eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 39/76

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2012
3976

Saint-Evremond: contre le «vain fracas des périodes oratoires» des lettrés, contre les «méditations creuses» des théologiens

2012
Alexander Roose
PFSCL XXXIX, 76 (2012) Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » des lettrés, contre les « méditations creuses » des théologiens A LEXANDER R OOSE « In interiore homine habitat veritas », notait saint Augustin dans De vera religione (XXXIX §72). « Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même : c’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité ». Au lieu de s’adonner à la curiosité - Saint Augustin distingue trois types de curiosité : l’engouement pour tout ce qui est monstrueux, l’amour pour les spectacles, l’intérêt pour la magie et l’étude de la nature  le bon chrétien devrait s’étudier, rentrer en lui-même, contempler sa condition misérable, combattre ses péchés. C’est la seule voie pour retrouver le véritable bonheur qui réside dans l’amour de Dieu. Même si la lecture des textes de saint Augustin fut importante pour ses contemporains, Charles de Saint-Evremond ne participa pas à cet engouement. Il adopta une position très critique envers l’auteur de la « Cité de Dieu ». Il estimait que pour vivre heureux, il importait de faire l’exact inverse : « Il faut faire peu de réflexions sur la vie, mais sortir comme hors de soi ; et parmi les choses étrangères, se dérober à la connaissance de ses propres maux » (E, « Sur les plaisirs », 49 1 ). La méditation n’apporte guère de plaisir et les « âmes les plus fermes » supportent avec difficulté la contemplation du néant de la condition humaine. Par ailleurs, même si quelques esprits forts y parviennent, force est de constater que ce savoir ne leur apporte « qu’une humeur austère, éloignée de tout sentiment de plaisir et de l’idée même de 1 Pour cette étude, j’ai principalement utilisé deux recueils de travaux de Saint- Evremond récemment édités et pourvus d’excellentes introductions : Entretiens sur toutes choses, présentation de David Bensoussan, Paris, Desjonquères, 1998 et Condé, Turenne et autres figures illustres, présentation de Suzanne Guellouz, Paris, Desjonquères, 2003. Par la suite, j’indiquerai ces textes par « E » et « C», en y ajoutant le titre de l’essai, de la lettre ou de l’éloge, et la page citée. Sur Saint- Evremond, voir aussi : Suzanne Guellouz (dir.), Entre Baroque et Lumières. Saint- Evremond (1614-1703), Caen, Presses universitaires de Caen, 2000. Alexander Roose 36 la joie. Il n’appartient qu’à Dieu de se considérer et de trouver en lui-même sa félicité et son repos » (E, « Sur les plaisirs », 50). A ces pensées épicuriennes, Saint-Evremond ajoute une anthropologie de la sagesse des grands philosophes  il rappelle les derniers instants de Caton, de Socrate, d’Epicure , incapables de maintenir leurs sévères idéaux d’indifférence, d’ataraxie, de tranquillité, lorsqu’ils souffrirent ou vécurent les approches de la mort. Les plus ardents libertins comme les plus constants stoïciens  Saint-Evremond réunit ces deux catégories dans une épigramme moqueuse 2  oublient également leurs fières postures lorsqu’ils se trouvent face à la mort, « sur le point de la fin ». Mais il serait erroné de croire à partir de ces réflexions désabusées que Saint-Evremond a évacué toute réflexion métaphysique. Dans un texte intitulé « Considération sur la religion », composé à la fin de son séjour en Hollande, il fait remarquer que ceux qui pensent qu’il ne s’occupe guère du « soin du salut » se trompent : « Je puis dire que la pensée de l’autre monde n’occupe personne plus sérieusement que j’en ai été toujours occupé » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 105). Certes, il poursuit en expliquant que l’immortalité de l’âme est une conséquence imprévue de l’amour-propre 3 , un avatar de l’élan vital. Mais la démonstration proposée par Descartes dans ses Méditations lui paraît « vaine » 4 : elle ne lui permet pas de se défaire de son « incertitude ». L’inquiétude métaphysique qui perce dans les textes de Saint-Evremond est bien réelle : elle alimente le refus du raisonnement infini 5 et la peur de l’ennui mortifère. Contre Pascal 6 , mais avec Montaigne, Saint-Evremond prône la stratégie du divertissement et de la diversion. A la méditation, aux exercices spirituels nécessaires des Jésuites ou des soïciens, 2 « Tel de ces discoureurs qui prêchent la constance / Ressemble au libertin / Qui demandait à Dieu trois ans de pénitence / sur le point de sa fin ». (E, « Sur les plaisirs », 50) 3 « Nous nous sommes trop chers pour consentir à notre perte tout entière » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 105). 