eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 38/74

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2011
3874

Giambattista Gori (éd.): René Descartes, Discorso del metodo, traduzione di Monica Barsi e Alessandra Preda. Milano: Rizzoli, 2010 (Classici del Pensiero). XL-183 p

2011
Vincenzo de Santis
Comptes rendus 243 Lamartine avait formulé sa théorie de la fable en opposant à la « simplicité » du récit indien la « fausse naïveté » des œuvres de La Fontaine, ce dernier ayant à son avis « dépoétisé le cœur de sa nation ». Pour écrire des fables - argumente le poète - il suffit d’avoir « un esprit très ingénieux », paré d’une « fausse bonhomie » : le produit de l’écriture sera donc une « littérature falsifiée et puérile ». Le réquisitoire de Lamartine se poursuit avec une violente condamnation de ce « Diogène licencieux des poètes », démiurge d’une poésie tout à fait dépourvue de musicalité : « à l'exception de quelques vers heureux et proverbiaux épars çà et là dans deux gros volumes de négligences, sa versification est sans couleur et surtout sans harmonie » (Civilisateurs et conquérants, 1864). Ce jugement négatif et tranchant de l’auteur des Méditations Poétiques contient, sous une forme encore embryonnaire, une première formulation de l’esthétique de la négligence lafontainienne, dont la présente étude offre une définition bien plus cohérente. Derrière l’accusation de « fausse naïveté » on peut reconnaître à la fois cette conception artisanale de l’écriture qui consiste à mettre en jeu certains éléments de la tradition littéraire, tout en en dénonçant le caractère conventionnel, et la mimesis du naturel de la conversation mondaine, reproduite artificiellement dans l’ouvroir du poète. Lamartine nous offre enfin une lecture personnelle de cet épicurisme « mondain et anacréontique » (Darmon) qui caractérise la production de cet auteur, de son « ‘‘idéologie’’ mouvante et insaisissable » (p. 47), que Corradi a su montrer par une mise en perspective originale de l’œuvre de La Fontaine et de ses enjeux éthiques et esthétiques. Le travail de Federico Corradi, qui se signale avant tout par l’ampleur et la finesse des analyses textuelles, utilise des instruments méthodologiques solides, grâce auxquels l’auteur nous propose non seulement une étude méticuleuse de l’image de La Fontaine telle qu’elle se reflète dans son œuvre, mais aussi une lecture pénétrante et convaincante du macrotexte lafontainien dans son ensemble. Vincenzo De Santis Giambattista Gori (éd.) : René Descartes, Discorso del metodo, traduzione di Monica Barsi e Alessandra Preda. Milano : Rizzoli, 2010 (Classici del Pensiero). XL-183 p. En 1755, peu avant son départ pour la Suisse, Fortunato Bartolomeo De Felice publie à Naples la Dissertazione del sig. Renato Des Cartes sul metodo di ben condurre la sua ragione e di cercare la verità nelle scienze (la traduction PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 244 suit tantôt le texte français, tantôt la version latine), intégrée dans un volume qui réunit certains des textes fondateurs de l’histoire des idées du XVII e et du XVIII e siècle. Ce recueil au titre presque rousseauiste, Scelta de’ migliori opuscoli… d’Europa concernenti le scienze e le arti che la vita umana interessano, qui a récemment fait l’objet d’une édition anastatique dans un volume dirigé par M. Torrini (Napoli, Ist. Suor Orsola Benincasa, 2002), contient donc la première traduction italienne du Discours de la méthode. Si les idées et la philosophie de Descartes étaient tout à fait connues en Italie surtout par le biais de la traduction latine, c’est grâce à ce négociantphysicien que le bon sens cartésien, sous le nom de « buona mente » (p. 95 de l’édition originale), fait son entrée officielle dans la langue italienne. Il s’agit d’une traduction accompagnée de commentaires érudits (repris essentiellement de Brucker et Baillet) et destinée à un public cultivé. Plus de deux siècles nous séparent de cette première traduction du Discours (et presque quatre de sa publication à Leyden en 1637) et les écrits de Descartes ont continué d’être lus et appréciés par plusieurs générations au fil des époques. Le recueil des Opere metafisiche scelte di Renato Cartesio volgarizzate (Pavia, Capelli, Collezione dei Classici metafisici, 1818), en deux volumes, version anonyme attribuée à Defendente Sacchi, témoigne d’ailleurs de la fortune de Descartes en Italie au XIX e siècle, mais c’est au XX e et au XXI e siècle que le nombre de traductions des œuvres du philosophe a