eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 44/87

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2017
4487

François Lasserre: Corneille, le destin d’un écrivain de théâtre. Paris: L’Harmattan, 2017 («Univers théâtral»). 666 p.

2017
Emmanuel Minel
PFSCL XLIV, 87 (2017) 354 permet une certaine liberté au poète sans nuire à la vraisemblance de la narration, également en ce qui concerne le but de l’épopée. C’est à la deuxième théorisation du Tasse que l’on se référera pour affirmer la priorité du but d’instruire et d’édifier le lecteur. C’est la position des Jésuites, tels que Mambrun, Le Moyne ou Rapin, qui indiquent dans l’instruction des Grands la finalité essentielle de cette narration exemplaire : « [la poésie épique] ne parle que de rois et de princes, elle ne donne des leçons qu’aux Grands pour gouverner les peuples, et elle propose l’idée d’une vertu bien plus parfaite que l’histoire » (Rapin, Les Réflexions sur la poétique, 1684). La même position est à la base des arguments de ceux qui ont donné une interprétation allégorique du récit épique, comme c’est le cas pour Saint- Amant, Scudéry, Chapelain, Desmarets de Saint-Solin, Le Bossu. Reste à souligner que la théorisation épique, souvent réputée pour avoir été à la base de l’échec du genre à l’âge classique, en raison de sa surabondance et rigidité, n’est pas toujours suivie dans la pratique, et la confrontation des traités théoriques avec les poèmes poétiques pourra le témoigner 1 . Tous les textes ici regroupés sont présentés par une introduction et une notation très riche, éclaircissant aussi bien les références historiques et mythologiques que les obscurités linguistiques. Pour les spécialistes du XVII e siècle, c’est pourtant la richesse de la notation littéraire qui frappe, les renvois aux sources anciennes et contemporaines, les références intertextuelles et intratextuelles constamment signalées. La clarté de l’écriture de Giorgi n’est qu’un mérite ultérieur du travail de cet éminent spécialiste, dont l’érudition et la compétence dans le domaine romanesque lui permettent également de tisser un considérable réseau de réflexions sur les rapports entre épique et romanesque. Laura Rescia François Lasserre : Corneille, le destin d’un écrivain de théâtre. Paris : L’Harmattan, 2017 (« Univers théâtral »). 666 p. Dans Pourquoi la Littérature respire mal, conférence prononcée à l’École Normale Supérieure en 1960, Julien Gracq s’élevait contre les modernes et leur « souci continu de la technique : comment s’étonner, disait-il, que le souci de la technique soit devenu ce qu’il est pour la littérature de notre temps, une préoccupation qui prend le pas sur toutes les autres, et presque 1 Nous signalons qu’une autre spécialiste italienne du poème épique du XVII e siècle, Gabriella Bosco, prépare actuellement une anthologie de poèmes épiques en deux volumes, qui va constituer le pendant de l’ouvrage de Giorgetto Giorgi. Comptes rendus 355 une obsession ? » (OC, tome II, Pléiade Gallimard, p. 866) ; avec Paul Valéry, il voyait dans la systématicité de la technique un signe de la décadence de la littérature (p. 863), et avec Gide il voyait en elle « ce qui sera à bref délai moins intéressant que ce qui n’est pas elle » (p. 868) ; vingt ans plus tard, en 1980, et dans un tout autre registre de propos, la psychanalyste Christiane Olivier ironisait aussi, dans Les Enfants de Jocaste, sur le comportement typique qui consiste à « employer n’importe quelle technique, mais surtout [à] ne rien livrer de soi » (Denoël, p. 88). Le livre original de François Lasserre, qui fait suite à son Inspiration de Corneille (Paris, L’Harmattan, 2014), se place aujourd’hui dans cette même lignée des critiques de la technique sans âme, sans corps et sans secret, tout en suivant sur l’auteur du Cid le fil de son propre parcours d’investigation, qui a si souvent, par le passé, été profitable à l’érudition et à la compréhension du théâtre français du premier XVII e siècle. Les liens avec ses ouvrages précédents, sur Gougenot, les Cinq auteurs, ou sur Pierre Corneille lui-même, sont d’ailleurs nombreux ; mais si l’esprit de suite est évident, ce volume réserve aussi au lecteur, à côté d’une moisson non négligeable de points d’érudition, de biographie ou d’histoire du théâtre, et de belles analyses sur les œuvres ou sur des documents - citons le compte rendu donné en annexe sur la Querelle de Sophonisbe, qui mériterait de