eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 42/83

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2015
4283

Les derniers jours de Louis XIII: chronique d’une mort annoncée

2015
Francis Assaf
PFSCL XLII, 83 (2015) Les derniers jours de Louis XIII : chronique d’une mort annoncée* F RANCIS A SSAF (T HE U NIVERSITY OF G EORGIA ) Le 14 mai 1643, Louis XIII meurt après une maladie dont les premiers symptômes s’étaient manifestés dès le 21 février de la même année, selon le journal de Marie Du Bois (1601-1679) 1 . Ce journal, repris par Jacques Antoine, garçon de chambre du roi, décrit presque jour par jour, avec une focalisation extrêmement ponctuelle, les progrès de la maladie de Louis XIII, dont on attribue aujourd’hui la mort à la maladie de Crohn (ou à une tuberculose intestinale). On y voit le monarque de jour en jour s’affaiblissant, luttant à la fois contre son mal et pour assurer son salut éternel, tout en tâchant de faire autant qu’il pouvait son « métier de roi ». Il conviendrait d’ouvrir ici une brève parenthèse pour informer le lecteur sur les rédacteurs de ces journaux. Qui était Marie Du Bois ? Qui était Antoine ? Ce dernier était garçon de chambre et porte-arquebuse du roi dès 1614. Quant à Marie Du Bois, il était valet de chambre de Louis XIII, puis de Louis XIV. Notons que le titre et la fonction de valet de chambre étaient réservés à la noblesse ; à ne pas confondre avec l’emploi de garçon de chambre, fonction roturière purement ancillaire. Les récits de la maladie et de la mort de Louis XIII consistent en sources manuscrites et imprimées chroniquant les derniers mois de la vie du roi. On peut dire que les manuscrits 2 constituent le versant laïc de cette chronique, alors que le mémoire du P. Jacques Dinet, son confesseur, en représente le versant religieux. Nous verrons que les premiers omettent quasi-totalement toute allusion ou référence à la ferveur religieuse du roi, si profonde qu’elle ait été. Ils ne traitent que très succinctement des activités politiques du roi durant sa dernière maladie, ce qui a pour effet de focaliser l’attention du lecteur presque exclusivement sur le corps physique, encore qu’ils men- * Cet essai est extrait d’un travail plus étendu, en cours. 1 Sieur de Lestourmière et du Poirier : gentilhomme servant du roi, valet de chambre de Louis XIII et de Louis XIV (1647-1676). Notons que le manuscrit disponible n’est pas l’original de Du Bois, mais qu’il a été recopié en 1664 par le S r . Antoine, garçon de chambre de Louis XIII et de Louis XIV (BnF Ms. Fr. 6993). 2 Celui de Du Bois/ Antoine, plus le manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de St-Germain-en-Laye. Francis Assaf 254 tionnent que le roi confie la régence à Anne d’Autriche, sans entrer dans trop de détails. Pour avoir un aperçu plus clair de tout ce qui se passait au point de vue politique à Paris durant cette dernière maladie, on doit consulter le journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson (1616-1686), paru sous forme imprimée en deux tomes en 1860. J’en ai compulsé la partie qui recouvre la période allant de février à mai 1643. 3 Là, la maladie et la mort de Louis XIII s’estompent et ne constituent plus qu’une toile de fond. Le roi devient une figure floue, lointaine, alors que les intrigues politiques qui continuent à se nouer à Paris occupent le premier plan. La relation de Jean (et François ? ) Antoine, fils du précédent, postérieure à 1715, reprend, pour la partie consacrée à Louis XIII, le manuscrit d’Antoine père (Jacques), qui lui-même n’est vraisemblablement pas identique au mémoire de Du Bois (nous n’avons que la copie d’Antoine ; il n’est donc pas possible de savoir si elle est totalement conforme). La transcription d’Antoine fils n’est pas absolument identique non plus