eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 38/74

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2011
3874

Delphine Reguig-Naya: Le Corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Madame de La Fayette, Racine. Paris: Champion, 2007 (Lumière classique 70). 836 p

2011
Volker Kapp
PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 252 Delphine Reguig-Naya : Le Corps des idées. Pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal. Arnauld, Nicole, Pascal, Madame de La Fayette, Racine. Paris : Champion, 2007 (Lumière classique 70). 836 p. L’augustinisme est devenu depuis quelques décennies un des thèmes favoris de la critique, pourquoi faut-il lui alors consacrer une nouvelle étude tellement volumineuse ? Delphine Reguig-Naya ne pose pas cette question mais ses développements bien documentés et toujours très clairs confirment la nécessité de reprendre cet argument par une étude aussi vaste qui remonte des idées d’Arnauld et de Nicole à leur maître commun Augustin pour en éclaircir l’impact dans leur philosophie du langage ainsi que ses répercussions sur les querelles théologiques, philosophiques et littéraires qui préoccupent le « Second Port-Royal ». La critique reconnaît clairement ce qu’elle doit aux multiples travaux de ses prédécesseurs dont les recherches importantes sont complétées dans le présent volume par la focalisation sur la problématique linguistique et ses origines dans la pensée de ce Père de l’Église. La dimension théologique des réflexions sur le langage dont les liens avec les intentions et les publications religieuses du Second Port-Royal sont mis en évidence, permet de modifier notre lecture de la Logique de Port- Royal et de sa Grammaire. Illustrons cette affirmation par un des multiples résultats grâce auxquels le présent volume corrige des hypothèses devenues opinion commune parmi les spécialistes. Chomsky assimile la Grammaire générale et raisonnée au cartésianisme tandis que Reguig-Naya étudie les « présupposés théologiques et anthropologiques que Descartes ni Chomsky ne prennent en compte » (183). C’est ainsi que s’explique « la permanente association des arguments théologiques et linguistiques » (459) dans l’œuvre d’Arnauld. L’auteur propose en plus de « nuancer le cartésianisme de la Logique » (218) dont Foucault déduit son hypothèse suivant laquelle la pensée classique de la représentation exclut l’analyse de la signification. Elle démontre au contraire que les penseurs port-royalistes attribuent au langage « un statut théologique et moral éminemment problématique » (219) provenant de la vie propre du corps qui crée un décalage entre « le signe donné et le signifié reçu » (219). Les débats théologiques entre les jansénistes et leurs adversaires jésuites et les controverses avec les réformés aussi bien que leur travail de moraliste et leurs réticences vis-à-vis de la fiction littéraire ou d’un certain type de rhétorique ecclésiastique font état de ce décalage. C’est Comptes rendus 253 dans ce contexte que se manifeste également l’importance de ce Père de l’Église étant donné que leur « position est conforme à celle qu’adopte le De Magistro » (88) de saint Augustin, dont la doctrine est reprise et réélaborée différemment par Arnauld, Nicole et Pascal dans leurs respectives théories linguistiques. La première partie du livre, consacrée aux « conditions du sens » (33), commence par l’analyse du « signe », terme cher à Augustin et central dans la linguistique du Second Port-Royal. Ces développements aboutissent à une lecture suggestive des Provinciales (109-134). Le chapitre traitant de la « construction sémantique » (135) apporte des informations précieuses sur la notion d’usage (154-174) dont la définition de Vaugelas qui insiste sur la prédominance de la Cour, est contestée par Arnauld au nom d’une « primauté de la pensée sur l’expression » (172). Le Second Port-Royal traduit beaucoup et élabore une théorie de la traduction (204-220) qui importe pour le débat sur l’Écriture sainte en langue vernaculaire. L’opposition entre l’écrit et l’oral, primordiale dans les doctrines de Cordemoy (230-242) et de Bernard Lamy (242-255), importe également pour Arnauld qui préfère l’écrit, centré sur l’activité cognitive, au dialogue, jugé dangereux parce qu’il « démultiplie les conséquences de l’immédiateté par l’effet du groupe » (287). Les Essais de morale de Nicole dénoncent les effets néfastes de la conversation, idéal de convivialité de la bonne société de l’époque. Cette théorie linguistique dérive du concept augustinien du maître intérieur et du concept théologique de la « parole christique » (286). Elle inspire le programme de la Logique de Port-Royal pour laquelle il faut passer du langage en tant que « faculté de l’incohérence » au plan rationnel grâce à « la réformation de la parole par la définition et par l’écriture » (318). Arnauld et Nicole s’inspirent de Pascal, mais le chapitre consacré aux Pensées (299- 372) montre la distance qui sépare son insistance sur la polysémie, effet du « partage entre littéralité et spiritualité » (352) dans l’anthropomorphisme linguistique de l’Écriture sainte, de la tendance de la Logique de « faire de tout signe linguistique l’émanation et l’indice d’une idée » (319). La conclusion de la première partie de cette étude reconnaît ce que les penseurs de Port-Royal doivent aux Méditations métaphysiques mais elle rappelle qu’ils contestent l’idée cartésienne « du langage comme faculté de la dignité humaine » (374) au nom de « la hiérarchisation augustinienne des facultés humaines » (375). Leur théorie du langage contribue par là à sensibiliser la conscience linguistique de