figurer en préface d’une édition de la pièce, les éclaircissements tirés de la correspondance de Chapelain, le portrait décisif d’Alexandre de Campion, ou les franches mises au point sur la stratégie anti-cornélienne de d’Aubignac - une autre très belle surprise, qui est la pièce de théâtre didactique, intitulée La Métamorphose d’Orphée, mettant en scène Corneille au travail discutant théâtre avec ses amis. Agréable de lecture, et savante, elle souscrit parfaitement au programme, classique par excellence, du plaire et instruire, tout en ayant valeur de manifeste pour la démarche critique, puisqu’il s’agit de revendiquer un faire sentir et, pour être du côté de Corneille plutôt que de l’abbé d’Aubignac, en quelque sorte, de mettre en acte le savoir technique. Sans renier la rigueur de l’érudition, il s’agit de lui donner une âme, un sens, une « vie » (p. 617). Les trois actes, ou trois « journées » se déroulent entre Rouen, Dreux et Paris, de 1630 à 1675, et tiennent résolument du théâtre d’aujourd’hui (ou davantage du baroque que du classique, comme on s’en doute à l’examen des lieux et des temps). Corneille y côtoie des familiers, des visiteurs, voire des semi-allégories (Thalie, son inspiratrice et premier amour) mais qui ont tous leur répondant dans la première partie de l’ouvrage. Ce faisant, le gros livre, qui prend rang parmi les « sommes » consacrées à l’ensemble du théâtre de Corneille (Stegmann, Doubrovsky, …) mais aussi à la biographie de l’auteur, cherche autant à toucher autrement son lecteur qu’à toucher d’autres lecteurs que les déjà savants. PFSCL XLIV, 87 (2017) 356 On pourra, dans le chapitre névralgique sur « la théorie » du théâtre qui termine la première partie du livre (avant la pièce de théâtre et avant les annexes), reprocher sans doute à François Lasserre de ne pas solliciter un certain nombre de concepts critiques commodes pour éclairer et peut-être abréger l’analyse, comme celui d’« idéologie » ; parler de la fonction idéologique d’un discours, qu’il soit théorique ou dramatique, permettrait en effet de faire valoir moins intuitivement des constats tels que : « Nous avons nos cohortes d’éditorialistes qui, soit quotidiennement, soit hebdomadairement, savent toutes choses, et nous les disent, bien que nous les sachions déjà. C’est un pli de la société. Les savants tenaient, dans le siècle de Corneille, cette position » (p. 426). De même pour les concepts de la « théorie de la réception », comme « l’horizon d’attente » lorsqu’il s’agit d’opposer la lecture des doctes et le sentiment des amateurs du théâtre réel. Parfois aussi, on pourra désirer que les notions de « vraisemblable » et de « bienséant », à côté du concept de « nécessaire », bien cerné dans sa spécificité cornélienne, soient exposés plus franchement comme des critères sociologiques, politiques, bref idéologiques, encore une fois, afin de clarifier plus efficacement les enjeux et les achoppements du débat avec les doctes. Enfin, la notion trop timidement sollicitée de « croyance » serait (même sans solliciter Shakespeare ! ) à mettre davantage au cœur du propos théâtral, qui, par une sorte d’ironie forestienne, peut-être, reste trop crispé sur les mots de la « technique » et la magie factuelle des « liaisons de scènes » (par ailleurs fort bien détaillée et exposée). Mais ce ne sont là que des critiques d’un moment, et liées peutêtre de surcroît à une culture de génération. Au général, en effet, ce livre de François Lasserre constituera indubitablement une bonne introduction à la lecture de Corneille ; par la simplicité de son style et la clarté de ses informations sur les faits, les polémiques, les différences d’approches entre auteurs, toutes choses dont le parcours de Corneille est fort chargé, comme on sait. La continuité d’une vie, d’une carrière et d’une inspiration y est bien dessinée, mais chaque pièce ou chaque configuration historique et biographique y est aussi présentée avec une certaine autonomie conceptuelle ; elle permet d’échapper à cet esprit d’engrenage et de systématicité qui est souvent un écueil de ces sortes d’ouvrages. Ni monotonie d’approche, ni étrécissement de l’analyse, ni non plus éparpillement du propos ou des méthodes d’investigations, à l’inverse : la démarche est celle d’un « amateur de théâtre », qui évalue les recherches techniques de Corneille à l’aune d’une « expérience » réelle de la représentation, d’un « humanisme », qui s’interroge sur le