eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/89

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4589

Marie-Gabrielle Lallemand, Pascal Mounier (éds.), L’oralité dans le roman (XVIe et XVIIe siècles). Elseneur n°32, Presses universitaires de Caen, 2017. 222 p.

2018
Gilles Siouffi
Comptes rendus 427 Thierry Favier, spécialiste du grand motet, qui associe le sublime à la démesure, suivant une acception dominante en Angleterre, qu’il confronte au rationalisme esthétique français. Une autre méthode probante consiste à approcher le sublime par des concepts périphériques, comme le fait Sophie Hache qui, partant de la notion de tableau, fonde son analyse du sublime attaché aux livrets de Mondonville sur l’harmonie imitative pour mieux éclairer, in fine, le rôle de la composition dans l’effet. Particulièrement convaincants sont les essais qui cernent les contours de la définition jusque dans ses éventuelles contradictions, comme celui d’Hélène Michon, cité plus haut, l’article de Servane L’hopital, qui étudie les cérémonies la messe « à l’aune du sublime » entre les deux références majeures que sont le sublime théologique et le sublime rhétorique, ou celui de Pierre Dubois, qui évalue le hiatus entre un sublime objectif, associé en plein XVIII e siècle à la grandeur, et un sublime subjectif - dans un temps et un lieu donné. La présentation remarquable de l’ouvrage mérite d’être soulignée. La bibliographie est abondante et à jour, classée de manière à en faciliter d’usage. Un index nominum, de courtes introductions à chaque partie, un bref résumé bilingue de chaque chapitre, une présentation des auteurs, et de nombreux exemples musicaux (un peu trop réduits par la mise en page), l’effort de traduction en français de pas moins de six articles, facilitent considérablement la lecture de ce livre dense, qui s’imposera comme un jalon important des études sur le sublime et la musique. Il augure aussi de la richesse du prochain livre codirigé par S. Hache et Th. Favier, qui vient de sortir des presses universitaires de Rennes (Réalités et fictions de la musique religieuse à l’époque moderne : essais d’analyse des discours). Anne Piéjus Marie-Gabrielle Lallemand, Pascale Mounier (éds.), L’oralité dans le roman (XVI e et XVII e siècles). Elseneur n°32, Presses universitaires de Caen, 2017. 222 p. Lorsqu’on lit aujourd’hui certains « grands romans » du début ou du milieu du XVII e siècle, comme ceux de Madame de Scudéry (Artamène ou le Grand Cyrus, ou Clélie, histoire romaine), on est frappés du nombre de passages où un personnage est mis en scène prenant la parole pour raconter à son tour une histoire, d’une manière qui peut nous sembler aujourd’hui très artificielle. Ce procédé dit des « histoires insérées » se retrouve encore dans La Princesse de Clèves (1678), roman pourtant connu par la continuité dramatique déjà toute moderne qu’il met en pratique. Le collectif réuni ici par Marie-Gabrielle Lallemand et Pascale Mounier, de l’université de Caen, PFSCL, XLV, 89 (2018) 428 explore cette présence marquée de l’oralité dans les romans de la première modernité (XVI e et XVII e siècles), ainsi que la bascule qui semble se produire dans la deuxième moitié du XVII e siècle vers un effacement de ces prises de parole. L’hypothèse, explicitée dans l’introduction (p. 14), est que cette inscription en creux des performances narratives à l’intérieur du roman est le dernier témoignage d’une « origine orale de la narration ». Cette inflexion a partie liée avec l’histoire de la lecture. De fait, on sait que la lecture, en gros jusqu’à la fin du XVII e siècle, était la plupart du temps oralisée. Madame de Sévigné nous apprend par exemple dans une de ses lettres (28 juin 1671) qu’elle se faisait lire la Cléopâtre de La Calprenède. De nombreuses gravures des éditions illustrées de L’Astrée (1632-1633) nous représentent un personnage narrant une histoire