eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 43/85

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2016
4385

Pyrame et Thisbé selon Théophile de Viau, Nicolas Pradon et Jean-Louis Ignace de La Serre: passion privée et espace public

2016
Céline Bohnert
PFSCL XLIII, 85 (2016) Pyrame et Thisbé selon Théophile de Viau, Nicolas Pradon et Jean-Louis Ignace de La Serre : passion privée et espace public C ÉLINE B OHNERT (U NIVERSITÉ DE R EIMS C HAMPAGNE -A RDENNE ) Le traitement de la fable de Pyrame et Thisbé sur la scène française du XVII e siècle a suscité plusieurs travaux récents : l’édition critique des parodies de l’opéra de La Serre, Rebel et Francoeur 1 ainsi que l’édition des Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau, qui a aussi fait l’objet d’un riche collectif 2 . Celui-ci a éclairé, entre autres aspects, l’influence de la pièce sur le théâtre français du XVII e siècle : alors que Bénédicte Louvat-Molozay analyse le double suicide final, paradigme tragique imité par de nombreux émules, Sandrine Blondet interroge l’étrange tribut payé par Jean Puget de La Serre à son prédécesseur : sa pièce met en prose le drame inventé par Théophile, entre plagiat, exercice rhétorique et émulation 3 . En parcourant à notre tour les tragédies de Théophile de Viau et de Nicolas Pradon 4 et l’opéra de Jean-Louis Ignace de La Serre 5 , nous voudrions examiner l’évolution de la fable babylonienne en mettant l’accent sur les tensions élaborées par les trois dramaturges entre passion et ordre public. 1 Pyrame et Thisbé, un opéra au miroir de ses parodies, 1726-1779, dir. Françoise Rubellin, Montpellier, Espaces 34, 2007. 2 Théophile de Viau, Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé, éd. Bénédicte Louvat- Molozay et Guillaume Peureux, Paris, GF-Flammarion, 2015. Arrêt sur scène / Scene Focus, « Pyrame et Thisbé : la mort des amants », dir. Bénédicte Louvat- Molozay & Janice Valls-Russell, n°1, 2012 : http: / / www.ircl.cnrs.fr/ francais/ arret_scene/ arret_scene_focus_1_2012.htm. 3 B. Louvat-Molozay, « La postérité de la mort de Pyrame et Thisbé dans le théâtre français des XVII e et XVIII e siècles » et S. Blondet, « Le Pyrame du sieur de La Serre: hommage ou opportunisme ? », Arrêt sur Scène, op. cit. 4 N. Pradon, Pirame et Thisbé, Paris, H. Loyson, 1674. 5 Pirame et Thisbé, livret de Jean-Louis-Ignace de la Serre, musique de François Rebel et François Francœur, le 17 octobre 1726. Paris, Vve P. Ribou, 1726. Céline Bohnert 180 L’histoire de Pyrame et Thisbé telle qu’Ovide l’élabore (Métamorphoses, IV, v. 55-166) fonde cette tension de manière particulière, en la spatialisant - et ce en l’absence de dimension politique explicite : le drame est un drame familial. L’espace du récit confronte passion et ordre social : la fable amène à penser la passion, au moins de manière temporaire, comme l’autre de la cité. L’évasion de Pyrame et Thisbé est liée à l’interdit signifié par les pères, sans mention d’une autorité supérieure. Ovide insiste sur la proximité des deux maisons, mitoyennes, et met en valeur le rôle du mur fendu, interpelé par les amants qui, ne pouvant s’unir sinon par le souffle et par la voix, décident de « tromper leurs gardiens et de franchir leurs portes » : « une fois hors de leurs demeures, ils s’échapperont même de la ville » 6 . Ovide multiplie les seuils : le mur fendu, les portes des maisons, les remparts de la ville. Il faut, semble-t-il, ce triple franchissement pour que le couple se constitue, dans un espace limite : rendez-vous est donné près du tombeau de Ninus, fondateur de la ville et époux de sa plus glorieuse reine, Sémiramis, à qui l’ont doit les remparts. En bordure de la cité, le tombeau porte la mémoire du moment de sa fondation, il inscrit la ville dans une histoire en rappelant qu’il existe un avant autant qu’un dehors de la cité. Comme si l’échappée des amants dans le monde nocturne des bêtes fauves, hors de la « haute enceinte de muraille en terre cuite » se trouvait ainsi non seulement hors de l’espace social, mais aussi hors du temps organisé de la cité. Or l’union, empêchée dans l’espace civil, ne se réalise pas plus dans l’espace-seuil qu’est le tombeau de Ninus, abrité sous le mûrier. Espace nocturne de l’indistinct et de la confusion, il ne saurait permettre une union. Il n’ouvre qu’une mort jumelle, une communion funèbre. Cette union post mortem conserve le caractère de seuil de l’espace où elle s’est produite : l’amour de Pyrame et Thisbé, inscrit dans l’ordre naturel par la métamorphose du mûrier, est aussi ramené in fine dans l’ordre civil, suivant la