eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/88

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4588

Lire le corps dans La Princesse de Clèves

2018
Aurélien Cavelier
PFSCL XLV, 88 (2018) Lire le corps dans La Princesse de Clèves A URÉLIEN C AVELIER (U NIVERSITY OF D ELAWARE ) Introduction Cette étude propose de rapprocher la physicalité du corps à la physicalité du livre. Ainsi, dans La Princesse de Clèves, on reconnaîtra la possibilité de lire le corps de trois manières : comme un livre fermé ; comme un livre entrouvert ; et enfin, comme un livre ouvert. Cette lecture en trois temps montrera ainsi les trois types d’intersubjectivité dans l’œuvre : l’intersubjectivité absente ; partielle ; et enfin, complète. Cette lecture sera effectuée à deux niveaux : premièrement, au niveau des personnages, dont le corps peut être lu comme un signe linguistique ; deuxièmement, au niveau du lecteur, qui interprète la présence ou l’absence du signe linguistique, au sens propre. Le corps comme livre fermé : l’absence d’intersubjectivité Tout d’abord, il convient de lire le corps comme un livre fermé et de noter l’absence d’intersubjectivité dans l’œuvre. En d’autres mots, les personnages sont assimilables à un livre fermé feignant l’ouverture. Il faut ici replacer l’œuvre dans un contexte où le faux-semblant est la norme, a fortiori à la cour. Cette culture des apparences prédomine dans le roman et s’incarne le mieux dans un mot : la tromperie. Ce mot contribue, avec d’autres mots clés tels que la dissimulation et la feinte, à établir un champ lexical de l’artifice qui perturbe les relations intersubjectives. La spontanéité évoquée par Serge Doubrovsky 1 est en fait mise en scène par les personnages dans un théâtre plus large où tout le monde s’observe, suggérant ainsi un certain phénomène de mimésis entre ces derniers : ce theatrum mundi est le premier manuel d’éducation pour cette jeune princesse, 1 Serge Doubrovsky, Parcours critique II : (1959-1991), Paris, Éditions Galilée, 2006, p. 108. Aurélien Cavelier 116 devenant ainsi un liber mundi. Arrêtons-nous donc sur le mot « tromperie » qui se décline sous trois formes dans le texte : la forme nominale (« la tromperie », trois occurrences) ; la forme verbale (« tromper », près de trente occurrences) ; et la forme pronominale (« se tromper », près de vingt occurrences) 2 . Avant d’analyser les divers sens du mot, et par souci de cohérence avec la métaphore qui sert de fil rouge à ce travail en rapprochant le corps au livre, peut-être peut-on se risquer à arguer ici que le corps des personnages ressemble à la couverture d’un livre qui différerait de son contenu. Notons ici que la tromperie est à la fois physique et psychologique au sein du couple mais s’applique aussi au contexte plus général des échanges verbaux dans l’œuvre. D’abord, la forme nominale : la tromperie est avant tout celle des hommes évoqués par Madame de Chartres à sa fille 3 ; c’est aussi la tromperie de Madame de Tournon 4 , ainsi que celle du Vidame de Chartres. Remarquons ici l’attitude de Madame de Tournon, qui d’une certaine mesure, recourt à la posture de l’endeuillée afin d’afficher sa prétendue inclination pour Sancerre, comme la jeune Veuve de La Fontaine. Le deuil est à bien des égards une posture corporelle à laquelle Madame de Tournon renonce afin de signifier son inclination pour Sancerre. Ce geste fait office de symbole et rentre dans une stratégie de manipulation afin de s’approprier l’autre : il s’agit d’une tromperie puisque le dessein de cette dernière est bien de donner de faux espoirs à ce comte afin de ne pas le perdre, alors même qu’elle est amoureuse d’Estouteville. Ensuite, la forme verbale : ce sont d’abord les apparences qui sont trompeuses comme l’indique Madame de Chartres à sa fille : « […] vous serez souvent trompée : ce qui paraît n'est presque jamais la vérité 5 », dit-elle. « Tromper » est ici perçu comme un détournement volontaire de la réalité : on fait croire à l’autre que l’on n’a d’yeux que pour lui ou elle. Le sens contemporain de tromper est négligeable ici car l’amour n’est pas consommé dans le cas de la princesse. En fait, le corps sous contrôle apparait comme un outil qui rentre dans une rhétorique permettant de persuader et de convaincre : c’est le corps qui évolue dans la sphère privée. Le corps hors de contrôle, associe quant à lui une certaine fascination pour la transgression avec une forme de hantise de voir ses secrets connus de tous : c’est le corps en porte-à-faux, entre le public et le privé. 