eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 39/76

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2012
3976

Molière: le rire des tréteaux. Entretiens avec Christian Schiaretti

2012
Goulven Oiry
PFSCL XXXIX, 76 (2012) Molière : le rire des tréteaux E NTRETIENS AVEC C HRISTIAN S CHIARETTI (D IRECTEUR DU T HEATRE N ATIONAL P OPULAIRE ) P ROPOS RECUEILLIS PAR G OULVEN O IRY (U NIVERSITE P ARIS D IDEROT / I NSTITUT D ’U RBANISME DE L YON ) (Photographie de Christian Ganet, 2007) Le metteur en scène Christian Schiaretti a dirigé la Comédie de Reims entre 1991 et 2002, avant de succéder à Roger Planchon à la tête du Théâtre National Populaire de Villeurbanne. Le théâtre, totalement rénové, a rouvert ses portes le 11 novembre 2011. A cette occasion, son directeur a mis en scène Ruy Blas de Victor Hugo. Outre des pièces de Sophocle, Aristophane, Johannes von Saaz, August Strindberg, Maurice Maeterlinck, Luigi Pirandello, Paul Claudel, Charles Péguy, Joseph Delteil, Federico Garcia Lorca, Bertolt Brecht, Roger Vitrac, Christian Schiaretti / Goulven Oiry 194 Michel Vinaver, Harald Mueller, Alain Badiou, Jean-Pierre Siméon ou Hervé Blutsch, Christian Schiaretti a monté nombre d’œuvres du XVII e siècle. A Reims, il a mis en scène La Place royale et Polyeucte de Corneille (1998), ainsi que Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin (1999). Depuis son arrivée à Villeurbanne, il s’est intéressé à Calderon (Le Grand Théâtre du monde, Le Procès en séparation de l’âme et du corps, 2004), à Shakespeare (Coriolan, 2006 ; Molière du metteur en scène et Molière du théâtre public en 2009), à Cervantès et Tirso de Molina (Don Quichotte et Don Juan, dans le cycle « Siècle d’or » de 2011). Il a repris Les Visionnaires en 2007. Entre 2007 et 2010, il a engagé un travail sur Molière, avec sa troupe permanente. Sept « farces et comédies » ont été jouées. C’est ce travail que nous avons suivi, et dont Christian Schiaretti nous entretient. Les entretiens Mars 2007. Le TNP 1 présente, en une seule soirée, Sganarelle ou le cocu imaginaire, L’Ecole des maris et Les Précieuses ridicules. (Goulven Oiry) Dans votre parcours et dans vos mises en scène, quelle place avez-vous accordée au répertoire comique ? (Christian Schiaretti) En matière théâtrale, mon initiation tient à deux éblouissements. Le premier concerne Kateb Yacine et Mohamed prends ta valise 2 , sur un registre acide, et le second Il Campiello, une comédie de Goldoni 3 mise en scène par Giorgio Strehler 4 . J’ai très souvent lié le théâtre à 1 Le spectacle a été créé par la troupe du TNP de Villeurbanne : Laurence Besson, Olivier Borle, Jeanne Brouaye, Damien Gouy, Xavier Legrand, David Mambouch, Clément Morinière, Jérôme Quintard, Julien Tiphaine, Clémentine Verdier (comédiens), Christian Schiaretti (metteur en scène & directeur du Théâtre), Gérald Garutti (conseiller dramaturgique), Julia Grand (lumières), Thibaut Welchlin (costumes), Nathalie Charbaut (coiffure et maquillage), Danièle Mailfert (assistante perruques), Didier Laval (directeur des combats), Laure Charvin-Gautherot (assistante), Julien Imbs (régisseur général), Yannick Galvan (chef machiniste). 2 Kateb Yacine est né à Constantine le 2 août 1929, mort à Grenoble le 28 octobre 1989. Mohamed prends ta valise date de 1971. 3 Carlo Goldoni est né le 25 février 1707 à Venise, mort le 6 février 1793 à Paris. Il Campiello [Le Carrefour] date de 1756. 4 Né à Trieste en 1921 et mort à Lugano en 1997, Giorgio Strehler a fondé, avec Paolo Grassi, le Piccolo Teatro de Milan. Il a dirigé de 1983 à 1990, à Paris, l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Molière : le rire des tréteaux 195 une dimension solaire, non à une dimension lunaire. Et, dans la suite de mon parcours, j’ai rencontré des hommes - metteurs en scène, philosophes ou poètes - qui partageaient cette sensibilité-là. Je m’inscris dans l’école vitézienne. Or Antoine Vitez 5 avait, non pas tant dans sa définition que dans sa pratique de l’art dramatique, l’idée que l’acte théâtral, dans son élaboration, relève d’un positionnement poétique. L’œuvre s’achève par la réalité de l’acteur qui incarne la parole poétique, qui la porte. L’acteur est tout aussi créateur que le poète. Il ne s’agit pas de mettre au point une lecture dramaturgique pour la faire appliquer à l’acteur. L’acte de création se joue aussi - et surtout - dans la coïncidence du corps de l’acteur, de sa voix, de son vécu et du texte. On peut dire enfin que la salle est l’achèvement de ce principe créatif. L’acteur et la salle modifient constamment la vérité que l’on pourrait percevoir dans une œuvre. Au commencement, il y a un espace d’élaboration critique, réfléchie : le temps du rapport solitaire au texte. Une première vérité de l’œuvre se dégage : celle du texte et celle du lecteur - deux vérités qui finissent par ne faire qu’une. Mais l’œuvre évolue au fil du travail théâtral proprement dit : elle se modifie par la réalité de l’acteur, elle se modifie sous l’influence de la salle. Dans le positionnement qui est le mien, rien n’est achevé en dehors de la confrontation au public. Un tel positionnement est-il au fondement de votre définition du « théâtre populaire » ? Tout à fait. Je pars de l’idée qu’il n’y a pas une vérité. Il y a des vérités, qui se modifient en fonction des points d’achèvement du texte émis, en fonction par exemple de la salle. Cela veut dire qu’on se situe aux antipodes d’un spectacle qui tend vers l’office, au sens religieux du terme, dans lequel on essaie de faire passer des choses qui ne s’entendent pas immédiatement dans la dimension sémantique du texte. Ce type de spectacle impose une limitation de l’audience : pour une jauge de sept cents places, on ne va garder que deux cents sièges, de 5 Antoine Vitez (Paris, 20 décembre 1930 - 30 avril 1990), acteur de formation, a été l’un des metteurs en scène les plus influents du théâtre français de l’aprèsguerre. Il collabore à la revue Bref publiée par Jean Vilar et à la revue Théâtre populaire. Il travaille à la Maison de la culture de Caen à partir de 1966, avant de devenir professeur au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (en 1968). Metteur en scène au Théâtre d’Ivry (en 1972), puis au Théâtre National de Chaillot (à partir de 1980), il est nommé administrateur général de la Comédie- Française en juin 1988, charge qu’il occupe jusqu’à son décès brutal en 1990. Christian Schiaretti / Goulven Oiry 196 façon à ce que les deux cents personnes soient concernées par le rituel qu’on leur propose. Chez Vitez, à l’inverse, l’ouverture est maximale. L’imperfection native du public est revendiquée, et même souhaitée. Il y a chez Vitez une apologie des défauts de l’acteur - par exemple son accent, ou encore l’inadéquation d’âge. Il y a une revendication