prière de Thisbé aux deux pères. Touchés de pitié, ces derniers unissent les cendres de leurs enfants en un même tombeau. Les amours de Pyrame et Thisbé semblent ainsi signaler la nécessité de l’ordre civil en même temps qu’ils dénoncent la violence que celui-ci exerce envers les corps et les désirs. Si l’on insiste souvent sur le second aspect, le premier nous semble tout aussi important. La fable trouve toute sa force dans cette double impossibilité : l’amour de Pyrame et Thisbé est un amour sans lieu. 6 Ovide, Métamorphoses, éd. Jean-Pierre Néraudau, trad. Georges Lafaye, Paris, Gallimard, « Folio », 1992, p. 136. Pyrame et Thisbé selon Viau, Pradon et de La Serre 181 Configurations Les dramaturges du XVII e siècle se sont évertués à lui en trouver un. Moins en développant des notations sur les lieux - on les sait rares au théâtre - qu’en déployant autour du couple central des personnages qui leur assignent une place variable dans la cité et définissent aussi cette dernière, implicitement, de manières variables. Les parents, auxquels Ovide ne fait que deux rapides allusions, prennent ainsi corps sur scène : chez Théophile, le père de Pyrame (Narbal) et la mère anonyme de Thisbé occupent chacun une des douze scènes que compte le drame, ce qui est loin d’être négligeable. Une mère pour un père, au lieu des deux pères ovidiens : Viau pose moins la question de la famille comme institution que le problème des générations, décliné au masculin (Pyrame, Disarque, Narbal, Lidias) et au féminin (Thisbé, Bersiane, la mère et sa confidente). Les deux familles deviennent deux « côtés », presque au sens proustien, deux pôles féminin et masculin qui contribuent fortement à la structure de la pièce. Par ailleurs, de nouveaux opposants surgissent : Théophile invente un roi épris de Thisbé et l’entoure de sbires prêts à tuer Pyrame. Ce faisant, il creuse la dimension politique de la fable, dans laquelle il insère des débats sur les thèses machiavéliennes, qu’il aborde à la lumière de la philosophie épicurienne 7 . Ces débats sur la légitimité du pouvoir (paternel et princier), cruciaux dans le contexte intellectuel et religieux des années 1620, sont liés à la question du désir, que la pièce pose de façon particulièrement aiguë. Si Viau aggrave le choc qui confronte passion des amants et ordre civil, il ramène ce dernier à la tyrannie et à la violence de passions singulières : la violence du père et celle du roi s’équivalent dans deux ordres différents. Celui de la nature pour le premier. Le père revendique une légitimité fondée sur l’âge : l’autorité est donnée par celui qui l’exerce comme absolue, universelle. Le temps, prétend-il, lui a donné sagesse et raison ; la jeunesse, qu’il présente comme une maladie, ne peut prétendre à se conduire seule. Aussi Narbal brandit-il son droit à décider pour son fils, qui ne saurait aimer sans sa « permission ». Lidias a beau jeu de contester précisément au nom de la nature, dont les nécessités n’obéissent à aucune permission - ce qui, selon lui, rend l’amour licite aux yeux des dieux. L’autorité paternelle se réduit alors à la tyrannie d’un esprit chagrin : l’origine arbitraire de cet absolu est mise à nu dans le dialogue sans pour autant que la volonté du père ne perde en énergie : sa cruauté gratuite n’en est que plus évidente. In fine, jeunesse et vieillesse semblent 7 Michèle Rosellini, « Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé : paradoxes d’un théâtre épicurien ? », Arrêt sur scène, op. cit. Céline Bohnert 182 moins deux moments successifs de la vie que deux états contradictoires et violemment opposés 8 . Le roi, lui, entend légitimer son désir par recours à l’ordre divin. Mais son discours, comme celui du père, s’évide progressivement : les dieux deviennent la projection fantasmatique d’une volonté sauvage et tout aussi tyrannique, tout aussi privée de cause et de justification que celle du père - toute la justification revendiquée par le roi consiste dans la possibilité qu’il a d’exercer sa volonté et de satisfaire son désir. On retrouve là une version déformée du justus quia jussus qui fonde alors la pensée de l’absolutisme 9 . Pradon, lui, oppose deux figures paternelles en l’absence des mères : Arsace, le père de Pyrame, s’est élevé sur les ruines de la maison de Thisbé. La jeune fille, chassée de Babylone à la mort de son père, Narbal, vient d’y être rappelée. Arsace rêve de consolider son œuvre en mariant son fils à la reine, dont il a perçu la faiblesse pour ce dernier : Amestris, après une vie de règne, lutte contre une passion qui lui rend féminité et fragilité 10 . Le