eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 44/86

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2017
4486

Jérôme Lecompte: L’Assemblée du monde. Rhétorique et philosophie dans la pensée de René Rapin. Paris: Champion, 2015 («Lumière classique 103»). 593 p.

2017
Volker Kapp
Comptes rendus 193 quant à elle, demeure en effet allusive et sans véritable prise avec un horizon stylistique attendu (p. 305-316) : que la littérature de conversion affectionne les épisodes évangéliques du fils prodigue et de la brebis égarée n’a effectivement guère de quoi nous étonner mais ne répond pas à la question de savoir si cette même littérature parvient à se doter ou non d’une stylistique propre. Voilà qui ne change cependant rien au fait que l’ampleur des sources convoquées est aussi impressionnante que remarquable. Sonnets de La Ceppède ou d’Odet de la Noue, histoires dévotes de Camus, écrits de controverse en tous genres, nouvelles du Mercure galant (d’ailleurs parfait exemple d’un cas patent de manipulation, le lectorat du journal ignorant au départ que ces textes, seulement publiés par fragments et assortis d’une fin sans cesse retardée, étaient destinés à le convertir - p. 366-381). Le genre étudié peut bien être mineur en littérature, il n’en dispose pas moins d’une variété de formes intéressante tout en se montrant souvent capable d’inciter son lecteur à la réflexion. Béatrice Jakobs sait très bien l’indiquer, citant beaucoup les œuvres et en référençant remarquablement les sources, tantôt sous forme de présentation analytique tantôt sous forme de tableau synoptique. La fin de l’ouvrage, occupée par la reproduction de deux écrits de conversion et divers documents issus de livres de l’époque, est également aussi agréable qu’utile. Grâce soit donc rendue à l’auteur pour la tâche accomplie. Affirmons que le courage avec lequel un tel sujet fut si sereinement abordé et la patience par laquelle un tel ensemble d’œuvres put nous être surtout offert sont réellement dignes de considération. Philippe Richard Jérôme Lecompte : L’Assemblée du monde. Rhétorique et philosophie dans la pensée de René Rapin. Paris : Champion, 2015 (« Lumière classique 103 »). 593 p. Longtemps restée à l’ombre de Boileau, l’œuvre de René Rapin attire maintenant l’attention des dix-septiémistes, et le présent ouvrage prolonge cette conjoncture du jésuite par une analyse de l’impact de la philosophie sur sa vision de l’art oratoire. Lecompte s’appuie sur l’épistémologie de R. L. Scott et J. L. Bineham en qualifiant la rhétorique de Rapin d’« épistémique » (23) et son anti-cartésianisme de « sceptique » (47). D’après lui, ses jugements sur Descartes « sont pétris d’ambiguïtés, qui nourrissent une tension dialectique exemplaire de sa pratique rhétorique » (64), mais ces ambiguïtés et leurs tensions dialectiques encouragent notre interprète à suivre les méandres passionnants de sa théorie littéraire. Puisque les Réflexions sur la philosophie (1676) insistent « sur le raisonnable davantage que sur le rationnel », Lecompte y cerne « une valeur socio-épistémique » PFSCL XLIV, 86 (2017) 194 qu’il qualifie d’« épistémologie de l’honnête homme » et de « fond essentiel d’une contre-réforme épistémologique menée sur les fronts de la théologie, de la philosophie et de la civilité » (142). « La crise du probable » (33) lui sert de point de départ pour disséquer les polémiques sur la morale menées entre jansénistes et jésuites. Pourtant, ces disputes présupposent la tradition vénérable de la théologie catholique et entretiennent un dialogue avec la philosophie de Descartes. Les doctrines de Rapin quant à elles, visent le cartésianisme dont il combat la faveur croissante à l’aide d’une interprétation d’Aristote. « Cette concession au temps […] prend une dimension éristique et inscrit très clairement le propos dans le cadre d’une contreréforme épistémologique », dans laquelle « Aristote [devient une] figure de Descartes » (413). C’est