sens produit, sur les « valeurs » et sur la sensibilité spécifique qui caractérisent les pièces de Corneille. L’examen méticuleux des documents historiques et des textes Comptes rendus 357 théoriques qui encadrent et qui « portent » (au sens hégélien) le sens des pièces n’en souffre pas. La première partie du livre s’intitule, de façon plus hugolienne que cornélienne, « Fonction moderne du poète » ; elle aboutit, vers sa fin, au moment de la confrontation entre d’Aubignac et Corneille, à affirmer que le souci du dramaturge normand n’était pas d’« assister les ministres » (p. 415) en produisant des fictions conformes à leurs attentes, mais de faire penser plus loin, en vertu d’un « héritage d’Orphée » (p. 414) capable de déplacer les pierres. C’est là sans doute le point essentiel de la méthode critique de François Lasserre : on ne peut réduire les œuvres à un arsenal technique envisagé comme un produit dogmatique préalable, on doit au contraire tâcher de comprendre l’élaboration toujours en train de se faire de cet arsenal technique, en fonction d’une visée qui l’excède et qui relève du sens. Cette visée assume une fonction utopique, ne venant pas « en broderie », après l’essentiel, mais dans l’élan technique lui-même. « Technique » : sur ce point, François Lasserre et Georges Forestier, par ailleurs fort irréconciliables, semble-t-il, sont en accord, Corneille est un technicien. Mais pour le premier, Corneille est définitivement le technicien-poète du Cid, celui qui a dynamisé et transcendé l’esprit public par une rodrigomania dont les règles académiques et les digues mesquines et sans âme de l’esprit d’encadrement n’ont jamais pu véritablement venir à bout : « la réussite poétique, c’est d’avoir osé montrer sur scène une action que tous ont souhaitée, impossibilité, mais utopie exaltante, action de poète. […] Le vrai poète est celui qui se donne progressivement les moyens de transformer la vie » (p. 415-16). Cet effet poétique implique non pas la manipulation mais la rencontre d’un public, d’une époque, d’un moment historique, d’une « complicité » : et « il va de soi que celle-ci ne s’établit pas sur la base d’un délassement futile, mais qu’elle commence entre un poète qui a quelque chose à dire, et un spectateur qui veut percevoir le message » (p. 419). Une connivence plus explicite avec les concepts de la théorie de la réception et la notion d’« horizon d’attente » aurait sans doute ici été souhaitable, redisons-le, pour donner au point de vue un tour moins « romantique », mais chacun reconnaitra néanmoins l’idée et saura voir à sa manière où elle mène. Revenons au début de l’ouvrage : il commence, dans la bonne tradition de l’homme et l’œuvre par un passage en revue du théâtre cornélien « selon l’ordre des pièces », et de leurs « principales circonstances ». La « première section » de cette première partie contient quelques réjouissants trésors. D’emblée, sur Mélite, F. Lasserre donne un aperçu de sa dialectique humaniste, souscrivant à la fois à la tradition biographique du discours amoureux (la question du premier amour de Corneille, dont il fait une scrupuleuse analyse documentaire, appuyée sur L’Excuse à Ariste et sur la PFSCL XLIV, 87 (2017) 358 note de l’abbé Granet) et à la problématique technicienne (problématique vivante, qui oppose des hommes, des dramaturges et des sensibilités esthétiques différentes, rivales, et non des recettes et des crédos formalistes) : « en 1628, lorsque Corneille entreprend d’écrire Mélite, c’est la Sylvie de Mairet qui tient triomphalement l’affiche » (p. 21). Mairet, d’ailleurs, n’est ici nullement traité en repoussoir ni en simple faire-valoir du grand homme, pas plus que, à la fin du livre, dans les pages sur la Querelle de Sophonisbe, où l’hommage que lui rend Corneille sera bien évalué. Entre les pages sur Mélite et celles sur Clitandre, quelques-unes sur Alexandre de Campion, qui seront complétées en plusieurs autres endroits, dessinent une des amitiés essentielles de Corneille et constituent un des apports biographiques majeurs du travail de F. Lasserre. Les pages sur La Veuve sont aussi l’occasion de juxtaposer « trace d’explication autobiographique » (p. 35) et mise au point sur la question des règles (« Qu’est-ce qu’une règle de poésie ? », p. 36), celle, dogmatique et superficielle, des vingt-quatre heures ou celle, véritablement technique et plus organique des liaisons de scène. Avant le bel exposé sur La Galerie