nom du père défunt ne peut être choisi au hasard, à un moment où la pièce de Viau est encore dans toutes les mémoires : comme si, en reléguant Narbal hors espace et hors temps du drame, Pradon tuait le père - en l’occurrence Théophile. À travers cette nouvelle configuration, Pradon introduit la notion de lignée et d’héritage, là où Théophile orchestrait le conflit des générations. Il pose la question de la transmission. Pour cela, il met en place un carré amoureux : la reine de Babylone, Amestris, est prise de passion pour Pyrame tandis que son fils, Belus, élevé loin du trône dans la mollesse et le plaisir, aime Thisbé. Pradon déploie le conflit dans le temps, contrairement à Théophile. Il montre les distorsions imposées au principe de transmission dans trois maisons : la notion de famille prend chez lui son tour indissociablement public et privé, ou disons intrinsèquement public qui est le sien dans la société d’Ancien Régime. L’individu, comme aristocrate, est d’emblée membre et représentant d’une institution. Chez Théophile au contraire, le prince lui-même exposait les ressorts individuels voire profondément individualistes de ses actions. Aussi le temps qui précède le moment du drame est-il évoqué de manières très différentes dans les deux pièces. Le passé, chez Pradon, est le 8 Guido Saba, « Parents et enfants-jeunesse et vieillesse dans Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau », Travaux de Littérature, VI, 1993, pp. 125- 35. 9 Arlette Jouanna, Le Prince absolu. Apogée et déclin de l’imaginaire monarchique, Paris, Gallimard, 2014. Voir aussi Madeleine Bertaud, « Roi et sujets dans Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau », Travaux de Littérature, VI, 1993, pp. 137-148. 10 I, 5 : « Oüy, ton cœur de Héros est le cœur d’une Femme. » Pyrame et Thisbé selon Viau, Pradon et de La Serre 183 temps de l’élaboration patiente et des batailles remportées, un temps déployé et intense à la fois, celui de l’intrigue patiemment échafaudée, de l’éducation patiemment minée, et celui du coup d’éclat, entre ruines et lauriers - ruine de la maison de Thisbé qui a couronné les efforts d’Arsace et lauriers remportés malgré son instruction défaillante par le prince Bélus, signe de sa nature royale. Les amours de Pyrame et Thisbé s’inscrivent elles aussi dans le temps long qui fonde leur valeur, opposée au caprice tardif de la reine : Pyrame a longuement lutté contre son penchant avant d’y céder (I, 6). Dans la pièce de Théophile au contraire, le passé semble se résumer à une fulgurance originelle : celle du coup de foudre amoureux des amants et du roi, celle du rêve horrifique de la mère. La scène donne à voir des êtres bouleversés par un événement brutal, mais fondateur, qui les a arrachés à eux-mêmes. Encore tremblants, encore saisis, ils persévèrent dans cet être nouveau qui leur a été imposé et qu’ils embrassent de toute leur volonté, prisonniers qu’ils sont d’un instant initial dont ils font sans cesse mémoire. Comme Pradon, c’est le roi de Babylone, Ninus, que La Serre donne pour rival à Pyrame. Mais les rôles sont distribués différemment : il ne s’agit plus de placer un amant éconduit autour de chacun des héros, mais de supposer deux couples mis à mal par le désir du roi. Aux amoureux constants (Pyrame et Thisbé, Zoraïde envers Ninus) est opposée la figure de ce dernier, qui, infidèle à Zoraïde, tente de se substituer à Pyrame. Dans une perspective galante, La Serre revient à la question du désir en suivant les codes désormais bien installés du genre qu’il pratique : la tragédie en musique a besoin d’une collectivité, mais d’une collectivité fondée sur une émotion chorale, victime d’un comportement passionnel non conforme au code du comportement galant et dont la monstruosité se réalise sur scène par le surgissement d’un monstre véritable. Le roi, amant défaillant, incapable de se conformer aux règles galantes, est aussi, presque du même coup, dégradé en tyran. De Théophile de Viau à Pradon, puis de Pradon à La Serre, le sens des amours de Pyrame et Thisbé évolue ainsi de manière significative. Chaque dramaturge s’appuie sur son prédécesseur à qui il emprunte des éléments de l’intrigue, mais pour leur donner une orientation et une signification nouvelles. Théophile jette une ombre sur la nature de la passion amoureuse, qui semble in fine tout aussi tyrannique et, peut-être, tout aussi destructrice que les passions autoritaires du père et du roi. Ces dernières pourraient être le révélateur d’une violence intrinsèque de tout désir. Chez Pradon comme chez La Serre en revanche, les protagonistes deviennent