constante de la lucidité primaire du jeu et une confiance absolue dans l’épanouissement, en salle, de ces contradictions. Cette importance de l’exposition et de la frontalité, c’est ce que j’appelle la dimension solaire. C’est une dimension cruciale lorsqu’on aborde un répertoire comique ou farcesque. Le comique ou le farcesque ne peuvent se concevoir sans une ouverture. On ne saurait imaginer un quatrième mur. Il faut inscrire dans le geste poétique la contradiction que peut apporter, dans ses réactions diverses, la salle. Outre Vitez, quels hommes ou femmes de théâtre vous ont influencé ? Alain Badiou 6 m’a beaucoup apporté. Badiou avait écrit pour Antoine Vitez Ahmed le subtil 7 . Ce texte repose sur un procédé littéraire de contamination. Il s’agit d’une version contemporaine des Fourberies de Scapin de Molière. Or Scapin est une sorte de retour instinctif, animal, de l’acteur. C’est un masque, mais pas n’importe lequel. Car Scapin est méchant et meurtrier. Alain Badiou a tenté de trouver un correspondant dans le personnage d’Ahmed. L’enjeu était de mettre des effets de typification contemporains au service de la farce. Au Centre Dramatique National de Reims, j’ai monté Les Citrouilles, qui étaient une copie des Grenouilles d’Aristophane. Badiou et moi avons monté Ahmed se fâche, une petite pochade en réaction à la réaction de la presse en Avignon sur Ahmed le subtil, et Ahmed philosophe. Cette dernière pièce était faite de farces très courtes, d’essence philosophique 8 . Le spectacle proposait, à un public non pas d’enfants mais à un public enfantin, de réfléchir à des concepts philosophiques. Le personnage éponyme servait de fil conducteur. Ces farces rencontraient des archétypes politiques : un membre du Front National, une femme député de ce qui aurait pu être le RPR de l’époque, un militant rocardien, etc. De petits sketchs étaient proposés au public sous une forme accordéon : on pouvait 6 Philosophe, mais aussi romancier et dramaturge, né le 17 janvier 1937 à Rabat. 7 Ahmed le subtil, ou Scapin 84 a été créé au Festival d’Avignon en 1994. 8 Ahmed se fâche et Ahmed philosophe ont été créés en 1995, Les Citrouilles en 1996. Molière : le rire des tréteaux 197 jouer trois, quatre, cinq pièces, ou se limiter à trois. C’est avec le grand maître Erhart Stiefel 9 qu’on a élaboré le masque d’Ahmed. La collaboration avec Badiou partait d’un constat : le monde contemporain se reconnaît avec une relative complaisance dans Eschyle, dans Euripide, dans Sophocle, mais a bien du mal avec Aristophane. Que serait alors une comédie contemporaine ? Comment mettre les tréteaux au service d’un théâtre qui serait altéré, dans sa présentation, par les réactions du public ? Car le propre de la farce ou de la comédie, c’est l’altération. A cause de cela, rien n’est plus difficile que de jouer du comique. La manifestation de la salle peut être débordante : au beau milieu des Précieuses, par exemple, il y a des applaudissements... Au contraire, la salle peut rester absolument sans réaction à des effets que nous avons produits et voulus. Et s’il y a un dialogue dans le sens plateau-salle, il y a aussi un dialogue sallesalle. Dans la salle, en effet, certaines personnes n’apprécient pas un certain type de rire. Par exemple, les gens distingués n’apprécieront pas un rire qui leur paraîtra « vulgaire ». Mais, dans l’autre sens, le rire prétendument vulgaire ne va pas apprécier un rire distingué, le trouvant vulgaire lui-même ! Un dialogue de ce type est à l’œuvre dans l’espace de la salle, au sein même du public. J’ai travaillé avec Régy 10 , Vitez et Lassalle 11 . Mais ce sont les rencontres avec Vitez et Badiou qui ont été déterminantes. Je me suis forgé une pratique qui, avec intensité, est amenée à se poser la question de la relation toujours spécifique à la salle. Au cœur de cette pratique se trouve le travail sur la farce et la comédie. J’ai monté quatre textes d’Alain Badiou, des comédies de Corneille dont La Place Royale. J’ai monté Jeanne, une espèce de délire baroque et comique d’après la Jeanne d’Arc de Delteil 12 . Jean-Pierre 9 Erhard Stiefel, né à Zürich en 1940, spécialiste des masques de commedia dell’arte, est rattaché au Théâtre du Soleil depuis 1968. Il a reçu le titre de Maître d’Art, décerné par le Ministère de la Culture, à l’été 2000. Son atelier permanent est situé à la Cartoucherie de Vincennes. 10 Né à Nîmes en 1923, Claude Régy travaille en collaboration avec des écrivains contemporains. Il a mis en scène des textes de Peter Handke, Marguerite Duras, Jon Fosse, Botho Strauss, Leslie Kaplan… 11 Jacques Lassalle, né le 6 juillet 1936 à Clermont-Ferrand, est à la fois metteur en scène, directeur de théâtre (Directeur du Théâtre National de Strasbourg de 1983 à 1990, Administrateur de la Comédie-Française de 1990 à 1993) et auteur dramatique (Un Couple pour l’hiver, 1974 ; Le Soleil entre les arbres, 1976 ; Un Dimanche indécis dans la vie d’Anna, 1980 ; Avis de recherche, 1982 ; Lola, rien d’autre ou La madone des poubelles, 2004). 12 Le spectacle a été mis en scène au Festival off d’Avignon en 1996, il a été repris en décembre 2010 au TNP. Christian Schiaretti / Goulven Oiry 198 Siméon 13 est plutôt tragique : j’avais tendance à le pousser vers une écriture plutôt comique. L’an passé, j’ai monté un texte d’Hervé Blutsch 14 , qui propose des pièces d’essence farcesque. J’ai monté Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin 15 . C’est une grande œuvre baroque, commandée par le Cardinal de Richelieu, mais qui se ressent de l’héritage de la farce. Le fier-àbras a beau s’exprimer en alexandrins, il rappelle Le Franc-Archer de Bagnolet 16 . Le rire est donc une constante dans mon parcours, jusqu’au travail sur Molière. Comment le choix des pièces - Les Précieuses ridicules, Sganarelle ou le cocu imaginaire, L’Ecole des maris - s’est-il opéré ? Comment votre Théâtre National Populaire s’est-il emparé de l’œuvre de Molière ? Dans « Théâtre National Populaire », le premier adjectif est « National ». A mon sens, la Nation se définit par le droit, par l’existence d’un cadre administratif commun, mais aussi par la langue. La langue vit et se développe. Je pense que le théâtre est un art archaïque, dans lequel la langue s’élabore et se conserve. Le théâtre est un art de la conversation noble. On perçoit très bien cette dimension en considérant la fascination qu’ont les gens pour la capacité mémorielle des acteurs. En général, lors d’un débat public, on doit répondre à la question : « Est-ce que c’est difficile d’apprendre le texte ? Comment retenir un rôle ? » Et les acteurs rient. Mais ça ne me fait pas rire ! Car, lorsque les gens posent cette question, ils signifient une chose extrêmement importante : l’acteur est celui qui porte en lui ce qui n’est pas destructible à moins de détruire l’individu. Instinctivement mais profondément, on sent que la conservation de la langue est en jeu. On perçoit quelque chose d’inouï : un cerveau humain qui se dévoue à la perpétuation d’un patrimoine. On sent que se transmettent les secrets de la longue cuisine 13 Né le 6 mai 1950 à Paris, Jean-Pierre Siméon est l’un des plus fidèles compagnons de route de Christian Schiaretti. Poète associé à la Comédie de Reims pendant six ans, il a rejoint le TNP de Villeurbanne. Il est directeur artistique du Printemps des poètes. 