eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 43/85

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2016
4385

Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux de Charles Sorel

2016
Marcella Leopizzi
PFSCL XLIII, 85 (2016) Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux de Charles Sorel M ARCELLA L EOPIZZI (U NIVERSITÀ DEGLI S TUDI DI B ARI A LDO M ORO ) La comédie est un jeu qui imite la vie. Les mots que l’on n’a pas dits sont les fleurs du silence. En 1642 Charles Sorel (1602-1674) publie La Maison des Jeux, où se trouvent les divertissements d’une compagnie, par des narrations agréables et par des jeux d’esprit, et autres entretiens d’une honeste conversation 1 , Paris, N. de Sercy, 2 vol. (première et seconde journée). L’année suivante il réédite l’ouvrage, et en 1657 il le publie une nouvelle fois en y apportant des changements lexicaux, syntaxiques et relatifs au contenu. Aussi, comme en témoigne le titre, il s’agit d’une édition « revue, corrigée et augmentée ». Dans l’Avertissement aux Lecteurs, Sorel définit son ouvrage comme un « livre de recreation et d’invention d’esprit » qui offre « outre le plaisir », une certaine utilité : car il enseigne à s’amuser gaiement en pratiquant des jeux que l’on peut réaliser quand on est seuls ainsi que toutes les fois que l’on se trouve « dans une compagnie gaye et libre ». Ces jeux sont adressés, précise-t-il, aux « personnes de bonne condition nourries dans la civilité et la galanterie » qui désirent « former quantité de discours et de reparties pleines de iugement et de sçavoir » ainsi qu’adoucir les « amertumes de la vie ». En toute conformité avec ce qu’il affirme dans l’Avertissement, en visant à plaire et à instruire, dans son ouvrage, Sorel décrit une compagnie-idéale, réunie dans une maison champêtre, appartenant à Lydie, appelée aussi « maison des jeux » et « maison de plaisance », qui s’amuse à converser : à mentionner les jeux les plus connus et à démontrer la supériorité des jeux d’esprit sur les jeux de hasard. De ce fait, La Maison des Jeux se révèle 1 Tout au long de notre article, dans les citations, nous respectons l’orthographe du texte original. Marcella Leopizzi 210 matière à réflexion eu égard à la sociologie du ‘jeu’ et offre un miroir reproduisant les jeux en vogue non seulement au XVII e siècle mais aussi à la Renaissance. Par la bouche de son personnage Hermogene, Sorel expose, en effet, les principaux jeux que l’on pratiquait en Italie et dans « les bonnes compagnies de France » (I, p. 509). Il consacre de nombreuses pages aux Cento giuochi liberali (Bologna, Anselmo Giaccarelli, 1551) d’Innocentio Ringhieri 2 ; et, au travers de citations directes et d’allusions implicites, il renvoie aux ouvrages italiens de Baldassarre Castiglione 3 ( Il Cortigiano, Venezia, Aldo Manuzion, 1528 4 ), de Girolamo Bargagli 5 (Dialogo dei giochi che nelle vegghie sanesi si usano di fare, Siena, Luca Bonetti, 1572), de Stefano Guazzo 6 (La Civil Conversatione, Brescia, Tommaso Bozzola, 1574 7 ). Il fait état des propos tenus par les « veglie di Siena » 8 , il cite Rabelais et le catalogue des jeux 2 Cf. T. II, p. 236-302. 3 Cf. T. I, p. 230, 231, 491, 545, 553, 575 ; T. II, p. 286, 288, 291, 294, 299. 4 Ouvrage traduit en français, voir : Le Courtisan de Messire Baltazar de Castillon (traduction de Jacques Colin [1532], revue par Mellin de Saint-Gelais), préface d’Étienne Dolet, Lyon, François Juste, 1538 ; Le parfait courtisan du Comte Baltasar Castillanois, es deux langues respondant par deux colonnes, l'une à l'autre... traduction de Gabriel Chapuis Tourangeau, Lyon, L. Cloquenin, 1580. 5 Cf. T. I, p. 355. 6 Cf. T. I, p. 515, 554 ; T. II, p. 302. 7 Ouvrage traduit en français en 1579 par Gabriel Chappuy (Lyon, Beraud, 1579) ainsi que par François de Belleforest (Paris, Pierre Cavellat, 1579). 8 Cf. T. I, p. 315, 318 ; T. II, p. 287. Pendant cette période, les « veglie di Siena » sont une véritable référence au niveau européen. Leur renommée est comparable à celle de l’Académie des Intronati, l’une des plus brillantes académies de la Renaissance, constituée par la ‘structure intellectuelle’ la plus renommée de Sienne. Les ouvrages de Castiglione, Ringhieri, Bargagli et Guazzo ont contribué énormément au succès des jeux de Sienne de même que l’Adone - composé à la Cour de Louis XIII -, de Giambattista Marino : « dove prendono ognor schiere beate / di Ninfe e di Pastor vari diporti, / e passando in piaceri un’aurea etate / fanno giochi tra lor di tante sorti, / quanto suol forse celebrarne a pena / ne le vigilie sue la bella Siena », chant VI, octave 41. Pour plus d’informations, voir : Antonio Merenduzzo, Veglie e trattenimenti senesi nella seconda metà del secolo XVI, Trani, Vecchi editore, 1901 ; Valerio Marchetti, « Le dialogo dei giochi de Bargagli », dans Philippe Aries et Jean-Claude Margolin (dir.), Les jeux à la Renaissance, Paris, Vrin, 1982, pp. 163-183 ; Riccardo Bruscagli, « Les Intronati ‘‘a veglia’’ : l’académisme en jeu », dans Les jeux à la Renaissance, op. cit., pp. 201-212 ; Laura Riccò, « L’invenzione del genere ‘veglie di Siena’ », dans Paolo Febbraro (dir.), Passare il tempo. La letteratura del gioco e dell’intrattenimento dal XI al XVI secolo, Roma, Salerno editrice, 1993, pp. 373-398. Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 211 contenu dans son œuvre 9 , il a recours aux Pensées du solitaire et aux Jeux de l’inconnu 10 , ouvrages parus respectivement en 1629 et en 1630 sous le nom de De Vaulx, pseudonyme d’Adrien de Monluc, comte de Cramail. Dans cet article, en nous appuyant sur la dernière édition (1657), parce qu’elle est la plus complète, nous allons prendre en considération les passages, contenus dans La Maison des Jeux, où Sorel cite Ringhieri et ses Cento giuochi liberali 11 . Or, il faut préciser que, même si, par ces mentions, Sorel donne l’impression d’emprunter à l’œuvre italienne, de fait, la présence de Ringhieri dans le roman sorélien ne s’accomplit qu’à travers un passage indirect, car elle est véhiculée par la version française traduite par Hubert Philippe de Villiers 12 . Par conséquent, nous allons réfléchir aux jeux que Sorel emprunte à Ringhieri en proposant, tout d’abord, une mise en comparaison entre l’ouvrage de Ringhieri et la traduction de Villiers et, par la suite, une sorte de ‘mise en regard’ entre les Cinquante Jeus et La Maison des Jeux. L’ouvrage de Ringhieri est constitué de 164 pages, précédées 1) d’un Sonetto dell’Authore alla Serenissima, et Immortale Reina di Francia di tutta l’Opra Signora, 2) d’une dédicace (Alla sempre felice, et sublime donna Caterina de Medici, hora meritatissima Reina di Francia), et 3) de la Tavola de Givochi liberali. Les 164 pages de l’œuvre sont divisées en dix livres contenant chacun la description de dix jeux 13 . Chacune des dix parties se termine par 9 Cf. T. I, p. 216. 10 Cf. T. I, p. 511, 512, 517. 11 Innocentio Ringhieri, Cento giuochi liberali, et d’ingegno, Nouellamente da M. Innocentio Ringhieri Gentilhuomo Bolognese ritrovati, et in dieci libri descritti, Bologna, Anselmo Giaccarelli, 1551. 12 Hubert Philippe de Villiers, Cinquante Jeus divers d’honnete entretien, industrieusement inventés par Messer Innocent Rhinghier, gentilhomme Boloignoys et fais francoys par Hubert Philippe de Villiers, Lyon, Charles Pesnot, 1555. 13 Voici la Tavola de l’œuvre de Ringhieri : LIBRO I : Giuoco del Cavalliero 1, G. della Fortuna 2, G. d’Amore 4, G. del Concilio de i Dei 6, G. de gli Angeli 7, G. delle Figure Celesti 8, G. delle Parche 10, G. degli Elementi 11, G. delle Gratie 12, G. dell’Amante et del amato 14 ; LIBRO II : G. de Mari 18, G. de Monti 19, G. de Fonti 20, G. de Fiumi 22, G. de Laghi 23, G. dell’Isole 24, G. delle Città 25, G. della Nave 27, G. del Corpo humano 28, G. del Mutolo 29 ; LIBRO III : G. de Mettalli 31, G. delle Gemme 33, G. degli Alberi, et de gli Uccelli 34, G. delle Fere 35, G. delle Ghirlande et de Fiori 36, G. de Colori 38, G. degli Odori 39, G. dell’Incantatore o delle Serpi 40, G. del Pescatore o de Pesci 41, G. delle Sirene 43 ; LIBRO IIII : G. dell’opre Gloriose 46, G. delle Virtù 47, G. dell’Arti liberali, et nobili 48, G. dell’Arti mecanice 50, G. dell’Agricoltura 52, G. dell’Hortolano 53, G. de Numeri 55, G. del Chiromante 56, G. del Palagio 58, G. della Caccia 59 ; LIBRO V : G. dell’Inferno 61, G. della Vita humana 62, G. della Morte 64, G. della Guerra Marcella Leopizzi 212 une production poétique de l’auteur : un poème de seize strophes contenant huit vers chacune ; deux sonnets (Sonetto dell’Oceano et Sonetto del monte Etna) ; un long poème intitulé Capitolo della Rosa ; le Madrigale della Caccia ; la Sestina della Primavera ; la Favola d’Aristeo e di Proteo ; la Ballata del Segreto ; la Canzone della Bellezza ; un distique ; la Stanza del triompho. En traduisant cet ouvrage, Villiers ne suit pas de près son original pour ce qui est de la disposition structurelle : car, sans respecter leur ordre de présentation 14 , il traduit cinquante des cent jeux 15 , comme en témoignent le 65, G. della Pace 67, G. delle Cerimonie 68, G. della Sposa 71, G. del Ladro 72, G. del Laberinto 74, G. della Primavera 76 ; LIBRO VI : G. della Sorte 78, G. del Sole 79, G. del Tempo 81, G. dell’Aria 82, G. de Venti 84, G. de Centauri 85, G. del Nigromante 86, G. del Thesoro 88, G. delle Sentenze 89, G. di Proteo 91 ; LIBRO VII : G. dell’Hoste 98, G. della Ruffiana 99, G. del Pellegrino 101, G. del Banditore 103, G. degli Anelli 105, G. del Medico 106, G. della Verga 108, G. della Moneta 109, G. dell’Otio 111, G. del Segreto 112 ; LIBRO VIII : G. della Pazzia 114, G. dell’Invidia 116, G. della Gelosia 117, G. dell’Inganno 119, G. de Nasi 121, G. della Collana 122, G. del Savio 123, G. della Creanza 125, G. della Castità 127, G. della Bellezza 128 ; LIBRO IX : G. del Re, o delle Carte 131, G. de Servi 133, G. del Philosopho 135, G. de Poeti 136, G. della Felicità 139, G. della Miseria 140, G. delle Muse 141, G. della Musica 143, G. della Pittura 144, G. della Comedia 146 ; LIBRO X : G. delle Sibille 148, G. delle Vittorie d’Hercole 149, G. de Mostri 151, G. della Vecchiezza 152, G. della Cortegiana 154, G. del Mercatante 155, G. di tre Dadi 156, G. de Scacchi 157, G. dello Scudo, et dell’impresa di Re, et della Reina 159, G. del Triompho 160. 