eJournals Kodikas/Code 35/3-4

Kodikas/Code
0171-0834
2941-0835
Narr Verlag Tübingen
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2012
353-4

Les deux sources des enseignements de Delsarte: observations et métaphysique

2012
Franck Waille
* Article paru pour la première fois en portugais : Franck Waille : « As duas fontes dos ensinamentos de Delsarte: observações e metafísica », Revista Brasileira de Estudos da Presença, Porto Alegre: Universidade Federal do Rio Grande do Sul, volume 2, numéro 2, (juil./ déc. 2012 ): 294-328. Les deux sources des enseignements de Delsarte : observations et métaphysique De la multitude des signes à leur organisation systématique * Franck Waille Delsarte’s two sources of teaching: observation and metaphysics. In order to explain the birth of his practical method of singing, speech and gesture, as to explain the birth of his anthropological system which is deeply linked with his practical method, Delsarte never refers to another artistic teaching or to the anthropology and the philosophy of his time. He always refers to his own private experiences and to his great amount of observations of expressive process in every day life. He also refers to metaphysical, spiritual and esoteric fields where he claims to have found the key to organize his observations in a systematic and coherent way. This theoretical field includes Christian faith - and especially Thomas Aquinus ’ anthropology and theology -, medieval Kabbala and antique esotericism. This paper investigates how Delsarte built his teachings from those two sources - observations and metaphysics - and how the theoretical and the practical part of those teachings are profoundly linked and conceived as tools for the artist. Les enseignements de François Delsarte, généralement considérés comme le début de la modernité des arts du spectacle vivant en Occident, présentent un paradoxe apparent pour le monde des arts de la scène de cette époque en Europe. Delsarte ne se réfère en effet que très rarement à d’autres artistes concernant la genèse de son art et de sa pédagogie, mais renvoie systématiquement à deux sources qui semblent de prime abord non directement associées au domaine de l’art : les observations de la vie quotidienne et la métaphysique. Ce dernier terme inclut une anthropologie associée à une vision du monde dans laquelle l’être humain trouve sa place en communion avec le monde matériel, spirituel et divin. La mise en place de ces deux référents est directement liée à la vie de Delsarte : il erra à Paris entre neuf et douze ans et élabora alors un système d’écriture de la musique ; il n’apprit à lire et à écrire qu’à partir de dix-sept ans et multiplia les observations pour échapper à l’enseignement du conservatoire de Paris et rééduquer une voix chantée détruite par trois années d’étude dans cet établissement. Ces épisodes ont révélé les dynamiques profondes de la personnalité de cet artiste : recherche d’une vérité expressive associée à une large ouverture d’esprit et à une curiosité insatiable ; exceptionnelle capacité d’observation de soi et des autres ; capacité de synthétiser des milliers de phénomènes dans un cadre théorique permettant à la fois leur explication et la mise en place d’outils pédagogiques pour les travailler de manière consciente et systémati- K O D I K A S / C O D E Ars Semeiotica Volume 35 (2012) No. 3 - 4 Gunter Narr Verlag Tübingen Franck Waille 214 que ; mystère enfin d’un cheminement intime qui lui fit faire un pont entre ses recherches d’artiste et la redécouverte de la foi chrétienne, redécouverte dans laquelle le corps humain - outil par excellence de l’artiste des arts de la scène - occupe une place unique dans l’histoire de la chrétienté occidentale. Nous présenterons dans un premier temps les étapes ayant permis à Delsarte de mettre au point une méthode empirique d’observation, qui déboucha sur la recherche d’un outil permettant d’articuler ses observations les unes aux autres. Dans un deuxième temps, nous montrerons comment cela l’a mené à redécouvrir sa foi chrétienne dans l’expérience qu’il appelle « sa conversion », et comment il a tiré de cette conversion les outils conceptuels et pédagogiques pour donner à ses observations un cadre théorique. 1 Élaboration progressive d’une méthode empirique d’observation La mise en place du travail expressif de Delsarte repose d’abord sur des expériences faites lors des premières années de sa vie et l’ayant amené à élaborer une méthode empirique d’observation. L’expérience directe est chez lui la base de toute compréhension initiale d’un phénomène et l’observation, d’abord intuitive, est devenue progressivement une véritable méthode de travail. En dehors de quelques rencontres fortes, elle est pour lui l’unique référence qu’il ait fini par donner pour expliquer la genèse de son travail. Cette méthode s’est construite progressivement et s’est approfondie avec le temps : d’abord centrée sur la musique et le langage, elle s’est élargie aux mouvements expressifs et aux sensations proprioceptives. 1.1 Jusqu’à quatorze ans : élaboration intuitive de processus de travail et d’investigation originaux Né dans le Nord, François Delsarte est arrivé à Paris à neuf ans, sa mère ayant quitté le domicile familial avec ses quatre enfants avant de rentrer dans le Nord en laissant ses deux aînés, François et Louis, en pension dans une auberge. Les enfants vécurent là une existence à la Cosette qui entraîna rapidement la mort du plus jeune et la fuite puis l’errance du second : François, jusqu’à douze ans, vécut de petits métiers. Cela lui permit d’accumuler des situations d’apprentissage, donc des expériences motrices variées, qui ont sans doute joué un rôle dans le développement futur de son enseignement. Sa quasi non scolarisation a favorisé cette accumulation d’expériences, du fait de sa disponibilité en termes de temps, alliée à la nécessité de survivre, et lui a permis d’échapper à l’aspect normatif d’un système scolaire quel qu’il soit et à la « domestication corporelle » qu’induit tout apprentissage intellectuel, ne serait-ce que par le fait d’être assis. L’orientation de Delsarte vers la musique et le chant est liée aux événements qui ont accompagné la mort de son frère Louis en décembre 1822. Perdant connaissance et tombant dans la neige au retour de la fosse commune où Louis venait d’être enterré, sans doute au milieu de la plaine Saint-Denis, il aurait été réveillé par le vent qui lui apportait « de lointaines et vagues harmonies » (Arnaud 1882 : 12), qu’il a interprétées plus tard comme étant le chant des anges. À la source de sa carrière musicale, il y aurait ainsi eu une expérience quasi mystique, en dehors de tout cadre religieux. À partir de ce moment, Delsarte affirme avoir débuté immédiatement ses « travaux de musicien » (Delsarte s.d.1, feuille 1) : écoute attentive de tout ce qui est musique, des « chants d’église aux artistes du pavé », de « l’orgue du Les deux sources des enseignements de Delsarte 215 Temple à l’orgue de Barbarie » (Arnaud 1882 : 14) ; découverte - annonciatrice d’une démarche cherchant à synthétiser l’infinie multiplicité des phénomènes expressifs - de l’existence de seulement sept notes pour écrire la musique (ibid.) ; mise au point d’un système original d’écriture musicale, qui aurait joué un rôle central dans la rencontre qu’il fit avec le professeur de piano Jean-Aimé-Louis Bambini (Delsarte aurait chanté à Bambini les signes qu’il venait de tracer au sol en écoutant jouer un orchestre). Il développa alors faculté d’observation et goût de la recherche personnelle, qui furent à la base de toute sa pédagogie. Ayant commencé dans son art comme autodidacte, il garda toute sa vie cette dynamique consistant à chercher par soi-même, au-delà de ce qu’on lui enseigne et de ce qu’on lui affirme. De cette façon, sa pauvreté matérielle a été une richesse qui l’a obligé à trouver ses propres chemins de connaissance. La rencontre avec Bambini l’ouvrit à l’apprentissage des règles de la musique et à la découverte du répertoire lyrique. Bambini l’accueillit, lui transmit l’amour de la musique de Gluck, le forma, lui permit de se produire en public dès quatorze ans, puis de faire son entrée précoce à l’École royale de musique et de déclamation de Paris (conservatoire). Les quatorze premières années de sa vie l’ont donc laissé à peu près vierge de tout enseignement institutionnel, et lui ont permis de bâtir des processus d’investigation personnels qui furent essentiels pour l’élaboration de son travail expressif. Le passage par le conservatoire va être une anti-expérience le renvoyant aux expériences de son enfance qu’il va approfondir et peu à peu organiser en tant que méthode. 