à celle de son père. Elle offre quelques différences de vocabulaire, de style et de structure, à commencer par l’adjonction d’un avant-propos dans lequel le rédacteur évoque la présence de son père aux côtés de Louis XIII. Cet avant-propos, qui ne fait aucune mention de Marie Du Bois, a pour effet de rendre les Antoine non seulement « propriétaires » de la maladie et de la mort de Louis XIII, pour ainsi dire, mais aussi de privilégier la présence d’Antoine père. A quelques différences près, voici commence le journal de Du Bois (recopié par Jacques Antoine) : Le Jeudy 21 e jour de Fevrier 1643, le Roy Louis XIII. d’heureuse mémoire, dit le Juste pour ses rares vertus, tomba malade dans son Chasteau neuf 4 de St. Germain en Laye, où il faisoit sa demeure ordinaire tous les Estez, d’un Flux comme hepatique, avec une, espéce de Fiévre lente, qui ne le quitta point jusqu'a la mort, qui d’abord ne paroissoit pas dangereuse, ny mortelle; au jugement des Medecins qui ont accoustoumé de flatter toujours les Grands […] Dès le premier paragraphe, l’auteur annonce à la fois son manque de confiance dans les médecins 5 et dans l’évolution de la maladie. Notons cependant que dans les débuts, Louis XIII maintenait un rythme d’activités à peu près normal. 3 Laquelle occupe les pages 13 à 78 du Tome Premier. 4 Aujourd’hui presque complètement démoli. Il n’en reste que le pavillon Henri IV, converti en un restaurant de luxe. 5 On verra que Jean et François Antoine, fils de Jacques, garçon de chambre de Louis XIII, expriment le même sentiment vis-à-vis des médecins de Louis XIV. hronique d’une mort annoncée 255 Le cours irrégulier au début de la maladie se fait voir dans les remarques des jours suivants : le roi est trop mal en point pour se lever le 22 ; il passe la matinée au lit, même si le soir il reçoit des visiteurs dans sa galerie. Le lendemain, et jusqu’au mardi 26, son état s’est amélioré au point qu’il tient conseil et déclare le duc d’Enghien 6 général (à titre honorifique) de l’armée des Flandres. Il va chasser, mais en carrosse, le jeudi 28. Cette remarque, optimiste en apparence, doit s’interpréter comme un signe du progrès de la maladie, le roi étant hors d’état de chevaucher. Le journal de Du Bois mentionne à plusieurs reprises qu’il souffrait d’hémorroïdes, ce qui expliquerait l’usage du carrosse. Néanmoins, l’optimisme de Du Bois, qui varie de jour en jour et souvent fait place à un pessimisme encore accentué par sa constatation de l’impuissance des médecins, trahit son affection pour le monarque. Si la chronique de Du Bois/ Antoine ne mentionne guère d’activités religieuses, celle de son confesseur, le P. Jacques Dinet, S. J., nous montre le cheminement spirituel accompagnant inévitablement le déclin de la santé du roi jusqu’au jour de sa mort. La chronique de Dinet montre le roi en train de trier et de choisir des reliques, dont certaines lui viennent de sa mère et d’autres lui appartiennent en propre. Ce passage nous renseigne de façon spécifique sur la dévotion de Louis XIII, curieux mélange de spiritualité et de collectionnisme car, selon Dinet, …de tous les saints dont il avoit quelque ossement, ou quelque plus notable Relique, il avoit fait acheter la Vie, ou l’Office, & tous les deux ensemble, s’il avoit été en son pouvoir de les recouvrer, & que depuis long temps il les invoquoit tous les jours, soir & matin, sans y manquer, demandant à Dieu par leur entremise la grâce de faire une bonne fin, & de mourir en bon estat (4). Malheureusement, le P. Dinet ne nomme pas les saints dont le roi possède des reliques, mais il les présente comme nombreuses, richement enchâssées et sans doute variées. Il note aussi en passant qu’Anne d’Autriche n’était pas moins avide de reliques que son époux. Ce collectionnisme peut aussi se voir