eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 45/88

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2018
4588

Apprendre à «pleurer saintement»: étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau

2018
Camille Venner
PFSCL XLV, 88 (2018) Apprendre à « pleurer saintement » : étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau C AMILLE V ENNER (L ABORATOIRE L ITTÉRATURES , I MAGINAIRE , S OCIÉTÉS (EA 7305) U NIVERSITÉ DE L ORRAINE ) Notre article se propose d’étudier sous l’angle de la civilité épistolaire 1 les lettres de consolation d’Antoine Godeau (1605-1672). Le poète, ancien mondain, est devenu en 1636 évêque de Grasse, puis de Vence, à la demande de Richelieu 2 . Il met ses talents d’écriture au profit de la littérature dévote, entendant ainsi affermir la foi des fidèles. Il entretient en effet une relation suivie avec des laïcs comme des clercs, auxquels il adresse des conseils pour qu’ils mènent une vie pieuse, en accord avec les principes de la foi catholique. Les épreuves de l’existence sont des occasions privilégiées pour rappeler au lecteur comment il peut vivre en chrétien. La consolation s’exerce ainsi dans le cadre d’une direction spirituelle 3 , dont le 1 Cette question a récemment donné lieu à un colloque, qui excluait toutefois la civilité chrétienne : Formes et rituels de la civilité épistolaire (XVIᵉ-XVIIIᵉ siècles), colloque international organisé par Cécile Lignereux, sous l’égide de l’équipe RARE, Université de Grenoble-Alpes, 9-11 octobre 2014. 2 Pour une biographie synthétique d’Antoine Godeau, voir Jean Lesaulnier, « Godeau, Antoine », Dictionnaire de Port-Royal, Jean Lesaulnier et Antony McKenna (dir.), Paris, Honoré Champion, 2004, p. 457-459. 3 Sur cet âge d’or de la direction spirituelle au XVIIᵉ siècle, voir Pauline Chaduc, « Le rôle de la direction spirituelle dans l’avènement du catholicisme moderne », Religion, Ethics, and History in the French Long Seventeenth Century / La Religion, la morale, et l’histoire à l’âge classique, William Brooks et Rainer Zaiser (éd.), Berne, Peter Lang, p. 131-144. Rappelons le flottement terminologique qui demeure au XVIIᵉ siècle. Le terme de « lettres de direction » n’existe pas encore ; nous parlerons de « lettres chrétiennes » ou encore de « lettres spirituelles », c’est-à-dire de lettres adressées à des personnes réelles dans le cadre de la direction spirituelle. Voir l’étude de Pauline Chaduc, Fénelon, direction spirituelle et littérature, Paris, Camille Venner 42 XVIIᵉ siècle est l’âge d’or ; notre évêque suit en cela une tradition initiée en France par François de Sales et suivie par Jean-Jacques Olier, Pierre de Bérulle ou encore Saint Vincent de Paul 4 . La consolation a pour but de diminuer la douleur du fidèle, en l’édifiant ; elle dépasse la simple condoléance, qui suppose seulement la participation de l’épistolier à la douleur du destinataire 5 . Le corpus étudié se présente sous la forme suivante. En 1713 paraît un recueil de Lettres de M. Godeau, Evesque de Vence, Sur divers sujets, édité par Estienne Ganeau et Jacques Estienne 6 . Le titre de cette édition posthume indique d’emblée la diversité des pièces ainsi que le travail de sélection opéré par les deux imprimeurs-libraires. Dans cette anthologie, le lecteur trouve des lettres d’affaires, des lettres morales et des lettres mondaines 7 , toutes écrites après la conversion d’Antoine Godeau à la vie dévote et, comme le précisent les éditeurs, qui sont « pleines de réflexions solides, d’avis salutaires, de consolations vraiment chrétiennes 8 . » Notre étude des lettres de consolation sera volontairement restreinte à ce corpus, faute d’une édition moderne de la correspondance de cet auteur 9 . Cette anthologie Honoré Champion, 2015 et l’article de Viviane Mellinghoff-Bourgerie, « Un entretien sans dialogue ? De la correspondance de François de Sales aux Lettres spirituelles de Jean-Pierre de Caussade », Art de la lettre, art de la conversation à l’époque classique en France, Actes du colloque de Wolfenbüttel, octobre 1991, Bernard Bray et Christoph Strosetzki (dir.), Paris, Klincksieck, 1995, p. 179-200. 4 Notre corpus reste marginal si l’on en croit l’anthologie de Moïse Cagnac, qui édite les correspondances des grands directeurs spirituels comme François de Sales, Pierre de Bérulle, Jean-Jacques Olier, Vincent de Paul, les Jésuites et les Solitaires de Port-Royal, Bossuet ou encore Fénelon (Moïse Cagnac, Les Lettres spirituelles en France, Paris, J. de Gigord, 1904, t. I et II.) 5 Sur la distinction entre la démarche rhétorique de la condoléance et celle de la consolation, voir Th. Carr, « Se condouloir ou consoler ? Les condoléances dans les manuels épistolaires de l’ancien régime », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 358, Voltaire Foundation, Oxford, 1997, p. 220-221. 6 Lettres de M. Godeau, Evesque de Vence, sur divers sujets, Paris, Estienne Ganeau et Jacques Estienne, 1713. 7 Selon le classement opéré par Roger Duchêne dans son article pionnier, « Godeau épistolier », De la galanterie à la sainteté, Actes des journées de Grasse 21 - 24 avril 1972, Yves Giraud (dir.), Paris, Klincksieck, p. 119-132. 8 « Avertissement des éditeurs », op. cit., non paginé. 9 Roger Duchêne suggère que les éditeurs de 1713 n’ont pas publié les lettres galantes et mondaines, car cela n’aurait pas correspondu à l’image qu’ils souhaitaient que les lecteurs retiennent de Godeau (art. cit.). Quelques lettres tirées de l’abondante correspondance du poète sont éditées dans le Recueil de lettres nouvelles dit « Recueil Faret », Éric Méchoulan (dir.), Presses Universitaires de Rennes, « Textes rares », 2008, p. 249-267. Le Recueil Conrart contient certaines Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 43 donne néanmoins un aperçu satisfaisant des lettres chrétiennes écrites par Godeau. N’oubliant pas son passé de poète des salons, et s’adressant à un large public, l’épistolier, qui joue le rôle du directeur d’âmes, semble suivre une double codification, celle de l’échange mondain et celle de la lettre de direction spirituelle, dont nous nous proposons d’étudier les manifestations afin de mieux percevoir la manière dont celle-ci permet à Godeau de répandre partout une lumière « qui éclaire l’esprit », et « des sentiments d’une charité toute pure qui touchent vivement le cœur 10 . » Des lettres de consolation soumises au code de la civilité épistolaire Les lettres de consolation, nombreuses dans l’anthologie de 1713, relèvent d’un sous-genre particulièrement pratiqué et codifié à l’époque de Godeau 11 . Si notre évêque a charge d’âmes en Provence, et s’il est éloigné de ses correspondants, il occupe toutefois, grâce à ses lettres, une place importante dans le « monde 12 », ce dont témoigne la diversité des destinataires. Il s’adresse tout d’abord à des amis, tels Robert Arnauld d’Andilly, à l’occasion de la mort de son épouse 13 , Germain Habert de Cerisy lors de la lettres mondaines de Godeau, notamment sa correspondance avec Madeleine de Scudéry. L’on se reportera également aux Chroniques du Samedi. Suivies de pièces diverses (1653-1654), de Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leurs amis, Alain Niderst, Delphine Denis et Myriam Maître (éd.), Paris, Honoré Champion, 2002. 