eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 42/83

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2015
4283

François Lasserre: L’Inspiration de Corneille. Éléments d’un portrait - La Galerie du Palais - La Suivante - La Contestation du Cid - La Fidélité à l’histoire. Paris: L’Harmattan, 2014. 485 p.

2015
Emmanuel Minel
PFSCL XLII, 83 (2015) 462 extraits de Le Mérite des Dames (1657) de Saint-Gabriel proviennent de la seconde édition de 1657, que Mme Dufour-Maître a détectée dans le Fonds Peiresc de la Bibliothèque Méjanes. Saint-Gabriel s’inspire des dialogues Il merito delle donne publiés en 1600 sous le pseudonyme Moderata Fonte après la mort de l’auteur Modesta Pozzo de’ Zorzi, poétesse plus connue à l’époque par ses poésies religieuses. Saint-Gabriel semble « éclairer le contexte dans lequel l’abbé de Pure évoque […] les ‘mystères de la ruelle’ » (686). Les trois pièces Le Royaume de la Galenterie [sic], La Promenade des Amans, Les Nouvelles galantes (1659), signalées par Wolfgang Zimmer (Die literarische Kritik am Preziösentum, 1978), sont reproduites d’après la copie conservée à la Bibliotheca Bipontina de Deux-Ponts. Le Royaume de Galenterie « reproduit la glose marginale d’une estampe conservée à la BnF, intitulée Geographie galande [sic], Description universelle du Royaume de Galanterie » (705). C’est des manuscrits Conrart que proviennent aussi Les nouvelles galantes, gazette anonyme qui parodie les Chroniques du Samedi ou La Gazette de Tendre. Elles sont plus complices que réprobatrices et marquent « l’incontestable magistère » (713) de Madeleine de Scudéry dans les années 1654-1661. Pour finir, un dossier (751-820) contient la « table du récit » (749-762), un glossaire (753-765), une chronologie (766-770), la bibliographie des œuvres de Michel de Pure (771-779), des autres sources et de la critique (779-796) ainsi qu’un « Index des personnes et des personnages » (797-801) et des « notions qui font l’objet d’une définition ou d’une conversation » (802-808) et quatre illustrations (810-817). Tout ce dossier est bien fait et très utile. Le lecteur sait gré à Myriam Dufour-Maître de cette édition magistrale qui l’invite à découvrir le côté fascinant de La Précieuse. Volker Kapp François Lasserre : L’Inspiration de Corneille. Éléments d’un portrait - La Galerie du Palais - La Suivante - La Contestation du Cid - La Fidélité à l’histoire. Paris : L’Harmattan, 2014. 485 p. Le nouveau livre de François Lasserre sur Pierre Corneille reste dans la tradition exemplaire des études biographiques et littéraires qui étudient l’œuvre et les principes de création de l’auteur au plus près de l’homme, de son caractère et de ses intuitions créatrices, mais aussi des interactions événementielles et personnelles avec le microcosme politique et dramaturgique (et l’on sait qu’au fil des années l’auteur est devenu l’un des spécialistes minutieux de la Querelle du Cid). Le livre apporte une nouvelle Comptes rendus 463 moisson de découvertes et de précisions éclairantes, si bien que le portrait du « bonhomme Corneille » s’en trouve considérablement mieux campé. La méthode est presque inverse de celle qui a permis à Georges Forestier de remuer si considérablement nos visions de Molière et de Racine, et, il y a plus longtemps, de Corneille lui-même, puisque, pour la théorie, l’un part d’un système d’écriture et l’autre d’un souci empirique dont découlent des solutions, et que, pour la dimension biographique, l’un part de documents économiques et techniques extra-littéraires et l’autre des échanges écrits entre gens de lettres, dont affleurent des enjeux et des projets. Mais la force et la fertilité de l’enquête ne sont pas moindres, ni sa minutie. Dans une première partie, François Lasserre présente les « éléments