dans la composition de nombreux petits offices 6 Louis II de Bourbon-Condé, dit « le Grand Condé » (1621-1686). Voir l’excellent article de Jean-François Solnon in Bluche 380-383. Notons que le 19 mai, Condé remporte la bataille de Rocroi sur les Espagnols (à propos de laquelle Louis XIII aurait eu une vision peu avant sa mort). Il existe de lui plusieurs biographies, dont la plus récente est celle de Simone Bertière, Condé, le héros fourvoyé, Paris, Éditions de Fallois, 2011. C Francis Assaf 256 …que luy mesme [c’est-à-dire Louis XIII] a composez & mis par ordre, avec un soin qui n’est pas croyable, quoy qu’il ait esté secondé dans ce penible 7 travail, de l’industrie de ses Confesseurs, & de quelques autres sçavans & habiles hommes. (5) Par là, Dinet met en lumière la dévotion extrême du roi, de tout temps connue aussi bien de ses contemporains que des nôtres, et certainement vue avec grande approbation par son entourage, surtout les membres du clergé. Cette dévotion est inséparable de la progression de la maladie qui devait l’emporter le 14 mai 1643. Louis XIII sent sa mort approcher et redouble d’efforts pour être aussi certain que faire se peut de sauver son âme. Plus la maladie progresse, plus sa dévotion s’intensifie (s’il est possible d’imaginer cela). Parallèlement à cette vie spirituelle intense, sa vie physique s’amenuise. Au 13 mars, c’est-à-dire juste deux mois avant sa mort, le roi est devenu d’une grande maigreur et ne s’alimente qu’en fort petites quantités. Du Bois et Antoine attribuent son manque d’appétit à tous les remèdes que lui font prendre ses médecins. Le même précise que Louis XIII prenait souvent une tisane de rhubarbe « qui lui faisoit faire beaucoup d’évacuations, ce qui l’affaiblissoit beaucoup 8 . » (8) Au 16, on peut lire ce commentaire désabusé de Du Bois : Le Dimanche 16e mars le Roy se trouva fort mal à son réveil, ayant tres mal passé la nuït : tout le corps luy faisoit douleur ; estant d’un chagrin mortel, ne voulant plus prendre aucun remede que par force, ce qui commença à estonner les Medecins, voyants que Sa Majesté diminuoit à veuë d’œil et que leurs remedes ne faisoient pas l’effet qu’ils en esperoient, bien au contraire, car on avoit remarqué qu’elle se portoit mieux quand elle n’en prenoit point : mais il falloit suivre l’ordre de la Medecine et mourir dans les formes, ce qui est ordinaire aux grands Seigneurs (Ms. FR_6993, p. 9). S’il y a des améliorations temporaires, les rechutes sont à chaque fois plus graves. Notons que ni Du Bois, ni Antoine ne montrent jamais Louis XIII offrant ses souffrances à Dieu, que ce soit pour son propre salut ou pour celui de son peuple. Par contre, le P. Dinet cite le désir du roi d’être aussi parfait que possible dans les trois vertus théologales (foi, espérance, 7 Les italiques sont de moi. L’adjectif mérite d’être mis en relief car Dinet, arrivé de fraîche date à la Cour, ne pouvait constater cela directement, mais doit avoir entendu un certain nombre de commentaires de la part de familiers du roi, tant clercs que laïcs. 8 A noter que la rhubarbe a de fortes propriétés laxatives. Sans vouloir émettre un diagnostic à près de quatre siècles de distance, on peut se demander si ces fréquentes tisanes en fait ne le déshydrataient pas, contribuant ainsi à faire avancer son mal. hronique d’une mort annoncée 257 charité - 6) et sa vénération de saint Joseph (7). Il est également intéressant de noter que pour le (jeudi) 19 mars, aucun des manuscrits dont nous disposons ne mentionne la moindre dévotion à saint Joseph, ni sa confession générale au P. Dinet (Dinet 7-8), notant seulement que le roi est affaibli par son dégoût des aliments, cela provenant des remèdes que lui font absorber ses médecins. En fait, les manuscrits sont très discrets sur les actes de