4 « Je voudrais n’avoir jamais lu les Méditations de Monsieur Descartes : l’estime où est parmi nous cet excellent homme m’aurait laissé quelque croyance de la démonstration qu’il promet ; mais il m’a paru plus de vanité dans l’assurance qu’il en donne que de solidité dans les preuves qu’il apporte, et quelque envie que j’aie d’être convaincu de ses raisons, tout ce que je puis faire en sa faveur et la mienne, c’est de demeurer dans l’incertitude où j’étais avant » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 105-6). 5 « Comme les raisonnements sont infinis, les controverses dureront autant que le genre humain les fait » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 105-6). 6 Même si le constat de départ est le même: « La solitude a cela qu’elle nous imprime je ne sais quel air triste et funeste par la pensée ordinaire de notre condition » (E, « Sur les plaisirs », 49). Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » 37 Saint-Evremond préfère les joies de la conversation et de la littérature. Avec Pascal et avec Montaigne, il loue la foi du charbonnier. Il serait peut-être plus juste de dire : il semble regretter la disparition de cette foi qui maintenait les hommes loin des affres du doute et de l’inquiétude. Saint- Evremond préfère « le silence du sage au discours du philosophe », la foi « du plus stupide des paysans » (E, « L’homme qui veut connaître toutes choses », 40) à « toutes les leçons de Socrate ». Mais contrairement à Montaigne, Saint-Evremond n’aime pas Socrate. Il lui préfère Pétrone, « l’arbitre des élégances » (E, « Jugement sur Sénèque », 46), qui avant de mourir, et contrairement à Socrate n’avait pas ressenti le besoin de disserter longuement et savamment sur la mort avec ses amis. Non, Pétrone a accepté la mort négligemment. Ce mépris n’a rien de grave, de stoïque. « Ce n’est point une résolution formée sur les sentiments des philosophes : c’est une indifférence molle et nonchalante, qui ne laissait aucun accès dans son âme aux funestes pensées de la mort ; c’est une continuation du train ordinaire de sa vie jusqu’au dernier moment » (E, « Sur les historiens français », 72). Cette mort exemplaire, qui étonne Tacite, procure un air de sagesse à celui qui sut, comme Montaigne, distinguer honneurs publics et plaisirs privés, la fonction du magistrat et le métier d’homme 7 . Mais l’admiration de Saint-Evremond n’est pas uniquement fonée sur la douce indifférence avec laquelle Pétrone accueillit la mort ordonnée par Néron. Celui qui a dû s’exiler en 1661, d’abord en Hollande, puis en Angleterre, pour avoir publié une Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées (1659) critiquant Mazarin admire sans doute aussi le consul de Néron qui de façon feutrée a osé critiquer l’empereur dans son roman, le Satiricon 8 . Or, le Satiricon de Pétrone est aussi le plus licencieux roman de l’Antiquité : chronique bigarrée et hybride composée à la fois en latin classique et vulgaire, ce roman met en scène, dans une Rome décadente, les aventures picaresques de deux jeunes homosexuels, Encolpe et Ascylte, ainsi que de Giton, le mignon d’Encolpe. Les trois compères participent à un festin grandiose organisé par un riche affranchi, Trimalcion. Les discussions philosophiques et les avis d’une prêtresse vouée au culte de Priape, la présentation de mets raffinés et insolites, la dégustation de liqueurs rares et de vins délicats y alternent avec les plus étranges péripéties : une orgie, le récit 7 « [Au] lieu d’assujettir sa vie à sa dignité, comme font la plupart des hommes, et de rapporter là tous ses chagrins et toutes ses joies, Pétrone, d’un esprit supérieur à ses charges, les ramenait à lui-même, et à prendre en quelque sorte l’air de Montaigne, il ne renonçait pas à l’homme en faveur du magistrat » (E, « Jugement sur Sénèque », 47). 