eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 42/83

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2015
4283

Pauline Chaduc: Fénelon, direction spirituelle et littérature. Paris: Champion, 2015 (coll. «Lumière classique» n° 100). 718 p.

2015
Volker Kapp
PFSCL XLII, 83 (2015) Pauline Chaduc : Fénelon, direction spirituelle et littérature. Paris : Champion, 2015 (coll. « Lumière classique », n o 100). 718 p. Après l’édition critique de la correspondance de Fénelon, Pauline Chaduc vise à élever sa correspondance spirituelle « en ‘chef-d‘œuvre’ au même titre que la correspondance de Voltaire » (12). Pour y parvenir, elle cite la condamnation de l’archevêque de Cambrai par Michelet (à plusieurs reprises, plus abondamment p. 664) dans l’intention de la corriger en reconstituant le cadre général des réflexions et des pratiques de la direction catholique au XVII e siècle. La mise en doute de cette direction par les dramaturges, les mémorialistes ou les libertins est plus familière aux critiques littéraires que l’auto-conscience des ecclésiastiques qui dispesaient leurs conseils. Les présupposées de leurs échanges avec les dirigés se heurtent à la devise de l’autonomie du sujet propagée depuis les Lumières. Formé par l’Oratoire, association de prêtres promouvant cette activité, Fénelon est le « dernier maillon d’une tradition spirituelle » (14), illustrée brillement par François de Sales, qu’il érige en « modèle du parfait directeur » (70). Grâce à sa qualité d’épistolier et au rang de ses destinataires, le corpus de ses lettres marque un sommet de la littérature spirituelle, mais la « suspicion attachée à son nom » (659) et les attaques menées contre ses idées théologiques entraînent une décadence de ce genre littéraire et de la pratique dont il provient. C’est à la suite du Concile de Trente que la direction spirituelle est promue. Elle s’impose, d’une part, en vue de « contrôler des expériences qui […] échappent à la visibilité institutionnelle » (40) de l’Église catholique, contestée par les Réformés. Le « discours prophétique » (113) des laïcs s’autorisant de leurs ‘expériences mystiques’ provoque, d’autre part, des réactions violentes contre les directeurs se réclamant de leur intimité avec Dieu. Est-ce que cette prétention ne détache pas la direction des compétences de la hiérarchie ecclésiastique ? Ce phénomène du domaine religieux, marginalisé de nos jours, concerne des points névralgiques de la société civile du XVII e siècle ; aussi soulève-t-il des animosités dont la longévité est documentée par un des témoins prestigieux, Michelet. La pratique de la direction spirituelle « s’appuie sur le discours psycho-physiologique de son époque, et notamment sur la doctrine hippocratique des humeurs et des tempéraments » (165). Elle cherche à corriger le « tempérament mélancolique » (165), préoccupation de toute la civilisation française de cette époque, à laquelle les traités du savoir-vivre opposent leurs concepts de la civilité et que les moralistes visent par leur critique des mœurs. L’auteur tient compte de ces affinités en étudiant la littérarité des lettres spirituelles à l’intérieur des paramètres culturels du siècle classique. PFSCL XLII, 83 (2015) 456 Fénelon est plutôt épistolier que théoricien de la lettre spirituelle. Il faut donc le confronter aux « guides » plus au moins volumineux et aux recueils de lettres adressées aux dirigés que les libraires éditent au cours du siècle si l’on veut cerner la spécificité de cet auteur. À l’opposé du genre « du miroir du directeur » (64), qui fleurit dès la première moitié du XVII e siècle, il se contente d’une brève Lettre sur la direction. M me Chaduc sait compléter les généralités sommaires de cette lettre par les messages personnalisés que ses lettres communiquent à ses dirigés. Le chapitre sur « l’élaboration d’une science [de la direction spirituelle] et de ses méthodes » (151-232) confronte les manuels de Jean-Pierre Camus et des grands spirituels de l’Oratoire ou de la Compagnie de Jésus aux énoncés théologiques de ses lettres et de ses écrits spirituels. « Contre l’exactitude et le formalisme, Fénelon prône la ‘souplesse’, corrélat sur le plan pratique de la vertu de simplicité et de la catégorie stylistique du naturel » (208). Dès qu’il cherche à « dissocier la mystique et le prophétisme » (112) lors du combat contre M me Guyon, connu sous la désignation de querelle du quiétisme, il devient la cible d’attaques, parfois malveillantes, cependant plus pernicieuses à la direction spirituelle qu’à sa personne, transformée en mythe dès le siècle des Lumières. M me Chaduc s’en tient à l’époque allant jusqu’à la mort de l’archevêque de Cambrai. Le genre littéraire de la lettre lui convient d’une telle manière que beaucoup de ses écrits spirituels étaient originairement des lettres, par exemple celles adressées à M me de Maintenon, qui en copie des extraits, diffusés d’abord sous forme de manuscrits pour devenir ensuite des