devant une assemblée attentive. Le roman du XVII e siècle a donc pour origine le conte, au sens d’histoire narrée, ou lue, oralement. Dans cette perspective, il est particulièrement intéressant d’aller explorer, dans le principe, la structure et la textualité des romans des XVI e et XVII e siècles, les échos de cet ancien fonctionnement dans la mesure où ils vont de plus en plus être lus de façon solitaire et muette (voir les travaux de Roger Chartier). La question est en effet de savoir comment se réalise ce glissement depuis l’insertion d’histoires clairement rapportées vers des formes plus subtiles d’immixtion de l’oralité dans cet exercice de plus en plus « littéraire » que va devenir le roman. Véronique Duché étudie ainsi comment dans les romans sentimentaux traduits de l’espagnol (comme la Penitence d’amour, traduit en 1537 de Pedro Manuel Jiménez de Urrea), la voix orale, souvent féminine, fait entendre des souvenirs de la poésie cancioneril. Suzanne Duval et Francesco Montorsi estiment de leur côté que les transitions métaleptiques (avec appel au lecteur), témoignent, dans la fiction en prose du XVI e siècle, du recul de la « récitation » au profit d’une modification énonciative qui va graduellement participer de la construction d’une scène silencieuse. L’oralité perd son caractère immédiat pour s’inscrire progressivement dans les procédés du roman. Certains marqueurs linguistiques sont là pour l’attester. Paul Zumthor avait déjà noté (La lettre et la voix, 1987), comment le petit mot or, caractéristique du récit médiéval, au-delà de sa valeur temporelle ou argumentative, manifestait un embrayage énonciatif par lequel la présence du locuteur se trouvait sans cesse rappelée. Il en est de même du et de relance, qu’on observe très fréquemment, alors que d’autres conjonctions auraient pu être disponibles, entre 1550 et 1700. Sur la base d’un relevé effectué à partir de Frantext, Claire Badiou-Monferran montre le déclin statistique de ce mode d’enchaînement, déclin qui illustre ce qu’elle appelle une « dés-oralisation » des fictions narratives dans la deuxième moitié du Comptes rendus 429 XVII e siècle. L’effet d’oralité lié à la progression par relance va se voir contester stylistiquement au profit du modèle par asyndète, principe du « style coupé », lequel va tout-à-fait, de son côté, devenir un marqueur d’écrit. Désormais, les et après ponctuation forte seront presque toujours dotés d’un effet expressif, comme on le perçoit déjà dans la fameuse dernière phrase de La Princesse de Clèves (qui se termine par un « ; et sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. »), et comme on le trouvera fréquemment, avec toutes sortes de nouvelles valeurs, dans la prose narrative du XIX e siècle. L’écrivain de « romans » ou d’« histoires » doit-il assumer une continuité énonciative, dans son texte, ou céder la place à d’autres voix ? C’est une question décisive qui se pose au XVII e siècle. En effet, la pratique d’un authentique dialogue n’est pas encore perçue comme une donnée nécessaire de ce genre, et on y remarque souvent, comme l’étudie Claudine Nédelec à partir des histoires tragiques de Belleforest, de François Rosset et de Jean- Pierre Camus, des « voix d’orateur » qui ne relèvent pas d’une oralité de dialogue, mais d’une oralité de discours non polyphonique, et qui appelle d’ailleurs souvent des commentaires (voir également l’article de Francine Wild sur Jean-Pierre Camus). En étudiant la présence de la parole dans Le Page disgracié de Tristan L’Hermite, Chantal Liaroutzos remarque également que « la représentation de la parole est constitutive de la progression même du roman » (p. 107). Mais si l’abondance des discours rapportés et la prolixité de maint personnage rendent bien sensible que c’est dans les échanges verbaux que le roman trouve sa charpente, ce qui le rapproche, comme l’avait déjà noté Jacques Prévost, du