des amants parfaits. Leur union est un horizon souhaitable pour la cité et leur fin tragique s’avère le révélateur des désordres qui l’accablent celle-ci - que la cause du Céline Bohnert 184 chaos réside dans l’effondrement d’une lignée régnante, chez Pradon, ou dans le désir dévoyé et monstrueux du souverain, chez La Serre. Théophile de Viau ou la fatalité du corps Chez Viau, on est frappé par l’omniprésence du corps. Os, chair, sang, cerveau, humeurs et jusqu’aux yeux aimés − ces images semblent moins des métonymies pétrarquistes que des références littérales aux substances et aux organes qui fondent les activités, les échanges, et jusqu’aux valeurs 11 . Les discours sont surchargés de matière, solide ou mouvante, volatile ou fluide. Aussi attirent-ils l’attention sur le théâtre du corps. L’efficience des images, évoquée à plusieurs reprises par les personnages, en est un aspect. Le prince croit pouvoir détourner Thisbé en exhibant à ses yeux le cadavre de son amant. Tout être animé n’abhorre-t-il pas la mort ? Aussi l’image de celle-ci suffirait à réorienter l’élan passionnel qui pousse et émeut Thisbé. On retrouve là le thème qui fonde les stances XXXI des Œuvres poétiques, « La frayeur de la mort ébranle le plus ferme ». Cette efficience, supposée par le prince, se confirme avec le rêve de la mère de Thisbé, ébranlée par la vision de sa fille morte qui désigne d’un doigt accusateur le corps de son amant : scène dont le caractère macabre est encore intensifié (et simplement rendu possible) d’être donné à imaginer plutôt qu’à voir. Lorsque la mère voit en rêve sa Thisbé percée de trois coups de poignards lui montrer le cadavre déchiré de Pyrame en un « piteux spectacle » ou lorsque le roi imagine ce même corps enlaidi dans la mort, rendu odieux peut-être à celle qui l’aimait, le corps même devient théâtre, doublement : aux corps montrés en scène, en proie à la fureur ou à l’horreur, se surimposent les projections langagière, en une scène seconde. Le corps n’est pas seulement le lieu où se vit, intensément, l’effet des spectacles horribles de la tragédie, il est aussi un écran où se projette, de manière lisible, le monde intérieur. On a beau tel secret dans les os enfouir, L’amour, l’ambition, l’orgueil et la colère Sont toujours sur nos fronts d’une apparence claire. (v. 80-83) Il est enfin un espace creusé par des élans, une sorte de scène seconde construite comme telle par une langue concrète, charnelle. Si les corps sont exhibés, les passions sont spatialisées et les changements d’opinion donnés à 11 Marie-Florine Bruneau-Paine notait dans la pièce cette tendance « qui consiste à ramener un mot de son sens figuré à son sens propre » : « Rhétorique baroque dans Pyrame et Thisbé de Théophile de Viau », PFSCL, vol. VIII, n°14 (1), pp. 115-122, citation p. 120. Nous aimerions en signaler ici le potentiel dramatique. Pyrame et Thisbé selon Viau, Pradon et de La Serre 185 voir comme des gestes ou des mouvements concrets : cesser d’aimer, c’est s’arracher le cœur ou l’âme (v. 36, v. 122), tout comme aimer peut revenir à être dissocié de soi-même (v. 224, v. 247) ; convaincre, dit Pyrame, c’est « amen[er] dans le but de tes intentions » (v. 307) ; se confier, « décharg[er] sa douleur dedans l’âme fidèle / De quelqu’un que l’on aime… » (v. 819- 820) ; et l’argent est si puissant qu’il « f[ait] aller partout nos esprits et nos corps » (v. 245). Le corps (désigné par trois métonymies : le sein, le cœur, les os) devient un contenant dont on sonde le contenu. Il arrive aussi qu’on le visite ou qu’on l’exhibe. Ainsi par exemple, en un pastiche évangélique : « Ce mal ne prend qu’aux cœurs mols, délicats, oisifs / Où jamais le bon sens n’a choisi sa demeure » (v. 154-155) 12 . Ou encore « J’ai gardé dans le sein la mort toute l’année » (v. 682) ; « Comment cent fois la mort par mes os a couru » (v. 810). Très souvent, comme dans ses œuvres poétiques, Viau travaille à partir de catachrèses, qu’il ravive en leur donnant un caractère récurrent voire systématique ou en établissant des rapprochements qui rendent consistance aux images convenues. Ici, l’omniprésence des verbes de mouvement opère cette alchimie poétique. Ce procédé confère une violence aigue à deux images, celles du cœur percé et du mur fendu. Lorsque Pyrame meurt, il s’exclame : « Encore un coup, Thisbé, par la dernière plaie / Regarde là-dedans si ma douleur est vraie » (v. 1115-1116). La force du vers lui vient de se trouver à l’acmé d’un réseau de plus en plus insistant. Dès l’ouverture de la pièce, la jeune fille proclamait : « Ici nos cœurs ouverts malgré vos