1.2 Les années au conservatoire (1826-1829) : début des observations sur les mouvements expressifs Les premières expériences de Delsarte au conservatoire sont négatives : altération de sa voix chantée, ambitions artistiques contrariées d’un jeune homme déjà habitué à quelques succès, passage aux études de déclamation, constat des incohérences de l’enseignement reçu et désir de trouver un enseignement plus pertinent. Tirant le bilan de l’échec de ses études, Delsarte demanda son renvoi du conservatoire. Le premier fruit de ces expériences négatives est d’ordre pédagogique : ne pas compter sur une hypothétique inspiration et sur le talent, mais envisager le travail artistique comme une science, suivant des critères précis et vérifiables, tant au niveau expressif qu’au niveau physiologique. Cette exigence méthodologique l’inscrit dans une problématique qui traverse les questions artistiques depuis l’Antiquité, de Platon à Denis Diderot par exemple dans Le paradoxe sur le comédien (texte publié en 1830, précisément au moment où Delsarte quitte le conservatoire). Et sous-tendant ce désir, la conviction qu’il existe une vérité expressive. Ses trois ans et demi au conservatoire virent la mise en place de la forme et du contenu précis de sa méthode empirique grâce à des expériences toutes liées, d’une façon ou d’une autre, à l’enseignement reçu. Ces expériences tracent un chemin de la musique et du chant au langage du corps et aux problématiques de la pédagogie artistique, c’est-à-dire aux principales dynamiques de ce qu’est devenu son système expressif. Ce parcours, fait de façon quasiexclusive par l’expérimentation directe, s’inscrit dans la droite ligne de ses premières années. Il va réinvestir dans la recherche d’un enseignement pertinent l’habitude d’une démarche empirique personnelle qu’il s’était forgé précédemment, et qui va lui permettre de traquer les indices du geste juste et du langage du corps. Franck Waille 216 1 Il s’agit d’une scène des Maris Garçons dans laquelle un jeune officier rencontre, après des années d’absence, son ancien hôtelier dénommé Dugrand, ce qui provoque chez lui une gaîté expansive. (M. Gaugiran-Nanteuil (paroles), M. H. Berton (musique), Les Maris garçons, Paris, Barba, 1806. Comédie en un acte et en prose, mêlée d'ariettes. Représentée pour la première fois au Théâtre Feydeau le 14/ 07/ 1806, puis à l’Opéra-comique le 15/ 07/ 1806). 1.2.1 De la remarque de Deshayes à la découverte de la rétroaction Delsarte a été mis sur la piste du langage gestuel par son maître de tenue théâtrale, André- Jean-Jacques Deshayes, par ailleurs l’un des plus célèbres maîtres du ballet romantique. Lors d’un cours son professeur lui aurait déclaré, alors qu’il lui tournait le dos : « Ton geste est faux. Ton attitude n’est pas en harmonie avec ta phrase. » (Delsarte s.d. 2, document 1, feuille 2). Aux questions de l’élève cherchant à comprendre comment, sans l’avoir vu, le professeur avait pu percevoir l’inexactitude de son geste, il aurait répondu : « Mon ami, c’est que le geste donne sa couleur à la voix, il n’est donc pas difficile d’en distinguer la forme par l’inflexion. » (ibid.). Cette remarque a amené Delsarte à explorer les liens entre geste et voix, mais aussi à envisager les liens entre le geste et une qualité expressive particulière, la couleur de la voix dans le cas présent. De plus, elle fonde sa conviction qu’il y a dans le geste la base d’une justesse expressive globale. Le travail d’un rôle pour ses cours d’art dramatique lui offrit ensuite l’occasion de faire sa première découverte fondamentale sur le langage corporel et d’échapper ainsi au « système d’imitation asservissant » (Delsarte 1858, cours n° 1) du conservatoire. Il nomme l’épisode en question son « papa Dugrand », du nom du personnage retrouvé avec effusion par l’officier dont il étudiait le rôle 1 . Il éprouvait une grande difficulté à trouver l’attitude appropriée de surprise joyeuse, et ses professeurs « avaient perdu leur latin et se refusaient de guerre lasse à [lui] continuer leurs leçons sur [ce] sujet » (Porte 1992 : 57). La solution lui est arrivée en surprenant un mouvement de son corps dans une situation semblable à celle qu’il étudiait : l’apparition impromptue de l’un de ses cousins. Il constate alors que le mouvement de son corps est à l’inverse de ce qu’il imaginait : plutôt que de se tendre vers la personne cause d’une émotion agréable, le thorax est porté vers l’arrière. C’est la découverte de ce qu’il a appelé la rétroaction, traduction corporelle pour lui de l’état concentrique, le premier des trois grands ordres du mouvement (concentrique, excentrique et normal) qui sont à la base d’une grande partie de sa pédagogie. Cet épisode est caractéristique de la façon qu’il a, par ses expériences, de retrouver les problématiques du théâtre et de l’art oratoire depuis l’Antiquité, celle de la recherche de gestes appropriés aux émotions (Clarke 1982 : 24-26). La solution à ces questions lui est venue non par les recommandations de ses professeurs ou par le contenu d’un quelconque manuel d’étude théâtrale, mais par l’attention portée à un événement du quotidien. C’est affirmer implicitement qu’il y a dans le fonctionnement psycho-corporel quotidien des enseignements qui intéressent le jeu de l’acteur. Suite à l’épisode du « papa Dugrand », une série d’observations complémentaires est venue confirmer la piste sur laquelle il se trouvait. 1.2.2 La multiplication des observations enrichit la pratique artistique de Delsarte Delsarte a multiplié au maximum le champ de son domaine d’observation : dès l’époque du conservatoire, il va explorer les expressions humaines non seulement dans les jardins publics, mais aussi à l’amphithéâtre pratique de l’École de médecine où se faisaient les dissections, Les deux sources des enseignements de Delsarte 217 puis à la clinique de cette même école, puis au Louvre et enfin au jardin des Tuileries. Ces observations multidirectionnelles se sont prolongées tout au long de sa vie. Les expressions spontanées du quotidien La rue et les lieux publics, depuis son enfance, ont été pour lui les endroits privilégiés d’observation de ses contemporains. Il mentionne souvent des attitudes repérées chez des personnes en situation de travail : un ouvrier maniant un marteau, un magasinier portant une lourde charge, etc., établissant de facto une continuité entre les gestes à caractère technique et les gestes expressifs. Dans les gestes du travail, il a été attentif à repérer les usages les plus fonctionnels du corps, qui lui ont donné des indications sur la façon à la fois la plus économe et la plus efficace d’entrer dans une action, préfigurant ainsi la démarche de Laban, qui mena une analyse systématique des liens entre gestes du travail et gestes expressifs (Laban 1994 : 135-136). Pour lui, d’une part, il s’agit « de trouver dans le geste toutes les distinctions sociales, morales et intellectuelles, ou autrement dit, les phrases caractéristiques » (Delsarte 1839a : 24), c’est-à-dire de prendre en compte les divers éléments qui colorent les gestes quotidiens. Il évoque ainsi dans ses cours de 1839 « toutes les modifications de haine par rapport à toutes les classes de la société, à toutes les classes d’intelligence et à toutes les classes de sensibilité » (ibid.). D’autre part, si les expressions du quotidien sont bien analysées comme étant marquées par les conditions et les habitudes sociales, elles n’en demeureraient pas moins régies par ces fonctionnements fondamentaux qui apparaîtraient alors. Dans le manuscrit des Épisodes révélateurs, où il parle de ses premières découvertes, il expose comment les mouvements de l’épaule sont très visibles chez la plupart des personnes, et que s’ils semblent inexistants chez les gens de la haute société guindés dans des codes sociaux et gestuels, ils sont alors néanmoins présents à la manière de « la loi des puissances infinitésimales, si manifestement démontrée par Hahnemann » (Porte 1992 : 87). Cela, loin de l’amener à nier l’existence de phénomènes expressifs fondamentaux, lui fait à l’inverse formuler l’idée que « la valeur ou l’importance d’une mesure se doit expressément déduire de la nature du milieu où elle s’applique » (ibid.) : en d’autres termes, la relativité de ses critères d’analyse en fonction des différentes situations sociales et culturelles validerait ces même critères en permettant de saisir leur permanence dans n’importe quel contexte. Cela lui permet d’articuler observations du quotidien, observations dans des situations extrêmes ou exceptionnelles, et fonctionnements expressifs fondamentaux qu’il considère comme ayant valeur archétypale. La relativité est alors au service de l’universel, et non sa contradiction. Delsarte échappe ainsi à la conception du naturel qu’a pu avoir avant lui par exemple Diderot, qui « ne peut envisager le propre de l’homme : l’apprentissage qui sous-tend la diversité des comportements humains que l’on considère “naturels” » (Pradier 2000 : 273). En d’autres termes encore, il traque dans le quotidien non des modèles à imiter, mais des structures et des dynamiques expressives qui ont un aspect « méta-quotidien » (Grotowski 1997-1998 : CD 1, plage 19), ou plutôt « infraquotidien », c’est-à-dire qui tissent le quotidien au-delà des aspects culturels et sociaux. Ce sont ces structures et ces dynamiques infra-quotidiennes qui forment, chez lui, ce que recouvre le terme de naturel, de vérité expressive. Franck Waille 218 Les réactions dans des situations extrêmes Delsarte s’est intéressé aux réactions des humains confrontés à des situations extrêmes. Après la morgue, il s’est par exemple rendu sur les lieux d’une catastrophe minière pour y observer les attitudes spécifiques des corps dans des situations de grande souffrance physique comme psychologique (Shawn 2005 : 48). Il était aussi attentif aux rixes qui se déroulaient dans la rue (Guéroult 1871). Ces situations extrêmes avaient elles aussi des choses à lui enseigner sur l’expression humaine. « Étudier les gestes de l’enfance » La recherche de règles expressives et de gestes à caractère universel l’a amené à inclure dans ses observations deux types de sujets n’ayant a priori que peu d’intérêt pour la construction d’un rôle : le monde de l’enfance, et celui du règne animal. Cela confirme que son attention n’est pas dirigée vers ce qu’il est possible d’imiter, mais vers des fonctionnements dont il s’agit de saisir les structures. Il a ainsi patiemment observé le développement expressif des jeunes enfants, des siens en premier lieu, mais aussi de ceux de la rue, des jardins et des places publics. Il a spécialement été attentif à leurs capacités motrices. Il écrit sur ce point que « pour être habile créateur, il faut connaître parfaitement les choses et [donc] surtout étudier les gestes de l’enfance » (Delsarte s.d. 3 : 13). Observer les gestes de l’enfance pour retrouver la spontanéité, la mobilité de l’enfant et sa richesse expressive, avant que cette richesse dynamique ne soit progressivement entamée par les habitudes (culturelles ou autres), par le travail et par le vieillissement du corps : telle est l’ambition de ses observations, comme d’une partie de sa pédagogie. Les mouvements des animaux L’observation des animaux a aussi été source de recherches spécifiques sur la qualité de l’expression par le mouvement. Le révérend William R. Alger, l’un des premiers Américains à avoir promu ses enseignements outre-Atlantique et à être venu travailler en France avec son fils Gustave Delsarte, rapporte que ce dernier, enfant, accompagnait son père à la ménagerie du zoo de Vincennes et au Jardin des Plantes (Delsarte 1858, cours n° 3), « où il étudiait avec le plus vif intérêt les postures, les façons de se mouvoir, les sports et les batailles des animaux sauvages » (Alger 1894 : 4 - nous traduisons). Là, Delsarte aurait été fasciné par les mouvements des serpents et aurait ensuite cherché les moyens pratiques pour permettre à l’être humain d’acquérir quelque chose de la qualité des mouvements reptiliens. Il aurait étudié ces serpents « avec une patience ininterrompue jusqu’à ce qu’il ait extrait tous les secrets de leurs mouvements mystiques et les ait reproduits dans son art » (ibid.). La statuaire antique Delsarte a complété ses observations par la fréquentation des musées, en particulier du Louvre. Il y analysait les tableaux des maîtres, constatant généralement que ceux-ci ignoraient les règles d’expression du corps que, lui, mettait à jour par l’observation (cf. Porte 1992 : 134). Mais c’est surtout de la statuaire antique, étudiée pendant une quinzaine d’années (Arnaud 1882 : 198), qu’il affirmait avoir beaucoup appris. Il ne cherchait pas dans cette statuaire des modèles historiques, comme l’acteur Talma avant lui (Dupont 2007 : 111), mais Les deux sources des enseignements de Delsarte 219 des principes de travail corporel. Il découvrit dans la statuaire grecque des règles de l’équilibre du corps et des lois de l’expression humaine par le geste et le mouvement, ce qui peut avoir quelque chose de paradoxal : il aurait été capable de repérer ce qui, dans ces figures de marbre, donc statiques, donnait une sensation de mouvement, de dynamique. Comme le fait remarquer avec justesse la chercheuse américaine Suzanne Laico, si les statues grecques incarnaient les principes qu’il cherchait, elles ne donnaient pas ces principes, et c’est bien par l’observation (Laico 1954 : 7), et par des observations croisées entre statues figées et mouvements de personnes dans la vie quotidienne, qu’il a en quelque sorte percé leurs « secrets », c’est-à-dire les principes sur lesquels elles sont élaborées. 1.3 L’auto-rééducation de sa voix chantée (1830-1833) : descente au niveau proprioceptif et physiologique La rééducation vocale qu’entreprend Delsarte après le conservatoire et après avoir consulté des spécialistes de la voix n’ayant rien eu à lui proposer, est entièrement le fruit de ses propres observations et de son intuition. Pour cette rééducation, il choisit une méthode dynamique : « consult[er] [s]es sensations » (Porte 1992 : 163) alors qu’il chante. Analysant le travail du chant comme une « gymnastique spéciale » (160), il pose une suite de raisonnements simples : s’il ressent de la douleur à l’exercice de cette gymnastique, c’est que celle-ci n’est pas adéquate à l’appareil corporel auquel elle s’applique ; le chant n’ayant aucune raison d’être par nature une violence pour l’organisme, c’est la technique vocale qu’on lui a apprise qui est mauvaise ; il cherche alors une manière de chanter étant en harmonie avec le fonctionnement du corps. L’indication du non-respect de ce fonctionnement se trouve dans la douleur, « signalement ordinaire du mal qu’il faut éviter, et, ajoute-t-il, l’horreur qu’elle inspire à la nature est sans doute un enseignement providentiel qu’ont trop méconnu ceux qui poussaient incessamment à passer outre » (ibid.). Le point de départ de ses recherches et de son travail sur la voix, c’est donc l’écoute de son corps, la prise en compte de ses sensations et le rejet de ce qui est à l’origine d’une violence envers soi. Il s’agit de s’appuyer sur les signaux corporels pour élaborer un travail artistique pertinent, fondé sur le respect des réalités corporelles ou, pour reprendre ses mots, « une doctrine artistique découlant à titre de conséquence logique d’un principe physiologique » (156). De manière concrète, cette rééducation vocale s’est articulée autour de l’étude des lieux de résonance des sons, de l’observation et du contrôle des mouvements du larynx, et d’une étude de la respiration. À ces trois éléments physiologico-sonores, il convient d’ajouter le choix d’une esthétique. Les phénomènes observés lui ont fait énoncer une « loi des proportions vocales » (76) selon laquelle il y a un lien entre nuances vocales et état intérieur ou émotionnel, qui pourrait être ramené à deux réalités : le sentiment - renvoyant au cœur, à l’amour -, et « la passion : mouvement qui pousse avec impétuosité vers son objet » (Delsarte s.d. 4) et qu’il a observé par exemple chez les enfants. Il constate que la voix s’adoucit en montant et se renforce en descendant quand elle est mue par les sentiments, alors qu’elle fait l’inverse avec la passion. Dans l’enseignement qu’on lui a donné, il s’agissait toujours de renforcer la voix avec le mouvement ascendant, donc d’être dans une dynamique de passion et non de sentiment. Pour sa rééducation, il a choisi l’inverse : la voie des sentiments, du cœur. De sa problématique de rééducation vocale, Delsarte est passé à la définition d’une esthétique. Revenons sur les trois éléments physiologico-sonores de cette rééducation. Franck Waille 220 En 1830 - il a dix-neuf ans et sait lire depuis deux ans environ -, il rédige un document inédit d’une parfaite précision concernant les lieux de résonance des différents sons de la langue française dans la bouche, qu’il intitule Buccologie (Delsarte 1830). Tout semble venir directement de ses propres observations. Par ailleurs, il remarque que « le larynx suit chez [lui] la marche du son, [qu’] il monte visiblement quand [il] fai[t] une gamme ascendante » (Porte 1992 : 160). Tout à l’inverse, il observe que « les Italiens ont en chantant le larynx visiblement plus bas que nous » (164), et l’émission italienne « paraît être le résultat direct de cette position laryngée » (165). Son travail de rééducation a été de rendre le larynx indépendant du son produit, c’est-à-dire de l’immobiliser. Cela induit une détente générale du corps, car ses observations l’ont amené à énoncer que « quand on fait un effort pour attirer ou pousser un corps résistant, le larynx remonte et par la contraction de toutes ses parties, produit un son rauque et guttural » (Delsarte 1839a : 4) et que, par conséquent, « le larynx est dans ce mouvement total comme le thermomètre infaillible de la somme des efforts produits » (Porte 1992 : 171). Ces observations sont confirmées d’un point de vue anatomique par le fait que le cartilage thyroïde est intimement lié, par des ligaments puissants et par des muscles, à l’os hyoïde (en forme de fer à cheval, positionné au-dessus du larynx). Or, l’ensemble des fascias du corps passe par cet os hyoïde (Myers 2001), qui est donc sensible à l’activité musculaire de l’ensemble de la personne, et cela d’autant plus qu’il est le seul os à n’être articulé à aucun autre. Il est, par conséquent, extrêmement sensible aux pressions s’exerçant sur lui, qui l’entraînent dans leur mouvement et qui, par conséquent, entraînent aussi le cartilage thyroïde (qui est devant le larynx). Dans le chant, le larynx ne peut rester stable lors de l’émission d’un son qu’à condition qu’il y ait dans le cou, mais aussi dans l’ensemble du corps, le maximum de détente musculaire. Enfin, la rééducation vocale de Delsarte s’est appuyée sur une analyse systémique du corps. Elle considère en particulier les poumons et l’analyse de la respiration dans la production des sons, alors qu’à son époque on ne tenait compte que du larynx, tant pour le chant qu’en physiologie de la voix. L’analyse de la respiration a pris deux directions : d’une part il a observé que la respiration est un processus ternaire et non binaire, car entre l’inspiration et l’expiration, il y a un temps plus ou moins long de suspension, « un imperceptible moment d’arrêt » (Delsarte 1839a : 10) (élément non pris en compte actuellement dans les études physiologiques - cf. Aslan 2003 : 55-59). D’autre part, il a rejeté la respiration costale qui lui avait été enseignée pour le chant, au profit de ce qu’il appelle la respiration diaphragmatique, correspondant au processus respiratoire naturel, ample et sans effort. Par sa rééducation vocale, Delsarte s’est ainsi intuitivement « sensibilisé à la perception proprioceptive. Cette sensation fluctuante des parties du corps, qui nous permet de nous situer dans l’espace ; qui nous informe sur nos états intérieurs (…), la “voix” des organes, des os, des muscles, des articulations » (Lorelle 2003 : 211). En d’autres termes, il a développé une « sensibilité profonde » (Richard, Orsal 2007 : 267), et sa rééducation est l’occasion de passer à un niveau d’observation plus intérieur et plus intime. Par ailleurs, ses observations concernant la voix l’ont amené à rechercher « une doctrine artistique découlant à titre de conséquence logique d’un principe physiologique » (Porte 1992 : 156), et donc à étudier l’anatomie et la physiologie à l’École de médecine de Paris. Enfin, cette rééducation l’a amené à préciser les éléments caractéristiques de sa méthode pratique : respect et écoute du corps, bien-être et fluidité découlant d’une détente musculaire. Pédagogiquement, cela veut dire que les élèves de Delsarte sont invités à traverser eux aussi le monde d’observations et de sensations qui est à l’origine de cette méthode. Les deux sources des enseignements de Delsarte 221 2 Il est en grande partie pertinent, pour Delsarte, de renvoyer au sens thomasien de ce terme comme substantif : « Saint Thomas d’Aquin considère la métaphysique comme la science de tout ce qui manifeste le sur-naturel : il appelle transphysica les objets de cette science (…). Ce surnaturel est entendu par lui au sens chrétien, en sorte que la principale forme est le divin et ce qui s’y rattache : Dieu, premier moteur, fin dernière, principe et juge de la moralité ; l’âme en tant qu’immortelle, les anges, etc. (…). Cette science, par son objet, se confondait avec la théologie ; mais elle en diffère par son mode de connaissance : la théologie a pour source la révélation faite à quelques hommes, la métaphysique n’use que de l’intellectus et de la ration, c’est-à-dire de la raison commune à tous les hommes. » (Lalande, 1972 : 612). Ajoutons pourtant que pour Delsarte, la métaphysique (comme la théologie) n’est pas uniquement spéculative, mais est intimement liée à l’expérience, et plus généralement à la connaissance de l’être humain. 