livres publiés sans nom d’auteur et modifiant les textes de l’épistolier. Le dialogue oral ou épistolaire lui semble préférable au livre imprimé étant donné que « l’idéal de la lecture est la reproductibilité de l’écrit dans l’expérience vive du lecteur » (228). Il hésite à donner ses écrits spirituels à la presse jusqu’au moment où il doit réagir contre les éditions non autorisées de ses propos. Quand les péripéties de sa vie le forcent à renoncer à l’exposé oral de son instruction spirituelle dans un cercle intime, il doit lui substituer le rôle d’épistolier. Dans une lettre du 4 février 1694 à François Lamy, l’archevêque de Cambrai, confiné par ordre du roi dans son diocèse, s’excuse de la nécessité de restreindre ses activités de directeur « désormais en priorité sur ses ouailles » (321). Mais un grand nombre de ses anciens dirigés trouve des moyens pour rester en rapport épistolier avec leur directeur par des voies sûres, inaccessibles à l’espionnage de la censure royale. Paradoxalement, la communication épistolaire avec la comtesse de Montberon, épouse « assaillie de scrupules » (225) du gouverneur de Cambrai, est « la plus volumineuse » (321) et la plus citée dans cette étude, bien que le rang littéraire des témoignages de sa direction spirituelle la dépasse largement. Pauline Comptes rendus 457 Chaduc préfère, à juste titre, un « index des thèmes » (709-714) à l’index des noms, autrement le nom de cette comtesse y figurerait avec abondance. Les trois parties de l’analyse focalisent l’attention sur l’« art de gouverner » (19-306) et l’« art du dialogue » (307-502) ainsi que la démarche allant « de l’herméneutique à la réforme de l’autre » (503-658). Les spécificités de Fénelon se profilent à l’intérieur de la fresque des « représentations de la direction spirituelle » (23) dont « le travail réflexif » (24) doit faire face à une « nouvelle conception de la dévotion » (26). M me Chaduc s’en tient à « l’avènement du sujet moderne » (26), qu’elle analyse à la suite des études de Foucault selon lequel « la direction spirituelle chrétienne, après les moments socratique, stoïcien et épicurien, avait constitué une étape essentielle […] dans une histoire des pratiques de la subjectivité » (507). Marqué par Louis Tronson de la compagnie de Saint-Sulpice, l’un des examinateurs de M me Guyon, dont les résultats sont documentés dans l’Explication des articles d’Issy, Fénelon participe au débat sur l’autorité des directeurs et exhorte ses dirigés à « obéir sans soutien, sans appui, sans espoir de récompense » (251). Bien que profitant lui-même de la direction prophétique, il se méfie de ce côté des activités de M me Guyon et soutient que « l’expérience spirituelle, aussi sublime soit-elle, n’équivaut pas l’état apostolique » (113) de l’évêque ou du prêtre. D’après l’archevêque de Cambrai, le directeur guide son dirigé sans le précéder par une vision obstinée de sa voie à suivre. Dès qu’il s’abstient des idées préconçues, il doit l’inviter à s’abandonner à la volonté divine et à suivre paisiblement les mouvements inspirés à son âme. Il renverse ainsi le « circuit de l’échange : les brebis ne doivent rien au pasteur mais le pasteur doit tout aux brebis » (304-305). Cependant la lettre du 20 mars 1691 « reproche à M me de Maintenon son engouement pour le terme d’ « abandon » et l’exhorte à conformer sa « pratique » à son langage » (487). Fénelon élabore tout un ensemble de concepts et d’images pour transmettre ce programme, par exemple celui des mains. Elles caractérisent « la conduite du directeur qui reproduit comme en écho la conduite divine » (271). La sincérité allant jusqu’à l’aveu des pensés honteuses est aussi nécessaire que le renoncement à toute complaisance à s’occuper de ses défauts. Fénelon qui exige du dirigé d’« écrire sur lui-même sans songer à ce qu’il dit » (551) refuse tout compromis en ce qui concerne l’ouverture à Dieu. Il expose lui-même « ses idées avec clarté et concision […] concentrant son enseignement sur un point et expliquant avec patience sa démarche » (271). Contrairement à d’autres, surtout les jansénistes, il récuse toute sévérité, qui pourrait détourner de la vie religieuse, et qualifie tout au contraire le directeur de « consolateur de ses enfants » (cité p. 288). L’idée d’enfance spirituelle, un des pivots de sa spiritualité, est propagée par PFSCL XLII, 83 (2015) 458 M me Guyon, controversée dans la querelle du quiétisme et ridiculisée par Bossuet. L’art du dialogue se réalise différemment dans les « trois types de réseaux » (313) de la correspondance spirituelle fénelonienne : avec les religieuses ou les religieux, avec la haute aristocratie de la Cour, surtout les Chevreuse et les Beauvillier, et avec les ouailles de son diocèse de Cambrai. Ces trois types sont bien décrits (314-322). Selon Fénelon, « tout ce qui est bon dans ses lettres vient de Dieu, tandis que ce qui est mauvais vient de l’homme » (339). Sa direction spirituelle « semble très souvent