à repérer. Volker Kapp Delphine Reguig : Boileau poète : « de la voix et des yeux ». Paris : Classiques Garnier « Lire le XVII e siècle 42 ; Voix poétiques 5 », 2016. 386 p. Le titre de cette étude est simple, Boileau poète, mais il résume le sens de tout un examen nuancé et profond de l’esthétique de l’auteur. Et le situe bel et bien au fond du classicisme, pas celui de quelques paragraphes d’un manuel scolaire qui n’expriment que des formules arrachées de leur contexte. Tout au début Reguig indique le bon chemin pour une compréhension valide des idées du poète ; il faut refuser de suivre ceux qui veulent être guidés par un législateur caricatural, érigé comme une « légende » factice et figée dans les idées reçues. La position de Reguig est claire, Boileau n’est pas un « icône, » ni un « fétiche » (p. 8) et son œuvre est analysée de tous les angles. Par exemple, on voit d’abord un Boileau affectif