piété de Louis XIII, se contentant de rapporter qu’il se fait faire tous les soirs à son coucher une lecture pieuse par un de ses secrétaires ou gentilshommes de la chambre. On sait par ailleurs qu’il avait composé des livres de prière (imprimés) et qu’il s’en servait régulièrement dans ses dévotions. Cela confirme bien l’idée que les manuscrits représentent le « versant laïc » de la narration du déclin et de la mort du roi. On n’était pas inconscient à l’époque de Louis XIII, voire bien avant, des rapports étroits de l’esprit au corps. Dinet rapporte que cette confession générale a un effet très positif sur l’état de santé du roi : « elle y opera un changement si merveilleux, que comme on croit sans peine ce que l’on desire avec passion, il n’y eût aucun de nous qui ne creût qu’il estoit guery, & cette creance nous dura jusques à la Feste. » (9) La réalité physique semble tout autre, au moins pour un temps, puisque le 20 mars, lendemain de cette confession qui l’avait tant soulagé, il est tourmenté par des douleurs aux reins, qui affectent son moral assez durement. Nous ne pouvons rapporter que ce que disent les journaux. Le 22 (le 21 est passé sous silence), il va tellement mieux que les médecins reprennent espoir (et la reine est dans une « extresme joye »). Les 3 et 4 avril se passent assez bien. Du Bois souligne l’insistance des médecins à obliger le roi à prendre des tisanes, surtout de rhubarbe, et des clystères. Focalisons-nous sur les remarques de Du Bois que le roi se porte mieux chaque fois qu’il refuse de prendre médecine. Est-ce un fait ou plutôt la méfiance envers les médecins, laquelle il partage avec son maître ? Mes propres travaux sur la médecine au XVII e siècle, basés sur les informations que donne le Journal Des Sçavans, confirment cette méfiance qu’éprouvaient Louis XIII et son valet de chambre. Bien que le premier numéro n’ait apparu qu’en 1665, il n’y a aucune raison de penser que la médecine telle qu’on l’exerçait quelque deux décennies plus tôt fût bien différente. Même si les documents sur la maladie et la mort de Louis XIII ne parlent pas de remèdes à haute toxicité, comme le mercure et l’antimoine, les clystères et les tisanes de rhubarbe, administrés en aussi grande fréquence, ne pouvaient qu’épuiser l’organisme affaibli du royal patient 9 . Il sera saigné le 22 avril, 9 La tisane de racine de rhubarbe est présentée par des sources pharmacologiques contemporaines comme un laxatif doux à petite dose. On ne sait pas quelles doses C Francis Assaf 258 vers les 8 heures du matin. Du Bois constate qu’« elle [la saignée] réussit fort mal, luy ayant desséché la poitrine, et donné une toux continuelle, qui luy causa une fluxion sur la poitrine […] » (23). Du Bois rapporte au (dimanche) 5 avril une amélioration assez substantielle pour que le roi dîne en public et fasse même venir des domestiques pour jouer du théorbe et chanter des airs religieux. L’atmosphère de joie et d’optimisme qui caractérise cette journée fait contraste avec le soir, où Louis XIII s’endort brièvement, pour se réveiller « fort inquiet » et demander l’heure. Du Bois revient souvent sur cette obsession du roi pour le passage du temps, laquelle semble se poser en contraste avec sa résignation à la volonté de Dieu, voire avec l’impatience avec laquelle il attend la mort, qui doit lui permettre de rencontrer enfin ce Dieu qui occupe la plupart de ses pensées. Louis XIII, nonobstant, demeure conscient de ses devoirs de souverain. Le 20 mars, il commande au secrétaire d’État, Louis Phélypeaux de La Vrillière (1599-1684), de lire à haute voix sa décision de donner la régence à Anne d’Autriche (20). Dinet présente en détail les personnages assemblés dans la chambre du roi : la reine, Gaston d’Orléans, le prince de Condé, les ministres 10 . La