eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 44/86

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2017
4486

Francine Wild (éd.): Le sens cahé: usages de l’allégorie du Moyen Âge au XVIIe siècle. Arras: Artois Presses Université, 2013 (coll. «Études littéraires»). 248 p.

2017
Anne-Elisabeth Spica
PFSCL XLIV, 86 (2017) 196 rattachent, nuit à sa prétention d’expliquer les changements les plus importants de l’époque. Par ailleurs, l’utilisation obsessionnelle d’une certaine terminologie risque de déranger le critique littéraire. Néanmoins la cohérence du raisonnement contrebalance dans une certaine mesure cette faiblesse indéniable. La présentation de la démarche spécifique de Rapin rend mieux compréhensible sa position dans la vie littéraire à la fin du XVII e siècle. C’est le mérite de l’étude de Lecompte. Volker Kapp Francine Wild (éd.) : Le sens caché : usages de l’allégorie du Moyen Âge au XVII e siècle. Arras : Artois Presses Université, 2013 (coll. « Études littéraires »). 248 p. Ce volume rassemble un bouquet de quinze textes composé autour des questions que suggère l’allégorie considérée comme processus de lecture, qu’il s’agisse de déchiffrer un sens caché comme de le crypter au sein d’un discours feuilleté quelquefois déceptif (y a-t-il vraiment un sens sous l’oblicité ? ). Cette perspective précise et bienvenue, qui permet de faire d’entrée de jeu l’économie des débats - dont il ne saurait être ici question de nier le caractère majeur, loin s’en faut - sur le(s) statut(s) de cette notion (figure rhétorique, personnification visible et/ ou lisible, forme d’exégèse, genre littéraire ? ) et sur les points de divergence ou convergence de ses variations (fluctuants dans le temps et l’espace, des différentes facettes de ses définitions plus ou moins compatibles), invite à concentrer les regards sur la productivité de ce mécanisme plastique de figuration et partant, sur l’efficacité plus que sur la contradiction de ses usages. C’est donc une série de processus vivants, et non pas une allégorie un temps foisonnante pour s’exténuer à l’âge moderne, qui est ici cernée et interrogée, pour le plus grand intérêt du lecteur, grâce au panachage entre études de cas et études de corpus, croisant les genres et les formes, sur une diachronie longue qui permet de faire apparaître, justement, des manières de (faire) lire (ou éluder) plus que des manières de juger : une herméneutique active, en marche et non pas une allégorèse à admettre passivement. Après une introduction synthétique de Francine Wild, insistant à juste titre sur la diversité des modes d’apparition et de codage de l’allégorie, ainsi que le plaisir de connivence auquel elle appelle le lecteur, trois grands ensembles organisent le volume, chacun d’eux se développant ensuite selon le fil chronologique des textes et des corpus abordés. Le premier, intitulé « Narration médiévale et humaniste », déploie une série de stratégies auctoriales destinées à mettre en tangence allégorie et fiction, non sans poursuivre, et le choix méritait d’être fait, les hypothèses Comptes rendus 197 de Françoise Lavocat en matière de théories de la fiction à l’époque moderne. Du Songe d’Enfer de Raoul de Houdenc, méticuleusement analysé par Huguette Legros (p. 15-37), qui constitue un terminus a quo fort bien trouvé en ce qu’il inaugure à la fois le genre des Voies d’enfer et en subvertit la lecture morale, à Don Quichotte, qui marque aussi du point de vue du rapport du récit et de l’allégorie un seuil radical (Xavier Bonnier, « L’allégorie est-elle soluble dans le roman ? Histoire d’un escamotage », p. 97-113), se joue la conquête de la littérarité, et donc de la fausseté vraisemblable et légitime à la fois, d’un discours trop uniment assigné à l’énoncé d’une vérité éternelle et générale, d’ordre divin : « le voile de l’allégorie se révèle le signe de vérités plus profanes qu’eschatologiques » (H. Legros, p. 37). En exhibant moins le secret que le plaisir, tout curial, d’une merveille déliée du mystère (Magali Jeannin Corbin, « La redéfinition de la merveille et du merveilleux par Le Sixiesme livre d’Amadis de Gaule (1545) », p. 81-95), ou d’une merveille destinée à surmotiver poétiquement