14 Voici un schéma reproduisant la disposition structurelle des jeux chez Ringhieri et chez Villiers : les numéros indiquent la place occupée par les jeux à l’intérieur de leur ouvrage d’appartenance : 3) G. d’Amore → 1) Jeu d’Amour ; 5) G. de gli Angeli → 46) Jeu des Anges ; 7) G. delle Parche → 29) Jeu des Parques ; 9) G. delle Gratie → 42) Jeu des Graces ; 10) G. dell’Amante et del amato → 10) Jeu de l’Amant et de l’Amante ; 13) G. de Fonti → 14) Jeu des Fontaines ; 17) G. delle Città → 48) Jeu des Cités ; 18) G. della Nave → 33) Jeu de la Navire ; 22) G. delle Gemme → 13) Jeu des Gemmes ; 30) G. delle Sirene → 30) Jeu des Serénes ; 31) G. dell’opre Gloriose → 42) Jeu des Œuvres Glorieuses ; 32) G. delle Virtù → 2) Jeu des Vertus ; 33) G. dell’Arti → 3) Jeu des Arts ; 35) G. dell’Agricoltura → 4) Jeu de l’Agriculture ; 38) G. del Chiromante → 5) Jeu du Chiromancien ; 39) G. del Pallagio → 15 ) Jeu du Palais ; 41) G. dell’Inferno → 31) Jeu d’Enfer ; 44) G. della Guerra → 6) Jeu de la Guerre ; 45) G. della Pace → 7) Jeu de la Pais ; 46) G. delle Cerimonie → 8) Jeu des Cerimonies ; 47) G. della Sposa → 9) Jeu de l’Epous, et de l’Epouse ; 48) G. del Ladro → 34) Jeu du Larron ; 49) G. del Laberinto → 32) Jeu du Labirinte ; 50) G. della Primavera → 40) Jeu de la Primevere ; 52) G. del Sole → 35 Jeu du Soleil ; 53) G. del Tempo → 36) Jeu du Tans ; 55) G. de Venti → 37) Jeu des Vens ; 56) G. de Centauri → 38) Jeu des Centaures ; 59) G. delle Sentenze → 16) Jeu des Sentences ; 60) G. di Proteo → 50) Jeu de Protée ; 62) G. della Ruffiana → 17) Jeu de la Maquerelle ; 63) G. del Pellegrino → 18) Jeu du Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 213 titre (Cinquante Jeus) ainsi que les affirmations suivantes écrites respectivement dans la Dédicace et dans l’Avertissement au Lecteur : « je presente humblement la traduction de ces Cinquante Jeus, qui se feront seconder par la suite de Cinquante autres s’ils se voyent bien receus (comme je le desire infiniment) de vostre Excellence : à la-quelle je baise les mains, autant reveremment que je puy et doy » 16 ; « […] remettant toutefoys le tout a ta bonne discretion et jugement. Combien-que si je vien a m’apercevoir que tu le trouves bon, je m’eforceray par-cy-apres a continuer de bien en mieus aus Pelerin ; 64) G. del Banditore → 19) Jeu du Heraut ; 65) G. degli Anelli → 39) Jeu des Aneaus ; 66) G. del Medico → 41) Jeu du Medecin; 71) G. della Pazzia → 21) Jeu de la Folie ; 72) G. dell’Invidia → 22) Jeu de l’Envie ; 73) G. della Gelosia → 11) Jeu de la Jalousie ; 77) G. del Savio → 12) Jeu du Sage ; 78) G. della Creanza → 45) Jeu des Mœurs ; 79) G. della Castità → 23) Jeu de Chasteté ; 80) G. della Bellezza → 20) Jeu de la Beauté ; 81) G. del Re, o delle Carte → 42) Jeu du Roy ; 83) G. del Philosopho → 24) Jeu du Philosophe ; 84) G. de Poeti → 25) Jeu des Poetes ; 85) G. della Felicità → 49) Jeu de la Felicité ; 89) G. della Pittura → 26) Jeu de la Peinture ; 92) G. delle Vittorie d’Hercole → 27) Jeu des Victoires d’Hercules ; 98) G. de Scacchi → 28) Jeu des Echés ; 99) G. dello Scudo → 44) Jeu de l’Écu. 15 Voici la table des matières de la traduction de Villiers : Le Jeu d’Amour consacré aus dames avec tous les subsequens (p. 5-13) ; Le Jeu des vertus (p. 13-17) ; Le Jeu des Ars nobles, et liberaus (p. 17-25) ; Le Jeu de l’Agriculture (p. 25-30) ; Le Jeu du Chiromancien (p. 30-35) ; Le Jeu de la Guerre (p. 35-41) ; Le Jeu de la Pais (p. 41-47) ; Le Jeu des Cerimonies, ou du Sacrifice de Venus et Amour (p. 47-55) ; Le Jeu de l’Epous, et de l’Epouse (p. 55-61) ; Le Jeu de l’Amant et de l’Amante (p. 61-71) ; Le Jeu de Jalousie (p. 71-79) ; Le Jeu du Sage (p. 79-85) ; Le Jeu des Gemmes (p. 85-90) ; Le Jeu des Fontaines (p. 90-95) ; Le Jeu du Palais (p. 95- 100) ; Le Jeu des Sentences (p. 101-106) ; Le Jeu de la Maquerelle (p. 106-117) ; Le Jeu du Pelerin (p. 117-122) ; Le Jeu du Heraut (p. 122-128) ; Le Jeu de Beauté (p. 128-135) ; Le Jeu de Folie (136-140) ; Le Jeu de l’Envie (p. 141-146) ; Le Jeu de Chasteté (p. 146-150) ; Le Jeu du Philosophe (p. 151-156) ; Le Jeu des Poetes (p. 156- 164) ; Le Jeu de la Peinture (p. 164-169) ; Le Jeu des Victoires d’Hercules (p. 170-175) ; Le Jeu des Echés (p. 175- 179) ; Le Jeu des Parques (p. 179-184) ; Le Jeu des Serénes (p. 184-190) ; Le Jeu d’Enfer (p. 190-194) ; Le Jeu du Labirinte (p. 194-200) ; Le Jeu de la Navire (p. 200-205) ; Le Jeu du Larron (p. 206-210) ; Le Jeu du Soleil (p. 210-214) ; Le Jeu du Tans (p. 214-218) ; Le Jeu des Vens (p. 218-223) ; Le Jeu des Centaures (p. 223-226) ; Le Jeu des Aneaus (p. 226-231) ; Le Jeu de la primevere (p. 231-238) ; Le Jeu du Medecin (p. 238-242) ; Le Jeu du Roy tiré de celuy des Cartes (p. 242-248) ; Le Jeu des Graces (p. 249-253) ; Le Jeu des l’Écu et devise du Roy Tres-chrestien, et de la Serenissime Royne de France (p. 253-258) ; Le Jeu des Mœurs (p. 258) ; Le Jeu des Anges (p. 264-268) ; Le Jeu des Œuvres glorieuses (269-273) ; Le Jeu des Cités (p. 273-277) ; Le Jeu de la Felicité, ou des Biens (p. 277-281) ; Le Jeu de Protée (p. 281-285). 16 H. de Villiers, Cinquante Jeus divers d’honnete entretien, op. cit. , dédicace, n.p. Marcella Leopizzi 214 autres Cinquante Jeus, les-quels je te promets faire voir dans peu de jours » 17 . D’ailleurs, on le sait, au XVI e siècle, comme le révèle Étienne Dolet dans son traité De la manière de bien traduire d’une langue en autre (Lyon, 1540), la traduction devait rendre le sens et non pas, pour le dire avec Henri Meschonnic, la forme-sens 18 : loin de se plier au style et au rythme du discours, le traducteur reproduisait l’esprit du contenu, il adaptait et modifiait le texte d’origine sans avoir pour critère le but de restituer une idéale fidélité 19 . Dédiée à Marguerite de Bourbon duchesse de Nevers, la traduction de Villiers reproduit fidèlement le contenu de l’ouvrage de Ringhieri : par conséquent, par le biais du texte français, Sorel accède - ‘en abyme’ - à l’ouvrage