8 Pétrone, Le Satiricon, traduction d’Alfred Ernout, préface et notes de Perrine Galand, Paris, 1995. Alexander Roose 38 de la matrone d’Ephèse, veuve chaste qui cède aux flatteries d’un beau soldat, le dépucelage d’une très jeune fille, décrit par le narrateur qui contemple les ébats par le trou de l’écrou de la chambre nuptiale… Saint- Evremond récuse d’emblée toute lecture moralisatrice du texte : non, il ne s’agit pas d’un tableau satirique visant à dénoncer les vices d’une société de débauchés. Il en veut pour preuve que l’unique personnage dont le comportement correspond à quelque vertu morale, « le pauvre Lycas, marchand de bonne foi, craignant bien les dieux, périt misérablement dans la tempête, au milieu de ces corrompus qui sont conservés » 9 . Il s’agit bien d’une œuvre amorale, indifférente aux discours sur le péché et sur l’immortalité de l’âme. Tous les crimes dont s’est rendu coupable Encolpe restent impunis. A l’exception d’un seul : « Il avait mal répondu aux caresses de Circé, et à la vérité son impuissance est la seule faute qui lui a fait de la peine ». Ces héros incarnent le vice « heureusement protégé » et « l’impudicité accomplie » 10 . Ces païens se vautrent tout naturellement dans la douceur de la corruption et du dévergondage, ignorant la honte et la crainte des dieux. « Pétrone », résume Saint-Evremond, « est admirable par tout, dans la pureté de son style, dans la délicatesse de ses sentiments ; mais ce qui me surprend davantage, est cette grande facilité à nous donner ingénieusement toute sorte de caractères » 11 . La variété stylistique - Pétrone ne s’oppose-t-il pas au « vanus sententiarum strepitus » 12 (E, « Jugement sur Sénèque », 44) ?  et l’éventail psychologique des caractères présentés par Pétrone font de lui le plus grand des auteurs latins. Plus grand que Térence, Horace, Tibulle, Ovide et Virgile. Et le seul à avoir parlé de galanterie : Pour Saint-Evremond, rien ne saurait mieux exprimer la galanterie que le conte de « la Matrone d’Ephèse », le chapitre CXI du Satiricon, le seul dont Saint-Evremond ait proposé une traduction. A lire ce récit il semble que pour Saint-Evremond la galanterie soit un prodigieux philtre composé à la fois de chasteté et de transgression, de poésie et de rhétorique, d’amour-passion et d’amourpropre, de délicatesse et d’insolence, de scrupules combattus et de plaisir assumé. Pour Saint-Evremond la pureté des saints est une condition à laquelle les hommes ne sauraient aspirer sans tomber dans le péché de la présomption, sans méconnaître les limites de la condition humaine. Le raisonnement 9 Saint-Evremond, Les Véritables Œuvres, Londres, chez Jacob Tonson, 1706, tome II, p. 12. Il s’agit de la suite (omise dans l’édition récente) du texte « Sur Pétrone », qui constitue la troisième partie de l’essai intitulé « Jugement sur Sénèque, Plutarque et Pétrone ». 10 Saint-Evremond, op.cit., tome II, p. 14 & p. 20. 11 Saint-Evremond, op.cit., tome II, p. 18. 12 « Le vain fracas des périodes oratoires ». Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » 39 parvient dès lors à un paradoxe anti-pascalien : conscient de sa misère ontologique, l’homme obéit à ses désirs naturels, ignorant les conséquences de la chute adamique. De toute évidence, Saint-Evremond n’ignore pas réellement les effets de l’état post-lapsaire, il invite son lecteur à faire « comme si » la chute n’avait pas eu lieu, « comme si » la notion du péché n’existait pas, « comme si » le pécheur ne sera pas sanctionné dans l’au-delà. Cette singulière théologie, qui tente de réunir catholiques et réformés, ne connaît qu’un dogme : l’amour du prochain et l’amour de Dieu 13 . Peu importent les principes de la doctrine théologiques, d’ailleurs : que valent « ces pensées vagues », ces « méditations creuses » (E, « Lettre à Monsieur Justel », 145) 14 ? L’amour ne peut jamais être un péché, et même s’il l’est, l’amour galant et libertin peut devenir amour vertueux et parfait si à terme il se tourne vers Dieu. Le vieux libertin aguerri, le « vieil impie », est méchant, écrit Saint-Evremond, lorsqu’il combat son dernier penchant vers Dieu. Il ignore qu’il pourrait heureusement préserver les joies du sentiment amoureux en aimant Dieu. La dévotion peut faire retrouver « à une vieille des délicatesses de sentiment et des tendresses de cœur que les plus jeunes n’auraient pas dans le mariage ou dans une galanterie usée » (E, « Que la dévotion est le dernier de nos amours », 167). Il y a dans la conversion de cette vieille dame « un mélange secret de la douceur du souvenir et de la douleur de la pénitence ». L’éloge du style bigarré de Pétrone et le refus du style élevé constituent dans la rhétorique de Saint-Evremond le contrepoint de son angoisse face à l’alternative augustinienne des deux cités. « Deux amours ont fait deux cités », nous dit saint Augustin : « l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu a fait la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi a fait la cité céleste ». Or par un singulier retournement, Saint-Evremond semble penser que la grandiloquente construction de la cité céleste participe d’une ambi- 13 « Aimer Dieu et son prochain [comprend toute la religion chrétienne], selon saint Paul » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 112). Certains ont cru voir dans ce passage, et dans ces conceptions, l’empreinte de Spinoza. Cf. Quentin Hope, Saint- Evremond and his Friends, Genève, Droz, 1999, p. 445 ; Mais surtout : Denys Potts, Saint-Evremond : A Voice from Exile, Oxford, Legenda, 2002. Dans son introduction, Denys Potts écrit : « Saint-Evremond’s writings on religion from this time are full of parallels with the as yet unpublished Tractatus, which can only have originated in his meetings with Spinoza » (op.cit., p. 10). 