eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 43/84

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2016
4384

Gérard Ferreyrolles (dir.): Traités sur l’histoire (1638-1677). La Mothe Le Vayer, Le Moyne, Saint-Réal, Rapin. Avec la collaboration de Frédéric Charbonneau, Marie-Aude de Langenhagen, Béatrice Guion, Anne Mantero, Christian Meurillon et Helène Michon. Paris: Champion, 2013 («Sources classiques», 118). 763 p.

2016
Volker Kapp
PFSCL XLIII, 84 (2016) 118 des livres publiés et des images. Le tableau de Louis Hersant consacré au mythe de Fénelon ramenant à un paysan sa vache qui lui avait été enlevée par les ennemis (77) atteste la transformation de l’archevêque en mythe, l’édition des Explications des maximes des saints annotée par Phélipaux, théologal de Bossuet, documente la vivacité des luttes doctrinales. Les dix sections des témoignages exposés sont bien commentées par François-Xavier Cuche et Julien Gueslin. Cette exposition attire l’attention sur une donnée centrale du destin de Fénelon, que les spécialistes ne pouvaient ignorer, mais qu’on n’a jamais illustré d’une telle manière. C’est pourquoi le catalogue devrait devenir un ouvrage de référence pour toutes les recherches futures sur cet auteur. Volker Kapp Gérard Ferreyrolles (dir.) : Traités sur l’histoire (1638-1677). La Mothe Le Vayer, Le Moyne, Saint-Réal, Rapin. Avec la collaboration de Frédéric Charbonneau, Marie-Aude de Langenhagen, Béatrice Guion, Anne Mantero, Christian Meurillon et Helène Michon. Paris : Champion, 2013 (« Sources classiques », 118). 763 p. Gérard Ferreyrolles remarque à juste titre que « le XVII e siècle ne réclame pas d’être examiné dans ses historiographes, mais aussi dans ses ‘historiologues’ » (5), notion par laquelle il désigne les « auteurs des traités sur l’histoire » dont ce volume réunit quatre des plus importants de l’époque. Ces traités débattent surtout trois problématiques : « des questions d’ordre épistémologique - un savoir du passé est-il possible ? - littéraire - comment écrire l’histoire ? - et anthropologique - l’histoire dans ses incessantes révolutions révèle-t-elle une immuable nature humaine ? » (5). Puisque les deux jésuites présents dans cette anthologie se sont signalés par différents traités spécifiques, le commentaire de Marie-Aude de Langenhagen et d’Anne Mantero insiste particulièrement sur le « parallèle entre Histoire et poésie » (257) chez Le Moyne dont De l’Histoire s’apparente à son Traité du Poème héroïque. Selon ce jésuite, « la principale fin de l’Histoire » consiste à ériger les « actions de justice, de courage, de clémence » en « spectacle » pour les « princes, les rois, les empereurs, les ministres d’épée et de robe longue » (310). Cette vision de l’Histoire est contestée par Saint-Réal dont les sept discours formant De l’usage de l’Histoire plaident pour ce qu’on pourrait qualifier de ‘démocratisation’ du genre. Les éditeurs se sentent souvent amenés à avancer des hypothèses sans pouvoir toujours prouver leur pertinence. C’est surtout la situation du père Comptes rendus 119 Le Moyne dont le traité est censé « accompagner une monumentale Histoire du règne de Louis XIII, largement avancée un an plus tard, à la mort de l’auteur, mais jamais éditée et dont le manuscrit est perdu » (253). Le Moyne et son confrère Rapin restent tributaires de l’impact de la rhétorique tandis que La Mothe Le Vayer et Saint-Réal cherchent à s’en libérer. Ce serait toutefois une erreur de déprécier les deux jésuites en faveur des deux libertins dont les propos, à première vue souvent plus proches de nos convictions, se rapprochent plus sans aucun doute des deux avocats d’un concept oratoire de l’historiographie que de ceux qui, de nos jours, écartent les affinités entre l’historiographie et la rhétorique. Gérard Ferreyrolles dresse une fresque éclairante des multiples visées que partagent les quatre « historiologues » réunis dans cette anthologie. Grâce à sa capacité à dominer une surabondance de réflexions théoriques sur un genre littéraire en train de se transformer fondamentalement, son introduction générale d’une centaine de pages rendra grand service aux chercheurs futurs. Il évalue les enjeux de la charge d’historiographe du roi ou de la France (22-24), la frontière « poreuse » (29), de nos jours souvent sous-estimée, entre érudition profane et érudition ecclésiastique, les affinités et les conflits entre la codification de l’historiographie et les préceptes rhétoriques du style. Suivant l’adage selon lequel « l’oratio est un combat, l’historia une parade » (54), nos quatre « historiologues » s’efforcent d’élaborer une « casuistique » sophistiquée susceptible de saisir les données et de fournir les règles pour les présenter selon le principe que « ne dire que la vérité ne signifie pas dire toute la vérité » (64). C’est un des points névralgiques du débat sur ce genre. Vu