10 « Avertissement des éditeurs », op. cit., non paginé. 11 Nous trouvons quelques réflexions sur le genre épistolaire dans le « Discours sur les Œuvres de M. de Malherbe » : Godeau commente la traduction des lettres de Sénèque par Malherbe, et parle, au sujet des lettres familières, d’ « art caché » (Antoine Godeau, « Discours sur les Œuvres de Monsieur de Malherbe », dans Malherbe, Œuvres complètes, L. Lalanne (éd.), Paris, Hachette et Ciᵉ, « Les grands écrivains de la France », 1862, t. 1, p. 365-385). Voir l’article de Bernard Beugnot, « Style ou styles épistolaires », La Mémoire du texte. Essais de poétique classique, Paris, Honoré Champion, 1994, p. 187-204. 12 La notion de « monde » au XVIIᵉ siècle est particulièrement complexe et connaît des acceptions diverses ; voir Bernard Beugnot, « Les lieux du monde », La Notion de « monde » au XVIIᵉ siècle, Bernard Beugnot (dir.), Littératures classiques, n°22, automne 1994, p. 7-23. 13 Antoine Godeau, « Lettre XII. A Monsieur d’Andilly, sur la mort de Madame d’Andilly sa femme », op. cit., p. 35-39. Catherine Le Fèvre de la Boderie décède dans la nuit du 23 au 24 août 1637. Sur les relations entre Godeau et les Solitaires de Port-Royal, voir Tony Gheeraert, Le Chant de la grâce. Port-Royal et la poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, Paris, Honoré Champion, 2003. Camille Venner 44 mort accidentelle de son frère Philippe Habert 14 , ou encore Catherine de Vivonne, Marquise de Rambouillet, endeuillée par la mort de sa fille Angélique 15 . Godeau s’adresse également à des connaissances, comme Madame du Vigean 16 , et à des Grands. Ainsi, toute une série de lettres de consolation a été écrite à l’occasion de la mort du Cardinal de Richelieu, protecteur de Godeau 17 ; d’autres lettres ont été composées à l’occasion du décès du Prince de Conti 18 . Godeau écrit même à Louis XIV pour le consoler 14 Antoine Godeau, « Lettre XI. A Monsieur Habert Abbé de Cerisy sur la mort de M. Habert son frere », op. cit., p. 31-35. Philippe Habert, commissaire d’artillerie, meurt accidentellement devant le château d’Emery, en 1637. Godeau et les frères Habert appartenaient au groupe des Illustres Bergers. Voir Maurice Cauchie, « Les Églogues de Nicolas Frénicle et le groupe littéraire des Illustres Bergers », Revue d’histoire de la Philosophie, n°30, avril-juin 1942, p. 115-133, et Nicolas Frénicle, L’Entretien des Illustres Bergers, Stéphane Macé (éd.), Paris, Honoré Champion, 1998. 15 Antoine Godeau, « Lettre CXLIII. A Madame la Marquise de Rambouillet ; sur la mort de Madame la Marquise de Grignan », op. cit., p. 404-406. Angélique-Claire d’Angennes est la première épouse du comte de Grignan ; elle décède en 1664. Godeau fréquente assidûment l’hôtel de Madame de Rambouillet au début des années 1630. Sur les relations de Godeau avec ce milieu, voir Alain Génetiot, « Chapitre II. La civilisation mondaine », Poétique du loisir mondain, de Voiture à La Fontaine, Paris, Honoré Champion, 1997, p. 109-180, ainsi que Yves Giraud, « ‘‘Nain de Julie’’ et homme de Dieu : pour un portrait d’Antoine Godeau », Antoine Godeau (1605-1672). De la galanterie à la sainteté, op. cit., p. 11-46. 16 Antoine Godeau, « Lettre XLV. A Madame du Vigean. Consolation sur la mort de son fils », op. cit., p. 159-162. Il s’agit probablement de Louis du Vigean, mort en 1640. 17 Antoine Godeau, « Lettre LXXVII. A Monsieur le Cardinal de Lion. Consolation sur la mort du Cardinal de Richelieu son frere », ibid., p. 246-247 ; il s’agit d’Alphonse Louis du Plessis de Richelieu, frère aîné d’Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu ; « Lettre LXXVIII. A Madame d’Eguillon. Consolation sur la mort du Cardinal de Richelieu », ibid., p. 247-248 ; il s’agit de Marie-Madeleine de Vignerot d’Aiguillon, nièce de Richelieu ; « Lettre LXXIX. A Monsieur de Chavigni, sur le même sujet », ibid., p. 248-249 ; il s’agit probablement de Claude Bouthillier, diplomate proche de Richelieu et exécuteur de ses dernières volontés ; « Lettre LXXX. A Monsieur de Noyers, sur le même sujet », ibid., p. 249-251 ; il s’agit de François Sublet De Noyers ; « Lettre LXXXI. A Madame …, sur le même sujet », ibid., p. 251-254, « Lettre LXXXII. A Monsieur le Marechal de Guiche, sur le même sujet », ibid., p. 254-255. Sur les relations entre Godeau et Richelieu, voir Yves Giraud, « Godeau thuriféraire de Richelieu », L’Éloge lyrique, Alain Génetiot (dir.), Presses Universitaires de Nancy, 2008, p. 161-170. 18 Antoine Godeau, « Lettre CXXVIII. A Monsieur le Prince ; sur la mort de Monseigneur le Prince de Conti », op. cit., p. 364-365 ; « Lettre CXXIX. A Madame la Duchesse de Longueville, sur le même sujet », ibid., p. 365 ; « Lettre CXXX. A Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 45 de la mort de sa mère, Anne d’Autriche, en 1666 19 . D’autres lettres sont adressées à des clercs, comme la « Lettre CLXVII. A M... Consolation à un évêque sur la mort de sa mere 20 ». Les lettres de consolation de Godeau sont donc tout autant des lettres écrites pour répondre à des obligations sociales que des lettres visant à assurer la direction spirituelle des fidèles. L’évêque sait que ses lettres seront lues assez largement, surtout si le destinataire est prestigieux. De plus, la mise en recueil posthume, pratique alors fréquente 21 , redouble l’impact possible de ces lettres, genre fondamental de la direction spirituelle au XVIIᵉ siècle. L’anthologie se voit dotée d’une double fonction, mémorielle et parénétique, car elle réforme les lecteurs nombreux, en proposant un enseignement initialement destiné à une seule personne, ou à son cercle restreint. L’auteur, polygraphe, met à profit sa capacité à s’adapter aux circonstances et au statut des destinataires pour toucher un public large. Ainsi, les consolations adressées aux Grands, écrites surtout pour lui permettre d’assurer sa position sociale, contiennent des formulations et des lieux attendus. S’adressant à la princesse de Conti 22 à l’occasion de la mort de son époux, il l’invite en ces termes à renoncer aux liens terrestres du mariage : Vous le consideriez plustôt pour être unie à lui dans le Ciel, que pour participer à sa grandeur sur la terre. Les Lys de la Couronne qu’il a mis sur votre tête, ne vous ont jamais éblouie ; vous les avez considérés comme des fleurs de peu de jours ; & vous avez toujours soupiré avec cette couronne qui ne peut être enlevée : Vous avez travaillé avec lui pour l’emporter, & il est maintenant en votre possession. Il vous la montre du haut du Ciel, & il vous exhorte à l’attendre patiemment. Attendez-la donc, Madame, & faites- Madame la Princesse de Conti, sur le même sujet », ibid., p. 366. Armand de Bourbon, prince de Conti, mort en 1666, est le dernier des trois enfants d’Henri II de Bourbon, prince de Condé, et de Charlotte Marguerite de Montmorency. Il est l’un des principaux artisans de la Fronde mais connaît ensuite un retour en grâce. La Duchesse de Longueville était la sœur du prince de Conti. Voir Louis Trenard, « Conti (Maison de Bourbon-) », Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche (dir.), Paris, Fayard, 1990, p. 398-399 ainsi que François Bluche, « Longueville (Anne- Geneviève de Bourbon-Condé, duchesse de) », ibid., p. 890-891. 