eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 43/85

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2016
4385

Cécile Ligneureux (dir.): La première année de correspondance entre Mme de Sévigné et Mme de Grignan. Paris: Classiques Garnier, 2012. 339 p.

2016
Volker Kapp
PFSCL XLIII, 85 (2016) 388 ment des remarques » se révèle « une vision qui a sa cohérence », c’est par référence au « je ne sais quoi » plutôt qu’aux « règles » (ibid.). Et l’on voit encore ici comment, en redécouvrant des figures essentielles (le volume n’ayant aucune ambition d’exhaustivité), on est en même temps au cœur de la réévaluation des notions et des débats qui ont animé la vie culturelle mondaine autant que savante. Si, comme le souligne plus d’un article, le dix-septième siècle est, à bien des égards, le siècle de la critique, le volume Naissance de la critique littéraire, dans son ensemble, apporte de nouveaux éclairages, remet en question les évidences et stimule la réflexion, une réussite de la formule thématique de la revue qui l’accueille. Pierre Zoberman Cécile Lignereux (dir.) : La première année de correspondance entre M me de Sévigné et M me de Grignan. Paris : Classiques Garnier, 2012. 339 p. Les études réunies dans ce volume par Cécile Lignereux focalisent l’attention sur la première année de la correspondance entre M me de Sévigné et M me de Grignan. Bien que suggérée par le programme d’agrégation de 2013, cette restriction est très justifiée par le profil de cette correspondance : elle permet de se pencher sur la naissance des stratégies employées par l’épistolière pour trouver une méthode afin de remédier à la douleur causée par la séparation de sa fille. Les contributions dévoilent toujours une nouvelle facette de cette stratégie sans que le lecteur se heurte à des répétitions ou des doublets fastidieux. Un élément de base retient l’attention d’Olivier Leplatre (Écrire de provision. Le commerce épistolaire de M me de Sévigné) : l’expression écrire « de provision », qui se trouve depuis « les premiers mois (février-mars) » (257), sert à inventer « une figure inscrite dans l’élaboration plus vaste de sa topique personnelle » (260). D’après C. Lignereux (Introduction), le dialogue par lettres assume une fonction « de communication entre correspondantes confrontées à la distance » (21), qui force l’épistolière à inventer des procédés littéraires susceptibles de la consoler. Cette problématique préoccupe bien plus la mère que sa fille, dont elle vante toutefois les qualités de l’écriture épistolaire (Guillaume Cadot, M me de Sévigné lectrice des lettres de sa fille. Les stratégies affectives du discours métaépistolaire). 1671 est donc l’année où M me de Sévigné, bouleversée par le départ de M me de Grignan, explore les possibilités du genre bien connu de la lettre et élabore progressivement « un protocole épistolaire qui soit à la hauteur de ses exigences affectives » (21). Suivant la belle formule de C. Lignereux, elle conçoit « l’espace épistolaire comme l’un des rares lieux Comptes rendus 389 capables d’aménager les règles de civilité et les pratiques de sociabilité habituelles au profit d’une intimité réciproquement choisie et cultivée » (24). L’éditrice du volume a trouvé des collaborateurs qui analysent « les différentes routines conversationnelles propres au dialogue par lettres (protestations de tendresse, échange de nouvelles, de réflexions, d’anecdotes, d’impressions de lecture, transmission de compliments, conseils concernant la santé » (24). Voici quelques arguments traités dans les articles : la gastronomie (Bertrand Landry, Les appétits de M me de Sévigné), les plaisanteries (Nathalie Freidel, Le rire de la marquise), la sensibilité aux couleurs de la nature (Isabelle Landy-Houillon, Nature et couleur chez M me de Sévigné), la lecture de Nicole ainsi que la pratique de la réflexion (Marine Ricord, Les réflexions de M me de Sévigné). On pourrait compléter la liste avec les éléments analysés qui marquent les spécificités des lettres de notre épistolière. Cette multiplicité des thèmes est un des avantages de ce recueil. Les quatre sections du volume structurent bien cette diversité d’aspects : 1. « La mise en discours des sentiments maternels » (29-102), 2. « La régulation des passions » (103-160), 3. « L’art de bien dire des bagatelles » (161- 238), 4. « L’apprentissage de la communication authentique » (239-315). Une riche bibliographie (315-332) et un index des auteurs critiques cités (333-335) facilitent la consultation du volume et l’étude de la correspondance de M me de Sévigné. Odile Richard-Pauchet (Richesse créative et écriture de soi) critique le parti pris de Roger Duchêne, auquel nous devons l’édition richement commentée de sa correspondance dans la Bibliothèque de la Pléiade (3 vols.). Ses analyses explorent les remarques manuscrites de Bray « en marge de son exemplaire personnel des Lettres » (63), et sa communication passionnante épouse la position de Bernard Bray en se distanciant nettement de Duchêne. Récusant l’idée de lire M me de Sévigné dans une optique rhétorique, il réfutait tout effort, même hésitant, de Bray pour sonder ce terrain. En revanche, il exalte sa « qualité d’improvisation capable d’engendrer une légèreté, une simplicité, un naturel », qui, d’après lui, ne doivent « rien à une recherche d’écriture » (63) provenant d’une ambition littéraire qu’il cherche à éclipser dans les notes de son édition comme dans ses analyses critiques. Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la rhétorique au XX e siècle seront reconnaissants de cette documentation sur un débat typique de l’époque. L’évocation des affinités de notre épistolière avec l’art oratoire par Delphine Reguig (« Vous êtes encore toute vive partout ». Images et présence dans les lettres à M me de Grignan) permet de comprendre que son travail stylistique se base « sur une équivalence constante entre penser, voir et rendre l’autre présent, de manière graduelle, depuis la représentation de la lettre jusqu’aux retrouvailles physiques anticipées » PFSCL XLIII, 85 (2016) 390 (280). Le dernier numéro de la revue Exercices de rhétorique (6, 2016), intitulé Sur l’épistolaire et dirigé par C. Lignereux, s’appuie sur les théories de M. Charles pour mettre en évidence « La rhétoricité conditionnelle des lettres de M me de Sévigné », titre de l’article de C. Lignereux qui ouvre ce numéro tandis que le présent volume s’abstient de tout renvoi à M. Charles. Michèle Longino (Le moment de la séparation) se penche sur « les écrits inspirés par les premiers moments de la séparation des deux femmes » (30) afin de montrer que la « mère écrivain invente une fille textuelle dans sa lettre, souvent aux dépens de sa véritable fille, et le sujet du discours de la mère est le plus souvent je » (40). Delphine Reguig complète cette donnée par le constat : « Par la force, non seulement de la mémoire, mais encore de l’imagination, M me de Sévigné, annulant le décalage fatal entre le procès de l’écriture et celui de la lecture, conjure la distance chronologique et actualise sans relâche, dans une instantanéité aussi fictive que pathétique, la présence intime de sa fille » (290). Frédéric Calas et Anne-Marie Garagnon (Mander : étude d’un lien obsessionnel entre M me de Sévigné et M me de Grignan) partent du corpus des « 173 occurrences du verbe mander » (145) dans les lettres de 1671 afin de détecter sa « polyvalence énonciative » dans laquelle « l’événement devient […] un ‘événement énonciatif’, prétexte à l’échange épistolaire » (153). C’est l’unique contribution linguistique du recueil mais elle est incontournable. Deux articles comparent l’échange épistolaire entre la mère et la fille avec d’autres correspondances : celle souvent dépréciée de M me de Maintenon (Christie Mongenot, M me de Maintenon épistolaire ; une Sévigné en négatif ? ) et celle échangée avec Bussy-Rabutin (Adrien Viallet, Les lettres de reprise entre M me de Sévigné et Bussy-Rabutin). Ces lectures parallèles sont des compléments utiles. Ch. Mongenot rappelle la longue durée de la correspondance de M me de Maintenon (1650-1719) et montre qu’elle évolue « au fil des années à la fois vers une réflexivité et une intériorité » (225). Son « écriture morale use de tous les registres et même de celui de la raillerie piquante » (227). La correspondance de M me de Sévigné avec Bussy- Rabutin est souvent interrompue « à cause d’une brouille » (297), et les deux épistoliers font toujours des efforts et parviennent à « se réconcilier avec désinvolture » (301). L’ensemble de cette correspondance discontinue cherche à renouveler « une relation toujours chancelante entre deux épistoliers rivaux » (314). Ce recueil d’articles pourrait servir d’introduction à la lecture de notre épistolière parce qu’il aide à mieux comprendre la correspondance de M me de Sévigné. Volker Kapp