14 Né à Paris en 1967, Hervé Blutsch a écrit une douzaine de pièces depuis 1986. Christian Schiaretti a mis en scène Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche en 2006. 15 Les Visionnaires (1637) de Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676) ont été présentés en 2007 à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT) puis au TNP. 16 Pièce comique de la fin du Moyen Age, dont l’appartenance générique reste discutée par les spécialistes - est-ce un monologue facétieux, une farce, une moralité ? Molière : le rire des tréteaux 199 qu’est l’élaboration de notre langue. Cette histoire nous mène là où nous sommes. Elle a fait ce que nous sommes. Notre langue, l’acteur la porte devers lui. Pour ces raisons, je pense qu’un théâtre public doit entretenir un rapport privilégié à son répertoire, lequel est d’abord national. Je pense conjointement que la persévérance vis-à-vis de ce répertoire fonde une école de la contemporanéité. J’ai monté trois Molière par esprit de contradiction et de provocation : il était de bon ton de penser que, dans l’espace public du théâtre, on devait prendre ses distances avec ce qu’on pourrait appeler la conservation, le rapport au répertoire. Il est entendu que la conservation ne peut pas en être une, en un sens, parce que monter Molière aujourd’hui, ce n’est pas le monter comme hier ! Mais les rapports d’allers et retours entre l’héritage et sa réélaboration ne sauraient être pensés uniquement en termes de rupture. Mon choix tient donc d’abord à la volonté d’affirmer Molière. En France, accueillir du Shakespeare ou du Tchekhov, montés par des Anglais ou des Russes respectivement, c’est très à la mode. Mais monter Molière apparaît souvent dépassé. Ce jugement me semble correspondre aux insuffisances et à une certaine immaturité de l’époque. Mon geste s’adressait à la profession, pour dire, sans honte : nous avons une obligation de répertoire national, nous devons prêter l’oreille au laboratoire de la langue. Et c’est au théâtre que, de façon privilégiée, s’exprime ce laboratoire. Non seulement Molière, c’est le patron, mais c’est Molière que nous parlons ! La langue dans laquelle je suis est Molière. Il ne faut pas penser qu’il est toujours ici : c’est moi qui suis toujours là-bas ! Il y a quelque chose de la langue de Molière qui nous habite encore aujourd’hui. Nous devons être à la hauteur de ce fondementlà, et non pas nous dire qu’il n’est plus à la hauteur de ce que nous sommes. Le choix de Molière se justifie également par la nature éminemment théâtrale de son art. En Molière coïncident quatre grandes dimensions de l’homme de théâtre : l’acteur, l’auteur, le metteur en scène et le chef de troupe. Ces qualités-là ne se trouvent plus, réunies, dans le théâtre contemporain. Les comédies de Molière ont tourné avec neuf ou dix acteurs, certainement toujours les mêmes : Madeleine Béjart, La Grange, Du Croisy, Molière lui-même… Nous avons l’impression troublante de remettre des chaussons, de suivre des traces, d’assumer une archéologie presque physique. Un moment m’émeut particulièrement dans nos représentations des Précieuses : celui où Mascarille descend du plateau avec Jodelet sur son dos, affublé d’un sexe de pacotille. C’est un moment de pur simulacre, et le public applaudit immanquablement ! Pourquoi ? Parce que la structure est Christian Schiaretti / Goulven Oiry 200 pirandellienne 17 . Les personnages sur le plateau, La Grange et Du Croisy, portent les noms des acteurs réels. Mascarille et Jodelet, face à eux, incarnent le théâtre à l’état pur. Mascarille, c’est le nom de scène de Molière. Jodelet s’incarne lui-même. La sortie de ces deux joueurs, c’est le théâtre qui est congédié du théâtre. L’assistance salue le numéro des artistes, en sachant bien que la pièce continue. Cet échange entre la salle et la scène me confond. Au moment où Mascarille, qui est le seul personnage masqué de la pièce, dit au revoir à Jodelet, j’assume un anachronisme. Je cite Chaplin, Chaplin disant adieu à Charlot. Le choix des pièces proprement dites s’enracine dans une réflexion prospective sur le répertoire. Un répertoire, c’est une expression assumée par une communauté d’artisans, par des acteurs qui vont assumer des rôles différents dans la succession des œuvres. Le répertoire, c’est aussi… ce qui n’est pas répertorié ! Si Corneille se réduit à L’Illusion comique et au Cid, si Molière se réduit à L’Ecole des femmes, au Tartuffe et au Bourgeois gentilhomme, le répertoire devient ornière. Nous voulions interroger un segment de l’itinéraire de Molière qui se situe juste après les grandes tournées de province, après ces treize années dont on sait peu de choses, et juste avant les « grandes » comédies, avant L’Ecole des femmes. A cette période, sur le plan littéraire, Molière est dans une sorte de maturation. Il est en souvenance de la farce, mais de la farce en tant que genre littéraire construit. On a tendance, en France, à penser que la commedia dell’arte est le versant noble de l’expression comique, quand la farce en est le versant lourd. On rattache la farce française à l’univers de Bruegel 18 : planches, sexe, tonneaux et flatulences ! Cette vision est erronée : l’art des farceurs n’avait rien à envier à celui des grands comédiens dell’arte. Gros-René et Jodelet 19 ne se réduisent pas à des types édentés et sympathiques : il faut imaginer des clowns virtuoses. De surcroît, la farce est une édification littéraire codifiée. Avec condescendance, on la décrit encore trop souvent comme un balbutiement. Mais sa simplicité est un choix. L’épure est un raffinement de forme naïve. La gaieté de la farce est d’une poésie folle. Au tournant des années 1650 et 1660, Molière va faire des oxymorons : des farces en vers - en 17 Autrement dit : parce qu’intervient de façon virtuose un procédé de redoublement, un moment de théâtre dans le théâtre. 18 Pieter Bruegel (1525-1569) s’est attaché à représenter de façon souvent goguenarde la vie populaire, montrant des paysans dans leurs activités et divertissements (Le Combat de Carnaval et de Carême, 1559 ; Le Repas de noces, 1568...). 