l’enjeu de l’Histoire, les « trattatistes » cherchent d’une part à réduire la tension « entre l’éclat que réclame sa grandeur et la retenue qu’exige sa dignité » (70) et d’autre part à imposer « la distinction entre historiographes professionnels et auteurs de fiction » (76). Le concept de l’histoire en tant que « magasin d’exemples » et « réservoir de modèles » (82) devient un crible d’attaques. Il est contesté par les « politiques », qui, au nom de la raison d’État, font « passer le profit particulier avant l’honnêteté publique et la bonne foi après l’utilité » (84). Dans la seconde moitié du XVII e siècle, le destinataire envisagé par les historiens se modifie parce qu’on « passe d’une leçon donnée aux princes à une leçon donnée à tous » (94). Aussi « la frontière jusque-là théoriquement préservée entre le genre de l’Histoire et celui de la Vie » (95) s’efface-t-elle et « l’histoire anecdotique » gagne du prestige. Celle-ci préfère peindre un grand « en déshabillé » (95), selon la formule chère à Antoine Varillas. Les quatre « historiologues » se sentent incités à discuter sur les possibilités de présenter les acteurs de l’Histoire en vêtements de cérémonie (pour rester fidèle à la métaphore vestimentaire de Varillas). Le Moyne et Rapin s’éver- PFSCL XLIII, 84 (2016) 120 tuent à fixer les présupposés et les bienséances d’une telle entreprise tandis que La Mothe Le Vayer et Saint-Réal polémiquent contre les inconvénients de cette démarche. Tous les quatre considèrent l’histoire « comme un ‘miroir’, mais, à la fin de ce débat entre « historiologues », elle devient « le miroir qui nous renvoie une image de nous-mêmes » (97) au lieu d’être « le miroir flatteur de nos rêves d’héroïsme » (97). Le hasard, qui selon les libertins « règle les affaire humaines » (99), est interprété « comme l’interférence de séries causales indépendantes l’une de l’autre » (99). On ne peut qu’admirer la pertinence des analyses de Ferreyrolles. Les réponses de La Mothe Le Vayer à la question du statut de l’histoire et de son utilité varient « selon les circonstances » (111). Selon Fréderic Charbonneau et Hélène Michon, le Discours de l’Histoire appartient « à l’époque du ministère de Richelieu, pendant laquelle le philosophe mettait ses idées trop hardies sous le boisseau » (112). Cette formulation bienveillante nous avertit que, dans ce traité, les polémiques contre l’Histoire de la vie et des actions principales de l’empereur Charles-Quint de Prudence Sandoval proviennent autant de l’effort de complaire à son mécène français que d’un engagement en faveur d’une historiographie indépendante des consignes ou des attentes d’un commanditaire. Le critique littéraire se trouve concerné dès que La Mothe Le Vayer remarque « que si Sandoval n’a rien emprunté des orateurs […], il a encore moins pris des poètes, si ce n’est qu’il débite beaucoup de contes fabuleux, qui corrompent comme un mauvais levain ce qu’il y a de vérité dans son Histoire » (138). L’auteur qualifie ensuite de « merveilleuse impertinence à cet historien de débiter par une ridicule généalogie de Charles-Quint, expliquée de père en fils depuis Adam jusqu’à lui » (139). Selon lui, c’est une « impiété » de « passer du texte sacré à la fable de Troie, et de coudre les vérités de la Genèse avec les rêveries du Bérose supposé par Annius de Viterbe, et celles de l’abbé Trithème » (139). Ce type de généalogies relève toutefois d’une pratique littéraire courante et d’une habitude vénérable dans l’effort d’élaborer l’aura des souverains. C’est ainsi qu’on projetait par exemple la puissance des rois de France dans l’image de l’Hercule gaulois. Les discussions sur le programme de décoration de la Galerie des glaces de Versailles prouvent l’actualité d’un tel procédé dans les années 80 aussi bien que la clairvoyance de Louis XIV qui impose la glorification de ses victoires sans avoir recours à cette mythologie, nouveau type de glorification interprété par ses adversaires comme orgueil insupportable, à tort si l’on tient compte de cette contestation ‘scientifique’ du mythe. La Mothe Le Vayer accuse Sandoval « d’avoir voulu mettre toujours le bon droit du côté de Charles-Quint » (168) tout en reconnaissant que beaucoup d’auteurs tant anciens que modernes « sont tombés dans une lâche Comptes rendus 121 flatterie et ont dressé des panégyriques de ces héros prétendus » (168). Il cherche donc à subvertir les affinités entre discours épidictique et discours historique mais il pèche lui-même en faisant trop valoir le prestige de la France et en reprochant aux Espagnols d’être « injustes » envers les Français parce que « l’amour-propre qu’ils se portent, joint au peu d’estime qu’ils font des autres, leur fait faire des jugements téméraires et ridicules » (208). C’est sa manière de s’approprier le précepte qui, suivant Le Moyne, oblige « l’historien d’être aussi libre à déclarer les vices