eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 44/87

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2017
4487

Giorgetto Giorgi (ed.): Les poétiques de l’épopée en France au XVIIe siècle. Textes choisis, présentés et annotés par Giorgetto Giorgi. Paris: Honoré Champion, 2016 («Sources classiques»). 576 p.

2017
Laura Rescia
Comptes rendus 351 mère qui doute « que la mode des demoiselles de Saint-Cyr dure longtemps » répond une autre qu’on « dit qu’elles sont si sages, si bien instruites, et si raisonnables » (150). Une demoiselle, qui vient de sortir de Saint-Cyr, en porte toujours « l’habit » quoiqu’il ne convienne « ni à sa naissance, ni à son âge ». Pour se justifier, elle évoque sa « fortune » en soulignant que « quand on n’a point de bien, il ne faut point songer à faire comme ceux qui en ont » (116-117). Une mère qui est « heureuse dans [ses] enfants », tâche « de leur faire entendre raison » suivant la règle : « je mêle la douceur à la fermeté, et j’attends avec patience que Dieu bénisse ce que je fais » (173). La dévotion de la marquise inspire son jugement sur la cour : « […] je ne crois pas une plus malheureuse vie que celle de la cour, surtout pour les personnes droites et sincères ; le salut y est difficile et la tranquillité impossible » (283). Le lecteur du XXI e siècle hésite à partager le principe d’ériger en modèles les jeunes qui se conforment toujours aux vues de leurs parents : « C’est au père et à la mère à marier leurs enfants » (206). Les exemples illustrant cette soumission sont toutefois très variés. Interrogée pourquoi elle est « vêtue si simplement », une demoiselle répond : « C’est le goût de ma mère, et je m’y accommode sans peine » (141). Une fille « raisonnable » console ses parents dans leurs « peines » ils craignent la « dure séparation » (171) ; elle est « adorée de son domestique, qui en dit des merveilles » (172). Aussi est-elle préférée à une autre par l’homme qui voudrait se marier quoiqu’elle ne soit ni aussi « belle » ni « riche » (172) que sa rivale. Les mères avares qui gardent l’argent pour elles-mêmes au lieu de marier leurs filles, sont dénoncées. La tyrannie des maris fait partie du sort ordinaire d’une épouse : il n’y a « point d’autre partie à prendre qu’à vouloir ce » (293) qui plaira au mari. Les lois ne prévoient pas de divorcer d’un tyran qui maltraite sa femme. La perte d’un procès, la ruine financière, l’infidélité masculine et les effets néfastes du gaspillage sont également l’argument de ces dialogues dont le panorama des vicissitudes de la vie est un des charmes de ces Proverbes dramatiques, qui reflètent immédiatement les vicissitudes du quotidien vécu. Volker Kapp Giorgetto Giorgi (ed.) : Les poétiques de l’épopée en France au XVII e siècle. Textes choisis, présentés et annotés par Giorgetto Giorgi. Paris : Honoré Champion, 2016 (« Sources classiques »). 576 p. Ce volume présente un choix de textes théoriques relatifs aux poèmes héroïques, un genre qui a notamment connu un épanouissement considé- PFSCL XLIV, 87 (2017) 352 rable durant le Grand Siècle, et auquel la critique n’a pas été inattentive, comme la bibliographie finale du volume le témoigne. Toutefois, Giorgi a réussi à combler un manque, se penchant sur un riche corpus de préfaces, lettres, traités, avis aux lecteurs et textes en vers traitant la question des règles à suivre pour atteindre la perfection du poème épique, dont la consultation était souvent difficile. Les trente textes ici collectés s’échelonnent tout au long du siècle, à partir de 1605, avec L’art poétique de Jean Vauquelin de La Fresnaye, jusqu’à 1710, avec les remarques de Fénelon sur son Télémaque : suivant les principes de la collection, tous ont été modernisés quant à l’orthographe, ce qui rend ce recueil d’autant plus précieux. Si certains avaient déjà été publiés en édition moderne (Vauquelin de la Fresnay, ou la préface du Moïse