conte, Chantal Liaroutzos estime que cette oralité n’y fait pas figure de modèle, pour la construction narrative. Il y a bien une voix d’auteur, dans ce roman, qui se démarque avec distance et humour de celle de ses personnages. La transition est à cet égard subtile depuis une inscription spectaculaire de l’oralité vers l’affirmation d’une figure d’auteur liée au geste littéraire. Nous en arrivons ensuite à ce fameux tournant des années 1660, où l’oralité va changer de régime. A cette date, comme l’écrit Marie-Gabrielle Lallemand dans son étude sur les histoires insérées dans les narrations fictionnelles des deux Scudéry, Georges et Madeleine, le roman long va céder la place au récit bref, lequel ne va plus s’appuyer sur des paroles rapportées, mais graduellement « donner l’illusion de se raconter tout seul » (p. 122). On lit beaucoup à haute voix dans les longs romans des Scudéry, marqués par le moule conversationnel, mais à partir de 1660, Marie- Gabrielle Lallemand relève une substitution de l’écrit à l’oral, et une disparition des improvisations orales. Emily Lombardero mène une réflexion similaire à partir d’un petit corpus d’œuvres publiées entre 1654 et 1678. PFSCL, XLV, 89 (2018) 430 Pour elle, le déclin de l’oralité dans le roman va de pair avec des modifications stylistiques, comme le rejet des longues périodes, et la dissociation, que relève Sorel dans De la connoissance des bons livres (1665), entre rhétorique de l’écrit et rhétorique de la parole. Pour elle, c’est moins l’apparition de la nouvelle que celle de la nouvelle historique qui a permis cet abandon du modèle conversationnel et ce graduel effacement énonciatif. C’est cet effacement énonciatif, précisément, qui a souvent suscité l’admiration dans les nouvelles et romans de Madame de Lafayette. Ceux-ci suivent en cela un modèle déjà expérimenté par Saint-Réal, ce que rappelle ici Jean-François Castille, qui relève également l’abondance des « signes » que font, dans ces œuvres, les moments de silence. A l’inverse, Madame de Villedieu restera attachée, dans ses romans et histoires publiés dans les années 1660, à la pratique des histoires insérées, lesquelles sont toutes à la première personne, et toutes adressées à un auditoire restreint, comme le montre ici Miriam Speyer. Mais celle-ci estime que, au lieu d’être une survivance écrite du récit oral, ces passages constituent chez Madame de Villedieu des avatars du récit écrit, ce qui situe peut-être malgré tout la romancière dans la logique de l’évolution généralement observée. Le volume est complété par une contribution qui se situe sur un autre plan. En s’intéressant aux moments de lecture à haute voix de La Princesse de Clèves qu’a connus l’année 2006, Marine Roussillon pose en effet la question de la théâtralité possible de cette langue et de cette textualité particulière du roman, notamment pour un public d’aujourd’hui. Pour elle, il n’est pas douteux en effet que cette nouvelle oralisation, qui allait d’ailleurs de pair avec des propositions théâtrales ou filmiques à peu près contemporaines, n’ait révélé des potentialités de cette littérature qui paraissaient peut-être un peu enfouies après des siècles de tradition scolaire et de lecture muette. Au total, on lira donc avec intérêt ces contributions très cohérentes que rassemble une hypothèse forte autour d’une inflexion majeure de la littérature narrative fictionnelle au XVII e siècle. La démonstration, étayée d’études de cas qui se complètent (même si d’autres œuvres, naturellement, pouvaient être convoquées, comme Les Amours de Cupidon et Psyché de La Fontaine, par exemple), est très convaincante. Nous oublions trop souvent (mais nombre de propositions de la littérature contemporaine nous le rappellent aujourd’hui) combien la voix et la parole nourrissent l’écriture littéraire. Le XVII e siècle lu de cette manière reprend une partie de son sens. Gilles Siouffi