tyrannies / Se font entrebaiser nos volontés unies » (v. 373) Mur fendu, cœur ouvert : les deux images vont de pair. Cette assimilation se retrouvera in fine lorsque les amants se perceront de coups. Tout se passe comme si le poète avait systématisé et appliqué aux corps l’image centrale de la fable ovidienne. Le corps lui-même devient une sorte de mur, une enveloppe charnelle pour le théâtre des désirs logés dans les os et les cœurs sans cesse personnifiés. La langue élaborée par Viau revivifie ainsi le mythe. Elle lui donne aussi une consistance dramatique très forte. Certaines images, porteuses de funestes présages, deviennent le lieu de l’ironie tragique. Véritables noyaux de sens, elles semblent non seulement annoncer la fin tragique mais peut-être la déclencher. Ainsi du mot humeur. Tout au long des quatre premiers actes, le texte actualise le sens figuré du terme, qui renvoie systématiquement aux idiosyncrasies des personnages. Il est parfois couplé avec le mot sang : le terme dénote alors la lignée (v. 899) ; mais ailleurs Narbal souligne que le sang « fait agir » l’âme (v. 92). Le rapprochement de sang et humeur est la première étape d’une alchimie dramatique autant que poétique. La suivante 12 Jn, 14, 23. Céline Bohnert 186 consiste dans l’activation de l’ensemble des sèmes attachés aux deux termes, en une série d’images fantasmatiques qui irriguent, pour ainsi dire, tout l’acte V, composé des deux monologues jumeaux des amants. Pyrame, s’adressant au lion et, au-delà, à toute la nature, imagine une forme de transsubstantiation : Depuis que ce beau sang passe en ta nourriture, Tes sens ont despoüillé leur cruelle nature, Je croy que ton humeur change de qualité, Et qu'elle a plus d'amour que de brutalité, Depuis que sa belle ame est icy respanduë, L'horreur de ces forests est à jamais perduë […]. (v. 1051-1056) Le sang de Thisbé irradie désormais depuis les entrailles de la bête et la nature toute entière en est métamorphosée. Théophile radicalise l’imaginaire ovidien de la métamorphose. Ce passage trouve toute sa force dans l’emploi moral du terme humeur en un contexte où tout renvoie à la chair. À la scène suivante, l’imprécation de Thisbé au mûrier conclut l’isotopie et amène la métamorphose qui fonde le mythe : cette fois humeur est pris dans son acception physiologique pour désigner le sang de Pyrame, devenu la sève de l’arbre : « Fais comme moi, de grâce, arrache tes cheveux, / Ouvretoi l'estomac et fais couler à force / Cette sanglante humeur par toute ton écorce. » (v. 1194-1195). L’alliance des deux termes, sang et humeur, est ainsi réalisée et matérialisée sur scène - du moins sur la scène du langage, un langage dont on voudrait souligner la dimension charnelle, physiologique, terriblement concrète. Cette matérialisation progressive des images poétiques réalise sur le plan stylistique le principe de composition régressive qui préside à la tragédie. Le drame est énoncé d’emblée, désigné directement quoique discrètement par des isotopies qui structurent la pièce. Le théâtre de Viau est un théâtre de mots autant que d’action. Les personnages conservent quelque chose de la tragédie humaniste dans leur façon de s’exhiber, de se construire par la langue, et de projeter autour d’eux un monde à leur image. Chacun peint le monde « comme il est dans ses yeux » (v. 420). Pour partie intériorisée en effet, l’action devient d’ordre fantasmatique. On est frappé de la façon dont les amants évoquent l’espace qui les entoure 13 . Non contente de favoriser ou de contrarier leurs amours, la nature, sans cesse personnifiée, en est le prolongement, l’expression, la maté- 13 Sur ce point voir Daniela Dalla Valle, « Métamorphoses, métaphores et cosmologies dans Pyrame et Thisbé de Théophile », Mathieu-Castellani, Gisèle (ed.) La Métamorphose dans la poésie baroque française et anglaise: Variations et résurgences, Tübingen-Paris, G. Narr-J.-M. Place, 1980, pp. 113-123. Pyrame et Thisbé selon Viau, Pradon et de La Serre 187 rialisation : d’où l’image du mur « fendu de pitié », les métamorphoses florales (v. 975-984), et le fameux vers de Thisbé désignant le poignard assassin − « Il en rougit le traître ! ». La clairière, on l’a vu, devient un immense tombeau où circule le sang de Pyrame. Le corps du lion une châsse pour l’âme de Thisbé. Viau creuse le motif de la gémellité présent chez Ovide : le rêve d’union devient fantasme d’ingestion. Ainsi Thisbé : « Nous les joindrons [nos âmes] là-bas et par nos saints accords / Ne ferons qu’un esprit de l’ombre de deux corps » (v. 1213-1214). Tout comme Pyrame désespéré rêve de s’unir