Sauvé de Saint Amant) la plupart n’étaient pas disponibles, ou ne l’étaient qu’en édition originale ; certains, ayant été composés en langue latine (c’est le cas du Traité péripatéticien sur le poème héroïque de Pierre Mambrun, 1652), ont été traduits par l’éditeur scientifique même. Comme l’auteur le met en relief dans son Introduction, les modèles homérique et virgilien constituent la référence pragmatique pour les Français, qui évoquent, du point de vue théorique, aussi bien les principes de la Poétique d’Aristote et de l’Art poétique d’Horace, que certains traités italiens du XVI e siècle, et principalement les préceptes du Tasse. Si les règles de l’unité d’action et du début in medias res, ainsi que le souci quant aux thèmes de l’épique sont un apport des textes anciens, il faut se tourner vers l’Arte poetica de Antonio Minturno (1564) pour la norme de l’unité de temps dans le poème épique, ce qui sera généralement accepté tout au long du Grand Siècle, même s’il s’agit d’une leçon opposée à la pensée du Stagirite, qui avait explicitement invité à ne pas se soucier des limites temporelles pour l’épopée. L’importance du Tasse et de sa théorisation, notamment articulée dans les Discorsi dell’arte poetica (1587) ensuite modifiée par ses Discorsi del poema eroico (1594), est bien mise en évidence dans la réflexion de Giorgi. Si dans la première saison théorique les principes de l’unité d’action et de la dispositio des événements reprennent la doctrine des Anciens (on remarquera toutefois que la Gerusalemme liberata ne respecte pas le deuxième), c’est relativement aux thèmes du poème épique que l’Italien se distingue de la tradition classique : le choix des événements doit concerner l’histoire par souci de vraisemblance, mais ces faits doivent appartenir à une époque qui laisse une certaine liberté d’invention à l’auteur, donc ni trop lointaine ni trop récente. Mais ce sera surtout la direction donnée au problème du merveilleux par le Tasse qui aura des répercussions importantes dans la suite de l’histoire de l’épopée européenne : au merveilleux païen, qui risque Comptes rendus 353 de ne plus être vraisemblable aux yeux des contemporains, il faut substituer le merveilleux chrétien, tout en se souciant de ne pas toucher aux dogmes de la foi. Cette direction sera suivie par la majorité des théoriciens français de l’épopée entre 1650 et 1670 - et soulignée avec force et détermination par Desmaret de Saint Sorlin, jusqu’à la condamnation de ce principe par Nicolas Boileau dans son Art poétique (1674), ce qui comporta une diminution du recours à ce stylème et sa disparition progressive à la fin du siècle. Un autre point de relief dans la théorisation tassienne concerne le but de l’épique qui, comme Giorgi le met en évidence, subit une transformation importante de la première saison, celle des Discorsi dell’arte poetica e de la Liberata, à la deuxième. Si dans un premier temps le Tasse affirme, conformément à la leçon aristotélicienne, que « […] la fin de la poésie étant de plaire, les meilleurs poètes sont ceux qui poursuivent le mieux cette fin », avec la montée de la Contre-Réforme, et les critiques reçues quant au manque d’orthodoxie dans le traitement des questions religieuses dans la Liberata, il rectifie non seulement son poème - notamment avec l’Allegoria della Gerusalemme Liberata (1581), et ensuite avec la réécriture du poème, publié en 1593 sous le titre de Gerusalemme conquistata, mais aussi sa poétique, et tout particulièrement le principe du delectare, qui, sans disparaître, sera subordonné au docere. Après avoir analysé la question de l’influence des sources théoriques classiques et italiennes, l’introduction de Giorgi se concentre sur les poétiques françaises du Grand Siècle, en essayant de regrouper les positions des théoriciens par rapport à leurs prédécesseurs. En effet, si le Tasse est une référence incontournable, il ne manque