eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 38/74

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
2011
3874

Federico Corradi: Immagini dell’autore nell’opera di La Fontaine. Pisa: Pacini, 2009 ("Saggi critici"), 203 p

2011
Vincenzo de Santis
PFSCL XXXVIII, 74 (2011) Federico Corradi : Immagini dell’autore nell’opera di La Fontaine. Pisa : Pacini, 2009 (« Saggi critici »). 203 p. Federico Corradi, ancien élève de Francesco Orlando et Docteur de La Sapienza - Università di Roma, est un chercheur actif surtout dans le domaine du classicisme français, auquel il a consacré plusieurs articles, mais ses travaux incluent également des recherches sur la littérature contemporaine, notamment sur les écrits de Gérard Macé. Le présent essai, fruit d’une réflexion mûre et d’une analyse raffinée, s’interroge sur les différents « traits » constituant l’image de La Fontaine telle qu’elle est inscrite dans ses créations littéraires. Les lectures proposées, tout en situant le texte au centre de la réflexion, s’appuient sur une bibliographie critique extrêmement riche, dont l’auteur rend compte dans l’appareil de notes. La méthodologie adoptée, qui est exposée à chaque étape, est en grande partie originale, même si elle se base sur une tradition d’études variées et diversifiées. Les études consultées, qui vont de Starobinski à Orlando, de Lapp à Dandrey, sont réélaborées de manière à créer un système d’analyse souple, efficace et multidimensionnel. L’étude de Corradi s’ouvre sur une réflexion concernant l’image que l’auteur des Fables a léguée à la postérité, correspondant notamment à la figure du bonhomme, qui a pris progressivement des proportions que l’on pourrait définir comme mythologiques. Bien avant notre époque, d’une manière émotive et très peu scientifique, Alphonse de Lamartine avait déjà entrevu le lien existant entre l’image de La Fontaine et l’œuvre majeure du fabuliste français. Toutefois, dans sa lecture des Fables, Lamartine renverse le mythe du bonhomme et le décrit en termes péjoratifs. Dans un article publié en 1850 sur Le Conseiller du peuple, il exprimait sa répugnance pour la philosophie « dure et froide », voire « cynique » des Fables de La Fontaine et son dédain pour l’œuvre se traduisait rapidement en une sorte de mépris pour l’auteur, pour sa « fausse » bonhomie (« Comment le livre serait-il bon ? l’homme ne l’était pas »). La réflexion de Lamartine, qui naît d’un souvenir d’enfance (il était contraint d’apprendre les Fables par cœur), n’est que la confirmation de la présence de La Fontaine au sein de ses propres créations littéraires ou, du moins, du retour constant de ses images. Cette version négative du mythe du bonhomme, que nous citons à titre d’exemple, semble annoncer certains aspects de l’écriture de La Fontaine que Corradi a magistralement décrits dans son ouvrage. Le « charme » (Corradi, p. 9) qui émane de l’œuvre de La Fontaine, ainsi que la répugnance exprimée par Lamartine, qui en constitue le pendant, ne sont que l’effet produit par les différents textes qui renvoient et recomposent son image. PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 240 Le point de départ de l’étude de Corradi est justement la constatation de cette présence qui se manifeste (de manière tantôt explicite, tantôt implicite) dans tout le macrotexte de La Fontaine. Dans cette recherche de l’image de l’auteur, Corradi s’appuie avant tout sur un essai de John Lapp, qui avait présenté le rapport de l’auteur à son œuvre en termes de « négligence », c’est-à-dire d’irresponsabilité, spontanéité et consubstantialité, mais qui s’était arrêté essentiellement à l’analyse des Contes (The Esthetics of Negligence : La Fontaine’s Contes, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1971). Corradi reprend chez Lapp cette idée de négligence, considérée d’un point de vue thématique et stylistique ; il peut donc amorcer l’examen de l’œuvre de La Fontaine, selon une approche à la fois « thématique » et « pragmatique » (p. 10), à la lumière de son rapport avec l’esthétique de la négligence et essayer de tracer un profil complet du fabuliste en tant que negligent writer. La première partie de son travail (L’immagine dell’autore tra « negligenza » e logica dei generi) est donc consacrée à l’étude de l’œuvre de La Fontaine dans son ensemble et aborde ce vaste corpus comme « un macrotexte unique et démesuré ». Dans la première étape de son étude, l’auteur propose une analyse de l’idée de négligence en la situant dans la tradition plus vaste de la doctrine platonicienne et néoplatonicienne, ainsi que dans les réflexions sur la mélancolie et son rapport avec la poiesis dans l’histoire de la médecine. L’idée d’irresponsabilité de l’auteur trouverait son fondement dans l’Ion de Platon, où la création poétique est décrite comme l’effet d’un délire sacré, comme le produit d’une inspiration divine. La