du Palais et après celui sur La Place Royale, les mises au point des liens possibles de Corneille avec le théâtre anglais (en particulier Massinger) constituent également le rappel d’une ouverture décisive et soignée de la recherche technicienne des sources et des influences. La Veuve, La Suivante et La Place Royale sont par ailleurs l’occasion de remarques à la fois fortes et mesurées, sans anachronisme, sur le rapport de Corneille à la condition féminine, concluant ainsi que « le poète, certes, ne peut que s’inscrire dans une mentalité masculine. Mais il progresse dans l’éclairage de la subjectivité féminine » (p. 53). Entre Médée et L’Illusion comique, la page sur le vraisemblable oppose, là-encore, principe idéologique superficiel et « disposition dramatique » organique, ouvrant naturellement à la « question » centrale de L’Illusion : « qu’est-ce que le spectateur ? » (p. 77). La page sur le procédé d’écriture, essentiel selon F. Lasserre, qu’est la « mosaïque d’emprunts » (p. 83) vient compléter cet art poétique préliminaire et préalable au Cid. Des développements sur le Cid, on retiendra quelques points bien mis en relief de l’examen des sources (même si la référence au travail toujours incontournable que Paul Bénichou présentait dans L’Écrivain et ses travaux manque de façon surprenante) et les pages qui concernent la Querelle du Cid, où l’auteur s’inscrit en faux contre le préalable de Georges Forestier selon lequel Corneille et tous les auteurs du temps composaient en s’appuyant sur les principes de la Poétique d’Aristote. La remarque finale sur la dimension religieuse de la « soumission » à l’Académie et sur « l’obéissance » recommandée par les Jésuites (p. 109-10) n’est pas non plus sans Comptes rendus 359 intérêt, mais c’est surtout parce qu’elle prépare le beau chapitre qui suit, sur Horace. Pour F. Lasserre, cette pièce et la série qui suit « jusqu’au recouvrement de sa liberté, est réorientée selon des valeurs contraintes » (p. 111) et va inscrire dans son thème même, et pas seulement dans son esthétique dramaturgique régulée, cette idée de contrainte. La démonstration tourne autour de l’idée d’une « dégradation volontaire » (p. 116) de l’image du héros par le meurtre de sa sœur Camille, quoique prudemment compensée par « deux sortes de précautions pour que l’interprétation de la pièce puisse rester ouverte » (p. 117). Le fait monstrueux, auquel Corneille tient mordicus, a valeur de manifeste protestataire au cœur même de l’acte de contrition qu’est la pièce entière. Cela est résumé plus loin : « Camille, sacrifiée à une obéissance brutale et fanatique, c’est la Comédie ci-devant cornélienne, sacrifiée aux idéaux héroïques qui se substituent autoritairement à l’inspiration spontanée du poète » (p. 150). L’étude des sources, l’italienne (L’Orazia) et l’espagnole (El Honrado Hermano) en particulier, jadis exposée dans un article, est ici réintégrée dans un propos plus général où, encore une fois, la dimension autobiographique (la mort du père de Corneille en 1639) n’est pas négligée, « humanisant » le sens de l’œuvre, autant que le processus créatif. De même, dans le développement sur Cinna, on appréciera l’analyse annexe consacrée à la dédicace à Montauron (p. 134-35) ; elle proteste contre la réputation d’un Corneille « Harpagon » et explique les contraintes financières présidant au système de l’impression aux frais de l’auteur, que le dramaturge adopte à ce moment précis pour « protester contre les carences du mécénat en général » (p. 135). Les dix pages sur Polyeucte, qui se terminent par un développement sur « la religion d’amour » (p. 146), proposent ce même retournement critique de la perspective inhumainement héroïque qu’on croit trop être celle du vrai Corneille. Elles proposent aussi quelques moments d’érudition jubilatoire sur les sources, avec le Arauco domado de Lope de Vega et The Renegado de Massinger. Pour Pompée et Le Menteur, l’enjeu d’érudition est de savoir si l’une des deux pièces (éditées la même année et correspondant à un rythme de production avoué comme inhabituel) pourrait correspondre à la pièce abandonnée de l’hiver 1637. Là encore, le travail est bien mené, à partir des sources anglaises (Beaumont et Fletcher, signalés par Alfred Mézières en 1863), et de Chaulmer. Pour le diptyque du Menteur et de sa Suite, F. Lasserre revient d’abord sur la question des a parte puis met très joliment en relief la dimension publicitaire