pas de susciter, outre l’admiration, un certain nombre de critiques. Au mérite d’avoir codifié l’épopée chrétienne s’associe la limite qui lui est le plus souvent reprochée, à savoir le manque d’unité de la Liberata. Pierre Mambrun soulève la question dans sa Dissertatio peripatetica de epico carmine en 1652 : « La Jérusalem du Tasse suscite bien des doutes. De quelle façon, en effet, se rattachent à l’action accomplie par Godefroy les amours de Renaud et d’Armide ? ». L’argument sera repris ensuite par Laurent Le Brun dans sa Dissertatio de epico carmine en 1661 : « Pour quelle raison les amours de Renaud et d’Armide sont-ils chantés dans de nombreux livres entiers sans jamais faire référence à Godefroy ? », et ensuite par Michel de Marolles et, avec des nuances, par Pierre Le Moyne et René Rapin. Le problème du début en medias res, par contre, donne lieu à deux factions opposées, la plus importante du point de vue quantitatif et qualitatif demeurant pourtant favorable à cette disposition qui prévoit un certain nombre d’analepses. Par contre, l’avis est unanime quant au choix des événements à relater : comme le Tasse l’avait souligné, il faut trouver une distance appropriée par rapport aux faits narrés, ce qui PFSCL XLIV, 87 (2017) 354 permet une certaine liberté au poète sans nuire à la vraisemblance de la narration, également en ce qui concerne le but de l’épopée. C’est à la deuxième théorisation du Tasse que l’on se référera pour affirmer la priorité du but d’instruire et d’édifier le lecteur. C’est la position des Jésuites, tels que Mambrun, Le Moyne ou Rapin, qui indiquent dans l’instruction des Grands la finalité essentielle de cette narration exemplaire : « [la poésie épique] ne parle que de rois et de princes, elle ne donne des leçons qu’aux Grands pour gouverner les peuples, et elle propose l’idée d’une vertu bien plus parfaite que l’histoire » (Rapin, Les Réflexions sur la poétique, 1684). La même position est à la base des arguments de ceux qui ont donné une interprétation allégorique du récit épique, comme c’est le cas pour Saint- Amant, Scudéry, Chapelain, Desmarets de Saint-Solin, Le Bossu. Reste à souligner que la théorisation épique, souvent réputée pour avoir été à la base de l’échec du genre à l’âge classique, en raison de sa surabondance et rigidité, n’est pas toujours suivie dans la pratique, et la confrontation des traités théoriques avec les poèmes poétiques pourra le témoigner 1 . Tous les textes ici regroupés sont présentés par une introduction et une notation très riche, éclaircissant aussi bien les références historiques et mythologiques que les obscurités linguistiques. Pour les spécialistes du XVII e siècle, c’est pourtant la richesse de la notation littéraire qui frappe, les renvois aux sources anciennes et contemporaines, les références intertextuelles et intratextuelles constamment signalées. La clarté de l’écriture de Giorgi n’est qu’un mérite ultérieur du travail de cet éminent spécialiste, dont l’érudition et la compétence dans le domaine romanesque lui permettent également de tisser un considérable réseau de réflexions sur les rapports entre épique et romanesque. Laura Rescia François Lasserre : Corneille, le destin d’un écrivain de théâtre. Paris : L’Harmattan, 2017 (« Univers théâtral »). 666 p. Dans Pourquoi la Littérature respire mal, conférence prononcée à l’École Normale Supérieure en 1960, Julien Gracq s’élevait contre les modernes et leur « souci continu de la technique : comment s’étonner, disait-il, que le souci de la technique soit devenu ce qu’il est pour la littérature de notre temps, une préoccupation qui prend le pas sur toutes les autres, et presque 1 Nous signalons qu’une autre spécialiste italienne du poème épique du XVII e siècle, Gabriella Bosco, prépare actuellement une anthologie de poèmes épiques en deux volumes, qui va constituer le pendant de l’ouvrage de Giorgetto Giorgi.