1.4 Synthèse : l’observation, système empirique de connaissance L’observation chez Delsarte est devenue un véritable processus de construction de la connaissance, processus de type inductif allant des effets aux causes ou, comme il l’écrit, qui est la « marche de l’esprit des conséquences aux principes » (Delsarte s.d. 5). D’une accumulation de faits convergents, il finit par tirer une loi, une règle de fonctionnement à laquelle est donnée ensuite une valeur universelle. Cette façon de procéder a des points communs avec la méthode expérimentale qui s’est imposée au XIX e siècle, en particulier en physiologie (Bichat 1994 : 47). Chez Delsarte ou dans la méthode expérimentale, il existe un présupposé : la possibilité de mettre à jour des constantes, par l’observation chez Delsarte ou par la mise en place d’expérimentations en physiologie. Pour Delsarte, ce présupposé n’existait pas au départ, mais un référent s’est progressivement construit pour devenir en définitive le fil conducteur de ses observations. La différence dans les procédés (observation ou expérimentation) tient à l’objet même qui est étudié : les processus expressifs inconscients chez Delsarte, le fonctionnement du corps en physiologie. Et si Delsarte retrouve des préoccupations qui traversent l’histoire du théâtre occidental depuis au moins la Renaissance, il va plus loin : de ses observations, il prétend pouvoir déduire des règles de fonctionnement de l’expression humaine, et en particulier du corps expressif. Il appelle ces règles des lois et les pense comme étant universelles Pourtant, les différents axes qu’il tire de ses observations ne constituent pas en eux-mêmes le critère qu’il déclare rechercher et qui serait le cadre général permettant de donner sens à ses différentes découvertes. La dynamique même de son processus d’observation, l’ayant mené d’une accumulation de faits à une série de lois, le pousse à rechercher une loi synthétique, « un critérium d’examen contre lequel aucun fait ne proteste, (…) une pierre de touche, une formule infaillible » (Delsarte s.d. 6). L’élaboration de ce cadre général et synthétique nécessitait le passage par une approche théorique propre. Celle-ci a par ailleurs une dimension pédagogique, puisqu’elle devrait aider l’élève à faire lui aussi ses propres observations, sans dépendre de l’enseignant. Or, ce cadre théorique est basé chez Delsarte sur une approche métaphysique issue de son cheminement personnel. 2 De la conversion de Delsarte, à un cadre théorique métaphysique et à des outils pédagogiques Les découvertes initiales de Delsarte ne le mènent pas vers d’autres pratiques ou vers un enseignement artistique antérieur, mais l’amènent à bâtir un cadre théorique de type métaphysique 2 . Au départ de cette construction théorique, un événement personnel, intime et profon- Franck Waille 222 3 Nous utilisons l’adjectif « thomasien » pour désigner tout ce qui relève directement de la théologie de Thomas d’Aquin, plutôt que « thomiste », en suivant l’explication suivante : « Utilisé depuis le XIV e siècle pour désigner les disciples de Thomas d’Aquin (T.), l’adjectif “thomiste” (thste) subit depuis 1950 environ la concurrence du nouveau venu “thomasien” (thsien), mais ce néologisme n’est pas accepté partout et par tous. “Thsien” désignera dément lié à l’élaboration de sa méthode empirique : sa conversion au catholicisme. Trait saillant de cette conversion, le corps humain se trouve investi d’une importance centrale. 2.1 La conversion de Delsarte au catholicisme 2.1.1 Conversion : aboutissement et nouveau départ L’intérêt de ce que Delsarte appelle sa « conversion » (Delsarte s.d. 1, feuille 1) est qu’elle est reliée à ses expériences passées et qu’elle a une influence déterminante sur l’élaboration définitive de son système expressif. C’est donc un moment charnière dans cette élaboration, et son expérience de foi est en lien direct avec son art et ses recherches, en amont comme en aval. Ses expériences initiales d’artiste et de chercheur ont joué chez lui le rôle d’une « préconversion » (Gugelot 1998 : 13), comme en rend compte Thomas-Étienne Hamel, son élève québécois, qui écrit : Le célèbre Victor Cousin, qui était son ami, lui dit un jour qu’il trouvait son enseignement magnifique, mais trop religieux en présence d’un auditoire qui ne l’était pas beaucoup. “Que voulez-vous mon cher Monsieur, lui répondit Delsarte, ce n’est pas la Religion qui m’a mené à l’Art ; c’est l’Art qui m’a mené à la Religion. Car l’Art est essentiellement religieux ; et je ne puis en parler sans le montrer tel qu’il est”. (Hamel 1906 : 3-4) C’est à partir de cette conversion que se déploient ensuite deux grands domaines de sa formation : médicale, concernant le corps et son fonctionnement ; et métaphysique, qui déborde dès le début le cadre strict du catholicisme, tout en y revenant sans cesse. Par conversion, il faut entendre conversion au catholicisme, même si l’appartenance de Delsarte au monde catholique a été le fruit d’un cheminement qui l’a mené, d’un point de vue institutionnel, des « marges » (Chantin 2001 : VIII-XI) (milieux saint-simoniens, Église de l’abbé Châtel, franc-maçonnerie illuministe) au cœur du catholicisme (il se marie à l’Église catholique romaine en 1833 et s’engage comme dominicain dans le Tiers ordre refondé par Henri Lacordaire en 1844). Son parcours des marges au cœur du catholicisme procède par passages de groupes à d’autres, par rejet des premiers au profit des suivants, mais il est de type cumulatif concernant les contenus : Delsarte est à la fois un catholique fervent et convaincu, et un membre assumé de ce qu’il est convenu d’appeler la nébuleuse de l’ésotérisme chrétien de son époque. Ses référents sont à la fois les grands théologiens occidentaux et les grands référents de l’ésotérisme : Hermès Trismégiste, la Kabbale, l’illuminisme. Il a réalisé une synthèse originale de différentes sources, synthèse qui confère à sa vision une fécondité imprévue et une créativité insoupçonnée. Une figure domine chez lui, celle de Thomas d’Aquin. Il a trouvé chez ce théologien, qui a en particulier établi un cadre théorique à la pensée expérimentale d’Augustin d’Hippone, les outils théoriques lui ayant permis de relire, d’analyser et de théoriser ses propres expériences. Ces outils l’aident à construire les assises théoriques de son enseignement artistique. Il retrouve aussi dans la pensée de l’Aquinate la dimension expérimentale (Mongeau 2003: chapitre 3) qui est la sienne. La pensée thomasienne 3 a donné à Delsarte Les deux sources des enseignements de Delsarte 223 ici ce qui relève directement de T. et de l’exégèse directe de son texte ; “thste” ou thomisme (thme) qualifiera son école. » (Lacoste 1998 : 1141). une matrice pour faire une relecture de ce qu’il a vécu, l’intégrer et lui donner une formulation. Il importe de bien resituer cette formation métaphysique afin de ne pas la limiter à une spéculation intellectuelle. Toutes les connaissances accumulées d’un point de vue métaphysique sont autant d’outils permettant à Delsarte de relire et d’approfondir ce qui l’a amené à sa conversion, de réfléchir à une dimension inhabituelle de cette conversion - la vision qu’il eut de l’importance du corps humain -, et à enrichir son enseignement artistique. 2.1.2 Conversion et nouvelle approche du corps Nous mettons en lien avec sa conversion deux textes de Delsarte dans lesquels il décrit une expérience de type mystique ayant réorienté ses recherches artistiques : (…) J’ai senti mon regard s’affermir tout à coup. J’ai senti qu’une puissance (…) l’a dirigé et comme orienté vers l’objet de ma recherche, objet que j’ai vu soudainement s’illuminer, et comme jusque-là j’avais tourné le dos à ce que je cherchais. Tout cela n’était pas mon œuvre, je l’ai senti. (Delsarte s.d. 7) (…) Or j’étais si malheureux, si petit et si pauvre à mes propres yeux que Dieu s’est laissé touché, car Dieu aime les petits et les pauvres, et un éclair de sa sagesse est passé sur un homme profondément indigne, et j’ai vu que le corps humain est l’alphabet universel que je dois avant tout étudier. Il m’est apparu comme l’encyclopédie du monde, le résumé de ses trois types de règnes et le Diamant de la création. De là une formule s’est dégagée pour moi, et j’ai trouvé dans sa possession une source de rafraîchissement, de lumière et de paix. (Delsarte s.d. 8) Ce texte décrit une illumination intérieure qui l’« amène à voir toutes choses d’[une] autre manière » et « qui devient dorénavant son foyer habituel d’énergie personnelle » (Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique 1995, vol. 2 2 : 2244), c’est-à-dire le point à partir duquel s’organise désormais sa recherche. Ce sont là des dynamiques propres à une conversion spirituelle selon l’essai de Williams James sur l’expérience religieuse (James 1908 : 166). La conversion de Delsarte, venue