14 Saint-Evremond formule son idée dans une question rhétorique : « D’où pensezvous que viennent les absurdités de tant de sectes, que des méditations creuses où l’esprit, au bout de sa rêverie, ne rencontre que ses propres imaginations ? » Cf. Jean-Pierre Cavaillé, « Libertinage et dévotion chez Saint-Evremond » in Suzanne Guellouz, op. cit., p. 193-212. Alexander Roose 40 tion démesurée qui ignore les limites de la condition humaine. Les admirateurs de saint Augustin, et les Calvinistes en particulier, ont des exigences surhumaines : ils « veulent réformer tout ce qui paraît humain » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 108). Le style de Pétrone est dès lors plus approprié : plus naturel, plus véritable. De là l’aversion qu’éprouve Saint-Evremond pour les sciences spéculatives, qui échafaudent des doctrines absconses et s’appuient sur des abstractions et des conjectures gratuites : la théologie et la philosophie, « sciences inutiles et incertaines » (E, « Jugement sur les sciences », 57), les mathématiques, qui « à la vérité ont plus de certitude » mais sont tout aussi inutiles. Car pour parler « sagement, nous avons plus d’intérêt à jouir du monde qu’à le connaître » (idem). Saint- Evremond n’exclut évidemment pas les bonnae litterae, les belles lettres, par lesquelles il chasse l’ennui, dans lesquelles il trouve apaisement, consolation et plaisir. Toutefois obligé de nier les histoires et anecdotes qui contredisent son anthropologie, il déconstruit les récits héroïques, niant la vertu de Brutus, critiquant Tacite pour avoir composé des tableaux trop finis, « où il ne laisse rien à désirer de l’art, mais où il donne trop peu au naturel ». Ces réserves résument la poétique picturale de Pétrone, qui dans le chapitre LXXXIII du Satiricon fait dire à son narrateur : J’arrivai dans une galerie de tableaux remplie de merveilles les plus diverses. J’en vis de la main de Zeuxis que l’injure du temps n’avait pu réussir à détruire ; je vis aussi des esquisses de Protogène, qui luttaient de vérité avec la nature elle-même, et que je ne touchai sans un certain frisson. Il y avait aussi une déesse d’Apelle, […] que j’adorai dévotement. Les figures étaient dessinées au naturel avec un tel art, qu’on attendait à voir la peinture s’animer. Il importe peut-être de relever que le peintre et critique d’art Roger de Piles, exact contemporain de Saint-Evremond, estimait lui aussi que « les minuties dans le discours affadissent une pensée, et en ôtent tout le feu ; et [que] les tableaux où l’on a apporté une extrême exactitude à finir toutes choses tombent souvent dans la froideur et dans la sécheresse » 15 . En somme, l’ambition de Protogène effraie le spectateur qui se détourne de ces tableaux comme Saint-Evremond conseille de se détourner des curiosités et des subtils raisonnements des théologiens. La faillite de Protogène est celle de Tacite : ses « spéculations trop fines nous dérobent les vrais objets pour mettre en leur place de belles idées » (E, « Observations sur Salluste et Tacite », 60). La réussite d’Apelle correspond à celle de Salluste « qui ne se contente pas de nous dépeindre les hommes dans les éloges : il faut qu’ils se 15 Roger de Piles, Conversation sur la connaissance de la peinture, Paris, Langlois, 1677, Genève, Slatkine, 1970, p. 70. Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » 41 dépeignent eux-mêmes dans les harangues, où vous voyez toujours une expression de leur naturel » (idem, 61). C’est celle de Pétrone, lui aussi, capable de s’exprimer sur n’importe quel sujet avec délicatesse et netteté. Souvent, en ses narrations, il se laisse aller au simple naturel, et se contente des grâces de la naïveté ; quelquefois il met la dernière main à son ouvrage, et il n’y a rien de si poli. Catulle et Martial traitent les mêmes choses grossièrement ; et si quelqu’un pouvait trouver le secret d’envelopper les ordures avec un langage pareil au sien, je réponds pour les dames, qu’elles donneraient des louanges à sa discrétion 16 . Si Montaigne qualifiait ses Essais d’excréments d’un vieil esprit, s’il estimait que son livre