eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/88

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4588

Tristan Alonge: racine et Euripide: la révolution trahie. Genève: Droz, «Travaux du Grand Siècle», 2017. 414 p.

2018
Michael Hawcroft
PFSCL XLV, 88 (2018) Tristan Alonge : Racine et Euripide : la révolution trahie. Genève : Droz, « Travaux du Grand Siècle », 2017. 414 p. On sait que Racine devait beaucoup à la Poétique d’Aristote et à la tragédie grecque, notamment à Euripide. On sait aussi qu’il devait à ses professeurs hellénistes à Port-Royal des connaissances linguistiques qui lui permettaient de lire les textes grecs sans avoir recours à des traductions latines ou françaises comme la plupart de ses contemporains, y compris son plus grand rival Pierre Corneille. Nous disposons même de sa traduction partielle de la Poétique (qu’il n’a pas publiée) et des annotations marginales qu’il a faites dans ses livres grecs, et surtout dans les éditions qu’il possédait des dramaturges grecs (traduction et annotations éditées par Raymond Picard dans son édition des Œuvres Complètes. II. Prose, Paris : Gallimard, 1966). Sa dette envers les Grecs, nous la connaissons avant tout parce que Racine, tout au long de sa carrière de dramaturge, l’a constamment affichée. En félicitant Euripide d’être « extrêmement tragique » dans sa préface à Iphigénie, Racine s’en félicite lui-même aussi : « Le goût de Paris s’est trouvé conforme à celui d’Athènes. Mes Spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce » (Racine, Œuvres complètes. I. Théâtre, Poésie, éd. G. Forestier, Paris : Gallimard, 1999, p. 699). Racine, l’Euripide français. Et cependant, les spécialistes du théâtre du dix-septième siècle savent, depuis des décennies, qu’il faut se méfier de cette image auréolée de restaurateur de la tragédie grecque sur la scène française que Racine a voulu se conférer - image qui revêt une part de ce qu’on appelle aujourd’hui stratégie de communication. Voulant réussir comme jeune dramaturge dans les années 1660, Racine devait surtout se distinguer des autres et, tout particulièrement, de Pierre Corneille, et il l’a fait en tirant le bénéfice de sa connaissance du grec. Mais dans un ouvrage qui a fait date depuis sa première apparition en 1950 (Racine et la Grèce, Paris : Nizet, ré-éd. 1974), R. Knight a nuancé, très considérablement, l’image proposée par le dramaturge lui-même. Selon R. Knight, Racine, malgré ce qu’il voulait faire croire à ses lecteurs dans ses préfaces, devait beaucoup plus au théâtre français dans La Thébaïde et dans Andromaque. Et ce n’est, selon R. Knight, qu’après avoir débuté dans le théâtre que Racine a entamé sa traduction de la Poétique et ses annotations des tragiques grecs. De sorte que ce n’est vraiment qu’avec ses deux dernières créations pour le public parisien, Iphigénie et Phèdre, que Racine devient le Grec français qu’il a toujours voulu être. La lecture du livre de Tristan Alonge, qui fait une intervention de tout premier ordre dans l’étude intertextuelle et dramaturgique de Racine, est passionnante. Ses analyses, infiniment méticuleuses et qui se lisent presque PFSCL XLV, 88 (2018) 218 comme une enquête policière, ont pour objet de bouleverser de fond en comble non seulement l’image que Racine a lui-même proposée de ses rapports avec le théâtre grec (ce que R. Knight a déjà fait) mais aussi, et surtout, de renverser totalement l’interprétation de R. Knight. Pour T. Alonge, Racine se rapproche le plus des Grecs, et essentiellement d’Euripide, dans La Thébaïde et Andromaque, et, par la suite, s’en détache petit à petit de sorte que Phèdre, loin d’être la parfaite recréation pour la scène française de la tragédie euripidéenne comme on l’a souvent cru, représente la véritable trahison d’Euripide. Contrairement à ce qu’a dit