l’optique dans laquelle Lecompte analyse les ouvrages critiques de Rapin et cherche à y rattacher son rôle dans la république des lettres et dans la vie littéraire. En outre, les nombreux points de rencontre entre Méré et Rapin s’expliquent par « la double culture humaniste et mondaine » qui favorise son prestige dans la bonne société. Cicéron lui permet de « superposer la théorie mondaine à l’épistémologie de la Compagnie » (110). En ignorant que « l’accomodatio jésuite s’appuyait sur la rhétorique cicéronienne », les Provinciales de Pascal considèrent « cette rhétorique comme sophistique » (113), à tort selon Lecompte. L’étude présente est divisée en deux parties : « Le temps des polémiques » (33-216) et « Politesse et fermeté. La rhétorique savante dans l’édition des Œuvres de 1684 » (217-496). Une bibliographie abondante (523- 562) complète le côté érudit et deux index à savoir un des noms de l’Antiquité au XVII e siècle (563-570) et un des notions (571-586) facilitent la consultation du volume. L’ouvrage cherche à éclairer « le fonctionnement de la rhétorique savante » (23). D’après la première partie du livre, Rapin suit Descartes qui substitue la méditation à la dispute. Il participe aux controverses théologiques entre Port-Royal et la Compagnie de Jésus avant 1668 en défendant « l’idée d’une soumission positive à l’opinion commune » et en montrant « la légitimité d’une gnoséologie sceptique, et d’une épistémologie fondée sur le probable » (26). Les analyses des « probabilités intrinsèques et extrinsèques » (131) et des différents concepts de probabilité chez Rapin aboutissent à la conclusion « que la vie [condamne l’homme] à une inlassable recherche de la vérité qui en exclut la possession » (144). Cette conviction permet de discuter la querelle de la Fable en 1669 dans l’optique des « multiples enjeux de la vraisemblance » (144) et d’interpréter La défense de la Fable, publiée sans nom d’auteur, comme un libelle polémique « tourné contre Port-Royal et ses partisans » (144). Lecompte prouve le bien-fondé de la note manuscrite présente uniquement dans l’exemplaire de la BnF, qui Comptes rendus 195 attribue ce texte à Rapin, et il l’édite à la fin de la première partie (190- 211). Selon la deuxième partie centrée sur « le recueil des œuvres critiques publié en 1684 » (26), le concept de ‘belles-lettres’ « couvre tout le champ de l’épistémè, c’est-à-dire l’ensemble des connaissances humaines et probables » (144). Rapin ajoute la philosophie « à la division humaniste du domaine littéraire » (27), l’éloquence, la poétique, l’histoire. Lecompte lui impute le tort « d’avoir conservé une habitude humaniste des excerpta, au lieu d’adopter une pratique critique ; il cite davantage en rhéteur qu’en érudit, et la doxographie n’est pas toujours mise à contribution de manière honnête et rigoureuse » (440). Dans une de ses marginales, une citation renverse l’opinion de Cicéron, mais la réflexion du jésuite incrimine « une pratique humaine et corrompue » afin de pouvoir « mettre la dialectique aristotélicienne à contribution pour contrer la méthode cartésienne » (441). Lecompte se sert de la catégorie de « science normale » de Thomas Kuhn pour expliquer la défense d’Aristote par Rapin « comme une résistance ambiguë de la science normale au paradigme cartésien » (501-502). Selon lui, l’éloge d’Aristote aux dépens de Platon légitime chez ce père jésuite la préférence de la vision du sublime de Huet, qui attaque la lecture de Longin par Boileau imbu des idées de Platon. Grâce à l’analyse de la querelle entre Huet et Boileau sur le Fiat lux par Gilles Declercq, Lecompte détecte chez Rapin « une combinaison subtile entre le sublime des pensées du chapitre 9 de Longin, dans son interprétation par Boileau, et le sublime des choses articlé à la théologie par Huet » (280). Il relève dans l’opuscule De l’éloquence des bienséances une équivalence du bon et du beau et en conclut que « l’éloquence des