à Thisbé en étant à son tour dévoré par le lion ou en creusant en lui-même une tombe pour « quelques saintes reliques » de la chair aimée (v. 1166). Il y a là le désir d’une confusion des êtres plutôt que de leur union, des êtres eux-mêmes confondus avec ce qui les entoure. La dévoration de Thisbé par le lion est évoquée, on l’a vu, comme une transsubstantiation : sa chair (ou son âme), devenue celle du lion, métamorphose la bête désormais sacrée. L’imaginaire des profondeurs qui traverse la pièce, travaillé par des métaphores de l’enfouissement et du jaillissement, trouve en ce passage son point d’accomplissement, préparé par un ensemble de phénomènes stylistiques qui tendent d’abord à assimiler l’un à l’autre l’homme et la nature. De manière prémonitoire, le lieu du rendez-vous avait été présenté comme un grand corps irrigué par un ruisseau (v. 784-786). Les personnifications (du mur v. 376, de la nature v. 753 sq.), l’allocution, figure massivement employée, ou les comparaisons, pour certaines très habituelles (l’aimée-soleil : v. 755, 961, 967), entrent en résonnance pour constituer autour des amants un espace animé, mouvant, bruissant : la nature devient un corps vibrant. Ce phénomène fait signe vers la dimension épicurienne de la pièce, présente dès l’exposition lorsque Thisbé évoque l’échelle des êtres et lorsqu’elle compare l’éveil à soi-même, fruit de l’amour, à la course du soleil (v. 21-23). De cette omniprésence de la matière, découle une naturalisation des principes. La morale amoureuse est le fruit du corps − c’est pourquoi ni le vieux père ni Bersiane ne peuvent plus entendre les jeunes gens −, la morale politique est dictée par le désir du roi et c’est la faim qui détermine Deuxis à vouloir tuer Pyrame. Le principe de la fatalité dans la pièce réside dans le jeu des nécessités contraires inscrites dans les corps. L’univers (la beauté, les valeurs, le droit, la nature même) dépend pour chacun des forces qui l’habitent : amour, tyrannie, faim, vieillesse. C’est pourquoi les univers concurrents rêvés par chacun des personnages, sortes de lanternes magiques qui projettent chacun un monde à son image, sont juxtaposés bien plus que confrontés. Il n’y a pas de relativité dans cette pièce, pour laquelle Théophile crée une langue sans optatif, presque sans modalisation. Le seul changement qui se produit sur scène concerne les sbires à la solde du roi. Si Céline Bohnert 188 Syllar, qui oppose d’abord de fortes raisons au souverain qui veut faire assassiner Pyrame, n’est guère long à convaincre, son acolyte suit une autre trajectoire : Deuxis hésite, il se laisse emporter malgré lui dans une entreprise qu’il réprouve, et, blessé à mort par Pyrame, il trahit son roi pour tenter de sauver le jeune homme. Il retrouve ainsi une forme d’intégrité et « trépasse avec allègement » (v. 632). Deuxis est le seul personnage hésitant, et il éprouve douloureusement le prix de sa duplicité. Les autres sont tout d’une pièce, au point que les confidents semblent ne servir qu’à déployer un dialogue dans lequel leur maître s’expose, se dit, sans espoir qu’il puisse être autre : roi, père, amoureux. Le dialogue, forme amplement concurrencée dans la pièce par le monologue, ne s’accompagne d’aucune dialectique, ce qui lui confère un caractère extrêmement serré, tendu, violent. Et jamais les deux générations ne se croisent sur scène : Pyrame et son père s’invectivent mutuellement en l’absence l’un de l’autre 14 . Les personnages se présentent ainsi comment autant de monades, chacun pressé par une nécessité irrépressible. La pièce orchestre le choc de ces nécessités contraires. Cet usage de la parole théâtrale est tout à fait singulier. On pourrait suggérer ses affinités avec les formes poétiques pratiquées par Viau, l’épître et l’élégie. Mais il faudrait souligner alors la dimension profondément dialogique de ces poèmes : le je lyrique est saisi in medias res et fait allusion au passé, ou bien il se projette dans un après, et souvent il chante la palinodie. Son cheminement poétique, bien loin d’être linéaire, s’offre comme une promenade retorse et douloureuse. Cette particularité des formes poétiques apparentées au discours chez Théophile rend d’autant plus frappant le caractère monolithique des locuteurs de Pyrame et Thisbé. La tragédie naît du choc aveugle de singularités absolues. L’isolement des locuteurs rend ainsi impossible l’établissement d’un espace public, un espace commun fondé sur l’intersubjectivité et la circulation de la parole et des idées. Les dialogues ne laissent la place qu’à la solitude ou à la fusioningestion de