19 Jodelet est le pseudonyme de Julien Bedeau (1600-1660), Gros-René est un des surnoms de René Berthelot (1630-1664). Tous deux furent comédiens dans la troupe de Molière des premiers temps. Le premier était renommé pour ses grimaces, le second pour son embonpoint. Molière : le rire des tréteaux 201 alexandrins, non en octosyllabes ! Il met dans la bouche de Sganarelle un vers digne de L’Ecole des femmes ! Mais le vers est difficile à scander, et fait entendre la prose. Cette acrobatie a été ressentie lors de notre travail : l’un de mes acteurs disait que le vers de Molière ressemblait à de la prose en smoking… Ces acrobaties se retrouvent-elles à l’échelle de l’intrigue et de l’esthétique des trois pièces ? On le voit bien dans L’Ecole des maris. La pièce semble commencer comme Le Misanthrope ou L’Ecole des femmes, avec un conflit sur l’éducation. C’est un drame qui s’engage. Mais, pour voir la fin de ce drame, il faut attendre l’acte trois. En collant l’acte un à l’acte trois, on reconstitue un enchaînement logique : Sganarelle a décidé d’épouser Isabelle, la jeune fille s’échappe et… lui échappe définitivement ! Mais au sein de ce drame survient l’acte deux, qui se fonde sur le comique de répétition. Ce qui se passe entre Valère, Ergaste et Sganarelle est improductif au regard de l’avancée de l’action. La validité et la nécessité dramatiques de cet acte-là sont discutables. Tout se passe comme si Molière faisait une concession à un type burlesque. Il n’avait pas encore la grandeur de ce qu’il va éprouver dans L’Ecole des femmes. Les Précieuses ridicules sont en revanche extrêmement abouties… La pièce est une comédie « sanglante » 20 , un coup de génie absolu. C’est une immense pièce, que j’ai montée de façon très particulière. Pour au moins quatre raisons… La première tient à l’inversion Cathos-Magdelon. En général, Cathos est bête et Magdelon péremptoire. J’ai inversé le processus : ce qui veut dire que le silence est le lieu premier de la préciosité. C’est une donnée que Mascarille gère très bien. La deuxième chose, c’est que Mascarille est crédible. Mascarille n’est pas immédiatement un personnage farcesque. C’est quelqu’un qui manie le langage, qui sait que le langage est une arme et qui l’utilise merveilleusement bien. A mon sens, il ne peut y avoir de tréteaux sans bâtons. Mascarille sait donc se battre, mais il se bat avec les mots. Les Précieuses deviennent une farce sociale. Troisième point : si la 20 « MAGDELON : Ah ! mon père, c’est une pièce sanglante, qu’ils nous ont faite. GORGIBUS : Oui c’est une pièce sanglante ; mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes. » (Molière, Les Précieuses ridicules, scène XVI, in : Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », tome I, édition de Georges Forestier, 2010, page 29). Christian Schiaretti / Goulven Oiry 202 pièce raconte l’adieu d’un type de farceur d’essence littéraire, Mascarille ou le Molière de trente-sept ans qui écrit, elle orchestre aussi les adieux d’un farceur de la vieille école, que j’assimile à un clown et qui est Jodelet - un acteur qui va mourir six mois après la représentation. La pièce est codée entièrement de ce point de vue-là. Quatrième chose : la violence qui s’abat sur les deux valets est une répression véritable. En général, on manie le bâton comme un décor. Pour ma part, je le manie comme une arme authentique. Les coups que l’on voit sur les tréteaux ne font pas penser à Guignol : ce sont de vraies bastonnades. A un moment critique du Sganarelle, la femme mouline, et s’arrête juste au-dessus de la tête de son mari. Si elle porte le coup, elle lui fait très mal ! Nous n’avons pas considéré l’esthétique de la comédie sanglante comme un simple style : nous nous sommes entraînés avec un maître d’armes. Dans l’enchaînement des pièces, je n’ai pas respecté l’ordre historique. J’ai appliqué un ordre stylistique, en quelque sorte. On sent bien que Sganarelle, qui déjoue la fourberie du fourbe, est proche des modèles farcesques de la Renaissance. On sent bien que L’Ecole des maris aspire à la grande comédie littéraire. Les Précieuses constituent un miracle : c’est une comédie qui se refuse à toute résolution morale. Quel sens attachez-vous au dispositif scénique ? Le plateau fait apparaître, de façon spectaculaire, des tréteaux… J’ai choisi les tréteaux pour des raisons d’abord triviales. Notre spectacle est prévu pour tourner. Je défends le théâtre public si c’est un théâtre. Et un théâtre, c’est un lieu où il y a des acteurs. Un hôpital, par exemple, ne pourrait fonctionner si les médecins ne venaient que trois ou quatre fois par mois : de la même manière, il faut des acteurs dans les théâtres. Pour qu’il y ait des acteurs dans les théâtres, il faut qu’il y ait un répertoire. Pour qu’il y ait un répertoire, il faut qu’on le fasse vivre. Pour le faire vivre, il faut tourner. Et on ne va pas tourner dans des théâtres qui ont les moyens dont dispose le TNP. J’ai donc imaginé une scénographie très simple qui permet de jouer partout. La première justification des tréteaux est celle-là : elle est vulgaire si l’on veut, mais elle n’est pas honteuse. Historiquement d’ailleurs, elle présente des points de jonction avec notre illustre ancêtre. Molière et ses compagnons rencontraient fatalement les mêmes problèmes. En outre, les tréteaux sont manifestement un espace de jeu, non un espace de crédibilité narrative. L’espace que l’on propose au spectateur est un espace de simulacre. Dès la première image, on comprend que ce simulacre se situe, en citation pourrait-on dire, entre la scène et le tréteau. On retrouve la tension propre à la farce médiévale : la scène, et un carré sur Molière : le rire des tréteaux 203 la scène qui dessine l’espace des coulisses. C’est devant cet espace qu’on venait jouer 21 . Mais le dispositif préfigure aussi l’architecture. La scène va devenir, avec les perspectives, avec les portes et les fenêtres, une petite maison de jeu. Les tréteaux se placent exactement à cette intersection de l’histoire du théâtre. Ils permettent de jouer partout. Le petit paravent du fond de la scène est une loge, véritablement. Les acteurs peuvent vraiment s’y changer et se maquiller. On est d’emblée dans une configuration de théâtre. Lorsque vous entendez travailler sur un tréteau, vous en choisissez d’abord la hauteur, et c’est une question de visibilité. Vous en choisissez ensuite la forme. Longtemps, j’ai pensé que j’allais installer des portes fermées. En répétant, et devant l’incapacité de trouver la couleur de ces murs, je n’ai gardé que la structure. Il demeure comme une maison à colombages dont on n’aurait pas le plein. A travers les poutrelles, on voit les comédiens se préparer. Je trouvais beau de les voir se mettre en place. Le procédé raconte le théâtre. Dans Sganarelle, les acteurs se changent immédiatement derrière le rideau, dans la proximité. Dans L’Ecole des maris ils s’éloignent