augmenté de manière significative. Cette nouvelle traduction publiée chez Rizzoli dans la collection « Classici del pensiero » naît de la collaboration d’un spécialiste d’histoire de la philosophie moderne, le professeur Giambattista Gori, et de deux spécialistes de langue et littérature française, les professeurs Monica Barsi et Alessandra Preda, tous les trois appartenant à l’Université de Milan. Le livre propose une traduction accompagnée du texte français et complétée par un appareil de notes et de commentaires synthétiques qui représentent un bon point de départ pour ceux qui commencent à aborder la pensée cartésienne, mais qui fournissent également une mise au point utile pour des lecteurs moins inexperts. Le volume se compose d’une préface, réalisée par Gori (p. I-XX), qui expose les aspects essentiels de la philosophie du Discours par rapport aux contenus de la pensée cartésienne dans son ensemble et propose un bilan critique de principales études consacrées à l’auteur des Meditationes, ainsi qu’une histoire abrégée de la réception du Discours en Europe. Descartes a choisi de « parler de la méthode par le biais du récit de son propre chemin » de façon à ce que « le chemin et la méthode finissent par coïncider » (Gori, p. XI) : l’introduction est donc suivie d’une chronologie (p. XXI-XXXI) qui met en relation les traits autobiographiques de la « fable » du Discours avec les événements les plus importants de la vie de l’auteur et Comptes rendus 245 la création de ses autres ouvrages. Gori met en relief le goût typiquement « épique » de certains passages, tout en soulignant que « les effets de la narration sont toujours soumis à la communication de vérités importantes, à l’exposition des fondements de la philosophie », ainsi qu’à « l’annonce d’un vaste programme de recherche scientifique » (p. XII). Cette introduction, qui ne néglige pas l’histoire éditoriale et la genèse du texte, est enfin complétée par une bibliographie synthétique (p. XXXIII-XXXVIII). Le Discours de la méthode, conçu d’abord comme une préface pour les Essais, qui étaient censés représenter « la preuve de sa validité » (p. XIV), a gagné dans la tradition occidentale une progressive autonomie qui l’a rendu une sorte de summa de la pensée cartésienne : les étapes de la diffusion du texte et les différents regards jetés sur le Discours au fil des siècles sont sobrement décrits dans la première partie de l’introduction. Les notes et les commentaires explicitent les passages les plus obscurs et rendent compte des principales influences de la tradition, représentée notamment par Montaigne, tout en soulignant les points de divergence. Le Discours de la méthode marque une rupture fondamentale dans l’histoire de la philosophie occidentale : la remise en cause de la tradition et des connaissances liées à la formation de l’auteur étant le point de départ de la réflexion cartésienne, la reconstruction et l’explicitation des références textuelles à la tradition scientifique et philosophique occupent une place de choix dans les commentaires. Les notes proposent également une analyse succincte des dispositifs rhétoriques auxquels le philosophe a eu recours dans les différentes étapes de sa démonstration. En ce qui concerne la traduction, il faut avant tout signaler qu’il s’agit d’une des très peu nombreuses versions reproduisant également le texte français. A l’exception d’une édition commentée dirigée par D. Monda en 2007 (Discorso sul metodo per dirigere bene la propria ragione e cercare la verità nelle scienze, introduzione di E. Frigieri ; traduzione e note di Riccardo Campi, con un saggio di Emile Faguet, Siena, Barbera, 2007), qui propose la version française à la fin du volume, et du travail de E. Scribano, qui traduit intégralement le commentaire de Gilson, republie l’édition Adam-Tannery en regard de la page et la traduction latine en appendice (Discorso sul metodo, commentato da Etienne Gilson, a cura di Emanuela Scribano, testo del Discours a fronte, versione latina in appendice, Cinisello Balsamo, San Paolo, 2003), la plupart des traductions publiaient uniquement la version italienne. Tout en introduisant des éléments de nouveauté que nous signalerons par la suite, cette dernière traduction s’insère effectivement dans une tradition d’études bien consolidée en Italie. Après l’édition de Cousin, mais surtout après l’édition Adam-Tannery des Œuvres Complètes, les traductions italiennes et les éditions commentées du Discours de la méthode se sont multipliées : entre 1911 et 1912, nous