2 Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678), Paris, Éditions eBooks France : https: / / www.ebooksgratuits.com/ ebooksfrance/ madame_de_lafayette_prin cesse_de_cleves.pdf (Site consulté en décembre 2017). 3 Ibidem, p. 7. 4 Ibidem, p. 27. 5 Ibidem, p. 15. Lire le corps dans La Princesse de Clèves 117 Dans un décor si hasardeux, il est tout naturel de voir ces personnages « se tromper ». Intéressons-nous ainsi à la forme pronominale du verbe : le personnage qui « se trompe » le plus est sans aucun doute la princesse de Clèves dont l’apprentissage est un tâtonnement. Elle ne perçoit pas d’abord la propension du duc de Nemours à la galanterie 6 . Elle refuse également de voir la duplicité en la personne de Madame de Tournon 7 . Elle se trompe sur la nature de ses propres sentiments pour le duc (elle reconnaît qu’elle ne lui est finalement pas si indifférente 8 ). Ceci souligne le caractère naïf de cette princesse qui n’a en fait rien à voir avec l’intensité de son inclination. En effet, le prince de Clèves, dont la passion n’est que trop intense, ne peine pas à discerner les gens tels qu’ils sont. C’est ce dernier qui raconte l’histoire de Madame de Tournon à la princesse, et malgré la force de ses sentiments, il interprète les signes corporels de sa femme sans mal. Le texte souligne à de multiples reprises que le prince « ne se trompe pas » 9 . Ce déséquilibre est significatif puisqu’il dépeint la nature clairvoyante de l’homme alors que la femme ne semble seulement disposer que d’une perception restreinte. Il paraît aussi lourd de sens que Madame de La Fayette ait choisi le prince afin d’oraliser cette peur de tout homme de se voir trompé par une femme, aussi bien physiquement que psychologiquement. C’est la peur d’Arnolphe, chez Molière, mais aussi celle du prince d’assister au renversement des rôles dans la société. D’un certain point de vue, la mort du prince est assez médiocre puisqu’il nous est dit que ce dernier meurt de honte : il ressent en même temps « la douleur que cause l'infidélité d'une maîtresse et la honte d'être trompé par une femme 10 ». Ne s’agit-il pas ici d’une dénonciation de l’amour propre inhérente à la gent masculine ? Le texte ne nous indique-t-il pas que le prince meurt de jalousie ? Ceci peut être décelé dès les premières pages où l’homme envie déjà un rival imaginaire : « Je ne me trompe pas à votre rougeur, […] ; c'est un sentiment de modestie, et non pas un mouvement de votre cœur, et je n'en tire que l'avantage que j'en dois tirer 11 ». Notons ici le discernement du prince qui interprète le langage corporel de la princesse avec justesse. Seulement, le rougissement est-il toujours une confession involontaire de la chair, comme le suggère le travail de recherche de Nora Peterson 12 ? À ce 6 Ibidem, p. 20. 7 Ibidem, p. 26. 8 Ibidem, p. 30. 9 Ibidem, pp. 12 ; 29 ; 52 ; 53 ; 66. 10 Ibidem, p. 70. 11 Ibidem, p. 12. 12 Nora M. Peterson, Involuntary Confessions of the Flesh in Early Modern France, Newark, University of Delaware Press, 2016, p. 119. Aurélien Cavelier 118 propos, cette dernière replace le recours au rougissement dans une pratique sociale plus large où les femmes feignent une réaction spontanée, revêtant ainsi le costume de l’authenticité. Ceci est visible à travers la réaction de la princesse en devenir, réaction qui semble très codifiée lorsqu’elle rencontre le prince de Clèves pour la première fois. En effet, après avoir souligné le rougissement involontaire de cette princesse, le texte indique que celle-ci ne montre pas d’autres « civilités » à l’égard de ce prince 13 . Ainsi, le rougissement comme civilité n’est-il pas trompeur ? Faut-il voir ici un simple signe de déférence typique des relations hommes/ femmes de l’époque ? Le rougissement peut ainsi être assimilé à un dispositif corporel double qui se rapproche aussi bien du masque que de la transparence. Le corps peut revêtir le masque de la maladie, usage décrit par Madame de Chartres 14 auquel sa fille recourt afin de se soustraire à une situation embarrassante : la scène du bal 15 . Le texte souligne que d’ordinaire, la cour aurait tenté de démêler le vrai du faux et d’ainsi déterminer si la