pour, dans Les Précieuses, en arriver aux coulisses. On avance dans un théâtre qui se complexifie du point de vue de ses codes. Enfin, les tréteaux sont éclairés de rouge et de noir, couleurs des affiches de Molière. Les farces et comédies de Molière se greffent-elles directement sur vos préoccupations de directeur de théâtre ? Autrement dit : avez-vous retenu ces pièces pour le rire « populaire » qu’elles feraient entendre ? Il ne faut confondre « populaire » et « prolétariat ». La farce, je ne l’assimile pas aux conditions d’un Pont-Neuf imaginaire. Pour que l’on ait un Pont- Neuf imaginaire, encore faudrait-il que l’on ait son public. Et le public d’un dix-septième siècle rêvé, on ne le trouve plus ! Ce que j’entends par « populaire », c’est l’acceptation de l’imperfection native de la salle, de sa contradiction socioculturelle. Il me semblerait dangereux d’avoir besoin de publics captifs, c’est-à-dire d’avoir une salle d’enfants, une salle de pauvres, une salle de bourgeois, etc. Mais créer, justement, fait apparaître la dimension de l’imperfection, la dimension de la nécessaire complémentarité du « vivre ensemble ». Vous réunissez dans une salle des gens qui ne se supporteraient peut-être pas facilement au-delà du temps qu’ils vont passer ensemble devant une œuvre dite. Dans une perspec- 21 Dans le théâtre de farce du Moyen Age et de la Renaissance, l’espace des coulisses était délimité par un simple rideau placé au fond de la scène. Christian Schiaretti / Goulven Oiry 204 tive vilarienne, mon travail est de créer l’espace esthétique et littéraire nécessaire à une écoute commune dans une diversité contradictoire. Lors de la représentation d’œuvres qui exigent le silence, cette diversité contradictoire est peu opérante, à moins que des gens ne bâillent, ne sortent ou ne s’endorment. D’ailleurs, ceux qui s’endorment ne sont pas forcément les moins nantis. Les nantis mangent bien : en général, ils ont la digestion lourde. Mais les choses changent lorsqu’on aborde le versant comique. Le comique laisse facilement la salle s’exprimer : il fait entendre les niveaux de lecture. Cela, on le sent très bien… Prenons l’exemple des Visionnaires. Je disais aux acteurs : vous allez jauger la capacité littéraire de la salle au point où le poète Amidor décrit une fausse femme en évoquant « l’or bruni de son teint, l’argent de ses cheveux... » 22 . Ces mots, la plupart des gens ne les comprenaient pas. Il fallait poursuivre, et aller jusqu’à « l’ébène de ses dents digne de mille vœux » 23 . A l’écoute de ce vers, on se disait : cette femme a les dents noires ! Et les gens commençaient à comprendre que c’était drôle... Puis venait : « Ses beaux tétins longuets cachés sous ses aisselles » 24 ... Alors l’assistance réalisait : oui, elle a les seins sous les bras ! De notre côté, nous savions. Nous savions : là, on entend ; là, on n’entend pas… Nous nous disions : ils sont forts, ceux qui commencent à rire à « l’or bruni de son teint »… Ce moment-là interrogeait la capacité de lecture et le niveau de raffinement global de la salle. Quelquefois, on percevait des rires isolés. Les réactions isolées de ceux qui riaient sur « l’or bruni de son teint » faisaient culpabiliser les assistants qui n’avaient pas saisi. Le comique me semble d’essence démocratique pour sa capacité de faire coexister dans un même espace des points de vue et des niveaux différents. Il faut que l’on arrive à faire que l’intellectuel salue, mais que la concierge comprenne. Le théâtre populaire se place à cette ligne de crête-là. Cette réjouissance collective, lorsqu’on l’obtient, est porteuse d’une dimension citoyenne : elle ne résout pas les problèmes mais les expose dans un espace commun. Le Coriolan 25 a été dans cette optique un moment d’acmé. La pièce développe une réflexion de haut niveau sur le politique. Régis Debray était ravi, le cuisinier du restaurant d’entreprise de la Mairie de Villeurbanne appréciait tout autant. 22 Desmarets de Saint-Sorlin, Les Visionnaires, Paris, Société des Textes Français Modernes, édition de H. Gaston Hall, 1995 (1 ère édition 1963), scène 4 de l’acte I, vers 123. 23 Desmarets de Saint-Sorlin, idem, vers 124. 24 Desmarets de Saint-Sorlin, idem, vers 126. 25 La pièce de Shakespeare (1607) a été mise en scène au TNP, par Christian Schiaretti, en novembre et décembre 2006. Molière : le rire des tréteaux 205 Cette transformation du plateau en un lieu où tout le monde se parle passe par la clarté. Pour Coriolan aussi bien que pour les comédies de Molière, j’ai essayé de clarifier, mais sans simplifier. L’opinion commune veut que tout effet de clarification soit simplification. Les esprits maigres prolongent cette pseudo affirmation en posant que ce qui obscurcit est profond. Je rétorque que beaucoup d’œuvres obscures ne sont qu’obscures. Il faut rappeler qu’il y a des effets de clarification compliqués : une équation mathématique qui clarifie sans être simple. Je reste confiant en l’émerveillement suscité par la langue. Le travail sur les pièces de Molière est d’une très grande honnêteté sur le verbe et sur l’humour. C’est le mot qui compte, et rien que le mot. Toute recherche forcée du gag, si elle peut aider au déroulement d’une soirée, reste un choix un peu putain. On n’essaie pas de raffiner le gag. On ne force pas, on n’appuie pas, on oblige le spectateur à entendre surtout le versant littéraire de l’humour. Et, ce qui m’enthousiasme, la salle suit avec une subtilité déconcertante d’intelligence. La salle suit, pour autant qu’on lui parle intelligemment. Comment allez-vous poursuivre ce travail sur la farce et la comédie ? On a encore trop tendance à penser que le dix-septième siècle est un long cheminement vers l’âge classique. On a tendance à penser que sa résolution correspond à Louis XIV, Pascal, Molière et Racine. Mais la première moitié du siècle fait apparaître un autre sommet : Théophile de Viau, Rotrou, Desmarets de Saint-Sorlin, Descartes, Cyrano de Bergerac, Scarron et Tabarin ! C’est un monde extraordinaire, mais que l’on a refoulé. Les Français ont dialogué avec les baroques étrangers - Shakespeare, Calderon ou Lope de Vega - soit pour leur ressembler (Claudel), soit pour les rejeter (Racine, Voltaire). Nous aurions dû avoir un dialogue avec nous-mêmes. De Molière, je vais monter Le Médecin volant et La Jalousie du Barbouillé. Le travail d’archéologie se poursuivra. Il ne manquera que L’Etourdi, le Dépit amoureux, Les Fâcheux, et nous aurons suivi le Molière d’avant la grande comédie classique, d’avant la grande comédie-ballet. J’aimerais reprendre Les Visionnaires, j’aimerais aller chercher Scarron et Tabarin. J’aimerais beaucoup faire un repérage des genres farcesques. J’aimerais bien reparler de la sottie, de la moralité, de la farce, du sermon joyeux. Je rêve de