incliner vers l’amitié » (359), aussi ses lettres sont-elles conformes « au besoin du destinataire intentionnel » (381) et respectent les « règles conversationnelles » (407), particulièrement la modestie. Elles cherchent à condenser autant que possible leurs messages dans des sentences permettant d’« énoncer des vérités qui servent au lecteur » (429). L’art de cet épistolier est largement décrit dans cette analyse. Fénelon encourage le chevalier Colbert à chanter des airs profanes en privé pour se réjouir et la sœur Charlotte de Saint-Cyprien « à composer des cantiques pour elle-même, à condition néanmoins qu’ils ne soient pas publiés » (469). Ces conseils s’accordent avec les développements sur la poésie de l’écriture sainte et la musique des Anciens qu’on trouve chez Claude Fleury. Ils côtoient également le recours à l’énoncé poétique dans le domaine mystique. Tandis que les poésies échangées entre Fénelon et M me Guyon sont décriées par la plupart des critiques, M me Chaduc se range du côté d’Yvan Loskoutoff en qualifiant cet « échange poétique » de « cas limite de direction » (459). Elle a raison d’insister sur « l’originalité » de cet « authentique dialogue spirituel » (463). Les « notions de simplicité et de liberté » (473) permettent de saisir certaines spécificités de ces poésies, mais il faudrait tenir compte encore plus du fait que la poésie au XVII e siècle range toujours plus haut dans la hiérarchie des énoncés littéraires que la prose pour évaluer la portée du passage de l’une à l’autre dans l’échange épistolaire. Par ailleurs, Jean de la Croix affirme dans le prologue de son Cantique Spirituel que la poésie exprime mieux ses expériences et ses idées que la prose de ses propres commentaires qui ne sont qu’un reflet insuffisant du Cantique. La réflexion sur les airs parodiés par les poésies du dialogue poétique entre Fénelon et M me Guyon devrait partir du constat que Guillaume Dufay parodiait déjà la chanson L’homme armé en se conformant à l’habitude de toutes les compositions musicales de messes pendant la Renaissance. L’analyse littéraire de cet échange poétique souligne « la confusion entre la muse chrétienne et la muse galante » (472), mais « l’harmonie entre le texte et la musique » (471) obtient ses titres de noblesses de cette tradition musicale très bien établie dont les deux épistoliers respectent Comptes rendus 459 la poétique en indiquant toujours l’air de la chanson parodiée. Malgré ces réserves, il faut reconnaître que le chapitre consacré à ces poésies innove par rapport aux travaux récents sur la poésie religieuse. Ses résultats invitent à prolonger ces développements pour réhabiliter pleinement la poésie religieuse. Malheureusement la bibliographie de cette étude omet l’ouvrage important de Robert Spaemann Fénelon Reflexion und Spontaneität (1963, deuxième édition remaniée 1990) bien qu’il soit très présent dans la critique fénelonienne en France. Le chapitre « Nécessité et dangers de la réflexion » (513-519) évoque les avertissements adressés à la comtesse de Montberon « contre la tendance à analyser son âme » (515). Il rapporte également que Bossuet condamne l’erreur de ceux qui ont parlé contre les réflexions. Ce débat sur la réflexion trouve des échos dans la philosophie de Leibniz, Kant et Hegel, échos bien mis en évidence par Spaemann mais inconnus à Pauline Chaduc. Sa conclusion cite Kant vilipendant l’autoritarisme pernicieux du directeur spirituel jugeant « la conscience à ma place » (663). Ce type de relation n’est autorisé de nos jours qu’à la médecine, surtout la psychanalyse, qui prend en charge cette fonction à partir du XIX e siècle sous des prémisses scientifiques. Ce qu’on pourrait qualifier de changement de paradigme rend difficile la compréhension de la pratique religieuse dont les divergences entre les théologiens, codifiant cette pratique, ne facilitent pas son évaluation. Les polémiques, particulièrement contre Fénelon, risquent de l’obscurcir pour toujours. Face à ces obstacles, il faut féliciter Pauline Chaduc de s’abstenir de toute réserve vis-à-vis de la direction spirituelle qu’elle étudie dans une optique littéraire en se documentant sur ses présupposés théologiques. Cette démarche lui permet de détecter une facette importante de la littérature du siècle classique. Volker Kapp Myriam Dufour-Maître : Michel de Pure, La Précieuse ou Le Mystère de la Ruelle. Édition établie, présentée et commentée par Myriam Dufour-Maître. Paris : Honoré Champion, 2010 (Sources classiques 98). 820 p. Ce roman volumineux est plus familier aux critiques par son thème que par une lecture personnelle approfondie. Émile Magne, dont l’édition critique (Paris, E. Droz, 1938-1939, 2 vols.) était jusqu’à présent la seule présente dans les bibliothèques universitaires, attirait l’attention sur les « clefs » décryptant l’identité des personnages fictifs participant aux entretiens. C’était une invitation à consulter l’ouvrage surtout pour illustrer quelque donnée