était aussi important que le papier que la poissonnière utilisait pour envelopper les sardines, Saint-Evremond veut traiter avec élégance et naturel des « ordures », de la fange et de la boue, pour reprendre la métaphore augustinienne, constitutives de la condition humaine. Il importe dès lors de ramener les âmes tentées par l’héroïsme à la piètre réalité de leur condition. Dans la galerie des grands hommes, il ne reste que le portrait de César, adepte de la philosophie d’Epicure, dans « laquelle il s’attacha principalement à ce qui regarde l’homme » (C, « Sur Alexandre et César », 110). Aussi incarne-t-il un épicurisme doux et naturel à ne pas confondre avec l’exigeante éthique de ces philosophes « trop rigoureux » (E, « Jugement sur les sciences », 58) qui prônent une retraite sage et austère. Cependant, même si tout le monde semble penser que César et Alexandre furent « les plus grands hommes du monde » (C, « Sur Alexandre et César », 109), Saint- Evremond contemple ces héros avec une certaine réserve. La comparaison entre Alexandre et César annonce l’alternative du dévot superstitieux et le libertin flamboyant (Henri Brémond). « Lucain », rappelle Saint-Evremond, « présente [César] au siège de Marseille, la hache à la main dans un bois sacré, où, donnant les premiers coups, il incitait les soldats saisis d’une secrète horreur de religion, par des paroles assez impies » (ibidem, 111). Alors qu’Alexandre consulta devins et oracles. Saint-Evremond récuse à la fois « l’extrémité » de César et la crédulité d’Alexandre, qu’il attribue à « la lecture ordinaire des poètes, qui donnaient aux hommes la crainte des dieux et composaient toute la théologie de ces temps-là » (ibidem). Lorsqu’il intervient dans les débats sur les Anciens et les Modernes, Saint-Evremond n’eut de cesse qu'il n’eût souligné la différence entre « ces temps-là » et son époque. Il ne se présente guère comme le poeta vates, n’évoque nulle part le génie poétique, ne recherche pas l’hermétisme lexical ou générique mais compose une poésie de circonstance, simple, sobre et claire, légèrement ironique. Cette modestie formelle et herméneutique parti- 16 Saint-Evremond, op.cit., tome II, p. 24. Alexander Roose 42 cipe d’une conception philosophique à la fois cohérente et inarticulée dont « la médiocrité » semble la pierre angulaire. Toutefois, il ne s’agit pas là d’une application de la sainte médiocrité aristotélicienne : la mesure de Saint-Evremond est la conséquence d’une inquiétude et d’une angoisse profonde, doublée d’une peur de l’ennui. Il y a chez Saint-Evremond un refus insistant de l’excès, que révèle l’occurrence de l’adverbe trop dans le sonnet « Nature, enseigne-moi, par quel bizarre effort » : « Un mélange incertain d’Esprit et de Matière, / Nous fait vivre avec trop ou trop peu de Lumière, / Pour savoir justement et nos Biens et nos Maux : / Change l’état douteux dans lequel tu nous ranges, / Nature, élève-nous à la clarté des anges, / Ou nous abaisse au sens des simples animaux » 17 . Ce sombre sonnet expose l’abandon par l’auteur du projet humaniste 18 , incapable de relever le défi divin formulé par Pic dans son Discours sur la Dignité de l’homme. Il y a ici une résignation, un renversement des responsabilités qui souligne la misère humaine et l’omnipuissance divine. Cela n’implique pas que Saint-Evremond se tourne du côté de la Reforme ou de Port-Royal : Pour tenir la religion sans sa pureté les Calvinistes veulent réformer tout ce qui paraît humain ; mais souvent ils retranchent trop de ce qui s’adresse à Dieu, pour vouloir trop retrancher de ce qui part de l’homme. Le dégoût de nos cérémonies les fait travailler à se rendre plus purs que nous. Il est vrai qu’étant arrivés à cette pureté, trop sèche et trop nue, ils ne se trouvent pas eux-mêmes assez dévots, et les personnes pieuses parmi eux se font un esprit particulier qui leur semble surnaturel, dégoûtées qu’elles sont d’une régularité qui leur paraît trop commune (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 108). Cette version épurée de la religion lui semble sans charme, sans douceur. Lorsque la religion réformée est devenue celle de l’Etat  et Saint-Evremond pense sans doute aux Pays-Bas  elle se meut en éthique austère, « elle produit seulement l’exactitude du devoir, comme ferait le gouvernement politique ou quelque autre obligation ». Il n’aime guère les dévots 19 ni les jésuites, pour les mêmes raisons. S’il pense que l’omnipuissance divine, soumise à aucun principe rend de fait la 17 Saint-Evremond, op.cit., tome I, p. 169-170 ; je souligne. 