eJournals lendemains 43/170-171

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2018
43170-171

Entretien avec Ali Zamir, auteur franco-comorien, à l’occasion de la Foire du livre de Francfort, le 11 octobre 2017

2018
Margot Brink
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137 Dossier Margot Brink Entretien avec Ali Zamir, auteur franco-comorien, à l’occasion de la Foire du livre de Francfort, le 11 octobre 2017 Ali Zamir a été membre de la délégation officielle des auteur.e.s dans le cadre de la participation de la France, invitée d’honneur à la Foire du livre de Francfort. Il est l’auteur de deux romans dont Anguille sous roche (2016), son premier ouvrage pour lequel Ali Zamir a reçu le Prix Senghor du 1er roman francophone et francophile 2016 ainsi que la Mention Spéciale du jury du Prix Wepler 2016. En 2017, le roman a été traduit en allemand sous le titre Die Schiffbrüchige aux éditions Eichborn. Son deuxième roman s’intitule Mon Étincelle (2017), paru aux éditions Le Tripode en France. Ali Zamir est né en 1987 sur l'île Anjouan, aux Comores, et vit actuellement à Montpellier. Margot Brink: Il est remarquable que sur les affiches qui annoncent l’invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort en 2017, la France ne soit mentionnée qu’en sous-titre de la tête d’affiche ‚Francfort en français‘. C’est donc la langue française qui est particulièrement mise en relief et qui semble être invitée à se présenter dans toute sa richesse et sous l’aspect de l’internationalité. N’existe-t-il pas, selon vous, une certaine contradiction à vouloir présenter la France en tant que nation littéraire et la volonté d’envisager la langue française et la francophonie sous un aspect transnational? Ali Zamir: Je pense qu’il n’y pas de frontières en littérature. La littérature, qu’elle soit française, francophone, c’est la même chose pour moi. Je sais qu’il y a des gens qui ont tendance à dissocier la littérature française de la littérature francophone mais pour moi cela constitue un seul corps. Actuellement, il y a des écrivains que l’on classe dans la littérature dite francophone et qui se réclament de la littérature française et on remarque très bien que les frontières sont floues, qu’elles ne sont pas claires. On utilise souvent le mot francophone pour désigner la littérature de langue française écrite en dehors de la France. Je pense que ce n’est pas mauvais en soi, mais on l’utilise dans la plupart des cas d’une manière discriminatoire parce que la littérature dite francophone n’est pas considérée comme une littérature internationale à part entière. C’est pourquoi je pense qu’il y a une sorte de dévalorisation de cette littérature ce qui fait que beaucoup d’écrivains n’aiment pas ce mot: ‚francophone‘. Ils préfèrent qu’on emploie plutôt l’expression ‚écrivain de langue française‘ ou encore ‚littérature d’expression française‘ pour parler d’eux. Et moi, je suis du même avis, je pense qu’on doit effacer ces frontières entre la littérature francophone et la littérature française car cela crée des problèmes. Ali Zamir (Foto © Sulliman Issoop) 138 Dossier Le manifeste „Pour une littérature-monde“, publié en 2007 et signé par 46 auteur.e.s dits francophones, entre autres par le prix Nobel de littérature J.-M.G. Le Clézio, Maryse Condé ou Tahar Ben Jelloun, a déclenché un débat très vif sur le concept de la ‚littérature francophone‘. D’une manière véhémente, les signataires ont critiqué l’utilisation, selon eux discriminatoire, de la désignation ‚littérature francophone‘ et ont plaidé pour un terme alternatif, à savoir ‚littérature-monde en langue française‘. Ali Zamir: Voilà. Oui, l’expression ‚littérature en langue française‘ est plus adaptée à ces littératures si nous acceptons de faire de cette langue une langue universelle qui appartient à tout le monde. Avez-vous l’impression que cette littérature en langue française, et plus précisément la littérature en langue française qui vient des îles de l’océan Indien et de l’archipel des Comores, où vous êtes né et où vous avez grandi, soit bien représentée dans le pavillon et dans le programme organisé autour de la langue française qui