d’un portrait » du dramaturge normand à sa table de travail, et d’abord sa « technique systématiquement expérimentale » (p. 31) mais dont se dégagent quelques caractéristiques fortes : le statut de la vérité historique, le sens du dialogue, la fréquence et la force avec laquelle « la personne qui parle se met elle-même en scène » (p. 14) et en quoi François Lasserre voit une dimension clé de la « poésie », et pas seulement de la « poétique » cornélienne. Il présente l’exercice un peu obligé qu’est la revue des pièces de Corneille sous l’angle de cette constante recherche expérimentale soutenue par quelques intuitions créatrices, et la détache de « l’inspiration de l’actualité » (p. 41) qui fut la grande hypothèse directrice de Georges Couton. Cependant, pour dire combien fut importante la pression du politique sur le dramaturge, qu’illustrent la Querelle du Cid, l’aventure des Cinq Auteurs au service de Richelieu ou l’écriture d’Horace, François Lasserre, dont on connaît les recherches antérieures, n’en était pas moins le chercheur approprié. C’est ensuite avec une réflexion argumentée qu’il propose Nicomède, ou plutôt Don Sanche d’Aragon et sa prise à parti par Condé, comme un grand tournant bio-politico-dramaturgique de l’œuvre : l’affaire, en effet, n’est pas seulement « réactive » et enfermée dans l’immédiateté calendaire, elle est, pour Corneille, ce « à quoi il va devoir sans doute la puissante réorientation et les nouveaux remous de sa carrière » (p. 46), avec « un impact énorme sur le ton, non seulement de [Nicomède] mais de tous ses ouvrages » (p. 47). Corneille, finalement peu malmené, va revenir, nous dit-on, à la politique, mais sans la peur ancienne des tracasseries du Pouvoir, et désormais, par le biais de l’ironie, il va « s’amuser en pleine tragédie » (idem). Avec le rameau d’or de cette ironie décomplexée qui veut « surprendre le rêve égoïste de grandeur » (p. 48) des personnages mais aussi des spectateurs de la tragédie, François Lasserre nous propose de relire par exemple Pertharite, où, selon le mot de Jean Schlumberger, « un personnage consentait enfin à l’humiliation ! ». PFSCL XLII, 83 (2015) 464 Pour ce que est du « caractère » et de la biographie de Corneille, François Lasserre, qui nous a depuis longtemps habitué à son érudition minutieuse au service d’une intuition audacieuse et pionnière (on se souviendra de son Alidor, et de ses recherches sur Corneille angliciste ! ), ne déroge pas à sa réputation. Il met en lumière un Corneille provocateur et ironique (voir les pages 73-96 : « IVune ironie explosive ») mais aussi qui, durant toute sa carrière, poursuit « son obsession de comprendre la nature du théâtre » (p. 97). Un Corneille féru de latinité et d’histoire, peu mondain, on le sait, mais aussi qui débute sans appuis préalables, et pour qui, donc, l’amitié d’un Alexandre de Campion sera décisive. Ici est sans nul doute l’apport biographique majeur du livre. Mais d’autres aspects déjà bien connus se complètent aussi de retouches fines : celle du Corneille plus soucieux des « tressaillements du public » (p. 98) que des doctrines de parti - fût-il le parti cornélien ! - est vivante, comme celle du Corneille hispaniste mais aussi probablement angliciste, allant partout chercher des « trucs » de dramaturge ; celle enfin, essentielle, du Corneille sensible à la condition féminine et lui devant une bonne part de la secrète profondeur de son théâtre … y compris de sa profondeur politique. Bref, voici un Corneille moderne et « (encore ! ) à redécouvrir » (p. 100). Dans une deuxième partie, centrée sur La Galerie du Palais, comédie complexe et décisive du groupe des pièces de jeunesse, et sur La Suivante, pièce à l’intertextualité multiple, François Lasserre, renouvelle encore une critique