18 Cf. sur toute cette problématique, le brillant essai d’Albert-Marie Schmidt (Saint- Evremond ou l’humaniste impur, Paris, Editions du Cavalier, 1932) dont je partage l’essentiel des analyses. 19 Le « Sentiment d’un honnête et habile courtisan sur cette Vertu rigide et ce sale Intérêt » commence par « Je suis fâché, Monsieur, qu’une vertu trop sévère vous anime si fort contre le Vice » (Saint-Evremond, op.cit., tome II, p. 358). Dans le même essai, on lit : « La Vertu [de Caton] qui eût été admirable dans les Commencements de la République, fut ruineuse sur ses fins, pour être trop pure et trop Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » 43 Création insondable, il récuse ces sévères directeurs de conduite, qui « vous font entrer en certaines délicatesses de Spiritualité, que vous n’entendez point, & qu’ils n’entendent pas le plus souvent » 20 . Mais son inquiétude et son angoisse le maintiennent aussi éloigné des hardiesses libertines : « Je hais le vieil impie comme un méchant, et le méprise comme un malhabile homme qui n’entend pas ce qui lui convient » (E, « Que la dévotion est le dernier de nos amours », 168). Le libertin flamboyant n’est que l’avatar du théologien zélé : « Tandis qu’il fait profession de donner tout à la nature intelligent, il combat son dernier penchant vers Dieu, et lui refuse la seule douceur qu’elle demande » (ibidem). L’ennui qu’ils combattent rageusement a généré à la fois un désir de perfection spéculative ou une éthique rigoureuse qui sont, de fait, déplacées, non naturelles. On comprend que Saint- Evremond n’a que peu de goût pour les héros que son époque admire. Il ressemble au compagnon de Polyeucte qui soupçonne dans le désir de sainteté du nouveau converti une vanité blasphématoire et un désir de perfection faustien 21 . Cet amour-propre coupable, cette volonté effrénée de s’asseoir à la droite du père est aussi scandaleuse que les propos du libertin athée. Il importe d’abord que l’homme reconnaisse ses limites, qu’il cesse d’en faire « trop » : Ce que nous sommes obligés de croire est au-dessus de notre intelligence ; ce que nous avons à faire est à la portée de tout le monde. La foi est obscure ; la loi est nettement exprimée. En un mot, Dieu nous donne assez de lumière pour bien agir : nous en voulons pour savoir trop ; et au lieu de nous tenir à ce qu’il nous découvre, nous voulons pénétrer dans ce qu’il nous cache 22 (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 109-10). Dans un sens, Saint-Evremond semble rétablir la distinction scolastique d’un désir de savoir, d’une science qui s’occupe « des choses quae supra nos, qui forment l’objet d’une curiosité certes non toujours satisfaisante mais nette » (Ibidem, 360). Et un peu plus loin : « Votre sagesse, Monsieur, est trop pure pour des hommes si corrompus ; il y a trop d’éloignement de vous à eux, pour pouvoir jamais convenir ensemble » (ibidem, 363). 20 Saint-Evremond, op.cit., tome I, p. 188. Il poursuit : « Les volontés de Dieu ne sont pas si cachées, qu’elles ne se découvrent à ceux qui les veulent suivre : Presque en toutes, vous aurez moins de Lumière que de Soumission ». La théologie est une science inutile. 21 A ce propos, notons que Saint-Evremond, qui fut un grand admirateur de Corneille, n’appréciait que très modérément Polyeucte : « He cannot admire heroes who are dependent upon the blessings of the gods or whose fate is shaped by the gods’ malevolence. He looks for a hero who acts with unwavering self-mastery and independently of the supernatural » (Quentin Hope, op. cit., p. 341). 22 Je souligne. Alexander Roose 44 légitime » 23 et d’une science qui veut percer « les intentions de Celui qui supra nos, ce Dieu que vise une curiosité nécessairement vaine ». Mais il dépasse cette distinction : il ne condamne pas ce désir de savoir et cette science au nom d’une religion qui s’érige en arbitre des savoirs, il s’en méfie, comme tout épicurien récuse ce qui fait souffrir. Il ne récuse pas cette curiosité. Elle est naturelle 24 , mais aussi dangereuse. Il convient donc de la manier avec précaution. La simplicité formelle et stylistique 25 est de rigueur : les comparaisons éloignent de l’objet étudié, les fioritures cachent l’objet représenté. Les dehors spécieux et les vaines images des fictions anciennes détournent dangereusement les hommes de la réalité. Le charme de la ressemblance, la beauté du mystère de la similitude couvrent la réalité d’un voile faussement mystérieux. « Nous aimons les vérités déclarées, le bon sens prévaut aux illusions de la fantaisie, et rien ne nous contente aujourd’hui que la solidité et la raison » (E, « Sur les Anciens », 141). Par ailleurs, grâce à ou à cause de la science  cette curiosité qui va au-delà des limites fixées par les scolastiques  notre univers ne ressemble plus à celui des Anciens. Notre vue sur le monde est complètement différente : le soleil, les cieux ne sont plus les demeures des dieux ; la terre, « immobile autrefois » (ibidem) tourne à 23 Fernand Hallyn, La Structure poétique du Monde : Copernic, Kepler, Paris, Seuil, 1987, p. 46. 