description du P. Dinet relève (sans doute involontairement) de la représentation théâtrale : il précise que les rideaux du lit sont relevés. Le roi fait à voix haute un « monologue » de ses dernières volontés, alors que la reine, assise au pied du lit, écoute les paroles qui la feront régente. Nous savons tous combien la fonction royale relève du théâtre : les derniers mois de Louis XIII constituent le dernier acte d’une pièce qui se joue dès sa prise de pouvoir le 24 avril 1617. On peut donc dire que ce dénouement tient à la fois de la tragédie et de la comédie, puisqu’il donne de la joie au personnage principal. On peut relever pour appuyer cela la remarque du P. Dinet que, si les courtisans et la reine ont le visage baigné de larmes, le roi « auoit luy seul le visage gay & tesmoignoit estre fort content. » (20) La représentation ne s’arrête pas là. Une fois la déclaration signée, le Parlement, représenté par son premier président, les présidents à mortier, les conseillers et les gens du roi, entérine la déclaration. Les détails qui le médecins de Louis XIII utilisaient, mais elles devaient être assez fortes pour provoquer des « évacuations d’humeurs » presque immédiates. On peut se reporter au site http: / / www.creapharma.ch/ tisane-rhubarbe.htm. Interrogé le 16 mai 2012. L’abus de rhubarbe (même les tiges et les racines) entraîne des troubles gastriques et cardiaques sérieux, que l’on peut voir énumérés à ce site : http: / / www.wellness.com/ reference/ herb/ rhubarb/ dosing-and-safety. Interrogé le 16 mai 2012. On peut rapporter ces troubles aux symptômes que présentait Louis XIII dans ses dernières semaines de vie. 10 Voir la partie consacrée au journal de Lefèvre d’Ormesson. hronique d’une mort annoncée 259 suivent montrent qu’en dépit de son délabrement physique, Louis XIII tenait encore fermement en main les rênes du pouvoir. On passera rapidement sur le baptême du Dauphin le 22 mars 11 ; je me contenterai de citer la célèbre anecdote qu’on trouve dans le journal de Du Bois et que reprennent les historiens contemporains : ‘Mon fils, comment avez-vous nom à présent ? ’ Monseigneur le Dauphin répondit sans hésiter : ‘Louis quatorze, mon Papa.’ Sa Majesté dit ‘pas encore, mon Fils ; mais ce sera pour bientost, si c’est la volonté de Dieu’ (24-25). Pourquoi Louis XIII se réjouit-il tellement que le Dauphin ait été baptisé, au point qu’il ait décidé de confier la régence à Anne d’Autriche ? Du Bois le souligne bien (25), liant les deux événements. Les manuscrits rapportent qu’à son baptême le Dauphin reçoit officiellement le nom de Louis (même si la suite « Louis XIV, etc. » est apocryphe) 12 . Assuré alors de sa succession, Louis XIII se serait senti alors en état de confier la régence à Anne d’Autriche, sachant qu’elle veillerait jalousement sur les intérêts de son fils, même si lui-même n’avait en sa femme qu’une confiance limitée. L’Histoire a prouvé qu’il avait raison. À la différence de Dinet, Du Bois semble avoir conscience de la théâtralité de cette scène : les ministres, secrétaires d’État, princes et princesses et autres membres de la Cour sont assemblés dans la chambre du roi, devant le lit, attendant que Louis XIII parle. Sa Majesté fit ouvrir les Rideaux de son Lit, et prenant la parole dit à haute voix : Messieurs, c’est en cette occasion que je veux que vous soyez témoins de mon intention, pour donner à mon Royaume la tranquilité et le repos après mon décès, s’il plaist à Dieu de disposer de moy, n’ayant peü jusques à présent luy donner la paix génerale […] Il ordonna à M r . de La Vrillière de faire la lecture de la Déclaration hautement, afin que tout le monde sceüst sa derniére volonté […] (Du Bois 26). Il faut passer ici sur tout le versant politique de cette « fin de partie », rapporté en détail par d’Ormesson (comme aussi par Saint-Simon, dont le père avait bénéficié de la faveur royale), et passer aux derniers moments du roi. Le contraste entre le mémoire du P. Dinet, exclusivement focalisé sur le côté spirituel de la maladie et de l’agonie du roi, et le journal de Du Bois, qui présente une vue plus « matérielle » de la situation, peut se voir dans cet épisode, survenu vraisemblablement le 12 ou 13 mai, c'est-à-dire la veille ou l’avant-veille de la mort du monarque. Louis XIII prie la reine de passer 11 Les diverses sources donnent toutes une heure différente. 