comptons jusqu’à trois publications dépendant de trois projets tout à fait PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 246 autonomes. La première, réalisée par M. Crimi (Assisi, Tipografia Metastasio, 1911) est suivie par deux autres chez Laterza, l’une est due aux soins du philosophe Adriano Tilgher, sollicitée par Benedetto Croce en 1909, parue dans la collection « Classici della Filosofia » (Discorso sul metodo e meditazioni filosofiche, 2 vol, Bari, Laterza e figli, 1912-1913) et republiée à plusieurs reprises, l’autre est une édition scolaire avec un commentaire de Giovanni Saitta. Une traduction par E. Carrara, reprenant le commentaire de Gilson, paraît en outre en 1932 (Firenze, La Nuova Italia). Néanmoins, les deux traductions les plus connues du Discours parues au XX e siècle (citées également dans la bibliographie de Gori) sont celle de Maria Garin, publiée pour la première fois chez Laterza en 1986 (republiée en 2004, p. 289-392), dans le premier volume des Opere Filosofiche, dirigée par Eugenio Garin, contenant des versions issues d’une édition précédente, qui remplace la vieille traduction du Discours de Carlini, jugée « fidèle mais non littérale » (Laterza, 1963), et la célèbre édition UTET, dirigée par Ettore Lojacono (R. Descartes, Discorso sul metodo, in Opere scientifiche, E. Lojacono, Torino, Utet, 1983, vol. 2, p. 113-173), cette dernière étant la première traduction italienne à réunir le texte du Discours et celui des trois Essais (Dioptrique, Météores, Géométrie). Le trait d’union entre ces différentes traductions est avant tout constitué par l’adoption de la même édition française de référence : tout en confrontant le texte avec l’editio princeps, les traductions ont été faites pour la plupart à partir de l’édition Adam-Tannery (vol. 6, p. 1-78), alors que les éditeurs de ce volume ont opté pour une édition plus récente. Cette nouvelle version Rizzoli adopte et reproduit en regard de la page le texte établi par Ferdinand Alquié (R. Descartes, Œuvres philosophiques, textes établis, présentés et annotés par F. Alquié, Paris, Garnier, 1963, tome I 1618-1637, p. 567-650), qui modernise et normalise « l’orthographe flottante » de Descartes (Alquié, p. 3), en offrant ainsi un texte d’un haut degré de lisibilité. En revanche, la nouvelle « édition de référence » (Gori, p. XXXIII), parue sous la direction de Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner dans le troisième volume des Œuvres Complètes (Paris, Gallimard, 2009), publiée en concomitance avec cette édition bilingue, n’a pu être utilisée qu’en mesure minimale. Les principes qui ont dirigé ce travail, résumés dans une note à la traduction (Barsi-Preda p. IXL-XL), se fondent sur un respect presque bermanien du corps du texte, une recherche de fidélité maximale à la « rigueur exemplaire d’exposition et d’argumentation » (Barsi-Preda p. XL) caractérisant le tissu linguistique et rhétorique du Discours. D’un point de vue syntaxique, les traductrices ont essayé de suivre la structure phrastique de l’original : les périodes complexes, les incises et les constructions hypotaxiques n’ont été simplifiées que lorsqu’elles nuisaient sensiblement à la lisibilité. Le but de cette traduction a donc été de respecter le « rythme » de la prose cartésienne, consi- Comptes rendus 247 déré à la fois comme une véritable « contrainte stylistique » (p. XL) et comme un instrument propre aux démarches de la démonstration. En ce qui concerne le vocabulaire, une attention toute particulière a été consacrée à la variation diachronique et à l’évolution qu’a subi le lexique français de Descartes à nos jours, de façon à éviter de possibles « fausses associations » et offrir ainsi une traduction fidèle au corps et à l’esprit du texte. Comme déjà Garin et Lojacono (mais aussi, à sa manière, De Felice) le texte français a été confronté avec la traduction latine réalisée par Etienne de Courcelles, publiée à Amsterdam en 1644, que Descartes avait revue et approuvée. Cette confrontation a donc permis de rendre correctement certains termes au spectre sémantique particulièrement large ou dont il n’y avait pas d’équivalent exact en italien : les traductrices évoquent, à titre d’exemple, le terme esprit, dont la polysémie impose une traduction différenciée sur la base du contexte, qui pourrait donner lieu à des équivalents tels mente, ingegno ou même spirito. En des cas pareils, le texte latin a représenté un outil fondamental pour la désambiguïsation. Ce respect maximal de la forme a eu sans doute un