est à l’honneur à la Foire du livre? Et que signifie la présence de votre livre à la Foire pour vous et quels espoirs et attentes associez-vous à cette présence? Ali Zamir: C’est un triomphe pour la littérature comorienne d’expression française. Car le point positif de tout cela, c’est que j’ai représenté non seulement la langue française en tant que langue universelle mais aussi la nation comorienne en tant que pays partageant cette langue. Lors de la cérémonie d’ouverture, le Président de la République française, M. Macron, a parlé de l’importance et de la richesse du multilinguisme en Europe et dans le monde entier. Enchaînant sur cette idée, il a ensuite fait l’éloge des auteur.e.s qui ont choisi le français comme leur langue d’expression littéraire. L’idée du ‚choix‘ part du principe que les écrivain.e.s ont la liberté de choisir le français ou bien une autre langue pour écrire, pour être édité(e)s et lu(e)s. Comment voyez-vous, en tant qu’auteur bilingue, français et comorien, cette idée de liberté de choix concernant les langues dans lesquelles on peut s’exprimer en littérature? Ali Zamir: C’est une question très importante. Pour nous, aux Comores, par exemple, la langue française ne se présente pas du tout comme un choix. C’est une langue imposée dans la mesure où on est puni en classe si on prononce un mot qui n’est pas français. La langue française a été pendant longtemps la seule langue officielle avant qu’on n’officialise la langue arabe. Et aujourd’hui encore, la langue française reste la seule langue de l’administration aux Comores. Donc ce n’est pas un choix. Si c’est un choix pour certains, cela n’en est pas un pour tout le monde. Maintenant, on partage cette langue dite de Molière, avec passion bien sûr - mais à l’origine, c’était une langue imposée par le colonisateur. Donc, je pense qu’il faut aussi des encouragements et une considération à l’égard de ces États qui font de cette langue leur première langue, leur langue officielle comme les Îles Comores. De 139 Dossier même, je pense que les écrivains qui font de la langue française leur langue d’expression littéraire méritent une bonne place dans le partage de cette langue et de cette culture. En tant qu’auteur qui a reçu en septembre 2016 pour Anguille sous roche le Prix Senghor du premier roman francophone et francophile et qui a publié en 2017 son deuxième roman intitulé Mon Étincelle, vous êtes membre de la délégation officielle des auteur.e.s participant à la Foire de Francfort qui met à l’honneur la France et la langue francaise. Comment concevez-vous votre rôle au sein de cette délégation d’auteur.e.s et dans le cadre de la représentation culturelle de la France et du français? Et quelles sont à votre avis les obligations et les possibilités qui en découlent? Ali Zamir: L’Allemagne a invité la littérature d’expression française et je me sens concerné. C’est donc un honneur de me retrouver aujourd’hui à Francfort parmi les ambassadeurs de cette belle langue qui est devenue aujourd’hui universelle. À titre personnel, j’ai compris que si je me retrouve à Francfort aujourd’hui, c’est parce qu’en réalité l’invitée d’honneur de l’événement c’est la langue française, ma langue en tant qu’auteur. Je reviens sur l’idée, exprimée par Emmanuel Macron, disant que des auteur.e.s partout dans le monde ont choisi le français comme leur langue d’expression littéraire. Non seulement si on prend en compte l’histoire coloniale, mais aussi vu la situation du marché de l’édition mondial, le terme de ‚choix‘ me semble être au moins un euphémisme. Quelles expériences avez-vous faites au contact de ce marché éditorial? Serait-il possible de publier vos livres aux Comores? Et enfin, qui a le ‚choix‘ de lire vos livres? Ali Zamir: Non, il ne me serait pas possible de faire publier mes livres aux Comores parce qu’il n’y a pas de maison d’éditions aux Comores. En revanche, il y a des maisons d’éditions tenues par des comoriens en France. Et d’ailleurs peu de gens achètent des livres sortis en librairie aux Comores… C’est-à-dire que la culture du livre est moins répandue. La pauvreté explique aussi le fait que peu de gens achètent des livres. Certains