princesse était véritablement souffrante. Ceci montre l’importance du thème de la dissimulation, aussi présent que celui de la tromperie, même si son analyse est plus délicate car le mot en lui-même n’apparait qu’à trois reprises dans tout le roman. En fait, cette dissimulation est peut-être surtout de nature linguistique. En effet, l’œuvre ne fournit au lecteur que très peu d’indications corporelles. Le corps peut être rapproché ici à un livre fermé dont il faudrait imaginer le contenu. Ceci est notable à travers un recours systématique à l’ellipse, stratégie narrative décrite par Joan DeJean 16 . Cette dernière entreprend un travail de réhabilitation de l’esthétique elliptique de Madame de La Fayette en s’appuyant sur les écrits de Fontanier qui décrit la figure de style comme un moyen de dire plus à partir de moins, en d’autres termes, de créer de la présence à partir de l’absence. Ainsi, et c’est ici la thèse de Michael Moriarty 17 , on peut voir l’absence de description corporelle comme un signe linguistique à part entière. Les signifiants qui créent le plus de « présence » dans le texte sont certainement « prince » et « princesse » ainsi que le décor : « la cour ». Ces signifiants sont chargés de connotations qui renvoient implicitement au beau ; peut-être faut-il ici reconnaître l’influence d’un imaginaire collectif crée par le conte de fées. Ainsi, ces personnages sont des 13 Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, op. cit., p. 7. 14 Ibidem, p. 19. 15 Ibidem, p. 61. 16 Joan DeJean, « Lafayette’s Ellipses: The privileges of Anonymity », PMLA, 1984, n° 99, p. 252. 17 Michael Moriarty, « Discourse and the Body in La Princesse De Clèves », Paragraph, 1987, n° 10, p. 65. Lire le corps dans La Princesse de Clèves 119 archétypes du beau. Il s’agit ici de la thèse de Mitchell Greenberg, inspirée par le travail de Roland Barthes qui indique que le générique est toujours associé au beau, alors que le particulier renvoie au laid 18 . Par ailleurs, le lexique employé par Madame de La Fayette est représentatif d’un mode de pensée qui différencie le corps de l’esprit. Cette duplicité s’applique à tous les verbes de perception associés aux cinq sens (regarder, voir, toucher, entendre). Tous ces verbes privilégient la dimension cognitive sur la dimension corporelle et établissent une hiérarchie entre l’intelligible et le sensible. Peut-être peut-on reconnaître ici l’influence cartésienne mêlée à l’héritage biblique qui établissent tous deux une distinction drastique entre le corps et l’esprit, et par extension, entre l’extérieur et l’intérieur, le contenant et le contenu, le matériel et l’immatériel. Le corps ressemble à un double spectral de l’esprit : les personnages craignent d’être trompés par leur propre corps et celui d’autrui. Cette hantise s’incarne dans deux exemples : d’abord, celui de Madame de Tournon dont l’histoire terrifie les hommes ; ensuite, celui du prince de Clèves qui paye un lourd tribut : la mort. L’œuvre apparaît ainsi comme la mise en scène du rapport complexe entre corps et esprit mais aussi comme un déplacement d’un espace à un autre par effet de transcendance. La princesse se déplace finalement vers un espace supérieur : celui de l’âme qui lui octroie le repos. Le corps comme livre entrouvert : l’intersubjectivité partielle Ce tiraillement entre corps et esprit laisse présager l’existence d’un espace liminaire au sein duquel les personnages tentent d’évoluer. En fait, la princesse se trouve à bien des endroits du récit en porte-à-faux entre différents types d’intersubjectivité : absente, partielle, complète. Son corps peut alors être lu comme un livre entrouvert par les personnages mais aussi par le lecteur. D’abord, ceci est visible à travers l’usage que l’on fait des tableaux dans le roman. Que cela soit lorsque le duc regarde le portrait miniature de la princesse ou lorsque la princesse regarde le tableau du duc, il s’agit dans les deux cas d’un exemple typique d’absence d’intersubjectivité. L’observateur projette ses désirs et ses frustrations sur une image qui ne peut soutenir son regard : c’est une activité sans risques qui correspond à un acte de possession du corps d’autrui, comme le précise Evelyne Meron dans son article 19 , qui dresse une étude des tableaux dans l’œuvre. Néan- 18 Mitchell Greenberg, Baroque Bodies: Psychoanalysis and the Culture of French Absolutism, Ithaca, Cornell University Press, 2001, p. 138. 