19 Antoine Godeau, « Lettre CXXXII. Au Roy, sur la mort de la Reine Mere », op. cit., p. 371-375. 20 Antoine Godeau, « Lettre CLXVII. A M... Consolation à un évêque sur la mort de sa mere », ibid., p. 443-444. 21 Bernard Bray, « Du brouillon épistolaire au livre de lettres », Bernard Bray, Épistoliers de l’âge classique, L’art de la correspondance chez Madame de Sévigné et quelques prédécesseurs contemporains et héritiers, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2007, p. 120-126. 22 Il s’agit d’Anne-Marie Martinozzi. Camille Venner 46 nous voir l’exemple d’une Veuve Chrétienne, comme vous l’avez fait voir d’une Princesse, qui sçavoit toutes les règles du Christianisme 23 . L’invitation à la piété est renforcée par la métaphore de la couronne royale, pesante, et convertie en couronne sainte dans l’au-delà. L’image est appropriée au statut de la lectrice et l’aidera à envisager son propre salut de chrétienne. Le lecteur trouve également dans cette anthologie toutes les situations qui peuvent donner lieu à une lettre de consolation, telles qu’elles sont notamment envisagées par Ortigue de Vaumorière dans ses Lettres sur toutes sortes de sujet. Dans ce traité d’épistolographie, celui-ci classe les lettres de consolation selon les occasions 24 . Godeau écrit en effet lors de circonstances variées, consolant un homme qui a perdu son père 25 , une dame endeuillée par la mort de sa sœur 26 , un évêque dont le beau-frère est tombé en disgrâce 27 ou encore un abbé dont le parent a été blessé au combat 28 . Si le décès constitue la principale occasion pour rédiger une lettre de consolation, celle-ci n’est donc pas la seule, et Godeau sait prendre la plume en 23 Antoine Godeau, « Lettre CXXX. A Madame la Princesse de Conti », op. cit., p. 368- 369. 24 Par exemple, il propose les modèles suivants : une « lettre à un homme de qualité sur la mort de son fils », une « Lettre à une Dame de qualité, sur la mort de sa fille », une lettre « A un Grand Seigneur, qui avoit perdu son Pere », une « Lettre à une Dame sur la mort de son mari », une lettre « A une Dame sur la mort d’une de ses amies », une « Lettre à un Gentilhomme, qui avoit perdu son frere à la guerre » (Pierre Ortigue de Vaumorière, Lettres sur toutes sortes de sujets, avec des avis sur La manière de les écrire, Paris, Jean Guignard, 1690, t. I, chapitre VI, « Des Lettres de Consolation », p. 90-123.) 25 Antoine Godeau, « Lettre XXV. A Monsieur de Montmaur, sur la mort de Monsieur son pere », op. cit., p. 75-78. Il s’agit de Henri-Louis Habert de Montmor, auteur érudit et polygraphe. Comme Godeau, il a participé à la Guirlande de Julie et a été l’un des premiers membres de l’Académie française. Voir Gérard Escat, « Habert de Montmor (Henri-Louis) », Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 702-703. 26 Antoine Godeau, « Lettre LXXXIII. A Madame de Choisi. Consolation sur la mort de sa sœur », op. cit., p. 255-258. 27 Antoine Godeau, « Lettre LXXIV. A Monsieur de T*** Evêque de N***. Consolation à un évêque dont le beaufrere étoit disgrâcié, & peut-être condamné comme criminel », ibid., p. 236-240. 28 Antoine Godeau, « Lettre XXIX. A Monsieur l’Abbé de Saint Nicolas, H. Arnaud depuis Evêque d’Angers. Consolation sur la défaite de Monsieur de Feuquieres son parent », ibid., p. 87-89. Il s’agit d’Henry Arnauld, évêque d’Angers (1597-1692). Manassès de Pas de Feuquières, célèbre officier, est blessé à Thionville en 1639. Voir Michel Vergé-Franceschi, « Feuquières (Famille de Pas de) », Dictionnaire du Grand siècle, op. cit., p. 589-590. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 47 toutes circonstances, afin d’apprendre aux fidèles à surmonter leur douleur chrétiennement. Mais l’art de consoler revêt un caractère périlleux, qui à tout moment peut être pris comme une intrusion voire une agression. Aussi Godeau veille-t-il à ménager son destinataire, surtout quand la lettre de consolation est rédigée pour répondre à une obligation sociale, mais que la relation entre l’évêque et l’endeuillé n’est pas familière. Il prend parfois le temps de justifier son intervention, comme à l’occasion de la mort de Monsieur de Nouveau, dont il cherche à consoler l’épouse : Je viens d’apprendre dans la lettre d’un de mes amis la mort de Monsieur de Nouveau ; j’ai crû qu’après avoir prié pour le repos de son âme, je devais vous témoigner la part que je prends en une affliction qui ne peut qu’elle ne trouble le vôtre (sic), mais quand vous aurez donné à la douleur ce que vous lui devez, il faudra rendre à Dieu ce qu’il demande de vous ; sçavoir, la soumission à sa volonté, qui est toujours juste, & toujours avantageuse pour le salut des Chrétiens, qui la sçavent reconnoître 29 . L’invitation à accepter la mort de l’époux n’est formulée qu’avec précaution, une fois la captatio benevolentiæ mise en place. Ces lettres de consolation doivent donc beaucoup à l’application d’un code de la civilité épistolaire communément partagé à l’époque de Godeau. Il convient en effet de prendre en compte les habitudes socio-discursives du XVIIᵉ siècle et de ne pas surestimer l’originalité ni la sincérité de ces lettres. Godeau maîtrise l’expression de la condoléance, et les lettres les plus officielles ou les plus mondaines attestent de l’importance, à son époque, de la médiation stylistique des affects 30 . Comme tout épistolier chrétien, et indépendamment de son statut d’homme d’Église, il use des lieux communs qu’attendent ses lecteurs, eux-mêmes familiers de ces consolations. Ainsi, dans ces lettres, la vision de la mort est toujours placée dans l’optique d’une punition et d’une conséquence du péché originel. Toute la topique déployée est fondée sur la croyance en l’immortalité de l’âme et en la conception d’une mort menant à Dieu. Godeau, comme n’importe quel autre épistolier, 29 Antoine Godeau, « Lettre CXIX. A Madame de Nouveau. Consolation sur la mort de son mari », op. cit., p. 341. 