italien. Dans le deuxième livre du second tome de La Maison des Jeux, en effet, au travers d’Hermogene, Sorel consacre un très long passage à l’analyse des jeux mentionnés par Ringhieri en reprenant fidèlement l’un après l’autre les cinquante jeux dont Villiers rend compte dans sa traduction. Cinquante Jeus par Hubert Philippe de Villiers La Maison des Jeux Charles Sorel I Jeu d’Amour (p. 5) Jeu de l’Amour (p. 237) II Jeu des Vertus (p. 13) Jeu des Vertus (p. 240) III Jeu des Ars (p. 17) Jeu des Sciences et des Arts (p. 241) IV Jeu de l’Agriculture (p. 25) Jeu de l’Agriculture (p. 241) V Jeu du Chiromancien (p. 30) Jeu du Chiromancien (p. 242) VI Jeu de la Guerre (p. 35) Jeu de la Guerre (p. 245) VII Jeu de la Pais (p. 41) Jeu de la Paix (p. 246) VIII Jeu des Cerimonies (p. 47) Jeu des Cérémonies de Venus et de Cupidon (p. 247) IX Jeu de l’Epous, et de Jeu de l’Espoux et de 17 Ibid., p. 4. 18 Henri Meschonnic, Pour la poétique II. Épistémologie de l’écriture. Poétique de la traduction, Paris, Gallimard, 1973 ; ID., Poétique du traduire, Lagrasse, Verdier, 1999 ; ID., Éthique et politique du traduire, Lagrasse, Verdier, 2007. 19 Pour plus de détails, voir : Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti, Giovanni Dotoli, Les traductions de l’italien en français au XVI e siècle , Fasano-Paris, Schena- Hermann, 2009. l’Epouse (p. 55) l’Espouse (p. 250) Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 215 X Jeu de l’Amant et de l’Amante (p. 61) Jeu de l’Amant et de l’Amante (p. 250) XI Jeu de Jalousie (p. 71) Jeu des Jalousies (p. 251) XII Jeu du Sage (p. 79) Jeu du Sage (p. 252) XIII Jeu des Gemmes (p. 85) Jeu des Pierres précieuses (p. 253) XIV Jeu des Fontaines (p. 90) Jeu des Fontaines (p. 254) XV Jeu du Palais (p. 95) Jeu du Bastiment (p. 254) XVI Jeu des Sentences (p. 101) Jeu des Sentences (p. 254) XVII Jeu de la Maquerelle (p. 106) Jeu de la Maquerelle (p. 257) XVIII Jeu du Pelerin (p. 117) Jeu du Pelerin (p. 258) XIX Jeu du Heraut (p. 122) Jeu du Heraut (p. 260) XX Jeu de la Beauté (p. 128) Jeu de la Beauté (p. 260) XXI Jeu de Folie (p. 136) Jeu de la Folie (p. 261) XXII Jeu de l’Envie (p. 141) Jeu de l’Envie (p. 262) XXIII Jeu de Chasteté (p. 146) Jeu de Chasteté (p. 263) XXIV Jeu du Philosophe (p. 151) Jeu des Philosophes (p. 263) XXV Jeu des Poetes (p. 156) Jeu des Poëtes (p. 264) XXVI Jeu de la Peinture (p. 164) Jeu de la Peinture (p. 265) XXVII Jeu des Victoires d’Hercules (p. 170) Jeu des victoires d’Hercule (p. 265) XXVIII Jeu des Echés (p. 175) Jeu des Eschets (p. 266) XXIX Jeu des Parques (p. 179) Jeu des Parques (p. 270) XXX Jeu des Serénes (p. 184) Jeu des trois Syrenes (p. 271) XXXI Jeu d’Enfer (p. 190) Jeu de l’Enfer (p. 271) XXXII Jeu du Labirinte (p. 194) Jeu du Labyrinthe (p. 272) XXXIII Jeu de la Navire (p. 200) Jeu du Navire (p. 273) XXXIV Jeu du Larron (p. 206) Jeu du Larron (p. 274) XXXV Jeu du Soleil (p. 210) Jeu du Soleil (p. 275) XXXVI Jeu du Tans (p. 214) Jeu du Temps (p. 276) XXXVII Jeu des Vens (p. 218) Jeu des Vents (p. 276) XXXVIII Jeu des Centaures (p. 223) Jeu des Centaures (p. 276) XXXIX Jeu des Aneaus (p. 226) Jeu du Prin-temps (p. 276) XL Jeu de la Primevere (p. 231) Jeu des Anneaux (p. 276) XLI Jeu du Medecin (p. 238) Jeu du Medecin (p. 278) XLII Jeu du Roy tiré (p. 242) Jeu du Roy de Cartes (p. 278) Marcella Leopizzi 216 XLIII Jeu des Graces (p. 249) Jeu des Graces et des Nymphes (p. 279) XLIV Jeu de l’Écu (p. 253) Jeu de l’Escu du Roy tres- Chretien (p. 279) XLV Jeu des Mœurs (p. 258) Jeu des bonnes mœurs (p. 279) XLVI Jeu des Anges (p. 265) Jeu des Anges (p. 280) XLVII Jeu des Œuvres Glorieuses (p. 269) Jeu des œuvres glorieuses (p. 280) XLVIII Jeu des Cités (p. 273) Jeu des Citez (p. 281) XLIX Jeu de la Felicité (p. 277) Jeu de la Felicité (p. 281) L Jeu de Protée (p. 281) Jeu de Prothée (p. 282) Même si son exposition est entrecoupée d’évocations concernant Ringhieri 20 , en réalité, Sorel n’a sous les yeux que la version française : comme en témoigne le schéma ci-dessus, en effet, hormis quelques petites exceptions, Sorel s’en tient rigoureusement à l’œuvre de Villiers en ce qui concerne le choix des jeux et leur ordre structurel. Dans son discours, en suivant de près la succession et l’orientation conceptuelle des Cinquante Jeus, Hermogene résume brièvement les règles des cinquante jeux en se passant presque toujours de reproduire leur dispositio interne, choisie par Ringhieri et traduite par Villiers, à savoir : dédicace aux dames, élection, distribution des noms, épreuve et doutes. Du reste, par son exposé, Hermogene vise principalement à entretenir les membres de la compagnie et à contribuer à leur instruction dans le domaine des arts, des sciences, de l’agriculture, de la littérature et de la philosophie. Hermogene tient à préciser, en effet, dès le début que les jeux dont il est en train de parler sont destinés à un public cultivé : Le troisiéme est celuy des Sciences et des Arts dont chacun prend le nom, et quand l’on appelle la Theologie, la Philosophie, l’Astrologie, la Geometrie, et autres telles disciplines, il faut que ceux qui en portent les noms, disent les definitions d’une telle Science ou d’un tel Art, ou quelque chose qui leur appartienne et soit à leur gloire et avantage. Pour épuiser les esprits et les mettre beaucoup en peine, il faut appeller chacun plusieurs fois, rendant le 20 « Le Seigneur Rhinghier met le Jeu des Eschets en suitte » (p. 265) ; « Rhinghier veut au lieu de cela que les hommes soient d’un costé et les femmes de l’autre » (p. 265) ; « En suite des Eschecs, Rhingier met le Jeu des Parques » (p. 270) ; « En suite de cela Rhinghier revient à ses Jeux pris des fables » (p. 275) ; « Rhinghier a mis en suite, le Jeu de l’Escu du Roy tres-Chrestien » (p. 279) ; « j’ay fait voir que Rhinghier avoit aussi des jeux de cette nature » (p. 284) ; « Voila ce que je puis dire des Jeux de Rhinghier » (p. 285). Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 217 Jeu un peu long, mais cela ne peut estre pratiqué que par des personnes qui ayent beaucoup d’estude. (II, p. 240-241) Pour pratiquer ces jeux, il est par conséquent indispensable de posséder au moins des connaissances historiques et mythologiques, comme le met en évidence, par exemple, le Jeu de Chasteté (en expliquant lequel, Hermogene cite le « fer » de Lucrèce 21 et la « toile » de Penelope) où tous ceux de l’assemblée assument les noms des Dames chastes de l’Antiquité. Ces jeux sont donc essentiellement ‘culturels’, non pas simplement parce qu’ils font appel à la culture, mais aussi parce qu’en ‘jouant’ avec elle, ils la mettent en jeu et font ressortir quelques caractéristiques sociales ainsi que les vices de certaines attitudes et coutumes 22 . En effet, en parlant des jeux de Ringhieri, Hermogene se pose en termes dialogiques avec son textesource : il reprend fidèlement l’argumentation, il fournit ses propres opinions (si ce n’est ses critiques 23 ) et il répond à quelques interrogations formulées dans l’original. De ce fait, les idées d’Hermogene mettent en lumière certains aspects qui favorisent chez les membres de la compagnie 21 « Lucrèce, s. f. Est aussi nom de femme Lucretia. La chaste Lucrèce étoit fille de Lucrèce Tricipisin, Préfet de Rome sous Tarquin le Superbe, et femme de Tarquin Collatin. La violence que Sextus Tarquinius fit à Lucrèce, fut cause que les Rois furent chassés de Rome. Les Poëtes se servent de ce mot quand ils parlent d’une femme chaste, sage et vertueuse », Dictionnaire universel François et Latin. Vulgairement appellé Dictionnaire de Trevoux, Paris, Le Mercier et Boudet, 1743, T. L-PAZ, entrée « Lucrèce », p. 393. 22 Pour plus d’informations, voir : Roberta Lencioni Novelli, « Un trattato in forma di giuoco : i Cento giuochi liberali e d’ingegno di Innocenzo Ringhieri », dans Passare il tempo, op. cit., pp. 691-706 ; Françoise Lecercle, « La culture en jeu Innocenzo Ringhieri et le pétrarquisme », dans Les jeux à la Renaissance, op. cit., pp. 185-200. 23 Hermogene souligne, par exemple, que Ringhieri n’est pas l’inventeur de tous les cinquante jeux dont il va parler : « Il y a un Messer Innocent Rhinghier Gentilhomme Bolonnois qui a faict plusieurs Jeux entre lesquels l’on en considere principalement cinquante des plus beaux dont il se dit l’Inventeur, et s’il ne les a tous inventez entierement, au moins les a t’il dressez suivant ceux qu’il avoit veu pratiquer, et l’on ne luy doit rien oster de sa gloire, si quelques-uns des siens ont depuis esté mis en usage » (II, p. 235-236). Il remarque aussi que le Jeu des Anges se base sur une « ceremonie [qui] est trop simple pour donner quelque plaisir » (II, p. 280). En outre, il précise que la transposition à l’échelle humaine du jeu d’échecs est empruntée au songe de Poliphile qui décrit une partie d’échecs vivants : « Le Seigneur Rhinghier met le Jeu des Eschets en suitte, comme estant du nombre de ceux qu’il a inventez ; mais il me pardonnera si je luy dy que pour ce coup il n’aura pas les gands ; Il ne nous aprend rien de nouveau de nous dire que l’on le peut faire joüer par personnes humaines au lieu de pieces de bois. Nous avons leu le Songe de Polyphile, où des Nymphes pratiquent cecy devant leur Reyne, estant vestuës de livrées differentes » (II, p. 265-266). Marcella Leopizzi 218 d’ultérieurs approfondissements réflexifs sur les mœurs et les tournures d’esprit. Aussi, au-delà de l’amusement transmis par les jeux, l’utilité des passages empruntés à Ringhieri repose-t-elle sur les signifiés connotatifs auxquels ils renvoient, voire sur les allusions implicites aux ‘conséquences’ et aux ‘risques’ auxquels certaines contingences (relatives aux sujets des jeux en question) peuvent donner lieu. Les pages concernant le Jeu de l’Amour, par exemple, ouvrent des réflexions sur les conséquences de la folie amoureuse ainsi que sur l’aveuglement des amoureux. De même, le Jeu des Cérémonies met en évidence la vanité des simagrées et la tromperie cachée derrière les attitudes cérémonieuses ; le Jeu du Sage souligne que le principe de base de la sagesse se fonde sur la crainte du vice et sur la recherche de la vertu ainsi que sur la fermeté à être libres et à ne s’assujettir à rien à priori ; et le Jeu de la Maquerelle 24 , en expliquant lequel Hermogene exprime tout son étonnement pour le choix de Ringhieri de prendre en considération un jeu de ce type, ouvre des interrogations sur le caractère équivoque des apparences. Ce qu’Hermogene apprécie chez Ringhieri c’est donc la présence de questions « morales et meslées sur le mesme sujet, lesquelles outre l’instruction peuvent servir aux interrogations que l’on fait à ceux qui veullent retirer leurs gages apres avoir failly » (II, p. 296-297). En outre, il aime les jeux décrits par Ringhieri, au point de leur consacrer une longue analyse, parce qu’ils « ne sont entendus que par des personnes qui