de ses expériences artistiques, renvoie au domaine de l’art puisqu’elle trouve une expression particulière dans une approche du corps, corps qui est son instrument privilégié de travail et d’expression. Le corps prend pour lui une importance capitale d’un point de vue théorique, alors qu’il l’avait déjà d’un point de vue pratique. Ainsi écrit-il que « le corps est l’alphabet encyclopédique, c’est la clef pour aller de notre monde naturel à l’ensemble des harmonies créées » (Porte 1992 : 104). Le corps humain est donc pour lui le chemin spirituel et scientifique par excellence, faisant le lien entre toutes les dimensions de la réalité : métaphysique, science et art y convergeraient. Cela lui donne une place singulière au sein du catholicisme français, à une époque où « le chrétien est pressé de mépriser son corps » (Cholvy, Hilaire 2000 : 60), ce explique en partie la diversité des formations spirituelles et métaphysiques qu’il a suivies. Le cadre théorique élaboré par Delsarte à la suite de sa conversion et des études entreprises dans la foulée de celle-ci s’appuie sur deux grands piliers : la Trinité et la théorie des Correspondances universelles. Franck Waille 224 2.2 La Trinité et la théorie des correspondances universelles : les clés théoriques du système expressif de Delsarte 2.2.1 La Trinité chrétienne Delsarte affirme avoir trouvé dans la Trinité chrétienne telle qu’elle est définie par Thomas d’Aquin le critérium qu’il recherchait. Il écrit : la Trinité divine (…) exprime la triple causalité, je veux dire la cause, le principe et la fin des êtres et des choses. (…) Cause, principe et fin de toute science, elle en est le critérium infaillible et il faut en partir comme d’un axiome inébranlable. (Delsarte s.d. 9). La Trinité est considérée comme le critère donnant la clé du monde, de l’homme et des arts, car elle serait « imprégnée en tout ce qui nous constitue » (Delsarte s.d. 10). Delsarte entend donc fonder la science de l’expression du sentiment - c’est-à-dire son enseignement - sur ce critère. D’une certaine manière, la Trinité fait écho aux trois domaines artistiques qu’il a côtoyés : le chant, l’art du geste et la déclamation ou, pour reprendre sa terminologie, « la musique, la plastique, l’éloquence » (Delsarte 1858, cours théorique n° 1). Cela est dans la droite ligne du chemin qui l’a mené de l’art à la foi. Delsarte utilisait l’expression de « loi de la Trinité ». Il s’est attaché à la formuler, à la « revêtir d’une formule » (Delsarte s.d. 11), afin qu’elle puisse devenir concrète, c’est-à-dire utilisable, opérationnelle. Il s’est alors appuyé de deux manières sur l’explication thomasienne des relations entre le Père, le Fils et le Souffle Saint (Saint Esprit). Delsarte s’appuie déjà sur la définition thomasienne de la Trinité autour de la notion d’opposition et d’équilibre. Chez Thomas d’Aquin, les relations définissant les personnes divines, ce sont des face-à-face, c’est-à-dire des relations d’opposition (Thomas d’Aquin 1984, Ia, Q. 40, a. 3, vol. 1 : 435-437). Le Fils est ainsi distingué du Père par une relation d’opposition, et le Souffle Saint est également distingué du Fils comme du Père par une relation d’origine qui l’oppose à l’un et à l’autre (Ia, Q. 36, a. 2, rép., vol. 1 : 408). La notion d’oppositions fondamentales et complémentaires est aussi « présente partout dans l’hermétisme [et] évoque (…) un dispositif de forces polaires en positions antagonistes » (Faivre 1996, I : 44). Les oppositions sont alors considérées comme la principale structure du monde, « tout (…) pren[ant] place dans un ensemble de forces opposées en vivante tension » (45) qui ont une dynamique d’unité (20). Delsarte traduit la notion thomasienne d’oppositions fondamentales en terme de loi générale concernant la structure interne de toute chose : Si dans l’expression d’un principe on n’a pas compris son antipode, on n’a rien compris - chaque expression élémentaire porte en elle son antipode. (Delsarte s.d. 12) Ce principe d’opposition, source de l’équilibre, est l’un des axes centraux de ses enseignements pratiques, en particulier en ce qui concerne le travail du corps. Delsarte s’appuie ensuite sur la définition thomasienne de la Trinité au niveau anthropologique en définissant les trois réalités constitutives de l’âme (dans un rapport âme/ corps), réalités que nous pouvons appeler psycho-spirituelles. Thomas d’Aquin définit la première procession (du Fils ou Verbe), procession d’engendrement caractérisant le Père, comme une opération vitale (Thomas d’Aquin 1984, Ia, Q. 27, a. 2, op. cit., vol. 1 : 354-356). Delsarte définit alors la puissance psycho-spirituelle associée au Père comme la vie, c’est-à-dire puissance d’engendrement et élan vers l’autre et vers l’extérieur. Thomas d’Aquin associe le Verbe divin à l’intelligence et définit la seconde procession, procession de spiration du Souffle Saint, comme celle de l’amour (Ia, Q. 27, a. 3, rép., vol. 1 : 356-357). Delsarte Les deux sources des enseignements de Delsarte 225 4 Les Américains (de Genevieve Stebbins à Nancy Ruyter en passant par Ted Shawn) dénomment « la loi de la correspondance » (law of Correspondence), ce que nous proposons d’appeler la loi des correspondances humaines. L’expression « loi de la correspondance » ne semble pas issue de Delsarte lui-même (aucun document de sa plume n’en parle selon les documents consultables). D’autre part, il s’agit, dans les milieux hermétiques, de la « théorie des correspondances » ou de « l’idée des correspondances universelles », toujours au pluriel (information confirmée par Antoine Faivre lors d’un échange par courriel le 17/ 12/ 08). S’il est judicieux de conserver l’expression américaine en termes de loi pour signifier que Delsarte a élaboré une formulation propre de la théorie des correspondances universelles en l’appliquant à l’être humain, il nous semble souhaitable de garder l’expression au pluriel : cela est plus conforme à son référent théorique hermétique. Enfin, la formulation delsartienne des correspondances établit un lien fondamental entre les puissances psycho-spirituelles et les données corporelles. C’est pourquoi nous choisissons de la nommer « loi des correspondances humaines » : à la théorie des correspondances universelles entre macrocosme et microcosme, entre spirituel et matériel… correspond alors une loi des correspondances humaines signifiant que l’homme, en tant que microcosme, fonctionnerait de manière similaire au macrocosme. caractérise la seconde puissance psycho-spirituelle, associée au Fils, comme intellective ou intellectuelle (ou mentale, terme qui sera le plus usité dans les transmissions anglophones de son travail). Et il fait correspondre la troisième puissance psycho-spirituelle au Souffle Saint, associée à la volonté et l’amour, qui se confondent chez le théologien d’Aquin (Ia, Q. 27, a. 3, sol. 3, vol. 1 : 357). Ces réalités constitutives de l’âme sont pour Delsarte la source de l’art, l’être humain ne faisant que les manifester par ses différents moyens d’expression. 2.2.2 La théorie des correspondances universelles Le second pilier du système expressif de Delsarte est la théorie des correspondances universelles - correspondances entre macrocosme et microcosme, entre Dieu et l’homme, entre le spirituel et le matériel. La démarche analogique qui sous-tend la définition de la Trinité comme « imprimé[e] à toute la Création » (Delsarte 1839b) est pour Delsarte le fondement de ces correspondances universelles. La théorie des correspondances universelles est présente sous différentes formulations, tant dans la théologie catholique avec la notion d’analogie (Latourelle, Fisichella 1992 : 9) que dans toutes les formes d’ésotérisme, dont c’est un invariant (Hanegraaff 2006 : 275-279). Delsarte appuie la théorie des correspondances universelles sur la Trinité, mais aussi sur l’un des principaux textes de référence de la littérature hermétique, La Table d’Émeraude (La Table d’Émeraude et sa tradition alchimique 2002 : XIII & XIX), dont le début est cité avec exactitude (mais en deux langues) dans un carnet de son élève Mackaye écrit quand il étudiait avec lui : Table d’Émeraude. Il est vrai, sans mensonge, très véritable. That below like that on high - that on high like that below - to produce miracles from one thing only. (Delsarte par Mackaye 1 : 5) Ce court texte peut être considéré comme un condensé de la pensée hermétique. Delsarte a donné une formulation de la théorie des correspondances universelles centrée sur l’être humain, qu’il ne semble pas avoir désigné d’une manière spéciale et que nous avons choisi d’appeler la « loi des correspondances humaines » 4 . La voici : À chaque fonction spirituelle répond une fonction du corps ; à chaque grande fonction du corps répond un acte spirituel. (Delsarte s.d. 18) Franck Waille 226 Il convient de lire ici « spirituel » dans le sens de ce qui n’est pas corporel, de ce qui est psycho-spirituel. Autrement dit, si les phénomènes psycho-spirituels influent directement sur le corps, en particulier par l’expression, les manifestations corporelles ont elles aussi une influence directe dans la sphère psycho-spirituelle. Nancy Ruyter met en valeur les liens entre les deux versants de l’être humain en commentant ce qu’elle appelle « loi de la correspondance de Delsarte » : La loi de la correspondance de Delsarte concerne les relations entre le tangible et l’intangible, entre l’extérieur et l’intérieur, le mouvement et le sens. Elle rejette l’idée d’une division entre un esprit élevé et un corps abaissé, et elle réhabilite le concept d’un corps comme un tout digne de respect qui inclut les aspects mental, émotionnel et spirituel de l’existence. (Ruyter 1999 : 76 - nous traduisons) Si la formulation du corps comme « digne de respect » est très en deçà des conceptions de Delsarte sur le corps comme « diamant de la création », ce commentaire, en plus d’insister sur l’unité de l’être humain, met bien en avant la portée expressive et dynamique de la loi des correspondances humaines. Cette loi dit en elle-même que tout pour Delsarte se joue en l’être humain. C’est en lui qu’il identifie les liens entre les différents niveaux de réalité. Sa loi cherche à expliquer le fonctionnement de l’être humain pour donner des clés au travail de l’artiste. Que cela soit avec la loi de la Trinité ou celle des correspondances humaines, nous voyons qu’il y a chez Delsarte un passage des données métaphysiques à des outils analytiques ayant une incidence directe sur le travail expressif. Il est allé plus loin, en tirant des piliers de son système théorique des outils pédagogiques très concrets, sous forme de tableaux. 