des grands que leurs vertus » (376). D’après Christian Meurillon, Saint-Réal se comporte en « moraliste, observateur des mœurs et non juge ou prescripteur » (475). Selon ce « historiologue », « le véritable usage de l’Histoire » consiste à « étudier les motifs, les opinions et les passions des hommes, pour en connaître tous les ressorts, les tours et les détours, enfin toutes les illusions qu’elles savent faire aux esprits, et les surprises qu’elles font au cœur » (485-486). Il encourage les historiens à oser une « anatomie spirituelle des actions humaines » (529), projet qui rappelle en effet celui des moralistes de l’époque. Béatrice Guion identifie dans les Instructions pour l’Histoire de Rapin « les arguments, les exemples et les citations les plus caractéristiques de l’ars historica » (568). Ce jésuite cherche toutefois à délimiter les compétences de l’orateur, qui « peut s’échapper en des saillies d’éloquence vives » (661), et du poète, qui « peut sortir de son sujet » (661), de celles de l’historien, qui « ne parle que de sang-froid » et ne doit « rien dire que de judicieux » (661). Tite-Live, « le plus accompli de tous » (673), et Cicéron sont les hérauts de son concept de l’historiographie. Il regrette que la mode du portrait dans les romans ait « gâté l’esprit » (643) de sorte qu’il s’avère dorénavant difficile d’en embellir une Histoire, qui lui semble toutefois avoir besoin de cette manière de dépeindre les caractères des personnes. Rapin reconnaît qu’il « n’y a presque point d’historiens qui n’aient leurs inclinations et leurs aversions » (666), mais il exige qu’il soit « un homme sans passion, qui ne se propose que le jugement de la postérité comme but […] et qui n’a d’attachement que pour la vérité » (666). L’équipe rédactrice aussi bien que le directeur de ce volume ont surmonté un grand nombre de difficultés. Leur édition critique des traités, souvent la première, est un travail pionnier, leur commentaire décrypte la plupart des innombrables allusions et leurs présentations des traités convainquent par la synthèse succincte d’un débat aux multiples facettes dont les enjeux sont souvent liés aux ambitions de leurs auteurs réagissant à des tensions rarement exprimées avec clarté. Un des fruits de la lecture des traités réunis dans cette anthologie consiste dans la mise en évidence de l’imbrication de l’historiographie dans une vision oratoire de l’art d’écrire. PFSCL XLIII, 84 (2016) 122 Cette anthologie de traités sur l’histoire enrichit beaucoup notre connaissance du monde littéraire du XVII e siècle. Aucun critique qui s’occupe de la poétique du XVII e siècle, ne pourra plus contourner la problématique littéraire de ce genre. Son étude devient passionnante dès qu’on l’aborde en incluant les aspects épistémologiques et anthropologiques. Il faut donc féliciter les éditeurs du présent volume de rappeler aux spécialistes de la théorie littéraire l’impact des « historiologues » sur la théorie poétique et rhétorique de cette époque. Volker Kapp Guillaume Peureux : La Muse satyrique (1600-1622). Genève : Librairie Droz, 2015 (« Les Seuils de la modernité »). 205 p. + Bibliographie et Index. L’ouvrage de Guillaume Peureux ne se laisse pas aisément recenser. L’objet dont il traite est si déroutant et sa manière de l’aborder si nuancée, que toute tentative de le résumer ou de le synthétiser court le risque de tomber dans la simplification outrancière et surtout de perdre une bonne partie des liens minutieux qu’il tisse d’un chapitre à l’autre. Les recueils satyriques (l’emploi du y n’est pas anodin) constituent un objet difficile, rarement appréhendé par la critique littéraire malgré son évident succès éditorial pendant les vingt premières années du XVII e siècle, et en dépit du catalogue dressé par Frédéric Lachèvre au début du XX e siècle qui en facilite l’approche. L’histoire littéraire ne fait guère de place à ces publications qui cadrent mal avec les critères usuels de canonisation : pas ou peu d’auteurs connus, beaucoup de poèmes anonymes, une immoralité affichée, des formes variées et une versification parfois fautive, une langue riche et expressive mais souvent familière qui ne recule pas devant le mot bas ou vulgaire. À cela s’ajoutent la rareté des exemplaires conservés, le casse-tête des rééditions et des variantes, le manque de connaissance sur le contexte de création et les réseaux d’auteurs, une ignorance des motifs secondaires des imprimeurs et des libraires impliqués dans cette vogue, et enfin d’importantes lacunes quant aux données qui permettraient de reconstituer la réception de tels recueils. Comment donner du sens à cet ensemble déroutant ? Guillaume Peureux ne se contente pas des jugements péjoratifs de Lachèvre, il prend ses distances vis-à-vis de tout compromis ou de toute solution de facilité. Il évite de tomber dans la psychologie des éditeurs et des auteurs dont on