19 Evelyne Meron, « Corps, paroles et tableaux dans La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette », New Zealand Journal of French Studies, 2006, n° 27, p. 35. Aurélien Cavelier 120 moins, la scène du vol du portrait est beaucoup plus complexe et correspond à un exemple d’intersubjectivité partielle : le duc de Nemours commet son larcin sous les yeux de la princesse aux prises avec la reine Dauphine. Il lui laisse entrevoir sa volonté de possession sans que cette dernière ne puisse réagir pleinement. Et d’une certaine manière, la scène peut être perçue comme un exemple de domination du masculin sur le féminin. Le porte-àfaux semble être le terme le plus propice afin de caractériser la scène : le texte nous indique que le duc « rencontra les yeux de madame de Clèves, qui étaient encore attachés sur lui, et il pensa qu'il n'était pas impossible qu'elle eût vu ce qu'il venait de faire » 20 . En fait, cette esthétique du porte-à-faux est représentative des échanges entre les personnages qui ne sont que très rarement directs. Le corps luimême est touché de manière dérivative : d’abord par l’intermédiaire des mots qui favorisent l’esprit sur le corps ; ensuite, par l’intermédiaire littéraire et artistique (la lettre et le tableau). Précisons ici que la partie du corps la plus citée dans le texte semble être « la main » que l’on trouve à quinze reprises au pluriel et à dix reprises au singulier. Cependant, les mains ne se touchent pas dans l’œuvre de Madame de La Fayette qui élabore ce que l’on pourrait reconnaître comme une esthétique de l’effleurement. Elles sont presque toujours associées à la lecture de la lettre que l’on trouve « entre les mains » des personnages 21 . La locution adverbiale se substitut ici à deux autres locutions : « entre les mains » remplace « à ma connaissance » et « en ma possession ». La lettre représente l’information, les mains représentent le fait de détenir cette information. Elles sont alors reléguées au rang de symbole de l’intellect. Curieusement, le mot « tête » que l’on attendrait comme l’expression même de l’intellect n’est jamais associé à ce dernier. La tête est plutôt comprise dans sa dimension physique : elle est « tranchée » ; « cassée » ; « coupée » ; « penchée » ; et même « appuyée » sur les mains du prince de Clèves 22 . Le corps comme livre ouvert : l’intersubjectivité complète Le seul moment qui déroge à cette règle de l’effleurement est la scène de l’aveu. Le corps y est ici lu comme un livre ouvert ; l’intersubjectivité y est facilitée. On s’inspira ici largement de la thèse de Nora Peterson qui affirme que les confessions prétendument involontaires de la chair ne sont pas 20 Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, op. cit., p. 34. 21 Ibidem, p. 36 ; pp. 38-39 ; pp. 42-45. 22 Ibidem, pp. 15 ; 31 ; 33 ; 36 ; 49. Lire le corps dans La Princesse de Clèves 121 forcément négatives 23 : au contraire, elles facilitent la communication en créant un effet de réel. Ceci est notable dans l’œuvre lorsque le langage du corps est aussi important que le langage discursif. La scène de l’aveu est le meilleur exemple de ceci : lorsque le prince de Clèves interroge sa femme afin de démasquer l’homme qu’elle aime, celle-ci rougit lorsque son mari mentionne le nom du duc de Nemours. Seulement, ce rougissement est-il véritablement involontaire ? N’octroie-t-il pas une manière de s’exprimer plus proche de ce que la princesse ressent en mettant en scène la spontanéité et l’honnêteté ? Lors de cette scène, il faut aussi lire la posture des deux personnages comme une représentation des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. La princesse « [se jette] sur ses genoux », son visage est « couvert de larmes 24 ». Son discours empreint d’auralité, montre le rapport de force entre les deux protagonistes dont la réaction ne dépend pas de leur sexe, insiste Faith Beasley qui montre qu’au XVII e siècle on ne s’attendait pas à ce que les femmes aient des réactions différentes des hommes 25 . Dans l’œuvre de Madame de La Fayette, le genre semble être défini en termes de mouvement : l’homme est assimilé à la mobilité de par son association à la chasse, la femme est associée à l’immobilisme, comme un portrait vivant destiné à être regardé. Seule la danse, pratiquée par les