l’autre. La construction même de la pièce semble ainsi porteuse d’une interrogation d’ordre social. Comme l’a montré Michèle Rosellini, le modèle de l’amitié épicurienne pourrait bien constituer un modèle en creux, qui jetterait une ombre jusque sur l’amour des jeunes gens, principe destruc- 14 Guido Saba, notant que les personnages principaux ne se parlent pas, hormis Pyrame et Thisbé, estimait qu’il s’agissait d’« indifférence de l’auteur aux problèmes de structure » (Théophile de Viau, un poète rebelle, Paris, PUF, 1999, p. 112). Il nous semble au contraire que cette absence de rencontre fait sens dans un monde où la communication directe semble abolie. Cela a certainement senti comme singulier, Puget de La Serre y met remède : Pyrame et son père s’invectivent sur scène, et la mère de Thisbé, nommée Oronthe, prend Narbal à partie (III, 2). Pyrame et Thisbé selon Viau, Pradon et de La Serre 189 teur pour la collectivité aussi bien que la double tyrannie du père et du roi. Il n’est pas anodin que le quiproquo final ne soit pas levé. Dans les Métamorphoses, Thisbé, trouvant son voile déchiré et tâché de sang, comprend que Pyrame s’est tué parce qu’il l’a crue morte. La Thisbé de Théophile est tout aussi aveugle que son amant : elle croit que Pyrame, alerté par son retard, a douté de son amour (v. 1219-1222). La pièce se constitue ainsi d’un kaléidoscope de visions projetées par des corps devenus autant de lanternes magiques. Amour du trône et passion privée chez Pradon Théophile a joué le rôle d’intermédiaire entre Ovide et Pradon. Ce dernier, comme son prédécesseur, conserve l’armature de la fable. Mais il la développe considérablement. L’amour de Pyrame et Thisbé, devenu le centre géométrique d’intérêts divers 15 , est aussi le seul élément stable de l’intrigue. Le chaos menace Babylone alors que tous les ordres se confondent (féminin/ masculin, public/ privé). La reine Amestris a condamné en ellemême la femme et la mère. Elle s’est sculpté une stature de Héros en soumettant les plus grands empires et en menant la ville d’une main de fer ; en cela, elle poursuit l’œuvre de Sémiramis. Comme cette dernière, elle tient le roi loin du trône : alors que Sémiramis avait fait de Ninus, son époux, un roi nul et faible, Amestris agit de même avec son fils Belus, élevé dans les plaisirs. On reconnaît là la figure du tyran oriental et Amestris tient de la Cléopâtre de Corneille. La tragédie commence au moment où Amestris faiblit et se sent femme, amoureuse qu’elle est de Pyrame, tandis que Belus, que son éducation n’a pu amollir, devient une menace pour son règne. La double transgression d’Amestris, cause de l’instabilité d’une ville partagée entre sa reine et Belus, semble se répercuter partout. Car Belus, qui brigue le 15 Pradon le souligne dans sa préface (Pirame et Thisbé, op. cit., n.p.) : « J’y ay fait un Episode d’Amestris & de Belus, qui quoy que fondé dans l’Histoire, sont des caracteres de mon invention, aussi bien que celuy d’Arsace. Quelques-uns ont voulu dire que cet Episode l’emportoit sur le Sujet principal ; mais si l’on veut prendre la peine d’examiner leur intérêt, on verra qu’ils sont si bien mêlez avec ceux de Pirame & Thisbé, que toutes les démarches de ces trois Personnes ne tendent qu’à rompre l’intelligence qui est entre ces deux Amans, pour l’intérêt particulier de leur amour, & qu’enfin Pirame & Thisbé sont le terme & le point fondamental où aboutissent toutes les lignes de ma Piece, comme à leur centre. Si Belus conserve ses droits contre la violence d’Amestris, & si Amestris par sa politique & par son adresse le veut détourner du Gouvernement de l’État, Pirame est l’objet qu’elle regarde, & Thisbé celuy de Belus, & c’est par leurs diferents (sic) qu’ils causent les cruels embarras de ces Amans malheureux […]. » Céline Bohnert 190 trône, est lui aussi tenté de faire primer son amour sur ses aspirations légitimes et d’oublier Babylone en épousant Thisbé. Le père de Pyrame, quant à lui, reste sourd à la tendresse naturelle que devrait lui inspirer son fils. Thisbé est, certes, l’unique héritière d’une famille ennemie qu’Arsace a réduite au néant. Mais Pyrame, qui n’a cédé aux commandements de son cœur qu’après un long combat, fait valoir les droits d’une clémence légitime. Le chaos s’est ainsi emparé de Babylone et risque d’entraîner les amants sincères. La confusion des intérêts publics et privés 16 entraîne le trouble des amoureux, dont la confiance l’un dans l’autre est sans cesse mise à l’épreuve - élément nouveau dans l’intrigue (II, 4 ; III, 6 et 8). Alors même que la fuite semble devoir les délivrer de