de La Suite, la reliant aux conséquences de l’incendie du Théâtre du Marais et au besoin dans lequel se trouve la troupe. Ce faisant, il laisse complètement de côté, cependant, toute la dimension « baroque » de jeu sur la valeur qui pourrait pourtant s’y relier (et à propos duquel, du coup, nous nous permettons de renvoyer à une de nos anciennes PFSCL XLIV, 87 (2017) 360 études, publiées jadis dans la même revue qui publie ces lignes). Pourtant, F. Lasserre voit dans le triptyque du Pompée et des deux comédies un moment important de l’itinéraire cornélien : celui du retour au théâtre de critique sociale, libéré, après la mort de Richelieu, de l’idéalisation obéissante du héros. « Non, Auguste n’existe pas » mais « les petitesses égoïstes qui minent ses prétentions » (p. 170) ! De même, « Dorante s’est trompé sur l’identité de Clarice » et la jeune fille délaissée, malmenée et mal mariée ne reste pas obéissante, elle pille et ruine la maison de son humiliation, comme au début de La Suite, car, comme elle, « ce que les spectateurs veulent, c’est au contraire une connivence avec leur rêve, qui est rêve d’amour » (p. 170). Avant que ne commence la « deuxième section » consacrée aux « accompagnements théoriques », discours et examens (p. 367-389) puis au conflit avec l’abbé d’Aubignac (p. 390-433), et dans laquelle, si le matériel conceptuel semble parfois un peu manquer de tout ce qui date d’après les années cinquante, l’érudition ancienne est toujours riche, et à notre avis presque toujours juste conceptuellement, restent presque 275 pages. Y prend place toute la production cornélienne de Théodore - « avant ou après Rodogune ? (p. 175) - à Suréna : on n’en pourra ici détailler par le menu les trésors. À la série des « horreurs diverses » (Théodore, Rodogune, Héraclius), où se trouve bien entendu traitée la question théorique de l’Horreur, chère naguère à Christian Biet, succède la série, plus composite qui va d’Andromède et Don Sanche d’Aragon à Nicomède, où Corneille s’établit en « maître de la scène », du style « ferme et chargé de sens » (p. 197), affirmant la « dignité poétique de l’échange théâtral » (p. 204), menant une habile politique de dédicaces et se libérant progressivement, jusqu’à une heureuse désinvolture, presque une insolence rêvée, de ses inquiétudes mécénales voire de ses peurs politiques et policières héritées du temps de Richelieu. Alors « pourront se composer les rapports entre les acteurs de la politique […], la « conversation » politique, pour rappeler ici la « conversation des honnêtes gens » de ses débuts comiques » (p. 232). Pour les pièces à sujets romains de la longue période qui suit, avec Sertorius, Sophonisbe, Othon, un élément clé de l’analyse politique qui en émane est que « son regard sur Rome n’est nullement celui qu’on lui a imputé légèrement. En réalité, il est en cela aux antipodes de Balzac » (p. 268) : Rome n’est pas un modèle moral. Horace et Nicomède le marquaient déjà en effet. Les expériences de sujets grecs semblent, pour leur part, avoir en commun, l’obstacle de contraintes extérieures gênantes : Œdipe souffre de ses illustres modèles (« il faudrait, pour qu’on apprécie de façon adéquate l’Œdipe de Corneille, que ceux de Sophocle et de Sénèque n’aient pas existé », p. 249), Andromède et La Toison d’Or (cependant signalée, conformément à l’avis de Comptes rendus 361 l’auteur, comme sans doute une des meilleures pièces de Corneille d’un point de vue dramatique, et une des plus féroces dans la peinture des rivalités féminines) souffrent d’une résistance obstinée du dramaturge à « l’esprit de l’opéra » (p. 264) malgré une bonne volonté d’occasion. Notons que les pages de rappel sur les débuts de l’opéra en France, en particulier sur la figure décriée de Pierre Perrin sont remarquables, et que, insistant au passage sur les essais de transformation de la métrique française et sur ceux du vers irrégulier, elles préparent la mise en valeur d’Agésilas, autre pièce à sujet grec (p. 309-14) et une des pièces de Corneille les plus injustement méprisées par la critique. Enfin, avec Attila, la pièce suivante, F. Lasserre ramène habilement vers Pertharite, autre sujet médiéval dont il n’avait eu à dire que peu de choses, ne suivant pas assez loin, peut-être, sa piste d’une question religieuse sous-jacente, et celle de Paul Diacre (que nous avions nous-même évoquée jadis, dans une autre publication collective des Papers consacrée à