2.3 Les outils pédagogiques de Delsarte issus de son cadre théorique Delsarte a cherché à traduire de manière plastique, visuelle, utilisable corporellement, les données métaphysiques. Il formule ainsi la synthèse de sa méthode, qu’il veut être celle du Christ : « rapporter à des illustrations les plus simples les idées les plus profondes » (Delsarte par Mackaye 2 : 57-59), c’est-à-dire rendre accessible les réalités métaphysiques de manière directe et non intellectuelle. L’intérêt de la représentation graphique est, selon lui, son aspect démonstratif synthétique, plus efficace que toute démonstration intellectuelle. De fait, une large part de ses démonstrations s’est exprimée au moyen de tableaux, supports par excellence de sa pédagogie, qui avaient pour ambition de traduire les idées de la métaphysique, comme cela est bien rendu par les représentations tirées du Livre des Procès-verbaux de la Famille trinitaire : Les deux sources des enseignements de Delsarte 227 Représentations symboliques utilisées par Delsarte (1839b) Parmi ces représentations, deux ont une importance particulière dans sa pédagogie : le « type concret » ou compendium, et le « type composé » ou accord de neuvième. Nous présentons d’abord le second, qui se retrouve de manière indirecte dans le premier. 2.3.1 De la « démonstration plastique de la Trinité » à « l’accord de neuvième » Pour pouvoir être utilisable, la « loi de la Trinité » a été exprimée par Delsarte sous une forme graphique, ou plutôt sous deux formes complémentaires : la « démonstration plastique de la Trinité », qui résume les dynamiques internes à la Trinité ; et « l’accord de neuvième », aboutissement de son analyse trinitaire. Franck Waille 228 La « démonstration plastique de la Trinité » La forme graphique de base synthétisant les données trinitaires est celle du triangle (utilisée depuis l’Antiquité comme figure synthétique par excellence - cf. Aristote 1966, II, 3, 414 b : 37), car « toute vérité est triangulaire, et nulle démonstration ne répond à son objet qu’en vertu d’une vertu triplement triple » (Delsarte s.d. 13) selon Delsarte. La « démonstration plastique de la Trinité » prend en fait deux expressions chez lui : la disposition triangulaire et la disposition linéaire. Delsarte utilise le triangle équilatéral pour résumer les dynamiques trinitaires, triangle aux sommets duquel il place les chiffres 1, 2 et 3 renvoyant au Père, au Fils et au Souffle Saint selon l’organisation suivante : 3 1 2 La représentation plastique de la Trinité selon Delsarte (Delsarte 1869) Delsarte associe aux Personnes divines et aux chiffres une série de dynamiques symboliques (cf. Waille 2011 : 202-205), que nous pouvons résumer ainsi : 3 : Harmonie - Union des opposés - Équilibre - Mouvement - Poids 1 : Unité - Mesure 2 : Opposition - Nombre Symboliques associées par Delsarte à la représentation plastique de la Trinité La disposition des chiffres 1, 2 et 3 dans l’espace du triangle, est associée par Delsarte à une présentation linéaire qui est la suivante : 1-3-2 Moins exacte que la représentation triangulaire, car si « 3 est bien en rapport direct avec 1 comme avec 2, 2 et 1 ne sont plus qu’en rapport indirect » (Delsarte s.d. 14 : 11), cette présentation linéaire met l’accent sur le rôle central et d’équilibre du 3, et a l’intérêt de pouvoir être appliquée suivant un axe, c’est-à-dire sur des éléments concrets, par exemple sur le corps humain (axe haut-bas). Delsarte utilise par ailleurs cette représentation linéaire pour bâtir son « accord de neuvième », outil par excellence de son enseignement. L’« Accord de neuvième » L’accord de neuvième est basé sur la notion de circumincession, partie intégrante de la définition théologique de la Trinité. Chez Thomas d’Aquin, la relation est au centre de la Trinité : le Père est non seulement lui-même, mais il est aussi relation avec le Fils, et relation avec le Souffle Saint - ainsi en est-il pour chacune des deux autres personnes trinitaires. De la sorte, l’unité des trois personnes se manifeste en neuf termes. L’accord de neuvième est la traduction plastique de la circumincession, c’est la synthèse par excellence, directement en Les deux sources des enseignements de Delsarte 229 lien avec les innombrables observations issues de la méthode empirique de Delsarte : « ce moyen si simple [lui permet] d’inscrire les faits nombreux qu[’il a] poursuivis, et qui s’élèvent à des millions, [sans qu’il se perde] dans ces millions de faits » (Delsarte 1858, cours n° 6). Il dispose ainsi d’une grille de lecture du monde, et en particulier des phénomènes expressifs tendant par leur nombre vers l’infini, qu’il prétend ramener à neuf. Non pour réduire tout à neuf, mais pour pouvoir tout travailler à partir de neuf éléments. L’ensemble de son processus empirique d’observation trouve ainsi un cadre d’analyse et d’organisation : ce qui est complexe devient simple d’accès car présenté de façon synthétique. L’accord de neuvième est donc autant le résultat de ses spéculations métaphysiques, qu’un aboutissement de ses observations et de sa démarche expressive. La traduction plastique de l’accord de neuvième est un tableau à double entrée utilisant la présentation linéaire de la Trinité et permettant à chacun des termes d’un côté de rencontrer dans toutes les combinaisons possibles ceux du côté adjacent. La version de cet accord appliqué aux couleurs permet de saisir cela de manière simple : Tableau de l’accord de neuvième des couleurs (d’après Delsarte 1859) Les trois couleurs primaires sont les critères horizontaux et verticaux et se retrouvent dans la diagonale allant du rouge au bleu. Les six autres cases en sont des combinaisons, où domine plutôt l’une ou l’autre. Cela forme la palette de base des couleurs. À chacune des couleurs primaires (ou éléments pouvant prendre leur place selon l’objet étudié), Delsarte a attribué une qualité particulière tirée de la définition thomasienne de la Trinité : excentrique (dynamique vers l’extérieur) pour le rouge, concentrique (dynamique opposée, vers l’intérieur) pour le bleu, neutre (équilibre des deux précédentes) pour le jaune. Il a élaboré des tableaux d’accord de neuvième pour chacune des parties du corps : jambes, bras, tête, éléments du visage… supports pour son enseignement corporel expressif. Le meilleur témoignage de ces tableaux se trouve dans l’ouvrage de son élève Alfred Giraudet, dont ils composent l’essentiel (Giraudet 1895), mais tous les ouvrages se référant à Franck Waille 230 l’enseignement de Delsarte en comptent un certain nombre. Voilà un exemple d’accord de neuvième des yeux, extrait des transcriptions des cours de Delsarte en 1858 : Accord de neuvième des yeux (Delsarte 1858, cours n° 6) (Dessin reproduit à la main par Alain Porte (reproduit ici avec son aimable autorisation) à partir de l’original trouvé dans le Cahier Degard présent dans le Fonds de M. Jean-Loup Réal Delsarte (aujourd’hui décédé), Paris (fonds consulté par Alain Porte en 1990 et aujourd’hui inaccessible). Chaque attitude d’une partie du corps est liée à une ou plusieurs « motivations intérieures » (sentiments, émotions) : cela est d’abord un rappel que ce qui est inscrit dans chaque case est directement lié à l’observation de phénomènes vivants, et non le résultat d’un a priori esthétique arbitraire. Ce rappel des attitudes observées, à l’intérieur d’un tableau d’accord de neuvième synthétisant l’ensemble du cadre théorique du système, illustre l’imbrication intime des données tirées de l’observation et de celles venues du cadre théorique. La mention de différentes motivations intérieures liées potentiellement à une attitude donne à celle-ci une couleur, sans l’enfermer dans une signification unique. Que cela soit dans les notes de Delsarte, dans celles de ses élèves ou dans les publications faites par certains de ces derniers, il y a toujours une pluralité de renvois pour une attitude donnée et la mention « etc. ». Le terme de couleur, parce qu’il induit l’idée de nuances, nous semble donc être le plus juste. Nous pouvons voir l’accord de neuvième comme une tentative de dépasser les limites imposées par les moyens techniques de représentation du corps en mouvement avant l’invention du cinématographe : il propose de s’entraîner à enchaîner les différentes attitudes indiquées « de toutes les manières » (Giraudet 1895 : 119), c’est-à-dire dans n’importe quel ordre. Et, de la sorte, de faire l’expérience de différentes attitudes, positions et niveaux de tensions musculaires possibles de telle ou telle partie du corps. Cet entraînement corporel est toujours à situer chez Delsarte dans une dynamique générale : traduire le plus finement possible les réalités intérieures. C’est là le cadre général de tous ses enseignements expressifs, synthétisé par la figure du compendium. Les deux sources des enseignements de Delsarte 231 2.3.2 Le compendium : de l’anthropologie thomasienne (union âme-corps) à une conception globale de l’art (union sémiotique-esthétique) Le compendium (abrégé, résumé) est une présentation graphique des liens entre puissances psycho-spirituelles et données