30 Nous nous appuyons pour cette étude sur les travaux de Cécile Lignereux portant sur la correspondance de Madame de Sévigné : « Une routine de la civilité épistolaire : l’expression de la condoléance », Exercices de rhétorique, 6, 2016, mis en ligne le 08 février 2016, consulté le 31 mars 2018. URL : http: / / journals. openedition.org/ rhetorique/ 437 ; « Des prototypes rhétoriques à leur fragmentation épistolaire : l’exemple d’une consolation en pièces détachées », Exercices de rhétorique, 9, 2017, mis en ligne le 04 juillet 2017, consulté le 31 mars 2018. URL : http: / / journals.openedition.org/ rhetorique/ 529. Camille Venner 48 assurera ainsi aux endeuillés que le véritable bonheur se trouve hors du monde, lequel il faut mépriser, puisque c’est par la mort que le chrétien accède enfin à la vraie vie 31 . De manière attendue, les lettres de consolation de Godeau débutent par l’expression d’une assurance de sympathie, qui assume une fonction consolatoire, une peine partagée étant une peine allégée. Ainsi, la lettre adressée à Robert Arnauld d’Andilly pour le consoler de la mort de sa femme s’ouvre sur l’expression de la surprise et de la douleur de Godeau : Je pensais que ma dernière lettre dût être une excuse de mon silence, il faut qu’elle soit un témoignage de ma douleur. Je l’ai ressentie d’autant plus vivement, que j’y étois moins préparé, ayant laissé Madame votre épouse dans une santé si vigoureuse, qu’il n’y avoit point de sujet de craindre sitôt un si funeste accident 32 . Cette manifestation de douleur, qui pourra sembler excessive au lecteur contemporain, est en réalité attendue par le destinataire du XVIIᵉ siècle. Plus les statuts sociaux du défunt et du destinataire seront élevés, plus cette empathie sera exprimée de manière pompeuse. Ainsi, la mort d’un comte inspire à Godeau les propos suivants : C’est un évenement si extraordinaire et si épouvantable, que je ne suis pas encore revenu de l’étonnement où il m’a mis. S’il ne fait voir aux Grands la vanité de leur grandeur et de leurs desseins, la faiblesse de leur force, et l’incertitude de leur espérance, je ne sais ce qui le leur peut faire connaître 33 . De même, la mort de Richelieu, qui a affecté directement Godeau, et qui était aussi l’occasion de rappeler à tous la protection dont il avait joui, donne lieu à des épanchements particulièrement démonstratifs. Dans la lettre adressée à De Noyers pour le consoler de la mort du cardinal de Richelieu, l’épistolier feint d’outrepasser la règle de bienséance, pour mieux valoriser sa propre douleur : 31 Sur cette topique, voir Marie-Claire Grassi, « Langages et pratiques de deuil : autour des faire-part et des lettres de consolation. XVIIᵉ-XXᵉ siècles », Savoir mourir, Christiane Montandon-Binet et Alain Montandon (éd.), Paris, L’Harmattan, 1993, p. 65-86. Voir également Constance Cagnat, « Chapitre I. La lettre de consolation », La Mort classique. Écrire la mort dans la littérature française en prose de la seconde moitié du XVIIᵉ siècle, Paris, Honoré Champion, 1995, p. 17-94. 32 Antoine Godeau, « Lettre XII. A Monsieur d’Andilly sur la mort de Madame d’Andilly sa femme », op. cit., p. 35-39, p. 35-36. 33 Antoine Godeau, « Lettre LVI. A Mademoiselle de P ... Consolation de la mort d’un Comte », ibid., p. 192-195, p. 193. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 49 […] je ne puis m’empêcher de vous donner des témoignages de mon trouble, & de mon inconsolable affliction. Je ne sçai si la bienséance est violée en cela, & si je ne suis point trop libre, mais je ne puis retenir mon cœur, & en l’état où je suis, je ne vois que ma perte, je ne songe à autre chose, & je ne puis ni parler ni écrire que de mon malheur. Je ne sçai quel coup votre cœur a reçu ; & il me semble que je soulage le mien, en me plaignant à vous 34 . Le destinataire s’attend également à trouver dans la lettre de consolation l’éloge de son propre courage à surmonter l’épreuve que Dieu lui fait subir, et Godeau ne déroge pas à cette règle. Il érige ainsi en modèle Madame du Vigean, endeuillée par la perte de son fils. Dans l’hypothèse d’une diffusion large des lettres, les autres lecteurs seront invités à suivre cet exemple de courage : Je fus hier chez vous. Je ne sçai si je dois dire pour vous consoler de la perte que vous avez faite ; car j’aprens que vous la supportez avec tant de courage & une si parfaite resignation à la volonté de Dieu, qu’il me semble qu’on doit plutôt vous donner des loüanges, que vous écrire des consolations 35 . Enfin, la mise en confiance du destinataire passe parfois par l’exhibition de la maîtrise de ce code de la civilité épistolaire. Cela représente pour Godeau un moyen de justifier l’écriture de sa lettre. Ainsi, pour établir une connivence avec l’évêque d’Autun, endeuillé par la mort de sa sœur, il assure ce dernier de sa sincérité, tout en recourant au motif topique de la sympathie : […] je puis dire aussi que la mort d’une si genereuse & heroïque amie, ne sçauroit donner qu’une douleur extraordinaire à un cœur comme le mien. Ce n’est donc pas un compliment commun de vous dire, que je prens part à votre affliction, puisque le sujet me touche si sensiblement 36 . Le compliment est ainsi animé par le souci de concilier la véritable affliction et le devoir dicté par la convention sociale. L’expression de la consolation 34 Antoine Godeau, « Lettre LXXX. A Monsieur de Noyers. Sur le même sujet », ibid., p. 249-251, p. 250. François Sublet de Noyers doit son ascension sociale à Richelieu ; il devient notamment intendant des finances en 1628 et secrétaire d’État à la guerre en 1636. Il sera disgracié deux mois après la mort de Richelieu. Voir François Bayard, « Sublet de Noyers (François) », Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 1476-1477. 35 Antoine Godeau, « Lettre à Madame du Vigean. Consolation sur la mort de son fils », op. cit., p. 154-159, p. 155. 