R. Knight, T. Alonge donne de bonnes raisons de croire que Racine s’occupait déjà de la traduction de la Poétique et de l’annotation des tragiques grecs en même temps qu’il se lançait dans l’écriture dramatique, probablement au cours des années 1662-63 (pp. 22, 34). Ses lectures très précises ont fait voir à Racine ce qu’on peut considérer comme l’essentiel du système tragique aristotélicien et euripidéen : c’est-àdire, pour mieux provoquer la crainte et la pitié chez le spectateur, il fallait d’abord mettre scène un personnage principal ambivalent et ensuite faire en sorte que le renversement de la situation qui amène la catastrophe se fasse par la faute de ce même personnage. Ou bien, comme Racine lui-même l’a exprimé dans la première préface d’Andromaque, « Il faut donc que [ les Personnages tragiques ] aient une bonté médiocre, c’est-à-dire, une vertu capable de faiblesse, et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute, qui les fasse plaindre, sans les faire détester » (OC I, p. 198). En 1660, dans son deuxième Discours, Corneille avait du mal à comprendre ce qu’Aristote disait à propos du personnage double. Or Racine voulait justement révolutionner sa dramaturgie et se distinguer de ses contemporains en mettant en relief des personnages doubles dont les fautes pouvaient entraîner la péripétie et, par conséquent, la catastrophe. Considéré dans cette perspective, le personnage de Jocaste devient le premier grand personnage tragique du théâtre de Racine. C’est un personnage ambigu : une mère qui aime ses fils, mais qui ignore à la fois le destin qui pèse sur sa famille et l’inimitié enracinée des deux frères. D’ailleurs, c’est un personnage qui agit et qui, en agissant, entraîne la catastrophe : en effet, elle fait tout pour que ses fils soient réunis, mais la réunion ne fait que montrer combien ils se détestent. Suite à son échec, elle se suicide. Sénèque, Garnier et Rotrou avaient eux aussi mis en scène la mère et la femme d’Œdipe, mais chez eux Jocaste est un personnage purement innocent et passif. Le personnage ambigu et actif, Racine l’a trouvé dans Les Phéniciennes d’Euripide. C’est également chez Euripide qu’il a retrouvé une Andromaque à la fois veuve et mère. Les autres dramaturges qui ont peint ce personnage ont Comptes rendus 219 insisté sur sa fidélité envers son mari Hector. Racine n’ignore aucunement cette fidélité maritale, mais il la fait basculer vers les sentiments maternels quand Andromaque agit et annonce qu’elle épousera Pyrrhus pour sauver Astyanax : c’est la péripétie qui conduira à la catastrophe. Chez Euripide aussi Andromaque a pu renverser la situation en se disant prête à mourir pour sauver la vie à son fils (même s’il s’agit d’un autre fils que chez Racine). Le moment clé dans l’évolution que nous esquisse T. Alonge est la querelle d’Andromaque. En préparant une deuxième édition de la pièce qu’il a publiée en 1673, cinq ans après la première, Racine devait peser soigneusement les critiques qu’on lui avait adressées. Pour T. Alonge, une des critiques essentielles à laquelle Racine aurait été particulièrement sensible porte précisément sur la complexité de ses personnages, notamment du personnage d’Andromaque. Dans la première édition de la pièce Andromaque entre en scène à l’acte V, prisonnière d’Oreste et rapidement libérée par Hermione, avec qui elle sort pour aller s’occuper du cadavre de son nouveau mari. Dans la deuxième édition, Racine supprime cette entrée en scène justement, selon T. Alonge, pour réduire la complexité du personnage, pour éviter de modifier excessivement l’image traditionnelle d’une Andromaque scrupuleusement fidèle à Hector. Cette leçon que Racine aura apprise à propos des goûts du public contemporain, il l’applique en abordant Iphigénie et Phèdre. Malgré tout ce que ces deux pièces ont en commun avec celles