l’histoire plus encore qu’à l’expliquer (Chantal Liatzouros, « Fable et allégorie dans les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, de Lemaire de Belges », p. 39-51) comme en révélant les ambiguïtés du discours amoureux telles que les réfléchit l’écriture romanesque, constituée sur cette ambiguïté structurante (Raphaël Cappellen, « Allégorie et signification romanesque chez Hélisenne de Crenne », p. 67-80), la lecture allégorique révèle autant les choix politiques des auteurs qui l’emploient (Brigitte Gauvin, « L’allégorie et ses fonctions dans l’œuvre de Ulrich de Hutten », p. 53-66) que les retournements poétiques d’une inventio narrative en pleine mutation, émancipée progressivement de la référentialité uniquement partagée, de manière dichotomique, entre mensonge et vérité. Le second volet, « Allégorie et spectacle », propose une série de déclinaisons très claires et convaincantes de la lisibilité scénique à laquelle le visible allégorique peut se prêter - ou se refuser, la seconde modalité n’étant pas moins riche que la première, ni incompatible avec le plaisir du spectateur. Deux études de cas précisément fouillées (Jean-Claude Ternaux, « L’allégorie dans la tragédie d’actualité : La Guisiade de Pierre Matthieu (1589) et Le Guysien de Simon Bélyard (1592) », p. 141-152 ; Fabien Cavaillé, « Énigmes et lecture à clef dans le Beau Pasteur de Jacques de Fonteny (1587) », p. 153-164) font apparaître, d’une part, les personnifications autour desquelles un imaginaire noir du dernier roi Valois a pu motiver une lecture politique conduisant à l’assassinat du monarque, d’autre part, les jeux complexes d’une variation énigmatique et déceptive de l’allégorie, impossible à déchiffrer complètement et susceptible, en retour, d’entraîner une herméneutique différée et différente, au temps de la première publication de la pièce puis quarante années plus tard, lorsqu’elle est PFSCL XLIV, 86 (2017) 198 à nouveau éditée. Ces deux analyses sont enchâssées entre deux belles vues cavalières, d’une part d’un corpus (le jeu moral), d’autre part d’un espace hautement symbolique (Estelle Doudet, « Alêtheia, jeux allégoriques et révélation de la vérité au théâtre, 1430-1560 », p. 117-139 ; Anne Surgers, « La salle d’assemblée, allégorie de l’ordre du monde », p. 165-182). L’une et l’autre font apparaître la puissance herméneutique de l’allégorie du point de vue retenu, la lecture d’un Liber mundi pris en charge par le dispositif scénique aux yeux du spectateur, qu’il s’agisse des personnifications, des objets devant lui disposés, investis d’une potentialité figurée à identifier (ou non), ou encore des autres spectateurs. Les voici appelés à reconnaître, par le biais performatif du système dramaturgique de la reconnaissance aussi bien que par le biais symbolique de la marqueterie des éléments animés ou inanimés en variation dans l’espace et dans le temps (l’analyse de l’espace scénique de ce point de vue est passionnante en termes d’image de mémoire ainsi feuilletée dans la durée), moins un ensemble générique qu’« un medium [...], un regimen, un discours de conduite » (Estelle Doudet, p. 119), moins un lieu à meubler indifféremment qu’un « emblème » (Anne Surgers, p. 165) de la variété du monde, macrocosmique et microcosmique, qui s’y croise dans sa diversité et s’y accomplit en corps glorieux royal. Enfin, le troisième ensemble, « Allégorie au XVII e siècle », en poursuivant le fil de ces lectures d’un mode de lecture si riche et dense, propose une synthèse de précédentes lectures allégoriques (Salma Lakhdar, « Le songe de Francion », p. 185-197) et invite à reconsidérer une série de textes que l’on croyait de longue date bien connus, faisant apparaître de nouveaux fonds interprétatifs, liés à l’actualité de leur production. Loin de convenir, facilement, avec l’idée commune d’une exténuation de l’allégorie à partir du milieu du XVII e siècle, les interprètes font ainsi surgir une adaptabilité constante de l’allégorie à ses publics comme à ceux qui y recourent : Saint- Amant y joue, dans le Moïse sauvé, la sincérité de sa conversion au catholicisme, en tenant, au fil des épreuves qu’il impose fictionnellement à la figure biblique, la barre