corpo-expressives. C’est un outil pédagogique créé par Delsarte lui permettant de présenter la dynamique fondamentale de tous ses enseignements : l’articulation entre l’esthétique et ce qu’il a été le premier à nommer (en dehors du champ médical) la sémiotique, autrement dit l’articulation de la forme et du fond, de l’extérieur et de l’intérieur, du corps et de l’âme. De la même manière qu’une connaissance précise des données anatomiques et physiologiques est pour lui nécessaire au bon apprentissage du chant, il envisage la connaissance de l’Homme, dans sa double dimension, comme un passage indispensable à l’exercice de l’art tel qu’il le conçoit, ayant pour but la spiritualisation de l’être humain. Voici une version du compendium intitulée de manière explicite « L’homme OBJET de l’art » : Compendium de Delsarte (Document original tiré d’un fonds d’archive privé aujourd’hui inaccessible. Il est semblable au « Système de François Delsarte. Compendium » (Bibliothèque nationale de France, site de Tolbiac, notice n° : FRBNF30320486) et au compendium reproduit in Shawn 2005 : 37. Franck Waille 232 Cette version (Delsarte pouvait complexifier ce schéma de base) articule, autour de la notion de « l’homme objet de l’art », la thématique de la fin et des moyens (au cœur du schéma) : les réalités expressives (en bas de la représentation) sont les moyens à la disposition de l’artiste pour rejoindre le spectateur dans la totalité de ses dimensions psycho-spirituelles (en haut de la représentation). Cela implique que l’artiste ait, au préalable, fait le chemin inverse, c’est-àdire qu’il ait compris en lui-même les liens, considérés comme structurels, entre puissances psycho-spirituelles et réalités corporo-expressives. Dans cette version du compendium, apparaissent dans la partie supérieure des éléments corporels (« sens-cœur-cerveau ») en lien avec les trois états nommés par Delsarte (états « sensible, moral et intellectuel »). La partie basse est plus spécialement développée, et nous voyons bien ressortir le passage des trois langages (les trois genres) à neuf espèces et à vingt-sept variétés, illustration de la dynamique de l’accord de neuvième appliquée aux phénomènes expressifs. Cette dynamique est synthétisée au bas par la « proposition du système » qui y est inscrite : L’homme est une TRINITÉ DE PERSONNES qui, au moyen d’un TRIPLE APPAREIL, se révèle par une TRINITÉ DE LANGAGES ayant pour CRITÉRIUM UN TRIPLE ACCORD DE NEUVIÈME. (Delsarte 1839 : 37) Le corps est ainsi compris comme possédant une organisation spécifique propre à l’expression des puissances psycho-spirituelles. C’est là toute l’architecture du système expressif delsartien : l’établissement d’un lien direct entre puissances psycho-spirituelles, réalités corporelles et langages qui fondent les arts du spectacle vivant. Les compendiums pouvaient être colorés, comme celui des cours de 1839, sur lequel apparaissent les trois couleurs primaires dans leur utilisation symbolique : Compendium (Delsarte 1839a : 38) Les deux sources des enseignements de Delsarte 233 5 Les définitions de l’âme et de l’esprit différent d’une tradition à l’autre, et parfois d’un auteur à l’autre dans la même tradition. Pour la tradition catholique, cf. Le Corps et le corps du Christ dans la première Épître aux Corinthiens, 1983 ; Fromaget 1991 & 1996. Le compendium est organisé suivant les structures métaphysiques de la pensée de Delsarte, chez lequel le spirituel est toujours premier vis-à-vis du matériel dès lors qu’il y a réflexion sur la nature des choses, après avoir constaté la réalité sensible de ces mêmes éléments. La théorie des correspondances universelles structure l’organisation d’ensemble : les deux parties (haut-bas) sont organisées en miroir et se reflètent. Le compendium étant centré sur l’être humain, c’est donc la théorie des correspondances humaines qui trouve ici une mise en espace : interactions constantes entre ce qui est psycho-spirituel et corporel. La Trinité structure le compendium dans l’organisation d’ensemble (trois éléments principaux en bas correspondant aux trois élément principaux du haut), comme dans l’organisation de détail, où elle se repère par les triangles qui organisent toutes les données internes de la figure. Enfin, l’anthropologie thomasienne inspire l’ensemble de cette figure, et Delsarte se réfère de manière récurrente à la phrase de Thomas d’Aquin synthétisant cette anthropologie : L’âme, considérée selon son essence, est la forme du corps. (Thomas d’Aquin 1984, Ia, Q. 76, a.1, sol. 4, vol. 1 : 665) La notion centrale est celle de forma, tirée de la philosophie d’Aristote, c’est le principe non matériel de l’existence des choses. Elle a une dimension de structure, d’intelligibilité, d’information, qui permet que chaque type de chose soit le genre de chose qu’elle est, et qui la particularise par rapport aux autres types d’existants (Aristote 1966, II, 1, 2, 412 a - 414 a : 30-35). Il y a alors un lien inaltérable entre le principe spirituel de l’âme, et la réalité sensible du corps : en tant que forme du corps, l’âme ne peut pas être sans le corps (Thomas d’Aquin 1984, Ia, Q. 75, a. 7, sol. 3, vol. 1 : 661). Cette conception dépasse le dualisme. Elle ne considère pas que l’âme et le corps peuvent exister séparément (durant la vie terrestre), mais qu’ils sont principes d’existence de la seule chose concrète qui existe : un être humain particulier. Delsarte, à la suite de Thomas d’Aquin, ne conçoit pas l’homme comme une unité entre le corps, l’esprit et l’âme, comme cela est habituellement pensé dans la plupart des traditions et des courants spirituels 5 , mais comme un composé entre l’âme et le corps (Ia, Q. 75, introduction, vol. 1 : 653). Le haut et le bas des compendiums correspondent aux deux éléments de définition de l’homme de la conception thomasienne, l’âme et le corps. C’est l’âme qui, en tant que forme, informe le corps dans ses différentes dimensions (anatomique, physiologique, expressive). Précisons, pour lever toute incompréhension, que Delsarte utilise à la fois le mot âme dans cette conception aristotélicienne et thomasienne, mais aussi pour désigner la troisième dimension de cette âme, sa partie synthétique et spirituelle par excellence. Mais Delsarte ne se contente pas de suivre l’anthropologie de l’Aquinate, il la prolonge en précisant les opérations concrètes de chaque puissance psycho-spirituelle. À la vie, il fait correspondre le langage des inflexions vocales. À l’esprit, il fait correspondre celui de la parole articulée. Et à l’âme, il fait correspondre celui du geste. Il inscrit ces trois langages dans la partie basse du compendium, qui concerne les moyens corporels de l’art, c’est-à-dire les trois appareils expressifs. En précisant chacune des opérations concrètes de la vie, de l’esprit et l’âme, il mène à son terme la dynamique de l’Aquinate, qui trouve chez lui sa pleine incarnation. Franck Waille 234 6 Manuscrit ici peu lisible. 7 La première édition s’est faite par épisodes, en août et septembre 1833, dans la revue L’Europe littéraire, et la première publication à part est sortie en 1853. L’épisode du « papa Dugrand » prend place entre 1827 et 1829. Et il tire l’anthropologie thomasienne vers la dimension expressive et artistique dans laquelle le corps a une place centrale : Il faut chercher dans l’âme les raisons formelles du corps. Ainsi, le corps est-il comme le champ d’optique [autour] 6 duquel nous assistons au spectacle de l’âme. (Delsarte s.d. 15) Ce « spectacle de l’âme » par le corps synthétise le cadre théorique de Delsarte appliqué à l’être humain. C’est lui qui doit pouvoir être repéré par sa méthode d’observation. Par ailleurs, Delsarte considère la dimension expressive comme un élément constitutif : entre le corps (« homme physique ») et l’âme (« homme moral », c’est-à-dire non matériel), il positionne « l’homme expansif », formé des « trois états sensible, mixte [moral], intellectuel » qui « forment, comme le Saint-Esprit dans la trinité divine, la troisième personne de la trinité humaine, la personne expansive » (Delsarte s.d. 16 : 6 pour toutes les citations de cette phrase). Cela est rendu par le schéma suivant : (Id.) Les trois dimensions de l’être humain selon Delsarte L’homme expansif est l’homme expressif. C’est de lui dont il est question dans les compendiums, dans ses deux dimensions : animique (les trois états sensible, moral et intellectuel) et corporelle (les appareils correspondant aux trois langages). Pour Delsarte, il y a dans la complétude des réalités expressives quelque chose qui serait le propre de l’être humain et qui favoriserait l’unité des différentes dimensions de la personne. Le fait d’entrer dans la dimension expressive serait alors le meilleur moyen d’être pleinement humain, d’être pleinement un, d’entrer dans son identité profonde. Cette conception est à la fois liée à ses expériences d’artiste et à ses observations, à la vision mystique du corps humain qu’il fit lors de sa conversion, et au système de pensée et de croyance auquel il adhérait. Conclusion Delsarte inaugure son processus d’observation, source de l’ensemble de sa démarche, dès les années 1820, soit quelques années avant qu’Honoré de Balzac ne s’assoie à la terrasse d’un café pour recueillir la matière de sa Théorie de la démarche 7 et ne prétende être le premier à chercher à établir des règles du comportement humain en la matière. Delsarte ne va pas observer quelques heures comme le romancier, mais une large partie de son existence. Peu à Les deux sources des enseignements de Delsarte 235 peu, « l’observation constante de ses contemporains pour en découvrir la variété expressive, est devenue le travail de sa vie » (Clarke 1982 : 28 - nous traduisons). Sa rééducation vocale et sa capacité ensuite à « guérir les dysphonies les plus graves, après avoir découvert l’unité du geste et de la voix » (Pradier 2000 : 157), montrent la valeur opératoire et absolue de ses observations. Ses premières découvertes sont venues « avec le même désordre et avec la même spontanéité qu’elles viennent dans la vie » (Laico 1954 : 20 - nous traduisons). C’est ensuite qu’il a utilisé un cadre de référence centré sur une grille d’analyse trinitaire. La critique qui a pu être faite aux scientifiques empiristes, « qui “croyaient qu’ils se conformaient strictement aux faits et que leurs conclusions leur étaient imposées uniquement par l’observation immédiate”, alors qu’au contraire ils les subordonnaient dès le début à des “conceptions théoriques préconçues” » (Jeannerod 1983 : 109), ne peut être appliquée au cas de Delsarte. Ted Shawn écrit que « sa démarche, véritablement scientifique, opérait à partir des faits », qu’elle « consistait à codifier et à systématiser les effets de l’émotion tels qu’ils se manifestent dans le corps humain à travers les gestes et la parole » (Shawn 2005 : 40). Observations et découvertes initiales l’ont mené vers une démarche métaphysique très ouverte, qui elle-même a donné à sa recherche artistique une dimension anthropologique et universelle : la place de l’homme est pensée par rapport au monde et au divin, et l’art se voit attribué une raison d’être métaphysique. Arrivé à la théologie et à la mystique par ses préoccupations artistiques, Delsarte mène théologie et mystique vers les appareils expressifs sur lesquels s’appuient les arts du spectacle vivant, c’est-à-dire vers des aspects pratiques leur permettant d’être incarnées, au sens propre du terme. Théologie et mystique sont le fondement de sa vision anthropologique qui sous-tend toute sa conception de l’art et sur laquelle repose sa pédagogie, dans ses moyens (mettre à jour par l’observation des constantes expressives pour les utiliser) comme dans ses fins (rejoindre toute personne dans ce qui fait son humanité, dans un but de spiritualisation). Cette vision anthropologique est le fondement de l’idée implicite d’universalité des expressions humaines qui traverse son travail. Si observations et découvertes initiales trouvent un cadre d’organisation, de compréhension et d’analyse dans un modèle métaphysique complexe aux influences nombreuses, en retour le cadre théorique de Delsarte l’aide à élaborer une série d’outils pratiques permettant d’utiliser ses observations de manière structurée et méthodique. Ce cadre, s’appuyant sur des données de la théologie catholique comme de l’ésotérisme chrétien, se particularise par la convergence qu’il établit entre données métaphysiques et réalités expressives. Plus spécifiquement, l’élaboration qu’il propose converge de manière spécifique vers le corps humain, instrument préférentiel de l’expression. Ces dynamiques, avec leurs deux sources empirique et théorique, ont alimenté sa conception du rôle de l’artiste et ont structuré l’ensemble de sa pédagogie. La méthode empirique d’observation de Delsarte puis sa conversion peuvent apparaître comme animées d’une dynamique commune, procédant d’un affinement progressif de l’attention et du regard. Le processus commence avec les sons de tous ordres, de la rue et de la musique ; il se poursuit avec les mouvements du corps et avec les liens de ceux-ci avec les émotions ; il se prolonge vers les sensations et la proprioception, associé alors avec les connaissances anatomiques et physiologiques ; et il aboutit aux motions intérieures (les émotions), aux mouvements de l’âme et à leurs liens à la fois avec le monde visible (soimême, les autres et l’univers) et avec le monde invisible (celui de la prière, de la contemplation, de la relation avec le divin). Le regard intérieur, loin d’éloigner Delsarte des réalités humaines, l’aide à mieux comprendre et à mieux analyser les processus expressifs et leurs manifestations. C’est ainsi que se sont mis en place les deux grands volets de sa pédagogie : Franck Waille 236 8 « La séméiotique étudie la « relation triadique entre le signe, son objet et l’esprit (…) qui utilise le signe » (Deledamme 1987 : 64) (cf. Peirce, 1978). La séméiotique de Peirce présente une analyse ternaire de qui a des parentés avec l’organisation de la pensée de Delsarte, alors que la sémiologie saussurienne est binaire (elle est centrée sur la relation signifiant - signifié). 9 « Sémiologie 1752 Trévoux, médical ; 1916, Saussure, linguistique » (Dauzat, Dubois, Mitterand 1993 : 701). En 1690, le philosophe John Locke (1632-1704), dans An essay concerning human understanding (Essai sur l’entendement humain), où il défend que nos idées dérivent de l’expérience, utilisa le premier le terme semeiotike (usage passé dans la langue française au XX e siècle). Delsarte a lu Locke (cf. Delsarte s.d. 17), sans qu’il soit possible de dire s’il a lu l’essai en question, traduit en français en 1700 et réédité en 1729. 10 La femme de Charles Sanders Peirce prit en effet des cours avec James Steele Mackaye dans le milieu des années 1880, époque où son mari revisitait sa conception de la sémiotique (Peirce 1978 : 496, note 355). Il semblerait en particulier que le texte de Delsarte sur la « séméïotique de l’épaule », écrit dans Mes épisodes révélateurs (publié dans Porte 1992 : 55-88), ait eu une influence sur Peirce. la sémiotique (il écrit « séméïotique ») et l’esthétique, le lien entre l’origine intérieure d’une manifestation et cette manifestation. Parmi les personnes s’intéressant aux signes du corps à son époque, il est le seul à faire cela et il préfigure les évolutions à venir. Le mot « sémiotique » a été utilisé aux États-Unis puis ailleurs à partir de la fin du XIX e siècle avec les travaux de Charles Sanders Peirce (1839-1914) dans le sens d’étude des signes 8 , alors que dans l’espace francophone s’est imposé son synonyme « sémiologie ». À l’époque de Delsarte, le terme de séméiotique, comme celui de sémiologie, a encore presque uniquement son seul sens médical 9 . Delsarte, qui a pu influencer Peirce via son élève Mackaye 10 , tire ce terme vers une définition proche de celle de la sémiologie et de la sémiotique contemporaines. Sources manuscrites Delsarte s.d. 1 : 2 feuilles de notes autobiographiques (« François Alexandre Nicolas Delsarte Papers, Mss. 1301, Louisiana and Lower Mississippi Valley Collections, LSU Libraries, Baton Rouge, La. », Louisiana State University, Baton Rouge, Louisiane, États-Unis d’Amérique [= Delsarte Collection =DC], box 1, folder 21, document 6) Delsarte s.d. 2 : Pour comprendre toutes les ressources de l’art (DC, box 1a, folder OS 36c/ item 11) Delsarte s.d. 3 : De la science (Fonds de Serge Bouts, 24 rue Chazelles, 75017, Paris [=FSB], dossier jaune « François Delsarte 1 », sous-dossier 6 « Science ») Delsarte s.d. 4 : « La passion » (DC, box 9-10, folder OS 36a, document 3) Delsarte s.d. 5 : « Induction », DC, box 1, folder 22, document 1 Delsarte s.d. 6 : « Critérium », DC, box 1, folder 24/ items 2-6, document 16 Delsarte s.d. 7 : DC, box 1, folder 26b, document 4 Delsarte s.d. 8 : DC, box 1, folder 36b/ items 1-7, document 7 Delsarte s.d. 9 : Notre méthode (The papers of the Mackaye Family, Baker Library, Special Collections, Dartmouth College, Hanover, New Hampshire, États-Unis d’Amérique [=PMF], box 22 ML5 (22) (ex box 7), folder 1, document 4) Delsarte s.d. 10 : Qu’est-ce que la Trinité ? (DC, box 1a, folder OS 36b/ item 12, document 2) Delsarte s.d. 11 : DC, box 12a, folder 89a, document 4 Delsarte s.d. 12 : Dossier « Larynx », FSB, document 3 Delsarte s.d. 13 : FSB, carton jaune, dossier 12, document 2 Delsarte s.d. 14 : Lettre à Brucker, 2 e Trinitaire (DC, box 1, folder 26, document 4) Delsarte s.d. 15 : Mécanisme de l’Être. Théorème (DC, box 1, folder 36a/ items 15-17, document 2). Delsarte s.d. 16 : « L’art dramatique est grand dans son objet et puissant dans ses effets », (FSB, carton jaune, dossier 5, document 15) Delsarte s.d. 17 : L’erreur se trahit par (DC, box 1, folder 36a/ items 1-8, document 1) Les deux sources des enseignements de Delsarte 237 Delsarte s.d. 18 : DC, box 1, folder 36a/ items 9-14, document 3 Delsarte 1830 : 7. Buccologie DC, box 1a, folder OS 36b, item 1 Delsarte 1839a : École de Delsarte, École de chant morale et scientifique. Notes et compte-rendu de ses cours, 1839 (DC, box 11b, folder sans #) Delsarte 1839b : Livre des Procès-Verbaux de la Famille Trinitaire, Paris, 1839 (DC, box 12c, folder « Volume 28 ») Delsarte 1858 : Cours de M. Delsarte aux Sociétés savantes, 1858. Pour le cours n° 1, nous utilisons la transcription dactylographiée (seule version disponible) présente in Fonds d’Alain Porte, 10 rue de la Mousselle, 77730 Citry [=FAP]. Pour les cours 2, 3, 8-10, nous utilisons la version manuscrite présente in DC (box 12 b, folder 54). De larges extraits des cours 4 à 7 sont publiés dans Porte, 1992 : 93-145 Delsarte 1859 : Esthétique appliquée, cours de F. Delsarte. Exposition en neuf leçons de l’art de l’orateur, du peintre et du musicien. Offert à M. Delsarte par son élève Alphonse Pages (DC, box 12c, folder 40) Delsarte 1869 : dictée datée du « 9/ X bre / 69 », dictée de 1869 n° 2 (DC, box 3, folder 154, document 2) Delsarte par Mackaye 1 : Cahier de James Steele Mackaye alors qu’il étudiait avec Delsarte n° 2 (Notebook of Mackaye while studying with Delsarte) (DC, box 12b, folder 6) Delsarte par Mackaye 2 : Cahier de James Steele Mackaye alors qu’il étudiait avec Delsarte n° 3/ 7 (Notebook of Mackaye while studying with Delsarte) (DC, box 12b, folder 7) Mackaye s.d. : Life of Delsarte (DC, box 6, folder 75b) Bibliographie Alger, William Rounseville 1894 : « The Æsthetic Gymnastics of Delsarte », Werner’s Voice Magazine, Edgar S. Werner, janvier : 3-4 Arnaud, Angélique 1882 : François del Sarte, ses découvertes en esthétique, sa science, sa méthode, précédé de détails sur sa vie, sa famille, ses relations, son caractère, Paris, Ch. 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