pourtant déjà étoffée. L’étude de La Galerie, qui rend justice à cette pièce souvent jugée difficile, porte l’accent sur l’importance de la technique des liaisons de scènes, essentielle dans cette savante comédie des courants d’air, mais aussi sur la figure d’Hippolyte comme « allégorie de la Comédie » et enfin sur le sens de la virtuosité de la pièce, à la fois « publicité pour soimême » et acte de concurrence avec les autres dramaturges du temps (Claveret, Scudéry et Mairet, essentiellement). L’étude de La Suivante, elle, fait le point sur « les antériorités et les chemins de l’imitation » (p. 159) à partir d’un travail sur La Diane de Rotrou (et sur La Doristée) mais aussi sur La Courtisane de Gougenot, et sur Lo Cierto por lo dudoso de Lope de Vega (ainsi que sur sa Villana de Getafe). François Lasserre y conclut que « nous avons affaire à un travail particulier, non pas d’imitation mais de transfert des procédés dramatiques […], tremplin d’un processus organisateur tout nouveau » (p. 188). Nous sommes ainsi invités dans le laboratoire de l’invention dramaturgique cornélienne, qui ne procède pas par collage mais par implant « génétique », pourrait-on dire, en reprenant une célèbre métaphore. Nous sommes aussi invités à réinterpréter la sensibilité prétendue misogyne de Corneille à la lumière de « l’influence des poètes satiriques » Comptes rendus 465 du temps (p. 190) mais aussi de la « réflexion sociale » de la Renaissance tardive sur l’injustice matrimoniale. La troisième partie de l’ouvrage, qui représente une bonne moitié du volume, est consacrée à la « contestation du Cid » (p. 195) et fait le bilan des explorations antérieures de François Lasserre sur la Querelle et sur Gougenot. Elle reprend un certain nombre de points d’érudition sur l’anoblissement de la famille Corneille, sur les démêlés avec Scudéry, Claveret (querelles de L’Amant libéral et de La Place royale), l’Académie ou Mairet (l’Avertissement au Besançonnais). Elle s’attache à valoriser l’argumentaire « technique » du Souhait du Cid, dont « la qualité et la profondeur de la réflexion sont originales » (p. 311) et dont l’auteur est très probablement Alexandre de Campion : sa personnalité, sa carrière et ses rapports très amicaux avec Corneille sont remis en perspective dans le chapitre VI (« un « chevalier du Cid » ? »), de façon très convaincante (p. 327-357). Si le nom attendu ne nous est donné, malicieusement, qu’au terme d’un suspens de trente pages, cet esprit de roman policier (ou de tragi-comédie ! ) nous tient encore en haleine dans le chapitre VII, qui termine la tierce partie, lequel demande si l’agressivité de Scudéry envers Corneille n’avait pas « quelque motif ignoré » (celui d’avoir été brocardé en Matamore) puis reprend la trame des intriques chapelaines et montre l’inconfort judiciaire autant que littéraire (et là est la petite trouvaille de François Lasserre ! ) d’un Corneille lié « avec le milieu factieux des Campion » (p. 385). La quatrième et dernière partie, « La fidélité à l’histoire », trop brève, n’est guère qu’une ouverture … non pas sur les dénouements cornéliens mais sur « l’enchaînement des intérêts » (p. 390) comme étant la leçon même de l’histoire. On peut dire qu’il réalise en effet un portrait en acte de la Providence, qui, elle aussi, fixe d’abord la fin, puis négocie les acheminements, tel un dramaturge céleste. Cette théologie inhérente à la « disposition du poème dramatique » (p. 410-12) serait donc à exposer plus à loisir. Puisse François Lasserre en inspirer le projet à d’autres, sinon à lui-même, en prolongement de ce bel ouvrage ! Les appendices (p. 413-467) contiennent, entre autres, le texte annoté du Souhait du Cid en faveur de Scudéry, et le billet apocryphe de Corneille à Rotrou, commenté. Emmanuel Minel