leurs contemporains pour le fait que les choix poétiques et la clarté de l’expression dépendent autant « d’une compétence morale » (375) que d’une compétence linguistique. C’est à cette problématique qu’est consacrée la deuxième partie du livre. PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 254 Le Second Port-Royal réfléchit à la suite d’Augustin sur le rôle de la médiation (383-418) et de la fonction du signe (419-482) et discute sur la « véritable éloquence » (446), « dépouillée des fausses séductions de l’actio » (438). Arnauld invoque contre la posture intellectualiste de Goibaud du Bois les trois formes de la prédication décrites par saint Augustin dans De doctrina christiana et justifie le recours à la raillerie dans les controverses théologiques puisqu’elle a pour fonction de constituer « la marque distinctive de la fausseté » (451). Nicole s’attaque en tant que moraliste au « langage de la concupiscence » (483-568) afin de fournir « une mise en garde sûre et dynamique contre ces situations dialogiques piégées [dans la vie de société] où la morale est en danger » (498). Ses Essais de morale préconisent « un itinéraire spirituel fondé sur l’ambiguïté de la faculté du langage » (517) en réduisant la civilité de l’honnête homme à la grimace chère à une société « dont la perfection ne consisterait que dans sa pure qualité d’apparence » (552). Ses contemporains dévorent ces analyses dont se nourrissent également les ouvrages de fiction littéraire auxquels sont consacrés les deux chapitres finals du livre. Une explication passionnante de La princesse de Clèves (569-656) met en évidence la « pratique de la concision et de la distinction des expressions » (581) de Madame de La Fayette dont l’héroïne est « aux prises avec le risque perpétuel d’une perdition spirituelle par le langage » (571). Delphine Reguig-Naya qui ne néglige jamais la « flagrante opposition générique des Essais de morale et de La Princesse de Clèves, procède à une lecture parallèle des deux ouvrages afin de mettre à l’évidence le fait que la romancière invente « un art poétique paradoxal qui, en dernière instance, écarte la littérature comme un des langages du monde et met à contribution une langue nouvelle […] propre à permettre la rencontre entre un lecteur mondain et une pensée écrite » (654-655). La narratrice semble « hésiter sur les modalités du recours à la morale comme simple matrice de l’inventio romanesque » (763), et son mutisme est interprété par Reguig-Naya « comme le signe de la difficulté d’utiliser la morale moralisante hors de son cadre théologique » (763). La querelle suscitée par la publication de ce roman fait écho de cette innovation littéraire dont la spécificité n’a toutefois pas échappé à Du Plaisir (cf. 589). Le chapitre sur « Racine et la véracité » (657-756) qui conclut le volume, relève le défi de Georges Forestier qui déconstruit « l’interprétation du tragique comme manifestation d’une interrogation métaphysique » (657) et caractérise « le projet racinien comme une entreprise purement esthétique » (657). Reguig-Naya ne cesse d’évoquer, au cours de ses interprétations des tragédies raciniennes, cette lecture de Forestier dont elle se détache par sa mise en relief de « la communication dans un contexte augustinien » (748) Comptes rendus 255 qui rend douteux « la pertinence des discours et la présomption d’une parole efficace » (749) chez Racine. Les personnages des tragédies raciniennes s’éclipsent par rapport aux situations où le schéma dramatique les confronte à d’autres, et où l’action les détermine « avec ou sans leur gré » (749). Reguig-Naya tranche donc le débat infructueux sur le ‘jansénisme’ des personnages raciniens en faveur du terrain littéraire de « la peinture de la condition humaine » dans un univers « de l’impuissance » (749) qui « instrumentalise les traits d’une anthropologie augustinienne » (749). Cette structure de l’ironie tragique se manifeste dans Athalie (cf. 676). Elle détermine dans Bérénice « la lutte des personnages avec leur passion et l’investissement fantasmatique de leur parole » (692). « Andromaque représente une pièce exemplaire dans le recours au défaut de pertinence comme principe de construction des dialogues » (695). Iphigénie utilise « les ressources de la polysémie verbale » (709) parce que l’action y progresse grâce à l’incapacité de l’échange oral. Phèdre « oppose à la clarté des discours l’évidence abusive de la passion » (746). Ces quelques remarques ne rendent qu’insuffisamment la richesse de cette lecture de Racine. Delphine Reguig-Naya combine ses connaissances théologiques et philosophiques avec une haute compétence en linguistique et un don admirable d’analyse littéraire. Elle va au centre des problématiques examinées et domine les riches matériaux à un tel point que le lecteur suit aisément ses analyses éclairantes. Volker Kapp Lewis C. Seifert: Manning the Margins. Masculinity & Writing in Seventeenth-Century France. Ann Arbor: The University of Michigan Press, 2009. 319 p. Manning the Margins is a clever title for a very stimulating contribution both to the exploration of early-modern culture and to gender studies, supported by a vast knowledge of the scholarship in both domains : tackling the question of masculinity in early-modern France, Lewis Seifert fills a gap, since the issue has been slow in reaching French seventeenth-century studies (at least in France). In a kind of post-feminist stance, Seifert distances himself from the “conception of women and femininity as ‘marked’ categories as opposed to men and masculinity, the ‘unmarked’ universal” in order to “show that men can be and are ‘marked’” (17) - a