bienséances apparaît comme la clé du sublime éthique » (283). Ainsi « la validité de l’esthétique dépasse largement le champ littéraire » (304). La poétique de Rapin « est partie prenante d’une épistémologie, d’une morale et d’une esthétique » (380). L’accommodation de la Compagnie de Jésus au grand monde, qui révolte les jansénistes, produit sur ce plan un résultat surprenant. S’adaptant aux mœurs mondaines, ce jésuite « fait le choix de s’en remettre au jugement du lecteur » (384) et propage une suspension honnête du discours dans « les prolongements de la conversation » (384) où « l’éthos du sage est le masque souriant du scepticisme » (410). C’est ainsi qu’il construit « une philosophie pour l’honnête homme qui s’adresse à un public élargi » (514). Lecompte s’inspire des « apports récents de l’histoire et de la philosophie de la rhétorique, de la social epistemology, de la philosophie du sens commun » (143). Malheureusement, ses développements focalisent plus l’attention sur les théorèmes philosophiques que sur la gamme des différentes visions de la rhétorique. L’absence de cette polyphonie historique ainsi que la marginalisation ou même l’élimination des personnages, qui s’y PFSCL XLIV, 86 (2017) 196 rattachent, nuit à sa prétention d’expliquer les changements les plus importants de l’époque. Par ailleurs, l’utilisation obsessionnelle d’une certaine terminologie risque de déranger le critique littéraire. Néanmoins la cohérence du raisonnement contrebalance dans une certaine mesure cette faiblesse indéniable. La présentation de la démarche spécifique de Rapin rend mieux compréhensible sa position dans la vie littéraire à la fin du XVII e siècle. C’est le mérite de l’étude de Lecompte. Volker Kapp Francine Wild (éd.) : Le sens caché : usages de l’allégorie du Moyen Âge au XVII e siècle. Arras : Artois Presses Université, 2013 (coll. « Études littéraires »). 248 p. Ce volume rassemble un bouquet de quinze textes composé autour des questions que suggère l’allégorie considérée comme processus de lecture, qu’il s’agisse de déchiffrer un sens caché comme de le crypter au sein d’un discours feuilleté quelquefois déceptif (y a-t-il vraiment un sens sous l’oblicité ? ). Cette perspective précise et bienvenue, qui permet de faire d’entrée de jeu l’économie des débats - dont il ne saurait être ici question de nier le caractère majeur, loin s’en faut - sur le(s) statut(s) de cette notion (figure rhétorique, personnification visible et/ ou lisible, forme d’exégèse, genre littéraire ? ) et sur les points de divergence ou convergence de ses variations (fluctuants dans le temps et l’espace, des différentes facettes de ses définitions plus ou moins compatibles), invite à concentrer les regards sur la productivité de ce mécanisme plastique de figuration et partant, sur l’efficacité plus que sur la contradiction de ses usages. C’est donc une série de processus vivants, et non pas une allégorie un temps foisonnante pour s’exténuer à l’âge moderne, qui est ici cernée et interrogée, pour le plus grand intérêt du lecteur, grâce au panachage entre études de cas et études de corpus, croisant les genres et les formes, sur une diachronie longue qui permet de faire apparaître, justement, des manières de (faire) lire (ou éluder) plus que des manières de juger : une herméneutique active, en marche et non pas une allégorèse à admettre passivement. Après une introduction synthétique de Francine Wild, insistant à juste titre sur la diversité des modes d’apparition et de codage de l’allégorie, ainsi que le plaisir de connivence auquel elle appelle le lecteur, trois grands ensembles organisent le volume, chacun d’eux se développant ensuite selon le fil chronologique des textes et des corpus abordés. Le premier, intitulé « Narration médiévale et humaniste », déploie une série de stratégies auctoriales destinées à mettre en tangence allégorie et fiction, non sans poursuivre, et le choix méritait d’être fait, les hypothèses