36 Antoine Godeau, « Lettre II. A Monseigneur l’Evêque d’Autun, sur la mort de Mᵉ la Comtesse de More sa Sœur », ibid., p. 4-6, p. 4. Camille Venner 50 s’associe parfois à des pointes visant à flatter le destinataire et à souligner la modestie de l’entreprise de l’épistolier. Ainsi, dans une lettre adressée à une dame pour la consoler de la mort du marquis de Richelieu, Godeau affecte de s’excuser de ne plus maîtriser le langage du monde à force de vivre dans son désert provençal, pour mieux valoriser implicitement et de façon piquante son style épistolaire : Vous êtes à la source des consolations : vous les pouvez prendre dans vousmême, et j’aurois mauvaise grâce de me mêler de vous en donner, moi qui suis un homme de montagne et qui ai oublié le langage de la Cour 37 . Ainsi, il est vrai que les lettres de consolation de Godeau révèlent la parfaite maîtrise d’un exercice social par un homme qui tout en étant évêque, connaît les usages du monde et cherche à y maintenir une place influente. Roger Duchêne a souligné l’avantage que présentaient pour Godeau ces occasions : « La lettre est un exercice et l’on a le devoir d’y briller 38 » ; les lettres de consolation seraient le support d’une mise en scène valorisante de soi. Cependant, nous souhaiterions nuancer cette lecture de la correspondance spirituelle de Godeau. La maîtrise des usages de la civilité épistolaire est indispensable à l’efficacité de la consolation, et derrière la reprise intéressée d’un code reconnu par tous apparaît en réalité la cure des âmes du directeur spirituel. Il s’adresse aux chrétiens par un genre mondain, pour mieux les toucher et affermir leur foi dans l’épreuve qu’ils traversent, pratiquant ainsi une conversion par insinuation. L’inscription dans un code social est moins le gage d’une réputation glorieuse qu’elle constitue la condition même de la transmission et de la bonne réception de la lettre, et donc de la conversion du lecteur. Diriger les âmes en les consolant Dans le cadre de la devotio moderna, la lettre de direction apparaît comme un medium de choix pour diriger le fidèle, et le tourner vers Dieu. Pour soutenir les efforts de propagation de la foi initiés par la Réforme catholique, les évêques pratiquent la direction spirituelle pour convertir les laïcs ; celle-ci se sacerdotalise, délaissant le cloître pour toucher ceux qui vivent dans le monde. Notre évêque a été tout particulièrement sensibilisé à l’importance de la direction spirituelle, notamment lors des conférences de 37 Antoine Godeau, « Lettre XCIII. A Madame … Consolation sur la mort du Marquis de Richelieu son gendre », ibid., p. 296-298. Il s’agit d’un parent du cardinal de Richelieu, Jean-Baptiste Amador de Vignerot du Plessis, mort en 1662. 38 Roger Duchêne, art. cit., p. 125. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 51 Saint Vincent de Paul, et en fera une mission majeure du sacerdoce 39 . Même à l’occasion de l’écriture d’une unique lettre de consolation, une relation entre un directeur et un dirigé peut se mettre en place. Godeau y développe un discours orthodoxe visant à aider le destinataire à vivre son deuil ou son infortune de manière chrétienne, lui expliquant qu’ « un vrai Chrétien ne veut joüir de rien sur la terre, [qu’]il use simplement des choses, & [qu’]il les tient toujours dans une dépendance absolue de la volonté de Dieu 40 . » Les lettres composées à l’occasion d’un décès sont alors fondées sur des lieux communs partagés par tous les directeurs spirituels, et que Godeau s’approprie à son tour 41 . Tout d’abord, le directeur rappelle les raisons d’espérer le salut du défunt. La mort d’un enfant, notamment, doit être une source de soulagement, puisque né criminel, il sera lavé de ses péchés. La mort délivre les parents des craintes qu’ils pouvaient avoir pour leur fils, comme le précise Godeau à Madame du Vigean : Son âge, la corruption du siècle, les mauvais exemples, les écueils de sa profession, l’exposoient à mille dangers de perdre la grâce de Dieu & même la vie. […] Sa mort vous délivre de toutes ces craintes, & le met dans un état où il n’y a plus rien à souhaitter pour sa grandeur 42 . Les parents doivent accepter le sacrifice de leur enfant, comme Abraham a consenti à celui d’Isaac, parce que Dieu le lui demandait. Cette référence biblique est sans cesse convoquée, comme à l’occasion de la mort du neveu de la Duchesse d’Aiguillon : Tous les Chrétiens sont enfans d’Abraham par la foi, & tous le doivent imiter dans le grand sacrifice, qu’il fit de son fils unique conçu par un miracle, & dans lequel il lui avoit été dit, que toutes les Nations seroient benies. S’ils ne sacrifient pas de leur propre main leurs enfans & leurs parens, les plus proches & les plus necessaires à la conservation de leur 39 Ces principes sont rappelés dans la Morale chrétienne pour l’instruction des curés et des prêtres Morale chrétienne pour l’instruction des curez et des prestres du diocèse de Vence par feu Messire Antoine Godeau évêque de Vence, Paris, Jacques Estienne, 1709, 3 tomes. 40 Antoine Godeau, « Lettre CXXXVI. A Monsieur du Plessis. Comment il faut qu’un Chrétien prenne les pertes & les afflictions », op. cit., p. 392-394. 41 Pour l’identification de ces lieux, voir l’étude de Constance Cagnat, op. cit., p. 17- 94. 42 Antoine Godeau, « Lettre XLV. A Madame du Vigean. Consolation sur la mort de son fils », op. cit., p. 154-159, p. 156. Camille Venner 52 Familles, ils doivent consentir de bon cœur, que Dieu les sacrifie par la mort au tems & en la maniere qui lui plaît 43 . De plus, la mort est un bien qui fait le bonheur du défunt. C’est un argument consolatoire courant, qui figurera notamment dans Le Parfait secrétaire de Paul Jacob et dans les Essais de lettres familières d’Antoine Furetière 44 , et qui est associé au motif du mépris du monde. Comme le rappelle François Guilloré dans La Manière de conduire les âmes, « [l]e Directeur doit inspirer le mépris du monde & de ses maximes 45 ». Monsieur de Montmor, par exemple, devra se souvenir que la vie terrestre est « une vie de misere & de peché 46 ». Le chrétien doit alors limiter sa peine, et suivre en cela les préceptes de Saint Paul, dont l’Épître aux Thessaloniciens, lue lors des messes de funérailles, est fréquemment citée par Godeau : Les Chrétiens sont obligez de pleurer leurs morts d’une autre façon que les Gentils qui n’ont point d’esperance, & les Prêtres de Jesus-Christ doivent 43 Antoine Godeau, « Lettre CXLIX. A Madame la Duchesse d’Eguillon ; sur la perte des esperances de sa Famille par la mort de son Neveu », ibid., p. 417-419, p. 418. 44 Paul Jacob, Le parfait secrétaire, ou La manière d’escrire et de respondre à toute sorte de lettres, Paris, A. de Sommaville, 1646 ; Antoine Furetière, dans un « Autre Billet de consolation d’une mere à son fils, sur la mort de sa femme », propose l’argument consolatoire suivant : la mort « fait son bonheur, & se doit faire nôtre consolation presente, dans l’esperance de la revoir un jour dans la felicité glorieuse dont elle joüit. » (Essais de lettres familières sur toutes sortes de sujets, avec un discours sur l’art épistolaire et quelques remarques nouvelles sur la langue française, Bruxelles, Jean Léonard, 1693, p. 67-68). Sur cette question, voir également l’étude de Raymond Baustert, « L’au-delà dans les lettres de consolation », La Consolation érudite, Huit études sur les sources des lettres de consolation de 1600 à 1650, Tübingen, Gunter Narr Verlag, « Biblio 17 », n°141, 2003, p. 222-241. 