12 Selon Dinet, c’est le nom que le Dauphin désirait prendre (22). C Francis Assaf 260 dans son cabinet pendant qu’on le change, bien conscient qu’il est de la puanteur qui environne son lit, à cause de ses constantes évacuations. Du Bois offre à la reine un petit flacon d’essence de jasmin (56) à respirer pour masquer les mauvaises odeurs. La résignation quasi-angélique dont fait preuve le roi vu par le P. Dinet fait contraste avec les reproches du même à ses médecins, en particulier Bouvart : « Enfin, j’ay eü le malheur des Grands de m’estre laissé gouverner par la Medecine. » (56). En plus d’un inconfort généralisé (il ne se sent à l’aise dans aucune position), les derniers moments de Louis XIII sont marqués par son obsession du temps : il demande constamment quelle heure il est et le quantième. D’après le journal de Du Bois, on peut imaginer que, si près de la mort, il a perdu la notion du temps. Le 14 mai, vers sept heures du matin, il demande qu’on ouvre les rideaux de son lit et les fenêtres pour avoir de l’air. Le journal note sa « veue égarée » (58). Il semble que sa lucidité fluctue, passant d’un état de conscience (relatif) à un délire momentané. Il faut noter la terreur que ressent le roi agonisant lorsqu’il s’adresse aux prélats, moines et autres gens d’Eglise, les suppliant de ne pas l’abandonner (60) car il y va de son salut. On ne peut s’empêcher de ressentir une certaine surprise devant ce manque de sérénité, compte tenu de l’extrême piété qu’avait manifestée le roi tout au long de sa vie. Pas une seule fois Louis XIII n’exprime sa crainte de l’enfer ni du démon, mais seulement celle de déplaire à Dieu, si l’on s’en rapporte à Du Bois et à Dinet. Il y a peu de doute qu’il entre une bonne part de superstition dans la piété du roi, mais il est en même temps évident que Louis XIII se considère comme pécheur et en tant que tel justiciable de la puissance divine. Les adieux du roi à ses officiers (Du Bois 61) suscitent au mémorialiste une réflexion sur l’avarice des grands ou du moins leur irréflexion et leur légèreté : souvent ils oublient jusque sur leur lit de mort de récompenser leurs fidèles serviteurs, qui ont consacré des années, voire toute une vie, à leur service. C’est essentiellement une condamnation (discrète) des pratiques de Louis XIII. Les pièces du testament de celui-ci auxquelles nous avons pu avoir accès ne font état d’aucune donation à ses officiers. C’est d’autant plus poignant que lesdits officiers n’hésitent pas à baiser la main du roi agonisant, l’arrosant de leurs larmes. Le journal rapporte avec beaucoup de réalisme et de précision la cohue autour du lit du roi mourant, qui réclamait de l’air d’une voix sans doute affaiblie par l’agonie. Du Bois rapporte : « La Chambre du Roy estoit si pleine de monde que l’on y étouffoit de chaleur… ». Ajouter à cela la foule qui encombre la chambre royale et la puanteur ambiante, et on peut s’imaginer quelle pouvait être l’atmosphère des derniers moments du roi. Et, au milieu de tout cela, l’agonisant aux prises avec ce que nous nommerions hronique d’une mort annoncée 261 aujourd’hui des fantasmes et réclamant le secours spirituel du P. Dinet contre des pensées mauvaises qui l’accablent et le terrifient