certain poids dans la traduction du titre : comme déjà Lantrua en 1926 (Il discorso del metodo, nuova traduzione italiana con introduzione e commento analitico di Antonio Lantrua, Torino, Soc. Edit. Tip. Internazionale, 1926), les éditeurs ont traduit le français « de la méthode » par un calque, « del metodo », en s’éloignant ainsi du choix de la forme « sul metodo », qui avait caractérisé la plupart des traductions italiennes précédentes. Ce changement de préposition n’est pas uniquement motivé par une recherche de fidélité à l’original, mais il fait allusion à une tradition précédente : l’emploi de la préposition « di » après le terme « discorso » était effectivement assez répandu en italien, comme en témoigne le Discorso della gelosia di Torquato Tasso, cité par les éditeurs (p. 7n). Cette attention au titre implique déjà au niveau implicite une réflexion sur le discours en tant que genre littéraire. Le genre du discours permettait effectivement « d’exposer un sujet sans le traiter de manière exhaustive » (p.7n) et Descartes présente d’ailleurs son œuvre comme une « histoire », une « fable » : le « dessein » du philosophe n’étant pas « d'enseigner… la méthode que chacun doit suivre pour bien se conduire » mais plutôt de « faire voir en quelle sorte [il a] tâché de conduire la [sienne] » (I, p. 14), le Discours serait ainsi la typologie textuelle se prêtant mieux à cette démarche. Le choix de la première personne est donc une marque de cette finalité à la fois discursive, narrative et démonstrative qui prend les distances du style monolithique du traité en faveur d’une esthétique presque dialogique finalisée à éveiller l’esprit critique du lecteur. Plus de trois siècles nous séparent de la publication du Discours, et cette dernière traduction commentée est avant tout une nouvelle preuve de la vitalité de la pensée cartésienne, de l’intérêt que ce texte, véritable « récit PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 248 d’une aventure intellectuelle », comme l’a défini Giovanni Macchia, n’arrête pas de susciter chez les lecteurs les plus différents. Vincenzo De Santis Marc Hersant : Le discours de vérité dans les mémoires du duc de Saint- Simon. Paris : Champion, 2009. 944 p. A tout seigneur tout honneur : Saint-Simon a enfin trouvé un lecteur à sa taille. Dans sa monumentale étude sur cet auteur (938 pages, avec les notes), Marc Hersant lit son œuvre avec une ténacité, un esprit et une ampleur tout saint-simoniens. Qui plus est, il replace le mémorialiste dans son milieu naturel, l’historiographie, admirant chez lui cela même pour quoi il aurait voulu l’être : son amour passionné de la vérité. Courageusement, Hersant - lui-même un « littéraire » prend ainsi le contrepied de tout un versant critique tracé par Yves Coirault, qui voit dans les Mémoires de Saint-Simon un chef d’œuvre de style, le produit d’une « optique » littéraire ou romanesque. Hersant, pour sa part, juge que le souci qui les anime n’est pas le beau, mais le vrai (31), leur refuse « absolument tout statut littéraire, et plaide en faveur de leur intégration globale à l’histoire » (129). Retraçant leur historique, il relève que Saint-Simon fut d’abord aimé malgré son style, pour la « curiosité » de ses anecdotes, puis érigé en « peintre » remarquable de la comédie humaine par la critique littéraire du XIX e siècle qui le comparait, anachroniquement, aux romanciers réalistes, mais le déclarait inférieur et même faux comme historien. S’insurgeant contre une telle « récupération », Hersant récuse toute lecture basée sur des critères strictement littéraires ou sur des extraits d’anthologie, choisis pour leur style. Il considère l’œuvre de Saint-Simon en son entiéreté, comparant parfois ses Mémoires à des textes moins connus, ne négligeant aucun critère pertinent à l’historiographie. Sa lecture a le mérite de rester concrète, tout en se plaçant dans un débat informé par des historiens du XVII e siècle (de La Popelinière à La Mothe Le Vayer, Lenglet du Fresnoy ou Bossuet), aussi bien que par des théoriciens contemporains en histoire ou littérature, tels Hayden White, Reinhart Koselleck, Paul Ricœur, Carlo Ginzburg, ou Käte Hamburger, entre maints autres. Une telle perspective lui permet d’exprimer des thèses osées et parfois stimulantes, non seulement sur l’œuvre de Saint-Simon, mais sur des notions plus générales, comme la littérarité (à laquelle il dénie toute utilité), l’autobiographie (dont il affirme qu’elle « n’est pas un genre littéraire », p. 354), ou sur certains présupposés