ayent un peu estudié » (II, p. 283), lesquelles, qui plus est, sont capables de prendre part à un « honnete entretien », comme l’indique clairement le titre de Villiers (Cinquante Jeus divers d’honnete entretien) et comme en témoignent les nombreuses passages de l’ouvrage contenant l’adjectif « honnête » et le substantif « honnêteté » : Quel grand aornement et splendeur les Vertus avec les loüables et honnêtes coutumes aportent a tous espris, (p. 13) ; a-fin que je vous donne ocasion sufisante pour la reconnoitre comme chose de recréation […] et qu’il est seant a vostre honnêteté. Quand donques il vous plaira de le pratiquer en compagnie de personnes honnêtes, et joyeuses, (p. 31) ; on ne se doyt defier des Dames naturellement honnêtes : et bien nées, (p. 74) ; créatures raisonnables, et humaines, doüées d’esprits, avec egales puissances, vertus, et dignités de ce même principe noblement créees, et en iceus divinement 24 Terme du langage familier désignant une proxénète, voire une femme livrant d'autres femmes à la prostitution pour en recevoir de l'argent. Tenancière de maison close, elle est également appelée « mère maquerelle ». Cf. Dictionnaire de L'Académie française, (1694) : « Maquereau, [maquer]elle. s. Qui fait mestier de desbaucher et de prostituer des femmes ». Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 219 infuses. Et m’aperçoy bien que tiré doucement du devoyr et honnêteté, (p. 81) ; la delectation avec l’honnêteté, (p. 101) ; Parole douce honnêtement acorte (p. 134) ; Le Seigneur eleu d’entre toute l’honnête et courtoyse assemblée (p. 157) ; Mes tres-joyeuses Dames, et jusques au bout plaisantes en toutes choses honnêtes, (p. 175) ; en honnête courtoisie (p. 260) ; votre galantise acompaignée des gentiles coutumes de votre feminine honnêteté (p. 265). D’ailleurs, dans le titre de son ouvrage, en fournissant quatre mots-clés (« divertissemens, Narrations agreables, Jeux d’esprit, autres entretiens »), Sorel précise qu’il va traiter d’une « honeste conversation » : La Maison des Jeux où se treuvent les divertissemens d’une Compagnie, par des Narrations agreables, et par des Jeux d’esprit, et autres entretiens d’une honeste conversation. Et, tout au long de son œuvre, en faisant allusion à la figure de l’honnête homme 25 , il tient à préciser que les membres de la compagnie sont des modèles de vertu qui développent leur entretien, basé sur le jeu de la disputatio, avec savoir-faire et en restant toujours dans le juste équilibre : Hermogene fournit le contexte nécessaire pour le jeu ; Ariste joue le rôle d’opposant et, par conséquent, il réfute les discours d’Hermogene mais, in fine, il déclare sa fausse opposition ; Isis sert de personnage-fémininguide antagoniste de Pisandre ; Lydie, étant l’hôtesse de la maison, assume la fonction d’arbitre et fixe les ‘règles du jeu’ afin que la conversation se déroule dans le respect du code des bienséances. Dans l’Avertissement, en effet, Sorel définit ses personnages comme des « personnes de bonne condition nourries dans la civilité et la galanterie, et ingenieuses à former quantité de discours et de reparties pleines de iugement et de sçavoir […] bons esprits se peuvent divertir dans une honneste conversation »). Strictement liés au concept des « bonnes manières », à leur tour, associées presque toujours au profil du parfait courtisan (qui n’est qu’une 25 Voici la définition fournie par le Dictionnaire de l’Académie française (1694) : « Honnête signifie aussi : civil, courtois, poli. « ‘C’est l’homme du monde le plus honnête, il n’y a rien de si honnête que lui, il a l’air honnête, les manières honnêtes, il lui a fait la réception du monde la plus honnête, accueil honnête, il lui a parlé d’une manière très honnête, il a le procédé assez honnête mais cependant il ne faut pas trop s’y fier’ ». Honnête homme. Outre la signification qui a été touchée au premier article et qui veut dire « ‘homme d’honneur, homme de probité’ », cela comprend encore toutes les qualités agréables qu’un homme peut avoir dans la vie civile. « ‘C’est un parfaitement honnête homme, il faut bien des qualités pour faire un honnête homme’ ». Quelquefois on appelle aussi « ‘honnête homme »’ un homme en qui on ne considère alors que les qualités et les manières du monde. Et en ce sens, « ‘honnête homme’ » ne veut dire autre chose que galant homme, homme de bonne conversation, de bonne compagnie ». Marcella Leopizzi 220 prémisse de l’honnête homme 26 ), les mots « honnête » et « honnêteté » jouent un rôle de premier ordre en France tout au long du XVII e siècle 27 . Ils embrassent plusieurs aspects et se rattachent à d’autres concepts tels, par exemple, ceux de « bienséance » et de « politesse », comme en témoignent les définitions suivantes fournies par Furetière dans son Dictionnaire universel (1690) : BIENSEANCE s.f. Ce qui convient à une chose, qui luy donne de la grace, de l’agréement. Il est de la bienseance de se tenir decouvert et en une posture honneste devant les Grands et les Dames. La bienseance exige de nous plusieurs devoirs et civilitez. Il faut en toutes choses observer les bienseances. (p. 228) HONNESTE adj. m. et f. Ce qui merite de l’estime, de la loüange, à cause qu’il est raionnable, selon les bonnes mœurs. On le dit premierement de l’homme de bien, du galant homme, qui a pris l’air du monde, qui sçait vivre. Faret a fait un livre de l’honneste homme, le Pere du Bosc un de l’honneste femme ; Grenaille un de l’honneste fille et de l’honneste garçon, qui contiennent des instructions pour ces personnes-là. Il ne faut hanter que d’honnestes gens. H ONNESTE F EMME , se dit particulierement de celle qui est chaste, prude et modeste, qui se donne aucune occasion de parler d’elle, ni même de la soupçonner. […] HONNESTETÉ. s.f. Pureté de mœurs. […] les regles de l’honnesteté sont les regles de la bienseance, des bonnes mœurs, l’honnesteté des femmes, c’est la chasteté, la modestie, la pudeur, la retenuë. L’honnesteté des hommes, est une manière d’agir juste, sincere, courtoise, obligeante, civile. (p. 1037) 26 Lionello Sozzi, Storia europea della letteratura francese. Dalle origini al Seicento Torino, Einaudi, 2013, p. 155, 288. 