d’Euripide qui les ont inspirées, Racine rejette la complexité du personnage central qui est responsable de la péripétie produisant la catastrophe ; il choisit plutôt de simplifier ce personnage et fait en sorte que celui-ci soit obligé de réagir au lieu d’agir lui-même. L’Iphigénie de Racine est un personnage totalement cohérent, dépouillé de la dimension larmoyante et révoltée qu’elle avait chez Euripide. Chez Racine, elle fait preuve, du début jusqu’à la fin, d’une obéissance aveugle à son père ; et la péripétie ne repose pas sur le personnage éponyme, mais sur Ériphile, personnage inventé par Racine. La Phèdre d’Euripide est coupable d’avoir révélé son amour pour Hippolyte à sa nourrice ; mais elle fait tout pour sauver son honneur et l’honneur de ses enfants. C’est la raison pour laquelle elle se tue, en laissant un écrit où elle lance une accusation contre Hippolyte - acte qui constitue la péripétie et conduit à la catastrophe. En revanche, la Phèdre de Racine est une femme furieuse et passionnée « dont tous les actes et les choix conscients sur scène, y compris la décision de mourir, sont dictés par l’amour » (p. 337). C’est la Phèdre de Sénèque et des prédécesseurs français de Racine, non plus celle d’Euripide. PFSCL XLV, 88 (2018) 220 Reste à savoir pourquoi Racine insiste toujours dans les préfaces à Iphigénie et à Phèdre sur Aristote et Euripide et sur ce qu’il leur doit. Selon T. Alonge, Racine aurait toujours envie d’afficher la distinction d’avoir pu restaurer la tragédie grecque sur la scène française même si, en réalité, il a adapté sa dramaturgie pour mieux plaire au public français. Ce qui paraît le plus euripidéen chez Racine l’est le moins. Il observe de moins en moins les préceptes aristotéliciens et les pratiques euripidéennes qu’il persiste pourtant à mettre en avant dans ses préfaces. La trajectoire de cette révolution euripidéenne trahie que nous peint T. Alonge n’est, comme il le dit, que partiellement esquissée ici. Il a choisi de se focaliser sur les quatre pièces inspirées directement par des tragédies d’Euripide. T. Alonge nous laisse sur notre faim en disant que « sera peutêtre menée un jour [ … ] une analyse de l’ensemble du corpus racinien pour y déceler des traces de cette évolution » (p. 16). Aucune réserve à exprimer sur ce travail d’une très grande érudition qu’aucun racinien ne pourra désormais négliger, si ce n’est le fait qu’un vers très célèbre d’Andromaque est mal évoqué en début de conclusion (« fureur » au lieu de « transport », à deux reprises, dans le vers « Je me livre en aveugle au transport qui m’entraîne », p. 375), et qu’aucune référence n’est faite au livre de Susanna Phillippo, Silent Witness : Racine’s Non-Verbal Annotations of Euripides (Cambridge : Legenda, 2003), ouvrage d’une grande érudition aussi, et trop peu connu. Michael Hawcroft Jean-Pierre Cavaillé (ed.) : Libertinage, athéisme, et incrédulité, 1, Littératures classiques, 92 (2017). Toulouse : Presses Universitaires du Midi. 182 p. Rare it is to read an Introduction to a volume of papers so succinct, coherent, open-ended, and engaging. The author, Jean-Pierre Cavaillé, has accomplished a pedagogical and scholarly ideal that appeared with the birth of disciplines and university departments in the late nineteenth century, but that very rarely occurs: a learned great teacher bringing along a bevy of students who initially start out adopting the perspectives of the master’s research and then build their own intellectual self-fashioning through research and writing. Indeed, J.-P. Cavaillé summarizes each of the eight papers in this volume by briefly stating their contributions and expressing the commitment he shares with these authors in the classic research paradigm of the origins or presence of libertinage, atheism and non-belief in Western culture.