égale entre grâce et libre arbitre (Vittorio Fortunati, « Invention et allégorie dans le Moïse sauvé de Saint-Amant », p. 199-209) ; les poètes burlesques, en ridiculisant la Fable, ne se font ni moqueurs seulement, ni Modernes seulement, ni incroyants seulement, mais renvoient dos à dos les lectures interprétatives des mythes en général - païens et chrétiens - au profit de leur transgression constamment recommencée, et c’est cette transgression active qu’invite à lire, justement, le travestissement allégorique, sur lequel fonder la connivence du lecteur (Claudine Nédelec, « Y a-t-il une vérité cachée sous le voile des travestissements ? », p. 211-222) ; enfin, et la démonstration est lumineuse sous la plume de l’architecte du volume, dont on saluera ici l’excellente édition du Comptes rendus 199 Clovis de Desmarets (Paris, STFM, 2014), ce dernier auteur ne manie tant les ornements de l’allégorie (symboles dynastiques, énigmes...) que pour les intégrer à une lecture historique et galante du règne à venir de Louis XIV, bien capable de plaire à ses mondains lecteurs et surtout mondaines lectrices. Voilà qui constitue un ensemble de belle venue, dont la simplicité affichée - il n’est pas question, à travers ces études ponctuelles, se de laisser piéger par le discours à juste titre récusé, celui d’une stabilité du « sens » caché et d’une profondeur toujours égale conférée à une allégorie toujours grave - recèle une efficacité pragmatique que l’on saluera. Seules quelques broutilles appelleront les remarques suivantes, qui n’atténuent en rien l’intérêt et le plaisir constants que l’on trouve, pleinement, à ce volume. On aurait aimé, outre la présentation liminaire informée apportée par l’introduction, une bibliographie certaines fois mieux à jour ou plus étoffée (et en tout cas rassemblée en fin de volume) : il est difficile de se contenter, exclusivement, alors que ces dernières années ont vu se multiplier les ouvrages sur l’allégorie, du livre de J. Gardes Tamine ou de la définition de G. Molinié (sans la citer) pour lancer une analyse narratologique des procédés allégoriques ; les liens entre fiction et allégorie souffrent çà et là de l’absence des travaux de M. Bouchard comme de T. Chevrolet ou le collectif Poétiques de la Renaissance dirigé par F. Hallyn et P. Galand-Hallyn ; à l’inverse, il est un peu périlleux, nous semble-t-il, de ne considérer une définition de l’allégorie que du point de vue de l’exégèse (sans remise en contexte long, justement, de la réflexion exégétique adossée aux travaux de J. Pépin, H. de Lubac ou G. Dahan en amont) pour l’opposer à un discours « poétique » laïcisé... de fait, et c’est peut-être la difficulté des études littéraires en général de l’allégorie, il est bien difficile de la séparer de son substrat théologique en contexte - ou de l’y confronter directement - dans la mesure où les auteurs des XIV e -XVII e siècles en étaient culturellement imprégnés et ne cessaient d’en jouer en variation : s’il est une clef contextualisante dont nous avons perdu la pratique intellectuelle, c’est sans doute celle-ci. Plus ponctuellement, il est difficile d’envisager une réflexion sur le songe de Francion à partir du seul article de Fl. Dumora paru dans un numéro de Littératures classiques l’année où Francion était à l’agrégation, sans évoquer son livre ; sans doute eût-il été fructueux de rapprocher les énigmes du Beau Pasteur de Fonteny, du Livre d’Enigmes manuscrit que Gerhard Strasser a récemment édité en ligne (http: / / diglib.hab.de/ wdb.php? dir=edoc/ ed000166) et attribué de manière convaincante au même auteur ? La liste est facile et ne mérite pas d’être poussée plus avant. Encore une fois, voici un livre précieux, dont la pratique ouvre les yeux et stimule nos propres lectures ou essais interprétatifs, en invitant à ne PFSCL XLIV, 86 (2017) 200 jamais s’arrêter à un a priori herméneutique, soit en matière d’allégorie, soit en matière d’interprétation « définitive », et à tenter toujours l’exercice, quelque partiel ou déceptif que soit le résultat auquel on aboutisse. L’attitude est salutaire autant que prudente et il serait vraiment dommage de s’en priver : on en usera et abusera donc. Anne-Élisabeth Spica