45 François Guilloré, La Manière de conduire les âmes dans la vie spirituelle, Paris, Estienne Michallet, 1679, p. 22 : « Après avoir donné le dégoust de la recollection à une personne commençante, elle n’est pas aussi tost pour cela dégoûtée des maximes du monde, qui ont pris trop de fortes racines dans son cœur : Et puis, elle pourroit estre persuadée, que ces maximes profanes ne se pourroient pas mal accommoder avec la recollection interieure : Or il importe bien de luy faire concevoir, que cette recollection n’est jamais bien fondée, que sur le grand mépris des maximes du monde ; & c’est pour cela, qu’il est tres-à-propos de luy promener souvent l’esprit, par la contemplation de toutes les choses, qui peuvent luy rendre ses maximes méprisables. » 46 Antoine Godeau, « Lettre XXV. A Monsieur de Montmaur, sur la mort de Monsieur son pere », op. cit., p. 76-77. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 53 regretter leurs peres & leurs meres d’une autre façon que le commun des Chrétiens 47 . L’autre référence topique souvent convoquée par Godeau est celle de l’épisode néo-testamentaire des larmes versées par Jésus-Christ lors de la mort de Lazare (Jean, 11, 35). Celle-ci permet d’opposer les bonnes et les mauvaises larmes : « Jesus-Christ versant des larmes pour le Lazare a justifié celles que les Chrétiens repandent en des occasions legitimes » ; elles sont bonnes quand elles sont les marques de « l’infirmitez humaine » 48 . Comme le rappelle Godeau à un parent proche du marquis de Richelieu, « [l]a pieté chrétienne ne deffend pas vos larmes, elle les permet à la nature, & le Fils de Dieu les a voulu sanctifier par les siennes ; mais il faut pleurer comme lui, & entrer dans les dispositions saintes de la tristesse qu’il a voulu sentir pour son ami Lazare ; car les larmes que la tendresse seule, ou la bienséance arracheroient de nos yeux, sont indignes d’un Chrétien 49 . » Les larmes versées doivent être des larmes de piété et non des larmes de tendresse. Elles doivent surtout servir à la pénitence et non pas manifester l’attachement du chrétien à la vie terrestre. Le chrétien devra alors se soumettre aux ordres de Dieu, qui préside à la destinée humaine. Cet argument est surtout utilisé dans les lettres de consolation adressées aux parents qui ont perdu leurs enfants : ils ne les ont pas engendrés pour eux et pour le monde, mais pour Dieu, comme le rappelle Godeau à Madame du Plessis de Guénégaud : Les peres, & les meres dans le Christianisme, n’engendrent pas des enfans pour le monde ; mais pour l’Eglise, & pour Dieu ; leur union étant un grand Mystere en Jesus-Christ, & en son Eglise. La vie des enfans est donc plus à Dieu, & à l’Eglise, que ny à eux-mêmes, ny à leurs peres, & à leurs meres 50 . 47 Antoine Godeau, « Lettre CLXVII. A M ... Consolation à un Evêque sur la mort de sa mere », ibid., p. 443-444, p. 443. L’auteur reprend la formule de Saint Paul, « Ne vous affligez pas à la manière des Gentils, qui n’ont point d’espérance » (Première épître aux Thessaloniciens, 4, 13). 48 Antoine Godeau, « Lettre à Madame du Vigean », ibid., p. 157. Sur l’importance des larmes comme manifestation des passions, voir Le Langage des larmes aux siècles classiques, Adélaïde Cron et Cécile Lignereux (dir.), Littératures classiques, n°62, été 2007. 49 Antoine Godeau, « Lettre XCIV. A Monsieur … Sur le même sujet », op. cit., p. 298- 299. 50 Antoine Godeau, « Lettre CL. A Madame du Plessis de Guenegaud. Consolation sur la mort de son fils », ibid., p. 400-402, p. 401. Sur la famille Guénégaud, voir Jean- Marie Constant, « Guénégaud (Henri de) », Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 683-684. Camille Venner 54 Par ailleurs, ces arguments voient leur efficacité redoublée par le ton avec lequel ils sont proposés. Godeau, assumant l’ethos du directeur spirituel, donne à son propos une force démonstrative qui oriente souvent la lettre vers le sermon. Celle-ci présente alors des ornements stylistiques marqués, caractéristiques de l’éloquence de la chaire 51 . La consolation est le lieu de l’affermissement du discours de direction, voué à être diffusé largement. Ainsi, la lettre adressée à Germain Habert sur la mort de son frère s’achève sur un tableau saisissant des misères du monde, destiné à susciter chez le destinataire le mépris des biens terrestres. En tout tems il est avantageux de faire ce voyage ; mais il est souhaitable de le faire au tems où nous sommes, & il me semble qu’on ne doit pas avoir de grand regret de quitter le païs de la peste, de la guerre, & de la famine. […] Les grandes Provinces deviennent de grands deserts. Ici on voit des Sceptres brisez : là des Couronnes foulées aux pieds. Les Souverains qui pouvoient faire des liberalitez prodigues, sont reduits à chercher des aumônes honteuses, & les plus pauvres n’ont pu s’exempter d’éprouver les furies de l’avarice des soldats ; les peres redemandent leurs enfans, les maris leurs femmes, les filles leur pudeur, les villes leurs ornemens, les Temples la Religion. Quoy ! En ce general bouleversement de l’Europe nous plaindrons-nous, que la verge du Pere offensé nous touche 52 ? Cette leçon gagne encore en efficacité quand le directeur spirituel s’exhorte lui-même à se comporter en véritable chrétien face au deuil, et à pleurer non plus sur la perte du défunt mais sur la misère des hommes. La modalité déontique est fréquente, pour souligner le caractère blasphématoire d’une affliction prolongée, et le directeur s’inclut fréquemment dans les exhortations qu’il développe : Pleurons l’ingratitude des hommes, pleurons leur aveuglement, pleurons tant d’abominations qui se commettent, pleurons sur nous-mêmes, & non pas sur les morts qui dorment dans le tombeau 53 . L’interlocution, caractéristique du genre épistolaire, permet quant à elle au directeur spirituel de laisser une place au discours du dirigé ; ainsi, Godeau invite Germain Habert à prolonger par lui-même les considérations spirituelles amorcées dans la lettre de consolation : « Je finis donc pour vous 51 Voir l’étude d’Anne Régent-Susini, L’Éloquence de la chaire. Les sermons de Saint Augustin à nos jours, Paris, Seuil, 2009. 52 Antoine Godeau, « Lettre XI. A Monsieur Habert Abbé de Cerisy sur la mort de M. Habert son frere », op. cit., p. 35. 53 Antoine Godeau, « Lettre XXV. A Monsieur de Montmaur, sur la mort de Monsieur son pere », ibid., p. 75-78, p. 78. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 55 laisser en liberté de chercher dans vous-même des raisons plus solides que les miennes 54 ». La persuasion du destinataire passe aussi par l’assurance qui lui est donnée de ses capacités à surmonter cette épreuve, parce qu’il est à la fois homme du monde et créature de Dieu. Godeau manie l’antithèse pour excuser la douleur de l’homme, avant d’exhorter le chrétien à accepter les volontés de Dieu, comme dans cette lettre adressée au comte d’Alais : Vous êtes pere, & cette qualité excuse (ce semble) les plus violents transports de la douleur, mais vous êtes Chrétien, & ce titre oblige ceux qui le portent à être moderez dans les afflictions les plus violentes 55 . Ces stratégies discursives n’ont en définitive qu’une seule visée : non pas valoriser les talents d’écriture de l’épistolier mais faire entendre la parole de Dieu, grâce à la consolation spirituelle. La lettre, conformément à la théologie de l’Incarnation, rend présent un directeur qui s’affirme lui-même comme le représentant de Dieu. Godeau, par les lettres de consolation, établit ainsi un dialogue entre le fidèle et Dieu. Comme le précise Pauline Chaduc, « c’est Dieu même qui répond aux questions et aux besoins du dirigé. La lettre est trace de la présence de Dieu auprès du dévot, forme sensible de la parole divine 56 . » Car la lettre de consolation, conçue comme un art de gouverner, dans le cadre d’une direction spirituelle, doit susciter chez le lecteur une action. Par-delà son aspect figé et codifié, le discours de consolation doit pouvoir faire parler Dieu pour fortifier la foi du fidèle ; la parole divine s’énonce dans la parole humaine. Dans ce cadre, la grâce de Dieu pourra faire effet avec douceur. Cette infusion de la grâce, à travers le discours consolatoire du directeur d’âmes, est évoquée en ces termes : Or les conseils qui viennent du dehors sont trop foibles pour appaiser le bruit [que la nature] fait au dedans ; mais la grace de Dieu y remet toutes choses dans l’ordre sans qu’elle fasse connoître ce qu’elle fait. Elle n’attaque pas la douleur à force ouverte, mais elle la trompe & la surprend quelquefois : Elle laisse sentir l’amertume du mal qu’elle guerit, & ne laisse pas sentir la douceur de la guerison 57 . Ainsi ces lettres de consolation, conçues comme des lettres de direction, sont destinées à amener le lecteur à se réformer intérieurement. 54 Antoine Godeau, « Lettre XI. A Monsieur Habert Abbé de Cerisy sur la mort de M. Habert son frere », ibid., p. 35. 55 Antoine Godeau, « Lettre XLVI. A Monsieur le comte d’Alais. Consolation sur la mort de son fils », ibid., p. 159-162, p. 159. 56 Pauline Chaduc, op. cit., p. 415. 57 Antoine Godeau, « Lettre CLXVI. Vive consolation à une personne accablée d’un grand coup », op. cit., p. 441-443. Camille Venner 56 Consolation et conversation chrétiennes Quand les lettres de consolation sont adressées aux familiares, et quand Godeau n’a plus à se plier aux obligations sociales, la mise en place d’une véritable conversation chrétienne va alors favoriser une authentique direction spirituelle qui replace Dieu au cœur de la relation. Sous la plume de l’évêque, certaines relations mondaines sont converties en amitié chrétienne. En effet, celui-ci souscrit à la conception de l’amitié développée par Saint François de Sales, qui est le gage d’une direction spirituelle efficace. L’amitié salésienne est conçue comme un instrument privilégié de communication, servant à affectionner le fidèle pour l’orienter vers la charité et la perfection chrétiennes. Godeau, dans une lettre de direction, affirme à son tour « [q]ue la parfaite amitié est fondée sur le christianisme 58 », l’amour du prochain devant se développer à l’image de l’amour de Dieu pour les hommes car « [l]a créature n’est point digne d’un amour solide, quand Jésus-Christ ne règne pas en elle 59 . » La lectrice anonyme de la lettre qui suit est à la fois « bonne Chrétienne & bonne amie » : Cette seconde qualité dépend de la premiere, & comme le monde n’a point de véritable sagesse, aussi n’a-t-il point de parfaite amitié. L’interêt seul de la fortune ou du plaisir fait presque toutes ses liaisons, & il y a plus de sujet de se défier de leurs forces, plus il assure qu’elles sont immüables 60 . C’est cette amitié chrétienne qui préside à l’instauration de la direction spirituelle. La conversation spirituelle, actualisée ici dans le discours de consolation, devient la forme exemplaire de l’amitié. La correspondance conserve en effet la dimension dialogale de la direction et peut instaurer une relation d’égalité. Les rapports hiérarchiques du directeur et du dirigé s’estompent, dans le partage d’une douleur commune. En ce cas, la consolation épistolaire, échafaudée sur les codes de la civilité, peut devenir le support d’une édification efficace, car elle s’insinue dans les esprits et favorise aussi la décharge des cœurs. L’introduction de l’art de la conversation dans la lettre de consolation, et plus largement dans la lettre de direction, vient concurrencer un discours doublement codifié - code social et code spirituel. Dans les lettres adressées aux amis, Godeau se reproche fréquemment sa parole trop magistrale. Invitant Angélique Paulet, la belle lionne de l’hôtel de Rambouillet, à contempler les croix, il se reprend : « Voilà insensiblement un Sermon dans 58 Antoine Godeau, « Lettre XXIV. A Madame la Comtesse de *** Que la parfaite amitié est fondée sur le christianisme », ibid., p. 72-75. 59 Ibid., p. 75. 60 Ibid., p. 72. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 57 une lettre, mais je n’ai pu retenir ma plume que mon cœur a conduit 61 . » En même temps que le directeur se reproche sa parole trop magistrale, il introduit une forme de souplesse et de spontanéité propre à la conversation, qui favorise le dialogue des cœurs. De plus, l’assurance de sympathie à la douleur d’autrui, dans le cadre d’une relation amicale et chrétienne, peut se convertir en compassion ; celle-ci acquiert une dignité morale et chrétienne, favorisant la conversion. Dans l’Introduction à la vie dévote, François de Sales affirme que « [l]’amitié requiert une grande communication entre les amants, autrement elle ne peut ni naître ni subsister. C’est pourquoi il arrive souvent qu’avec la communication de l’amitié, plusieurs autres communications passent et se glissent insensiblement de cœur par une mutuelle infusion et réciproque écoulement d’affections, d’inclinations et d’impressions 62 . » Cette communication des affects est tout particulièrement palpable dans les lettres que Godeau adresse à ses plus proches amis. La lettre à Robert Arnauld d’Andilly révèle la puissance de cette tristesse partagée, source d’affermissement de la foi du lecteur : Cette esperance [du paradis] me console, & je sens un mouvement extraordinaire qui me presse à y acquiescer. Ce qui est indubitable, Monsieur, en cette affliction, que je vois commune à tant d’honnêtes gens, mais que la bonté de votre naturel vous rend avec raison si sensible, est que notre Seigneur veut que nous lui sacrifions de bon cœur cette victime, qu’il a prise comme le maître de la vie & de la mort de tous les hommes 63 . Dans cette relation, la lettre peut se faire plus intime et spontanée, et le directeur peut montrer ses propres faiblesses ; difficile parfois pour lui de ne pas pleurer les morts : « Hélas en écrivant ceci je ne fais pas ce que je dis, car je ne puis retenir mes larmes pour ce cher Frère si digne d’être pleuré 64 . » Parler avec le cœur implique ainsi de dépasser la simple obligation sociale, comme l’assure Godeau au Comte de Brienne, endeuillé par la mort de son épouse : 61 Antoine Godeau, « Lettre LI. A Mademoiselle Paulet. Utilité des croix ; qu’il les faut aimer », ibid., p. 176-180, p. 180. 