27 Il suffit de songer, par exemple, qu’à cette époque, Jacques Du Bosc (père cordelier) publie en 1632 L’Honnête femme (Paris, Billaine, 1632) où il met en évidence les bonnes dispositions féminines pour les arts (musique) comme pour les sciences (histoire et philosophie). François de Grenaille (moine à Bordeaux et à Agen) quitte le couvent pour aller à Paris où il publie, entre autres, en 1639 L’Honneste fille (Paris, J. Paslé), en 1640 L’Honneste mariage (Paris, T. Quinet) et en 1642 L’Honneste garçon, ou l’Art de bien élever la noblesse à la vertu, aux sciences et à tous les exercices convenables à sa condition (Paris, T. Quinet). En outre, Nicolas Faret dans L’Honnête Homme ou l’art de plaire à la Cour (Paris, T. du Bray, 1633) et le Chevalier de Méré dans De la vraie honnêteté (œuvre posthume, Paris, Jean et Michel Guignard, 1700) dressent le portrait de ce modèle d’humanité. Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 221 POLITESSE s.f. conduite honneste, civile et agreable dans les mœurs, dans les manieres d’agir et d’escrire. (p. 1265) Dès la Renaissance, l’Italie fournit à la France non seulement de nombreuses notions conceptuelles (cf. par exemple l’importance de l’école de Padoue pour le courant libertin français) mais aussi un grand nombre d’ouvrages et de ‘modèles’. Pour ce qui est du concept des « bonnes manières », par exemple, le prototype du « courtisan » joue un rôle capital : en effet, on assiste en France à une large diffusion des manuels de conduite italiens (il suffit de songer à la fortune de la Civil Conversazione de Stefano Guazzo, du Galateo de Giovanni Della Casa, et du Cortegiano de Baldassarre Castiglione) lesquels ont beaucoup contribué à l’élaboration de l’idéal de l’honnêteté et du principe de la bienséance. Ce lien franco-italien eu égard aux « bonnes mœurs » est d’une certaine façon avec un esprit de prévoyance, perçu et abordé par Ringhieri (et par voie de conséquence par Villiers) dans le chapitre relatif aux Jeu des Mœurs (← Gioco della Creanza). Il y réfléchit sur les affinités dans les mœurs (dans la façon de parler et d’agir) entre les « Dames Boloignoises » et celles de la Cour de France et il envisage ce rapport comme une conséquence de l’endoctrinement des mêmes préceptes, élaborés dans les milieux de la haute société. D’ailleurs, il considère la figure de Catherine de Médicis comme une sorte de trait d’union entre ces deux pays : Mais qui diroyt, voyant nos tres-belles et gentiles Dames Boloignoises assemblées, ou s’acheminer en quelque delectable lieu pour se soulatier, qu’elles n’eussent eté en la Royale et magnifique Cour de France longuement endoctrinées sous les preceptes et enseignemens divins de la tousjours glorieuse et Serenissime Caterine de Medicis, femme du grand Henry Tres-chrestien Roy de France ? et que servans ensemble sous cette tres-humaine et haute Coronne, avec les autres Madames et Damoyselles, ne se fussent rendues acortes et discrettes en leur parler, et qu’elles n’eussent aquise la subtilité d’esprit, avec toutes les autres qualités et perfections qui se decouvrent journellement, et se voyent tous-jours en elles reluire de plus en mieus ? Certainement je ne pense trouver personne qui me veüille contredire en chose tant apertement manifeste. Et pour-autant ne se doyt-on emerveiller si les notres (qui vivent avec elles et joüissent continuellement de leurs celestes presences). […] Combien-que par cela je ne preten d’user de revanche sus ses Florentines : tant pour-ce que je les pense toutes comme les autres belles, tres-honnêtes, et dines de toute grand loüenge (p. 259-260). Marcella Leopizzi 222 Ouvrage écrit dans le but de rétablir l’honneur des dames et de leur permettre d’exercer leur esprit et de le faire briller de tout son éclat 28 , les Cento giuochi s’adressent à un public spécifiquement féminin, aristocratique et lettré (petites cours princières ainsi que la Cour de France, comme l’atteste la dédicace à Catherine de Médicis, mais rien n’empêche les élites bourgeoises et les salons lettrés de s’en inspirer) où, loin d’être exclus, les hommes font partie intégrante et concourent à faire d’elles le destinataire privilégié de ce ‘jeu d’éloges et de louanges’ sous-entendu à tous les cent jeux 29 . Traité des jeux de société, se bornant à expliquer les règles sans faire ni des récits ni des digressions, les Cento giuochi liberali et d’ingegno sont abordés par Sorel avec la finalité principale, comme lui-même il l’explique par le biais d’Hermogene, de démontrer la différence entre un simple recueil de jeux et La Maison des Jeux. En se retirant de son rôle de personnage et en assumant la fonction de metteur en scène, si