deux parties, pourrait déroger à cette règle, même s’il faut préciser que la danse est une activité cloisonnée, un mouvement clos. On peut cependant opposer la thèse de Nora Peterson à celle d’Evelyne Meron qui présente les personnages comme des esclaves de leur propre corps (elle s’inspire ici du travail d’Alain Niderst). Meron évoque « un bouleversement des fonctions physiques 26 » dans l’œuvre ce qui concorde avec le dénouement et la nécessité de trouver le repos par la transcendance. Comment peut-on interpréter cette fin ? L’aveu est-il fortuit ? Qui est le fautif ? L’intersubjectivité complète est-elle vouée à l’échec ? Faut-il se conformer aux pratiques du faux-semblant plutôt qu’à l’honnêteté ? Si une leçon devait être tirée de cette œuvre, celle-ci serait sans doute pascalienne : le texte présente les futilités du divertissement à la cour ; les dangers de l’imagination ; la vanité de l’homme ; et l’échec de l’intersubjectivité même la plus sincère. Comme le suggère Pascal, et comme semble l’indiquer Madame de La Fayette, seul 23 Nora Peterson, Involuntary Confessions of the Flesh in Early Modern France, op. cit., p. 120. 24 Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, op. cit., p. 49. 25 Faith E. Beasley, Teaching Seventeenthand Eighteenth- Century French Women Writers, New York, Modern Language Association of America, 2011, p. 44. 26 Evelyne Meron, « Corps, paroles et tableaux dans La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette », op. cit., p. 35. Aurélien Cavelier 122 le déplacement spirituel permet le repos de l’âme ou l’ataraxie, dans un contexte plus séculier. Conclusion En définitive, on rapprochera l’acte de lire le corps à l’acte de toucher le corps. Ainsi, cette conclusion s’articule autour d’une image dont on reconnaîtra trois facettes : l’image d’une main à côté du livre fermé ; d’une main qui effleure le livre entrouvert ; et d’une main qui touche le livre ouvert. Cette main est à la fois celle des personnages et celle du lecteur. Elle se trouve à côté du livre fermé car elle n’en finit pas de se tromper dans un monde où règnent les apparences. La main du lecteur, elle, se trouve à côté du livre car elle doit combler les silences de l’auteur par l’imagination, puissance ô combien trompeuse. La main qui effleure le livre entrouvert, quant à elle, ne fait qu’imiter les échanges indirects entre les personnages, qui trouvent leur meilleure incarnation dans la scène du vol du portrait, scène qui place la princesse en porte-à-faux, dans un état d’intersubjectivité partielle. La main du lecteur, elle, doit reconnaître la duplicité des mots qui se font les acteurs d’une hiérarchie entre corps et esprit, et doit voir la prédominance des échanges de type discursif au sein de l’œuvre. Enfin, la main qui touche le livre ouvert est un cas à part : elle suggère l’échec d’une forme d’intersubjectivité pure qui laisse voir à l’autre tout son être. Cet échec de la fiction n’est pas un échec littéraire : la scène de l’aveu est magnifique en ce qu’elle laisse voir au lecteur un désaveu du corps représentatif du XVII e siècle et surtout en ce qu’elle met en scène les relations de pouvoir entre l’homme et la femme, entre le mari et l’épouse. Bibliographie Faith E. Beasley, Teaching Seventeenthand Eighteenth- Century French Women Writers, New York, Modern Language Association of America, 2011. Joan DeJean, « Lafayette’s Ellipses : The Privileges of Anonymity », PMLA, 1984, n o 99, pp. 240-268. Serge Doubrovsky, Parcours critique II : (1959-1991), Paris, Éditions Galilée, 2006. Mitchell Greenberg, Baroque Bodies: Psychoanalysis and the Culture of French Absolutism, Ithaca, Cornell University Press, 2001. Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves (1678), Paris, Éditions eBooks France : https: / / www.ebooksgratuits.com/ ebooksfrance/ madame_de_lafayette_ princesse_de_cleves.pdf (Site consulté en décembre 2017). Evelyne Meron, « Corps, paroles et tableaux dans La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette », New Zealand Journal of French Studies, 2006, n° 27, pp. 29-41. Lire le corps dans La Princesse de Clèves 123 Michael Moriarty, « Discourse and the Body in La Princesse De Clèves », Paragraph, 1987, n° 10, pp. 65-86. Nora M. Peterson, Involuntary Confessions of the Flesh in Early Modern France, Newark, University of Delaware Press, 2016.