62 François de Sales, Introduction à la vie dévote, André Ravier (éd.), Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1969, p. 192. 63 Antoine Godeau, « Lettre XXXI. A Monsieur d’Andilly, sur la mort de Monsieur Arnauld son Frere », op. cit., p. 95-97, p. 96. Il s’agit probablement de Simon Arnauld, officier sous les ordres de son oncle le marquis de Feuquières, tué près de Verdun en 1639. Voir Frédéric Delforge, « Arnauld (La famille) », Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 108-109. 64 Antoine Godeau, « Lettre XXXI. A Monsieur d’Andilly, sur la mort de Monsieur Arnauld son Frere », op. cit., p. 97. Camille Venner 58 Ce n’est pas pour satisfaire à un compliment ordinaire de civilité, que je me donne l’honneur de vous écrire, & que je vous dis, que je prends une part toute particulière dans la perte que vous venez de faire. C’est le langage de tout le monde en cette occasion ; mais pour moi c’est le sentiment de mon cœur 65 . Parfois, les seuls actes d’écrire une consolation et de compatir permettront l’infusion de la parole divine, favorisée par la relation amicale établie entre le directeur et le dirigé. Ainsi, quand Godeau soutient la Marquise de Rambouillet à l’occasion de la mort de sa fille, il profère une parole de consolation tout en déléguant son discours à Dieu, et en remettant la prière au premier plan : Si j’avois eu assez de force, j’aurois pris la poste pour aller mêler mes larmes, avec les vôtres, plutôt que pour vous consoler. Il faut que Dieu parle à votre cœur, plutôt que les hommes qui ne vous peuvent gueres dire de choses, que vous ne puissiez vous dire à vous-même. Aujourd’hui j’ai prié au saint Autel pour le repos de l’âme de cette chere fille, & c’est tout ce qu’elle demande de moi 66 . Par la lettre de consolation, la direction spirituelle concilie ainsi la sainteté et le monde, et cette perméabilité entre le monde et la dévotion ne peut pas seulement s’expliquer par la volonté qu’aurait Godeau de maintenir sa place dans la société, de manière intéressée. En réalité, la lettre est un moyen adapté aux mondains, pour servir de support de conversion, et pour leur enseigner la nécessité de se détacher du monde. Comme le rappelle Godeau, « la véritable piété consiste non seulement à n’aimer point le monde, mais à s’en séparer 67 ». Plutôt que de considérer que Godeau n’a pas réussi à renoncer à la lettre mondaine, on peut envisager sa maîtrise de la conversation comme la marque du désintérêt dont doit faire preuve le directeur d’âmes 68 . Par l’idéal d’effacement de soi et de mise en valeur d’autrui, qui préside à la consolation et à la direction spirituelle plus 65 Antoine Godeau, « Lettre CXLVIII. A Monsieur le Comte de Brienne, Ministre & Secretaire d’Estat, Commandeur des ordres du Roi ; sur la mort de sa femme », ibid., p. 415-416, p. 415. Godeau s’adresse à Henri-Auguste de Loménie, secrétaire du roi. Voir Jean-Marie Constant, « Brienne (Henri-Auguste et son fils Louis-Henri de Loménie, comtes de) », Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 239. 66 Antoine Godeau, « Lettre CXLIII. A Madame la Marquise de Ramboüillet ; sur la mort de Madame la Marquise de Grignan », op. cit., p. 404-406, p. 406. 67 Antoine Godeau, « Lettre XLV. A Madame du Vigean. Consolation sur la mort de son fils », ibid., p. 158. 68 C’est l’idée fondamentale défendue par Jean-Pierre Camus dans Le Directeur spirituel désintéressé, selon l’esprit du bienheureux François de Sales, Paris, Fiacre Dehors, 1631. Étude des lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau 59 généralement, Godeau convertit des règles fondamentales de la conversation mondaine, à des fins d’insinuation 69 . Mais c’est bien l’édification qui prime : comme chez Saint François de Sales ou chez Jean-Pierre Camus, son successeur, l’amitié est avant tout un instrument privilégié de communication qui sert à toucher le fidèle, pour l’orienter vers la sainteté. De ce point de vue, la différence entre les lettres de consolation spirituelles en prose et les épîtres en vers publiées par Godeau en 1663 est palpable. Dans une épître consolatoire adressée à la marquise de Clermont d’Entragues au sujet de la mort d’Angélique Paulet, le poète s’adonne à une plainte élégiaque dénuée des principes chrétiens exposés précédemment : Vous pleurez Angelique, à qui les destinées Pour nous devoient donner plus de longues années ; Et je pleure avec vous ce funeste trépas, Qui ravit à nos yeux ses aimables appas, Meslons donc nos soupirs, nos plaintes & nos larmes, Mais joignons à nos pleurs le discours de ses charmes 70 . Nul discours spirituel ici sur la vanité de l’existence terrestre et sur les raisons d’espérer en la mort ; l’amitié profane garde ici toute sa valeur, elle se vit dans son immanence. La mise en vers de la consolation autorise ainsi une liberté de ton et d’idées qui l’éloigne de la consolation en prose, bien plus orientée vers le salut du fidèle. En conclusion, les lettres de consolation spirituelles d’Antoine Godeau sont marquées par la rencontre des codes mondains et chrétiens, et attestent de la volonté qu’a leur auteur d’édifier le lecteur dans l’épreuve en maintenant le cadre familier de la civilité épistolaire. Le recours à la correspondance facilite la mise en place d’une relation entre un directeur d’âmes et un fidèle. Consoler saintement est un acte conçu par Godeau comme une expérience de charité et d’amitié chrétiennes, qui replace la parole de Dieu au cœur de la lettre de direction. 69 Rappelons que la direction spirituelle est considérée comme un art de conférer. Elle a ses accointances avec la mondanité. Gabriel Chappuys, éditeur des Épîtres de Jean d’Avila, considérées comme le modèle de la direction spirituelle par lettres, est aussi le traducteur de l’un des plus importants traités de civilité mondaine, La civil Conversazione de Stefano Guazzo (1574). Sur l’insinuation dans la littérature spirituelle, voir Laurent Susini, La Colombe et le Serpent. L’insinuation convertie : Pascal, Bossuet, Fénelon, habilitation à diriger des recherches, Université Paris- Sorbonne (Paris IV), 2015. 70 Antoine Godeau, « A Madame la Marquise de Clermont d’Antragues. Epistre XIII », Poësies chrestiennes et morales, Paris, Pierre Le Petit, 1663, t. III, p. 75-81, p. 75. L’épître a probablement été composée en 1651.