l’espace sans ordre de la ville, le quiproquo bien connu met un terme tragique à leurs espoirs. Face aux corps des amants ramenés en triomphe dans la ville, les autres personnages prennent conscience de leurs fautes. L’intrigue est ainsi construite depuis la perspective des puissants. La mort des innocents devient le révélateur des vices de la cité. Quoique située au centre de l’intrigue, elle constitue moins le drame que le signe des déviances qui le causent. L’événement tragique est là : dans la prise de conscience − mais trop tard − des fautes de chacun. Or cette prise de conscience ne permet pas l’avènement d’un ordre juste. Le dénouement laisse bien des points en suspens : le sort de la reine et d’Arsace en particulier, ne sont pas tranchés. L’amour et la gloire : la faute du roi chez La Serre La Serre prend plus de libertés encore avec la trame ovidienne. La noble ascendance qu’il accorde à Pyrame et Thisbé n’est pas de son invention. Pradon avait conformé les protagonistes aux attendus du genre tragique en leur conférant une dignité sociale nouvelle. Mais La Serre ne se contente pas d’introduire des rivaux de sang royal, ses innovations évoquent à nouveaux frais la place de l’amour dans la cité. L’amour de Pyrame est Thisbé n’est en rien menacé par leurs parents, jamais évoqués ; bien plus, la reine Sémiramis a béni leur union. C’est pourquoi la pièce ne comporte aucune allusion au mur mitoyen si important quand il symbolise l’interdit familial. Et le dénouement est redessiné. La mort des amants, qui reste le fruit d’une méprise, devient aussi le sacrifice généreux de deux amants qui résistent à 16 Par exemple I, 5, Amestris : « … Barsine, peux-tu croire / Que ce pompeux discours de grandeur & de gloire, / Ce dehors fastueux, cet orgueil, cet éclat, / Coloroient mon amour de maximes d’Etat ; / S’il faut qu’à cœur ouvert avec toy je m’explique, / C’est un amour caché qui parle en politique […]. » Pyrame et Thisbé selon Viau, Pradon et de La Serre 191 la tyrannie de Ninus. C’est en cela principalement que consiste la différence entre les pièces de Pradon et de La Serre. Dans les deux pièces, la confusion des intérêts relève d’un jeu de l’amour et de la gloire, explicitement allégorisé dans le prologue de l’opéra. Mais La Serre défend une morale qui allie idéalement ces deux forces, en réponse peut-être à l’idée d’une « morale lubrique » du genre : Ninus est le contre-modèle de cette heureuse alliance. La faute du roi réside dans un déséquilibre entre sa passion d’une part, son rang et ses devoirs de l’autre. L’amour altère la nature du pouvoir et dégrade le roi en tyran. On assiste à un exercice passionné du pouvoir, déséquilibré par l’amour. Ce désordre intérieur est propre au personnage de Ninus : La Serre concentre en un seul personnage le principe dramaturgique qui fonde le Pyrame et Thisbé de 1674. Car Zoraïde, aussi bien que Pyrame et Thisbé, s’avèrent des amants parfaits. Le sentiment de la gloire, de la fidélité à soi, l’emporte finalement chez Zoraïde sur une passion devenue humiliante, avilie par un objet qui n’en est plus digne. Pyrame, qui tue le « monstre », regrette moins en mourant de perdre Thisbé que de ne plus pouvoir la protéger. Ce héros pacificateur, plus fidèle au peuple de Babylone que Ninus même, suit les lois d’un amour vertueux qui l’honore. Thisbé, sa « timide amante » devient in fine son égale et trouve des accents héroïques en présentant sa propre mort comme le châtiment du tyran. Son suicide généreux prolonge et accomplit la vengeance de Zoroastre, devenue celle de tous. La pureté des trois amants est suggérée par leur retour aux origines : la tragédie s’achève près des « tombeau des anciens rois assyriens », tandis que Zoraïde « vole au lieu de sa naissance ». Pour en arriver là, les amants seront passés par la même épreuve que chez Pradon, celle du doute. La Serre récrit directement plusieurs passages de Pradon dans lesquels Pyrame puis Thisbé s’interrogent sur la fidélité l’un de l’autre. * Les trois pièces, quoique très différentes, entretiennent des liens directs. Leurs traits communs tiennent aussi aux particularités de la fable. La critique l’a souvent souligné, le mythe de Pyrame et Thisbé est un mythe étrangement privé de dieux. Cette absence singulière commande des mises en œuvre originales du modèle tragique : elle fonde la pièce de Théophile, entraîne le suspens final de la pièce de Pradon, appelle le personnage intermédiaire de Zoroastre chez La Serre. Privé de causes métaphysiques, le drame est tout entier commandé par la nature des passions, redéfinies dans chaque œuvre.