24 « La preuve la plus sensible que j’ai trouvée de l’éternité de mon esprit, c’est une éternelle curiosité que j’aurai toujours de la connaître » (E, « À M. Le Maréchal de Créqui », 105). Un peu plus loin, Saint-Evremond note que le désir de savoir est « un vice fort naturel et humain » (Ibidem, 110). 25 Sur le style de Saint-Evremond, son biographe notait qu’il visait avant tout à éviter les excès : « On trouve que son style ne coule pas assez naturellement, qu’il est trop étudié et trop recherché, et qu’il y trop d’antithèses. Il est vrai qu’il aurait pu donner à quelques endroits un tour plus aisé et plus facile. Il en convenait luimême. Mais il ne voulait point s’assujettir aux règles scrupuleuses des Grammairiens. Il était persuadé qu’un langage trop poli et trop limé énerve le discours et le rend trop sec et trop uniforme. Il renfermait beaucoup de choses en peu de paroles ; et ce style mâle et pressé paraît toujours plus dur et plus compassé qu’un style plus diffus et moins soutenu. Cependant il est certain que son style est pur et châtié et qu’il connaissait bien toutes les finesses de la Langue. Il pensait noblement et s’exprimait de même. Il approfondissait son sujet ; il en démêlait tous les rapports, et les envisageait avec les qualités opposées, ce qui a produit naturelles les Antithèses qu’on lui reproche. Mais ces sortes d’oppositions ne conviennent pas à toute sorte de sujets : c’est le sujet même qui les doit faire naître. Mr de Saint- Evremond en savait bien l’usage, et il n’affectait point de s’en servir » (Pierre Desmaizeaux, La Vie de Messire Charles de Saint-Denis Sieur de Saint-Evremond, Amsterdam, Covens et Mortier, 1726, quatrième édition revue, corrigée et augmentée, p. 313-14). Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » 45 présent. « Tout est changé : les dieux, la nature, la politique, les mœurs, le goût, les manières » (E, « Sur les Anciens », 142) 26 . Rester fidèle au style des Anciens, c’est ignorer l’emprise du temps. Poursuivre et imiter servilement les fables des Anciens, c’est adorer une religion dépassée par les vérités chrétiennes, au mépris de la beauté des fictions anciennes et des vérités chrétiennes. Aussi ces changements exigent-ils « un nouvel art et un nouvel esprit » (E, « Sur les Anciens », 137). Saint-Evremond ne goûta guère les métaphores de Coeffeteau, « la langue fleurie » de Coton et « l’affectation de Balzac qui ruinait la beauté naturelle de ses pensées » (E, « Dissertation sur le mot vaste », 122). Comme Pétrone, il tourne « en ridicule l’éloquence de son temps » (ibidem) et s’oppose aux « faux polis, aux faux délicats » de son époque, qui ont rendu « le discours faible et languissant ». Si on veut être de son époque, il faut parfois oser être contre son époque. Une discussion sur le sens à donner au mot « vaste », permet à Saint-Evremond de préciser ses critères : même les plus respectables autorités devraient se plier à « la raison » (E, « Dissertation sur le mot vaste », 123). Contre l’Académie 27 , il attribue au mot « vaste » une connotation négative soulignant qu’Aristote, si prudent, si sage lorsqu’il réfléchissait à la rhétorique ou à la politique, avait l’esprit « vaste », c’est-à-dire trop ambitieux et peu raisonnable, lorsqu’il se perdait dans l’élaboration de ses principes métaphysiques et ses thèses astronomiques. Il observe qu’Homère, « juste dans les caractères, naturel dans les passions » (E, « Dissertation sur le mot vaste », 127) avait l’esprit vaste quand il s’étendait sur la nature des dieux. Saint-Evremond apprécie encore moins les « esprits vastes » d’Alexandre, de César, de Catilina, de Charles- Quint qui embrassèrent « trop de choses pour en régler aucune » (E, « Dissertation sur le mot vaste », 131). Ces grands et nobles hommes devinrent mesquins, adoptèrent des projets chimériques, criminels et ruineux lorsqu’ils furent possédés par cet « esprit vaste ». Aussi cette réflexion sur la langue française et sur le style prôné par l’Académie française devint-elle une méditation sur les excès auxquels les plus grands et les plus nobles s’adonnèrent. Cet idéal de la mesure n’exclut pas la grandeur et la gloire, mais met en garde contre la vanité et l’orgueil, comme il permet de railler les académiciens étriqués qui se contentent d’écrire quelques « relations polies ou quelques petites nouvelles galantes » (E, « Dissertation sur le mot vaste », 136) tout en pontifiant en matières littéraires, lexicales et stylistiques. 