pour son salut éternel. L’agonie n’est pas seulement physique ; elle est surtout spirituelle : Louis XIII souffre autant en esprit que dans son corps. Notons que le journal insiste bien plus sur cela que le mémoire du P. Dinet, qui tend à offrir une image plutôt idéalisée de la mort du roi, bien qu’il mentionne ces ultimes angoisses. Le journal détaille aussi la perte progressive de l’usage de ses sens par Louis XIII : d’abord la parole, puis l’ouïe, enfin la vue. C’est un véritable dénouement théâtral. La reine hurle : « Messieurs, je suis perdue. Adieu mon cher Mary ! » (Du Bois 64). Le journal ajoute : « M r . le Prince 13 la pria de ne point demeurer là davantage, et l’emmena dans son Appartement outrée de douleur, ne voulant écouter personne pour la consoler. » (Ibid.) Ajoutons à la température étouffante le vacarme des cris, des pleurs et des exclamations de douleur. Ce tableau chaotique est encore renforcé par les évêques de Lisieux (Philippe Cospéan) et de Meaux (Dominique I er Séguier), ainsi que le P. Dinet, qui hurlent aux oreilles du roi mourant : « Vive Jésus et Marie : ayez en eux de la confiance : vous combattez pour le ciel » (Ibid.) On peut ainsi dresser un tableau plein de frénésie, qui n’évoque en rien la dignité et la sérénité auxquelles on s’attendrait devant la mort d’un souverain. Il faut aussi s’imaginer la posture du roi à l’agonie, telle que la rapporte Du Bois : à demi-allongé, soutenu par un oreiller, les bras en croix, il évoque le Christ sur le Golgotha. Fait exprès ou coïncidence ? Il est difficile de se prononcer sur ce point. Il meurt à 14h45, après avoir poussé un profond soupir. Les procédures suivant la mort du roi sont traditionnelles : ouverture de toutes les portes, aspersion du corps d’eau bénite (M gr . Séguier), fermeture des yeux et de la bouche, prières. Ici encore, ni calme ni sérénité : le journal rapporte une véritable invasion de peuple, avec un vacarme assourdissant de cris, de pleurs et de gémissements, auquel vient s’ajouter le glas des deux églises de Saint-Germain-en-Laye : St. Germain 14 (la plus proche du château) et St. Léger. Le corps de Louis XIII est exposé pendant trois jours au Château-Neuf. Petitfils évoque en détail la mise en bière (849) et des funérailles le 22. La pompe funèbre a lieu le 22 juin, 40 jours après le décès, en la basilique Saint-Denis. Une courte brochure (8 pages) en rapporte le détail. Toute la Cour et les corps de justice se transportent à la basilique, sauf le roi et la 13 Gaston d’Orléans. 14 C’est certainement l’église datant du XIV e siècle, aujourd’hui disparue et remplacée par celle construite par Jules Hardouin-Mansart en 1683, elle-même remplacée par une autre en 1768 (inachevée). L’église actuelle date de 1824, restaurée de 1848 à 1854. C Francis Assaf 262 reine-mère, en vertu de l’usage interdisant à un monarque en exercice d’assister aux obsèques de son prédécesseur. La cérémonie funèbre à St. Denis frappe par son aspect médiéval, témoin le geste du Grand-Maître de la Maison du Roi, au début du banquet funéraire qui suit la cérémonie : il se tient au haut bout de la principale table et, d’une voix languissante, déclare : « Messieurs, notre Maître est mort ! » En symbole du désordre de la maison royale, il prend son bâton et le brise. Puis, d’une voix sans doute plus joyeuse (ou du moins sereine), il reprend : « Nous avons un Roi, de la bonté duquel nous pouvons tout espérer, et qui ne manquera pas de bien traiter les serviteurs du Roi son père. » Le récit de la pompe funèbre de Louis XIII se termine sur des vœux assez conventionnels pour le nouveau roi (« [Le] plus grand roi du monde ») et la reine régente (« la plus vertueuse reine de l’univers »). L’ère de Louis XIII se termine. Louis XIV commence le plus long règne de l’histoire.