monter Le Franc-Archer de Bagnolet. Ces œuvres-là souffrent d’une injuste méconnaissance. J’aimerais remonter jusqu’à la farce médiévale, dont on a une lecture bonhomme, mais qui est fort compliquée à prendre en charge. Or la farce française éclairerait Molière. Il est certain que notre dramaturge a été influencé par la commedia dell’arte. L’influence italienne a imprimé sa marque Christian Schiaretti / Goulven Oiry 206 sur l’art de l’acteur et le tempo des pièces. Mais les canevas des comédies de Molière viennent de la farce française. La commedia dell’arte met en scène des types - et peut s’exporter pour cette raison même -, alors que la farce française repose sur une inscription socioprofessionnelle. La farce française identifie des savetiers, des chaudronniers, des gens inscrits dans une société vivante. C’est une dimension qu’on retrouve chez Molière. Avril 2010. Le TNP 26 met en scène, dans un spectacle d’une journée, sept farces et comédies : La Jalousie du Barbouillé, Le Médecin volant, L’Etourdi ou les contretemps, Le Dépit amoureux, Les Précieuses ridicules, Sganarelle ou le cocu imaginaire, L’Ecole des maris. La poursuite de votre travail sur Molière marque le retour à un enchaînement chronologique. Les sept pièces sont jouées dans l’ordre de leur création. Le spectacle obéit-il toujours à un ordre stylistique ? Nous avons suivi un ordre qu’on pourrait qualifier de productif. Notre troupe, centrée sur un noyau de dix acteurs, rappelait la petite équipe avec laquelle Molière travaillait plus ou moins régulièrement. Nous sommes partis de ce mimétisme pour mieux assumer une lecture productive de l’œuvre. En travaillant, nous avons vu que c’est en directeur de compagnie que Molière organise ses distributions. On voit par exemple qu’il y a des scènes écrites pour que l’acteur se repose. Dans la succession, c’est la production qui nous a intéressés. L’écriture est celle d’un artisan et d’un marchand qui vend des spectacles. L’évolution de cette écriture est étroitement liée à la vie de la troupe. Considérons L’Etourdi. C’est une comédie qui peut rappeler Les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin. Au centre : un motif sur lequel on fait une variation proprement étourdissante. Le motif se répète et met en valeur la brillance de la fourbe, d’une fourberie toujours éventée et toujours à recommencer. L’Etourdi reprend le mécanisme de l’arroseur arrosé, un canevas hérité de la farce médiévale. Il est étonnant de voir que L’Etourdi est 26 L’équipe a peu évolué depuis 2007. Julien Gauthier, Aymeric Lecerf et Juliette Rizoud ont renforcé la troupe des comédiens, Xavier Legrand l’a quittée. Claire Cohen (coiffure et maquillage), Fanny Gamet (accessoires), Emmanuel Robin (chant), Véronique Elouard et Maud Tizon (danse), Aude Bretagne et Adeline Isabel (habilleuses), Luis Carmona et Fabrice Cazanas (techniciens) ont participé à l’élaboration du spectacle. Molière : le rire des tréteaux 207 suivi du Dépit, qui présente un vers baroque qu’on dirait sorti de l’encrier de Corneille, avec une thématique qui restera singulière dans l’œuvre de Molière. La pièce est noire, elle laisse poindre une perversité et une méchanceté étonnantes ! Les valets ne risquent pas d’être battus, mais tués ! La mort est à l’arrière-plan. Cette inflexion tient-elle à un voyage à Rouen, que Molière aurait fait depuis Lyon ? Ou bien faut-il croire que le commerçant qu’est l’homme de théâtre essaie de trouver un genre sérieux, juste après avoir tenté un genre distractif proche de la farce et juste avant d’aller à Paris avec Les Précieuses ? Il est difficile de se prononcer. Mais on sent bien que le mouvement de la création répond aux exigences pratiques de la production. L’autre avantage de la progression chronologique, c’est qu’elle place en point d’acmé Les Précieuses ridicules. Les Précieuses, c’est le sommet de l’accent circonflexe. On voit bien qu’il y a un avant Précieuses et un après Précieuses. C’est avec les Précieuses que, pour la première fois dans l’œuvre, apparaît explicitement le mot « Paris ». Cette progression en « accent circonflexe » prend la forme d’une défense et illustration du théâtre. Théâtre multiplié : le spectateur se voit offrir sept représentations pour le prix d’une. Le théâtre, c’est l’institution qui ouvre ses portes pour une journée entière. Le théâtre, c’est une activité artistique vertigineuse de complexité, qui nécessite deux cents costumes et soixante-six perruques… Le théâtre, c’est enfin l’obsession des personnages de Molière : les protagonistes, de Sganarelle à Mascarille, sont d’abord et avant tout des acteurs, des metteurs en scène. Le théâtre est démultiplié, mis en abyme et mis en scène tous azimuts ! Nous faisons l’apologie d’un théâtre tissé entièrement de conventions. Nous nous permettons des anachronismes et la mise en scène est certainement truffée d’incongruités. Un spectateur du dix-septième siècle qui nous verrait affublés comme nous le sommes serait horrifié. Je me place moins dans une perspective historiciste que dans une volonté de sublimation fantasmatique d’une période donnée. Je présuppose et prépare une sorte d’assentiment collectif à l’émerveillement. Je fais l’apologie du théâtre en posant que tout est inséré dans la trame du texte, y compris le corps, et que toute volonté d’intrusion extérieure est une déchéance pour notre art et pour le public. Le raffinement langagier doit tenir de lui-même. En habillant outrageusement le texte, on en viendrait à être devant ou derrière lui, ou encore à côté. A la sortie d’une des séances, dans la rue, une dame m’a embrassé et m’a lancé : « Monsieur, je viens de passer la journée avec Molière… et pas avec vous ! » Elle ne me Christian Schiaretti / Goulven Oiry 208 voyait plus. C’était un beau compliment, tant je conçois ma pratique comme un art de l’effacement. Les tréteaux délimitent un espace de jeu, mais le dispositif se conçoit aussi comme un décor urbain. La scène stylise un espace citadin, elle articule une rue et une maison. Le spectacle se présente comme une interrogation sur la limite entre espace public et espace privé. Les pièces jouent constamment sur cette frontière, à cette lisière incertaine. L’enjeu des intrigues est de s’infiltrer dans les lieux domestiques, ou à l’inverse d’« exfiltrer » des personnages cloîtrés dans des demeures transformées en prison… Oui, on évolue tout le temps sur cette frange incertaine. Je me souviens du mot de Maiène 27 Copeau, la fille de Jacques Copeau 28 , qui avait été aussi sa costumière : un théâtre, c’est un tréteau entouré de murs. Autrement dit : le tréteau est l’âme du théâtre. On construit autour du tréteau. On l’habille, jusqu’à parfois le perdre de vue. Mais si l’on abat les murs, il ne restera que lui. Chez Molière, le passage de la farce à la comédie renoue avec cette dimension fondatrice du tréteau. Le passage d’un genre à l’autre pose la question de l’ailleurs. Ce hors-champ peut être suscité de trois façons distinctes, me semble-t-il, et le tréteau est au cœur de ce jeu de conventions. L’ailleurs peut d’abord être situé hors du plateau : solution que l’on peut qualifier de « primitive ». Les acteurs sont placés en marge des tréteaux, dans un no man’s land, dans une espèce de limbe qui entoure le lieu de jeu. L’acteur est assis, installé dans la position du témoin, dans une sorte de disponibilité. Et il se lève. Il arrive. Il monte sur les tréteaux. Il tape du pied. C’est l’énergie de cette prise de plateau qui fait sortir l’acteur de l’anonymat et le transforme en personnage. Ce procédé permet aussi de créer une ellipse : l’acteur quitte les tréteaux, puis les retrouve. On comprend qu’entre les deux prises de plateau, du temps a passé. 