réflexion s’articule ensuite autour du rapport de l’écriture à la melancholìa, décrite dans le Problème XXX comme un facteur physiologique, involontaire et interne à l’individu : l’homme serait ainsi déresponsabilisé dans sa création poétique, puisque cette dernière n’est que l’effet d’une pulsion corporelle. Corradi présente finalement la « philosophie de la gaité lucide » (Dandrey), réponse lafontanienne au caractère « dangereux » et « dysphorique » de l’humeur saturnine, propre de la vision ficinienne de la mélancolie. A ce propos, l’auteur parle d’une véritable « conception hédoniste du savoir, de la connaissance et de l’écriture », qui constitue un trait d’union fondamental entre La Fontaine et les deux grands auteurs du siècle précédent. Il retrace par la suite l’évolution du statut de l’auteur entre le XVI e et le XVII e siècle, où la négligence représente un élément de continuité, une sorte d’héritage que Rabelais et Montaigne ont légué aux écrivains du XVII e siècle. Corradi souligne enfin le rapport qui lie l’idéal montaignien de l’« homme savant » à la figure de l’« honnête homme » propre de l’univers littéraire du Grand Siècle. Comptes rendus 241 Chez Rabelais et Montaigne, la consubstantialité entre l’auteur et son œuvre atteint le degré maximal de liberté ; l’écrivain du Grand Siècle doit en revanche faire face à un système esthétique normatif qui proscrit de la littérature toute manifestation de l’amour propre. A travers la lecture du Discours sur les œuvres de Monsieur Sarasin de Paul Pellison, Corradi met en relief les éléments de discontinuité par rapport à la tradition précédente. Il souligne la présence d’une « double interdiction », éthique et esthétique (p. 32), s’imposant en France avec l’avènement du classicisme : la subjectivité de l’auteur doit être soumise à une véritable censure, qui implique une « adhésion forcée à l’ethos galant » (p. 38), à la logique des genres littéraires ainsi qu’aux attentes du public. La polygraphie semble être alors un choix obligé, le seul choix possible pour l’écrivain du Grand Siècle. Corradi problématise la question de la présence de la « persona » de l’auteur dans ses écrits, par rapport à l’idée de consubstantialité, propre des écrivains du siècle précédent, et aux contraintes liées au statut de l’auteur dans la littérature du Grand Siècle : le résultat de cette « double postulation » (p. 45) serait donc une unité profonde, inhérente au génie, fondée sur une « manière et un ethos » très reconnaissables (p. 39), opposée à une force centrifuge qui fragmente l’œuvre littéraire en une multitude de genres et de styles extrêmement diversifiés. La seconde partie de cette étude (I Quattro volti di La Fontaine) s’attache aux manifestations et aux modes de la présence de l’auteur dans quatre œuvres majeures de La Fontaine, le Songe de Veau, Les Amours de Psyché, les Contes et les Fables, pour explorer et exposer les différents « visages » de La Fontaine tels qu’ils apparaissent en filigrane dans ses textes. La tradition littéraire du songe, qui appartient à un genre flou et dont le classement résulte particulièrement complexe, le fait que le Songe de Veau soit le résultat du remaniement d’un ensemble de fragments antérieurs, n’ont pas suffi à l’exclure du corpus analysé. Le Songe, qui offre l’exemple d’une conception de l’écriture qu’on pourrait définir « artisanale » (p. 94), pose de manière explicite la relation de l’auteur-narrateur à son œuvre par rapport à la question de l’inspiration poétique. L’entrée en fiction est lentement préparée à partir du paratexte et se fonde sur une pluralité de niveaux narratifs qui explicitent la dimension artificielle de l’œuvre, que l’auteur peut gérer volontairement. La condition du songe, « un des avatars de l’esthétique de la négligence » (p. 97), est en revanche « subie » par Acante, véritable projection du poète, qui devient une sorte d’incarnation du negligent writer. La reprise et la parodie de nombreux clichés littéraires, qui n’est qu’amorcée dans le Songe, constitue, dans les Amours de Psyché, le centre d’une réflexion esthétique qui s’exprime souvent par la dénonciation explicite de certains topoi narratifs et stylistiques de la part d’un narrateur dont PFSCL XXXVIII, 74 (2011) 242 les interventions sont très fréquentes. Dans les Amours, l’écriture négligente se manifeste en outre dans l’esthétique de la conversation, qui se traduit en une errance dirigée uniquement par le plaisir. Ce texte peut être lu comme un véritable « hymne » à la volupté, qui est ici présentée comme un « simulacre mouvant » dont le désir n’est jamais « entièrement rassasié » (p. 130). Les interventions du narrateur deviennent encore plus fréquentes et nombreuses dans les Contes : l’auteur y montre une idéologie libertine ambiguë, qu’il affirme et renie sans cesse. La Fontaine semble ici reprendre une sorte de naturalisme