Corneille). Pour les dernières pièces, dont Attila, F. Lasserre met en place les données du duel Corneille-Racine, insistant sur l’opposition des caractères de héros (la « réprobation virulente » que suscite le roi des Huns, contre « l’audacieuse flagornerie » (p. 316) de l’exhibition d’Alexandre), sur l’opposition des intrigues pour les deux Bérénice (p. 326-33), bref sur une « production parallèle sur le mode hostile » (p. 335). À propos de Tite et Bérénice, F. Lasserre examine fort sagement la légende du concours, et se prononce plutôt pour une reprise du sujet par Racine, dont il résume judicieusement la stratégie : « pour réussir contre Corneille, Racine se sert exclusivement (quoiqu’au théâtre) de cette qualité de poète, non spécifiquement dramatique, que Corneille lui a reconnue » (p. 329). On notera que, faisant un tour d’horizon des avis sur la question, F. Lasserre ne cite pas moins de huit critiques, de Gustave Michaut en 1907 à André Le Gall récemment, en passant par Georges Couton, Alain Niderst et Émile Mireaux, mais qu’il n’a pas un mot sur la remarque connue de Georges Forestier que Tite et Bérénice commence là où finit Bérénice, puisque l’héroïne de Corneille revient à Rome après la première séparation, narrée par Racine. On n’ira pas cependant jusqu’à imaginer, à l’imitation de l’affaire « Pierre et Jean » (p. 324-26, sur Britannicus et Attila) une affaire François et Georges ! Non, c’est sans doute que la remarque de G. Forestier ne décide en rien qui a le premier choisi son sujet. Pour finir, F. Lasserre donne Pulchérie et Suréna comme deux réponses ultimes à la nouvelle poésie de l’amour que propose la Bérénice de Racine ; mais le plus intéressant de son propos est sans doute dans la réflexion sur la concurrence entre la poésie comme musique du vers et la poésie de l’action et du « sentiment », à quoi, selon le mot de Segrais, Corneille travaillait PFSCL XLIV, 87 (2017) 362 « seulement ». C’est bien « le point crucial de l’incompréhension entre Corneille et Racine, celui de l’élocution versifiée » (p. 357). La dernière page, sur la « désaffection du public » (p. 360), remet en perspective le « changement profond des mentalités » depuis l’échec de la Fronde et note avec justesse que la publicité autour de l’affrontement avec Racine vient finalement transformer « la simple baisse de popularité d’un poète démodé » en « combat de titans » plus glorieux pour l’un et l’autre. Belle idée, que cet hommage polémique au vieux génie dramatique de la part de celui dont « la beauté du langage est toujours un atout » (p. 360) ! Emmanuel Minel Malina Stefanovska and Adrien Paschoud (eds.) : Littérature et politique : Factions et dissidences de la Ligue à la Fronde. Paris: Garnier, 2015. 242 p. What an interesting and most welcome series of close readings anent the use of words indicating protest, difference, or non-majoritarian thought or action. Faction is a trans-historical word from the Latin - i.e., persons joined together for a common end or purpose. The charioteers of the Roman circus were called factions (Gibbon, chap. XL), with a not necessarily negative connotation. After a brief and strong Introduction by the editors which poses new and interesting questions (e. g. is one born a factieux? ), comes a note alerting the reader to watch for shifts from negative to positive meanings, or the reverse, for key words such as party. With mastery and clarity, Nicolas Le Roux ferrets out changing meanings and shifting terms during the civil wars, 1560s to 1590s. The Crown legislated against separatist movements but could really do little. Exemplary punishments were to no avail. By 1567 Condé was the “chef du party Huguenot”; but a mere seven years later, the partis and the ligues had developed into aristocratic powers. The faction or the league can be negative or positive, according to political grouping. Ruth Stawarz-Luginbühl explores the conceits and imagery associated with the successor of the heirless Henry III in M. Philone’s Adonis (1586). Amy Graves-Munroe reviews what is known about the nefarious Catherine de Lorraine, widowed duchess of Montpensier. Sister of the Guise brothers who were executed by Henry III, “la” Montpensier mobilized preachers to support the aims of the Sainte Union. Her public presence prompted attacks not only for her politics but also for her gender. Wearing her famous dirty green sash as she walked about the city, Montpensier’s