27 Marie-Hélène Copeau est née le 2 décembre 1902 à Lyngly (Danemark), et décédée le 28 août 1994 à Beaune. Formée à l’école des « Copiaus », épouse de Jean Dasté, elle est actrice sous la direction de son père, de Louis Jouvet, de Charles Dullin, de Jean-Louis Barrault… 28 Jacques Copeau (né à Paris le 4 février 1879, mort à Beaune le 20 octobre 1949) fonde le théâtre du Vieux-Colombier en 1913. Il s’installe en Bourgogne à partir de 1924, à la recherche d’un public « moins détraqué dans son goût et moins affolé dans son jugement que le public de Paris ». L’aventure des « Copiaus » dure jusqu’en 1929. Copeau est appelé à la Comédie-Française en 1936. Il se retire à Pernand-Vergelesses en 1941. Albert Camus affirme qu’il y a eu deux périodes dans l’histoire du théâtre français : « avant et après Copeau ». Molière : le rire des tréteaux 209 En une seconde approche, l’ailleurs peut être suscité à l’aide d’un rideau. Posé au fond ou au milieu de l’estrade, le rideau tendu symbolise une maison, une porte, une fenêtre. Ce voile, c’est le rideau du théâtre, c’est aussi l’auvent des maisons du Moyen Age et de la Renaissance. Bornée par le rideau, l’estrade garde une coulisse. Elle devient rectangulaire : plus large qu’elle n’est profonde. On joue avec un hors-champ de convention : je suis derrière le rideau, on ne me voit pas ; je suis devant le rideau, on me voit. La dernière façon de créer un ailleurs est narrative, et voit apparaître l’architecture. J’ouvre une porte, je sors… Il se passe donc quelque chose derrière la porte. Ce dispositif repose moins sur une convention qu’il n’engage le vraisemblable d’une situation. On tend vers une représentation de la ville. De ces trois procédés, le plus élaboré est le premier, et non le dernier ! Le dernier supplée à une incapacité d’imagination. Or l’imaginaire est élan vers le réel, disait Breton. Pour créer un lieu, la représentation visuelle sophistiquée est plus faible que la convention de l’énergie. Le dessin laisse moins de place à l’imagination que la montée énergique sur le tréteau. Les comédies de Molière nous confrontaient singulièrement à la question de l’architecture. Le texte portait les traces d’une présence de portes et de fenêtres. Leur nécessité apparaît par exemple dans L’Ecole des maris : l’acteur qui incarnait Sganarelle 29 comptait les portes 30 . « Un, deux, trois, quatre » : on savait qu’il y avait quatre portes, et qu’à la quatrième habitait Valère. Il est certain que vous ne pouvez pas jouer L’Ecole des maris sans portes ni fenêtres. Que nous les construisions, que nous les mimions : nous devions les signifier. Nous avons choisi d’inscrire sur le plateau une urbanité à l’état de squelette. Nous avons représenté le squelette d’une maison car l’œuvre de Molière est un théâtre de la rue. L’univers de Molière s’urbanise progressivement. Les Précieuses se jouent dans la maison. Le cadre n’est pas urbain, même si Paris est omniprésent dans l’évocation. C’est la seule de nos pièces qui se joue à l’intérieur d’une maison. Cette étonnante exception justifie la transparence de notre décor. La maison à claire-voie permet d’envisager une façade aussi bien qu’un intérieur. Elle permet de jouer aussi bien dedans que dehors. 29 Olivier Borle. 30 A la fin de la scène 3 de l’acte II, à l’appui du vers « A quatre pas de là dire ensuite deux mots » (L’Ecole des maris, in : Œuvres complètes, tome I, op. cit., page 112). Christian Schiaretti / Goulven Oiry 210 Les premières pièces de notre spectacle relèvent de la farce, qui est un art de l’aplat et non de la perspective. Cette perspective, ce sont la rue, la maison ou l’intérieur qui l’amènent. Car l’intérieur suppose plusieurs pièces. « Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu’en notre chambre » et « Apportez-nous le miroir » 31 supposent toute la profondeur de la maison. La farce situe l’extériorité dans les lointains : « Cependant que mon mari n’y est pas, je vais faire un tour à un bal que donne une de mes voisines » 32 puis « j’ai été trop tard, l’assemblée est finie, je suis arrivée justement comme tout le monde sortait » 33 ! La Jalousie du Barbouillé appelait une naïveté scénique que je trouve belle. On a travaillé avec un simple rideau, qui présentait deux fentes et pouvait se faire fenêtre ou porte. Sous le rideau perce la structure : mais cette structure n’apparaît pas. Après La Jalousie du Barbouillé nous jouons Le Médecin volant. Nous avons gardé dans cette seconde pièce le personnage du Barbouillé, qui pousse la balourdise jusqu’à faire tomber le rideau. Ce faisant, il découvre la mécanique du théâtre. En somme : on dit adieu au Barbouillé, qui incarne la forme primitive du drame. Le Barbouillé rentre dans l’univers du Médecin volant, de Sganarelle. L’univers se complexifie : une architecture se met en place, avec portes et fenêtres. Dans la continuité de mon travail, vient L’Etourdi. On déploie le rideau, on lève l’auvent et on sent le plein air : nous voici à Messine, en Italie du Sud. Le voile change de couleur, et nous conduit au Dépit amoureux. Cette comédie nous confronte à une crise de l’intérieur, je dirais même une crise de l’inconscient. Le Dépit fait entendre que l’intérieur de la maison est un lieu possible de représentation. Viennent alors Les Précieuses, qui n’investissent que l’intérieur, puis Sganarelle ou le cocu imaginaire et L’Ecole des maris, qui jouent constamment sur l’intérieur et l’extérieur. Nous avons donc fait évoluer un rideau et un décor. Une édification architecturale d’essence urbaine s’esquisse sous nos yeux. Sganarelle- Mascarille remplace le Barbouillé : ses aventures le conduisent vers la ville, c’est-à-dire vers un théâtre qui se pose la question de l’intérieur. Cette réalisation est en partie le fruit du hasard, et elle n’est pas exempte d’incohérences. Mais si nous avions disposé de plus de temps et de moyens, nul 31 Les Précieuses ridicules, scène VI (Magdelon puis Cathos), in : Œuvres complètes, tome I, op. cit., page 13. 