26 Dans « De la tragédie ancienne et moderne », il observe : « Descartes et Gassendi ont découvert des vérités qu’Aristote ne connaissait pas » (Saint-Evremond, op.cit., tome III, p. 70). 27 Cf. Hélène Merlin, Public et Littérature en France au XVII e siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1994. Alexander Roose 46 On connaît la célèbre sentence de Léonard : « Tout portrait est un autoportrait ». Les éloges qu’il compose pour la mémoire de ses amis, les portraits des grands de son époque que brosse Saint-Evremond, sont autant d’esquisses du portrait du gentilhomme idéal que de bribes d’un autoportrait déguisé. Dans l’essai sur le mot « vaste », il avait rappelé que monsieur de Turenne admirait le cardinal de Richelieu, mais qu’il « ne pouvait souffrir le vaste dont il est loué » (E, « Dissertation sur le mot vaste », 135) et cet avis venait explicitement renforcer le sien. Lorsque Saint-Evremond ajoute que les desseins du cardinal venaient « d’une imagination qui avait trop d’étendue » (Ibidem) son opinion et celle de Turenne se confondent. Aussi l’éloge qu’il compose en l’honneur de Turenne est-il particulièrement révélateur. Le courage exemplaire, la fidélité politique, l’élégance morale, la modération et la sagesse en matière religieuse de Turenne : « Jamais les vertus des particuliers n’ont été si bien unies avec les qualités des héros » (C, « Eloge de Monsieur de Turenne », 61). Turenne s’accommodait de la religion catholique comme des idéaux réformés avec une sage indifférence que Saint-Evremond fit sienne. Autre exemple : les paragraphes finaux de « l’Eloge de Monsieur le Prince » se lisent comme la description du courtisan idéal, de facture renaissante. Ce gentilhomme est un esprit libre, courageux et guerrier, militaire exceptionnel par son génie et par son intelligence. Comme Castiglione ou La Mothe Le Vayer 28 , Saint-Evremond estime que le parfait courtisan ne doit pas être un scientifique, mais il loue le prince de Condé, de savoir « plus qu’on ne désire d’un prince et assez pour un savant ». Et il poursuit : [Le Prince] a lu pour son plaisir plus que pour son instruction et n’a pas laissé de s’instruire dans la lecture. Il ne s’arrête pas au détail ni à la finesse des auteurs, mais il est touché des beaux endroits et les choses extraordinaires lui sont tout à fait sensibles (C, « Eloge de Monsieur le Prince », 54). On comprend qu’il s’agit là de l’idéal littéraire et stylistique de Saint-Evremond. Il aime une littérature qui touche et émeut. Il apprécie un théâtre qui suscite l’admiration des spectateurs par la grandeur des personnages mis en scène 29 . Il va sans dire que cette admiration n’est jamais la conséquence de 28 Cf. mon article : « Les Bottines de La Mothe Le Vayer » in Perrine Galand, Fernand Hallyn, Carlos Lévy (éds.), Quintilien. Ancien et Moderne, Turnhout, Brepols, 2010, p.501-514. 29 Lorsqu’il aborde le sujet de la religion de Condé, Saint-Evremond semble encore brosser son autoportrait : « Il est ce que sont la plupart des gens qui ont quelque chose au-dessus du commun. Il cherche des raisons et sa curiosité va plus loin que les raisons qu’on lui donne. L’impiété qu’on lui attribue vient plus de la difficulté Saint-Evremond : contre le « vain fracas des périodes oratoires » 47 quelques belles périodes oratoires. Cependant l’exercice épidictique ne se transforme pas en un éloge dithyrambique. Il eut fallu que le Prince de Condé fasse preuve d’un peu plus de douceur et d’humanité : « Il ne lui manquait que les qualités d’un homme médiocre pour être le premier de tous les siècles » (C, « Eloge de Monsieur le Prince », 55). L’anthropologie religieuse et la philosophie de Saint-Evremond lui permettent de formuler ses propres limites, de dépasser ses doutes et de vivre ses contradictions. De même, les portraits de Turenne et de Condé, l’éloge de la prose et de l’éthos de Pétrone légitiment l’éthique de la galanterie, de la douceur et de la politesse ingénieuse de Saint-Evremond lui-même. C’est une éthique raisonnable de la médiocrité heureuse, de l’hic et nunc généreux 30 , d’une civilité délicate. de la chose que de l’obstination de ses sentiments et de la dureté de son âme » (C, « Eloge de Monsieur le Prince », 54). 30 Cf. Thomas Pavel, L’Art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, Paris, Gallimard, 1996.