ce n’est de porte-parole des finalités soréliennes, Hermogene focalise l’attention sur le fait que les membres de la compagnie (hommes et femmes, celles-ci étant instruites et passionnées par la littérature) sont en train de composer « un ouvrage qui n’a point encore eu son pareil ny en France, ny en Italie ; car quoy que les Italiens ayent écrit de la maniere des Jeux de conversation, ils n’ont point rapporté, […] l’Histoire de quelques assemblées où cela se soit pratiqué parfaitement » (II, p. 301-302). Et, à ce propos, il précise que le livre de Castiglione ne se sert des jeux que pour introduire le débat sur ce qui est nécessaire pour former le parfait courtisan, et de même l’ouvrage de Stefano Guazzo, tout en décrivant « une assemblée où apres soupé l’on s’adonna à 28 Voir à ce propos la phrase écrite dans la dédicace à la reine : « Cio che il Volume ch’io con ogni reverenza gle appresento, in se contenga, apertamente vedrassi ; Con cento lettre che guidano à i Giuochi, anzi della istessa natura loro, cercai da fieri morsi indegnamente traffitte, le Honeste Donne à suoi primieri pregi ridurre ; e certe forme novelle di giuocar introdotte, di mescolare insieme la gravità con la piacevolezza m’ingegnai, accioche da qualunque persona grave, ò piacevole potessero essercitarsi ». 29 Dans cette optique , l’œuvre [et, par voie de conséquence, la version française qui, de surcroît, se compose, après la dédicace d’une section intitulée Aus dames (p. 1- 3) où, en s’adressant « aux dames », le traducteur exalte la conversation de leur « divine et pudique troupe » et déclare à Madame de Nevers qu’il lui a voulu dédier « la traduction de ces Cinquante Jeus » parce que cet ouvrage lui a paru convenable pour « servir de plaisante relache » à sa « feminine honnêteté »] se caractérise, dans tous les passages introduisant un nouveau jeu, par des interpellations directes « aux dames » : l’incipit des cinquante jeux présente des adresses « aux dames » et, en décrivant les jeux, l’auteur leur destine d’autres vocatifs élogieux. Les jeux d’Innocentio Ringhieri dans La Maison des Jeux 223 de tels Jeux » (II, p. 302), n’est qu’un dialogue réparti en plusieurs journées « sur la conversation Civille » (Ibid.) : par contre, souligne Hermogene, eux ils veulent « employer entierement à ces sortes d’entretiens […] un assez grand nombre » (Ibid.). D’ailleurs, en situant son histoire dans une maison de campagne reculée, Sorel propose une sorte d’errance-éloignement de la réalité où le jeu règne en maître. Dès le début de l’ouvrage le « jeu » constitue le nœud du discours, de l’amusement et de l’instruction. Qu’ils soient inventés ou lus (chez Platon, Xénophon, Plutarque, Isocrate, Cicéron, Sénèque, Quintilien, Castiglione, Ringlieri, Bargagli, Guazzo, Cramail, etc.), les jeux offrent l’axe sur lequel se développe l’action. Il s’en suit que le ‘jeu’ est tout, et que tout n’est que ‘jeu’. En outre, Sorel offre non seulement un riche recueil de jeux mais aussi un roman en train de se faire qui s’ouvre sur la méta-narration. Derrière le « Jeu du roman » qu’il fait pratiquer aux membres de la compagnie dans le quatrième livre du second tome, il introduit une ample réflexion sur les caractéristiques de l’écriture fictionnelle et tout particulièrement sur les concepts de ‘vraisemblance’, d’‘amusement-recréation’ et d’’instruction’. De plus, par le débat sur les romans entre Hermogene et Ariste, il reproduit les discussions en vogue à son époque et il exprime ses propres idées. Il souligne, par exemple, que le but des romans est celui d’« entretenir » (I, p. 409) et attaque l’invraisemblance des actions et des descriptions. De ce fait, la maison de Lydie devient le lieu de la création de ce roman in fieri où les personnages→narrateurs jouent au jeu du roman-à-faire. Par conséquent, loin d’être une œuvre de pure évasion, à travers un va et vient continuel entre le plan de la réalité (extradiégétique) et celui du récit (diégétique), La Maison des Jeux offre un regard profond sur le ‘théâtre humain’ où, tout comme les acteurs, les hommes portent, eux aussi, un masque sur leur visage et ‘jouent’ leurs rôles. En poussant à réfléchir aux caractéristiques fictives de l’entretien de ses personnages 30 , Sorel porte l’attention sur le ‘vide’, la ‘fausseté’ et les messages implicites que tous les mots peuvent potentiellement induire. Métaphore des jeux et des enjeux du monde, cet ouvrage a contribué à la fortune de Ringhieri et, pour le dire avec Mikhaïl Bakhtine, favorise la polyphonie des Cento giuochi. En attribuant aux jeux une certaine dignité culturelle et non seulement une valeur récréative pour éviter l’otium, dans le 30 Le narrateur attire souvent l’attention du lecteur sur le caractère fictionnel de l’entretien, comme en témoigne sa déclaration finale : leur « feinte querelle estant donc appaisée » (I, p. 699). En outre, la réitération des mots « troupe » et « compagnie », utilisés pour désigner les invités de Lydie, fait implicitement songer au théâtre, donc, à la fiction. Marcella Leopizzi 224 sillon de la devise de Rabelais - qui leur attribuait une valeur pédagogique - delectare docendo, La Maison des Jeux met en scène un ‘monde’ où la conversation est l’action et où la réalité n’est que l’ornement du discours. Par le biais de l’art de converser, cet ouvrage révèle donc l’inauthenticité sociale, voire une société plongée dans l’artifice et les conventions.