32 La Jalousie du Barbouillé, scène VIII (Angélique), in : Œuvres complètes, tome II, op. cit., page 1083. 33 La Jalousie du Barbouillé, scène X (Angélique), in : Œuvres complètes, tome II, op. cit., page 1084. Molière : le rire des tréteaux 211 doute que nous aurions bâti progressivement, devant vous, une maison et une rue ! La mise en scène fait de cette ville l’espace par excellence de la tentation et de la séduction. La ville devient théâtre : on écoute et on est écouté ; on y voit, on y est vu… Le voyeurisme est roi. N’est-ce pas l’un des sens possibles de la maison à claire-voie ? Tout à fait : l’œuvre de Molière fait la part belle aux dimensions théâtrale et voyeuriste de la ville. Les comédies parlent théâtre, constamment. Le théâtre est directement évoqué, et nous le savons : La Critique de l’Ecole des femmes ou L’Impromptu de Versailles sont les exemples les plus spectaculaires. Mais le théâtre est aussi parlé dans les séquences qui font ressortir la théâtralité de la ville. Votre description de la ville comme lieu de la tentation me renvoie à Copeau, qui s’identifie lui-même à Molière. Copeau quitte Paris pour la Bourgogne : il s’exerce dans la solitude, avec l’idée que la campagne est un lieu qui ne connaît pas la perversion de la cité. Cette promotion de la campagne en retranchement salvateur est déjà le fait de Molière. Chez l’auteur du Misanthrope, le retrait ne se réduit pas à un désert cérébral - au vide de l’anachorète réflexif auquel on réduit trop facilement Alceste. L’isolement passe aussi par la campagne. Les « choux » et les « dindons » qu’exalte Sganarelle dans L’Ecole des maris 34 permettent de retrouver une vérité première. En rupture avec la cité, la campagne offre une rédemption. Le refuge des choux et des dindons assure la maîtrise des filles - et c’est d’abord ce qui intéresse Sganarelle. Mais les virtualités de la campagne vont au-delà : la rusticité de l’écoute laisse une chance de renouer avec la vérité première du théâtre. La ville produit une corruption de la représentation. On la fuit pour se « dé-théâtraliser ». Ce geste rassemble - osons une projection très personnelle - le Mascarille des Précieuses ridicules, le Sganarelle de L’Ecole des maris, l’Alceste du Misanthrope et… Copeau lui-même ! Lorsqu’Alceste ou Mascarille prennent le large, c’est pour quitter une mauvaise pièce. Rappelons-nous les mots de Mascarille à Jodelet au moment de leur sortie : « Allons, camarade, allons chercher fortune autre part ; je vois bien qu’on n’aime ici, que la vaine apparence, et qu’on n’y considère 34 « SGANARELLE : Isabelle pourrait perdre dans ces hantises, / Les semences d’honneur qu’avec nous elle a prises, / Et pour l’en empêcher dans peu nous prétendons, / Lui faire aller revoir nos choux et nos dindons. » (L’Ecole des maris, scène 2 de l’acte I, in : Œuvres complètes, tome I, op. cit., page 98). Christian Schiaretti / Goulven Oiry 212 point la vertu toute nue » 35 . Mascarille est un acteur, et il refuse les vaines apparences… Où accepte-t-on la vérité « toute nue » ? Il me semble que c’est bien au milieu des choux et des dindons… Revenons à L’Ecole des maris : Valère, qui entend faire la cour à Isabelle, pense écarter Sganarelle en lui suggérant d’assister à une représentation théâtrale. Le galant propose à son rival de se rendre aux réjouissances données pour la naissance du Dauphin. Mais Sganarelle oppose une fin de non recevoir. Chez Sganarelle, l’éloge des vertus de la campagne va de pair avec le rejet des artifices costumés et des représentations théâtrales citadines 36 . 35 Les Précieuses ridicules, scène XVI, in : Œuvres complètes, tome I, op. cit., page 29. 36 « SGANARELLE : Il faut sortir d’ici. / Le séjour de la ville en moi ne peut produire / Que des… VALERE : Il faut chez lui tâcher de m’introduire. / SGANARELLE : Heu ? J’ai cru qu’on parlait. Aux champs, grâces aux cieux, / Les sottises du temps ne blessent point mes yeux. / ERGASTE : Abordez-le ! SGANARELLE : Plaît-il ? Les oreilles me cornent. / Là, tous les passe-temps de nos filles se bornent… / Est-ce à nous ? ERGASTE : Approchez. SGANARELLE : Là, nul godelureau / Ne vient… que diable... encor ? que de coups de chapeau. / VALERE : Monsieur, un tel abord vous interrompt peut-être ? / SGANARELLE : Cela se peut ? VALERE : Mais quoi ? l’honneur de vous connaître / Est un si grand bonheur, est un si doux plaisir, / Que de vous saluer, j’avais un grand désir… / SGANARELLE : Soit. VALERE : Et de vous venir, mais sans nul artifice, / Assurer que je suis tout à votre service. / SGANARELLE : Je le crois. VALERE : J’ai le bien d’être de vos voisins, / Et j’en dois rendre grâce à mes heureux destins. / SGANARELLE : C’est bien fait. VALERE : Mais Monsieur savez-vous les nouvelles / Que l’on dit à la Cour, et qu’on tient pour fidèles ? / SGANARELLE : Que m’importe. VALERE : Il est vrai ; mais pour les nouveautés, / On peut avoir parfois des curiosités : / Vous irez voir, Monsieur, cette magnificence, / Que de notre Dauphin prépare la naissance ? SGANARELLE : Si je veux. VALERE : Avouons que Paris nous fait part / De cent plaisirs charmants qu’on n’a point autre part ; / Les Provinces auprès sont des lieux solitaires » (L’Ecole des maris, scène 3 de l’acte I, in : Œuvres complètes, tome I, op. cit., pages 99 à 101). Molière : le rire des tréteaux 213 Dans l’esprit de Copeau, la ville qui vibrionne conduit à dénaturer la dévotion spirituelle que l’on doit au théâtre. En 1924, après la longue expérience du Vieux Colombier, Copeau part à Merceuil, près de Beaune, puis à Pernand-Vergelesses. Dans son exil bourguignon, il espère trouver un calme nécessaire au travail. Ce travail se fait au ras du silence, débarrassé des perturbations inévitables de l’excitation citadine. Copeau passe pardessus bord la volonté distractive du théâtre parisien. Mais il finit administrateur du Français ! Molière connaît un cheminement semblable. Il va de Paris vers la Province. Puis de la Province vers Paris, laissant au creux de l’œuvre comme un Eden perdu. Molière rejoint la cour. Il y a dans le parcours de Copeau comme dans l’itinéraire de Molière quelque chose de désespéré : une sorte de chaos parisien appelle tout à lui. Quand on travaille l’œuvre de Molière en respectant l’ordre chronologique des créations, on voit la ville arriver : la ville dans sa théâtralité, la ville de l’étourdissement, la ville de Valère, lequel arbore costumes et frisettes blondes ! Les fêtes parisiennes, leurs bals et leurs comédies pervertissent une forme de pureté théâtrale. En montant Molière, j’en viens à m’interroger : et si la vulgarité de Scapin était vérité, quand le raffinement de Boileau serait imposture ?