eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 43/84

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2016
4384

Jonathan Carson (éd.): Paul Scarron, Théâtre complet. Édition critique par Jonathan Carson. Genève: Droz, 2 vol. 1788 p.

2016
Volker Kapp
Comptes rendus 115 Jonathan Carson (éd.) : Paul Scarron, Théâtre complet. Édition critique par Jonathan Carson. Genève : Droz, 2013, 2 vol. 1788 p. Jusqu’au début du nouveau siècle Scarron était un dramaturge négligé. L’édition de son théâtre, publiée en 2007 par Barbara Sommovigo, n’a pas pu changer cet état déplorable elle est ignorée par Jonathan Carson aussi bien que par Véronique Sternberg, dont l’édition du Théâtre complet de Scarron (2009) est au moins mentionnée, bien que sans commentaire, par Jonathan Carson dans la note 1 de son introduction à la présente édition. Dans l’édition de Véronique Steinberg, la bibliographie, par ailleurs assez sommaire, ne signale aucun des travaux de Carson, qui pour sa part passe sous silence les autres publications de Sternberg concernant Scarron. Après avoir publié un compte rendu de l’édition de Sternberg dans cette revue (PFSCL vol. XXXVII (2010), pp. 475-478), nous nous permettons de comparer ici la présente édition avec la précédente procurée par Sternberg. Une divergence de première importance est annoncée dans le titre : c’est maintenant « une édition critique » tandis que Véronique Steinberg se contentait de reproduire la dernière édition publiée avec privilège du vivant de l’auteur et la première édition des pièces posthumes. Sans réprouver cette option de Steinberg, il faut reconnaître que le travail philologique de Carson est plus soignée et par conséquent plus précieux parce qu’il enregistre les multiples variantes des textes. Dorénavant, les spécialistes auront intérêt à se référer à la présente édition qui fournit un texte beaucoup plus fiable. L’annexe grammaticale et le glossaire de l’édition de Steinberg restent utiles malgré leurs défauts dus à une certaine négligence de l’éditrice qui oublie par exemple d’enregistrer dans le glossaire des termes auxquels elle renvoie dans le texte. Carson complète ses notes philologiques par des notes explicatives, cependant un peu parcimonieuses bien que toujours éclairantes. Les deux éditeurs s’accordent à discuter les principes d’adaptation des drames espagnols puisque, aussi bien que les autres dramaturges de la première moitié du XVII e siècle, Scarron n’hésite pas « à piller ce que [lui] offrait le théâtre espagnol de l’époque » (13). Carson focalise son attention sur cette problématique non seulement dans son introduction (11-159) mais également dans la présentation de chaque pièce, à un tel point qu’il renonce à l’introduction dans le cas de Le Prince corsaire. Il préfère qualifier cette pièce de « romanesque » (15) pour éviter d’évoquer le débat sur les divergences entre tragédie et tragi-comédie. Face aux détracteurs de ce volet de l’œuvre de notre dramaturge, il insiste sur le fait que les pièces romanesques abordent « de manière sérieuse » les mêmes traits que les pièces comiques : PFSCL XLIII, 84 (2016) 116 « l’honneur, la passion, la générosité et la franchise des sentiments » (90). Les développements de Carson sont centrés sur l’histoire littéraire tandis que Genette, dont les théories servent de cadre à l’argumentation de Steinberg, en reste absent. Ses analyses détaillées des pièces seront bienvenues à ceux qui s’efforcent de saisir les subtilités de la structure dramatique et du travail stylistique de notre dramaturge tandis que Sternberg conviendra mieux à ceux qui se préoccupent de théories littéraires. Il est impossible d’énumérer ici toutes les remarques éclairantes, comme par exemple l’identification des « références bibliques » (40) dans Le Gardien de soy-mesme, « dont certaines obscures, et qui ne sont pas toujours des mieux choisies » (40). Carson démontre « dans quelle mesure Scarron avait maîtrisé non seulement les techniques scéniques, mais aussi l’expression à l’appui de son sujet lorsque le sujet devient sérieux » (71). La comparaison de L’Escolier de Salamanque ou les Genereux Ennemis avec Les Genereux Ennemis de Boisrobert (77-84) prouve que la pièce de « Scarron est supérieure sur tous les plans : théâtral, dramaturgique, comique, de la caractérisation et du dialogue » (84). Les rapports aux deux frères Corneille sont bien mis en évidence (77, 143-145). L’introduction à L’Escolier de Salamanque (893-906) fournit une comparaison minutieuse avec Obligados y Ofendidos, y Gorron de Salamanca de Francisco de Rojas Zorilla. Sa conclusion se contente de constater que « Scarron n’est pas sans savoir-faire dramatique » puisqu’il « sait nouer, et de manière entièrement compréhensible, une intrigue complexe à partir d’un modèle souvent décousu pour en faire une pièce plus harmonieuse et entièrement dans les normes » (903). Ce résultat s’accorde avec l’éloge du « goût français » (106), que Carson exalte aussi bien que Sternberg. Les deux éditeurs se conforment sur ce point avec une habitude bien établie de la critique littéraire dont la validité est toutefois sujette à caution. Dans notre compte rendu de l’édition de Sternberg, nous avons déjà rappelé l’importance du théâtre italien que cette édition critique de Scarron ignore de nouveau. Il nous semble peu satisfaisant de réduire l’analyse des pièces du dramaturge français à la seule démonstration de sa supériorité sur les modèles espagnols au lieu d’envisager le spectre plus large du théâtre européen dans lequel les Italiens jouent un rôle tout autre que négligeable. Les clichés nationaux devraient être surmontés en faveur d’une prise en considération des différentes facettes de la riche tradition européenne du spectacle dans laquelle l’œuvre de Scarron mérite une place importante. Il faut saluer cette édition critique qui rend justice à l’œuvre de Scarron en prenant au sérieux la qualité des variantes de ses pièces qui illustrent le processus de l’accès du théâtre français au rang qu’il faut lui reconnaître. Volker Kapp