aristocratique, typique du théâtre de Molière, qui condamne et stigmatise la morale de l’éducation bourgeoise. De toute façon, cette reprise n’est qu’apparente, car La Fontaine s’en sert pour la détourner et pour en tirer ainsi une sorte de libertinisme jubilant qui demeure toutefois confiné à l’intérieur des frontières de l’espace textuel. La mélancolie est complètement bannie de l’univers des Contes, qui se signalent par une véritable apothéose de la gaieté. Comme en témoigne l’analyse de Les Troqueurs et de La Fiancée du roi de Garbe, les Contes sont essentiellement l’expression d’une littérature « de pure évasion », où la parodie des genres fait en sorte que l’intérêt se déplace des contenus présentés au jeu linguistique et métalittéraire qui les exprime (p. 158). A cette doctrine du plaisir, compacte et si bien définie dans les Contes, correspond l’idéologie éclectique et fragmentée des Fables, qui nous proposent l’image d’un La Fontaine moraliste. L’analyse de Corradi s’amorce par une réflexion sur la question de l’amour propre, qu’il développe à travers la lecture de plusieurs échantillons tirés des livres des Fables. Cet examen implique une comparaison entre la pensée de La Fontaine et la morale radicalement pessimiste des Maximes de La Rochefoucauld. La question de l’amour propre devient fondamentale si l’on essaye de définir le rapport de La Fontaine à son public : pour faire en sorte que les messages de ses apologues soient bien reçus, l’auteur met en œuvre toute une série de procédés rhétoriques qui sont voués à la séduction du lecteur. En ce qui concerne l’image de l’auteur, l’ensemble des Fables nous donne une idée assez complète de la pluralité des formes que l’ethos du poète peut adopter pour se manifester. L’image de lui-même qu’il nous propose dans son œuvre est toujours filtrée par celle des personnages dans lesquels l’auteur se projette. La « voix » (p. 191) de l’auteur, toujours présente au sein de son œuvre, est le plus souvent transmise par l’intermédiaire d’un personnage ou d’un narrateur hétérodiégétique. Elle ne se manifeste de manière directe et explicite que par des émissions intermittentes. Le tissu embrouillé et mouvant propre des Fables renvoie donc une image complexe et composite du « poète-psychagogue » que l’étude de Corradi a su relever. Comptes rendus 243 Lamartine avait formulé sa théorie de la fable en opposant à la « simplicité » du récit indien la « fausse naïveté » des œuvres de La Fontaine, ce dernier ayant à son avis « dépoétisé le cœur de sa nation ». Pour écrire des fables - argumente le poète - il suffit d’avoir « un esprit très ingénieux », paré d’une « fausse bonhomie » : le produit de l’écriture sera donc une « littérature falsifiée et puérile ». Le réquisitoire de Lamartine se poursuit avec une violente condamnation de ce « Diogène licencieux des poètes », démiurge d’une poésie tout à fait dépourvue de musicalité : « à l'exception de quelques vers heureux et proverbiaux épars çà et là dans deux gros volumes de négligences, sa versification est sans couleur et surtout sans harmonie » (Civilisateurs et conquérants, 1864). Ce jugement négatif et tranchant de l’auteur des Méditations Poétiques contient, sous une forme encore embryonnaire, une première formulation de l’esthétique de la négligence lafontainienne, dont la présente étude offre une définition bien plus cohérente. Derrière l’accusation de « fausse naïveté » on peut reconnaître à la fois cette conception artisanale de l’écriture qui consiste à mettre en jeu certains éléments de la tradition littéraire, tout en en dénonçant le caractère conventionnel, et la mimesis du naturel de la conversation mondaine, reproduite artificiellement dans l’ouvroir du poète. Lamartine nous offre enfin une lecture personnelle de cet épicurisme « mondain et anacréontique » (Darmon) qui caractérise la production de cet auteur, de son « ‘‘idéologie’’ mouvante et insaisissable » (p. 47), que Corradi a su montrer par une mise en perspective originale de l’œuvre de La Fontaine et de ses enjeux éthiques et esthétiques. Le travail de Federico Corradi, qui se signale avant tout par l’ampleur et la finesse des analyses textuelles, utilise des instruments méthodologiques solides, grâce auxquels l’auteur nous propose non seulement une étude méticuleuse de l’image de La Fontaine telle qu’elle se reflète dans son œuvre, mais aussi une lecture pénétrante et convaincante du macrotexte lafontainien dans son ensemble. Vincenzo De Santis Giambattista Gori (éd.) : René Descartes, Discorso del metodo, traduzione di Monica Barsi e Alessandra Preda. Milano : Rizzoli, 2010 (Classici del Pensiero). XL-183 p. En 1755, peu avant son départ pour la Suisse, Fortunato Bartolomeo De Felice publie à Naples la Dissertazione del sig. Renato Des Cartes sul metodo di ben condurre la sua ragione e di cercare la verità nelle scienze (la traduction