attendent que leurs proches leur en envoient de France. Depuis début 2016 vous vivez en France. Quelle était votre situation d’écrivain lorsque vous viviez aux Comores? Actuellement, comment se présente la situation des artistes aux Comores? Ali Zamir: La situation des artistes est lamentable. Ils ne sont pas considérés comme tels, ce sont des gens qui tombent le plus souvent dans l’anonymat ou bien aux oubliettes. Par exemple, il y a quelques jours, j’ai lu dans le journal national des Comores que l’Ambassade de France de Moroni a refusé de délivrer un visa à un romancier et à un poète qui souhaitaient participer à la première édition du salon du livre qui se tenait à Mayotte alors qu’ils avaient été invités par le Conseil départemental. Cette situation est intolérable! 140 Dossier Tout à l’heure, vous avez parlé de l’histoire coloniale et de son impact sur le présent de l’Union des Comores. Vos deux romans se déroulent dans votre pays natal et ils abordent tous les deux à travers les histoires individuelles de deux jeunes femmes les problèmes sociaux, économiques et politiques aux Comores. En outre, vos textes portent implicitement aussi sur la tension qui existe entre l’Union des Comores, État indépendant depuis 1975, et Mayotte - cette île qui est devenue le 101ème département français en 2011 et qui, depuis 2014, est une partie intégrante de l’Union européenne en tant que ‚Région ultrapériphérique‘. Ce statut spécifique de Mayotte ainsi que l’instauration d’un visa en 1995 pour les habitant.e.s des îles de l’Union des Comores ont provoqué une immigration massive et ‚illégalisée‘ par voie maritime à Mayotte. Le gouvernement français estime entre 7 000 et 12 000 le nombre de Comorien.e.s qui se sont noyés lors de ces traversées et les chiffres seraient même beaucoup plus élevés d’après le gouvernement comorien. Tandis que l’Union Européenne se focalise sur la gestion de la crise des réfugiés en mer Méditerranée, ce drame migratoire dans l’océan Indien n’est presque jamais évoqué dans le débat public et politique européen et reste largement inconnu en Europe. Comment se présente la situation actuelle entre L’Union des Comores et Mayotte d’après vos observations? Ali Zamir: Rien n’a changé. Au contraire, cela devient de plus en plus dramatique parce qu’il y a des milliers de morts chaque année. Nos dirigeants, les dirigeants comoriens et les dirigeants français, ont pris cette question à la légère en faisant semblant d’entreprendre des pourparlers, alors qu’en réalité, rien ne bouge. Récemment, une feuille de route prévoyant la gratuité du visa a été proposée. Par la suite, il y a eu des contestations sur l’Île de Mayotte pour protester contre cette gratuité. D’ailleurs, je pense que même si on donne ce visa gratuitement, ce n’est pas la solution. Gratuit ne veut pas dire accès libre. À mon avis, ce qu’il faut, c’est chercher à limiter les dégâts en améliorant le niveau de vie du petit peuple comorien victime de corruption et d’injustice au quotidien, par exemple. La France ne peut pas injecter une goutte de miel dans un océan de misère et penser que tout ira bien: pour beaucoup de marginalisés comoriens, Mayotte est une goutte de miel: ils savent qu’elle ne va pas suffire pour tout le monde, mais ils y vont quand même et ont les yeux braqués dessus, c’est leur seul espoir. Il faut savoir que ceux qui partent cherchent à se soigner, à travailler, à rejoindre un parent malade ou un enfant mineur, y cherchent refuge pour diverses raisons. Pour améliorer la situation, il suffirait d’une meilleure entente, c’est-à-dire d’une libre circulation entre ces îles. Ces îles étaient à l’origine des îles sœurs et cela ne peut pas changer. C’est un seul peuple, c’est une seule culture, c’est une seule religion. Ce sont les mêmes familles qui vivent dans ces îles. Il suffit de voir la réalité en face, de permettre la libre circulation et d’appliquer ces droits de l’Homme dont l’Europe se vante. C’est une chose que chacun mérite et non pas un droit réservé uniquement à une partie du monde. Ces droits de l’homme sont bafoués dans l’océan Indien. 141 Dossier Quant à la migration des Comorien.ne.s à Mayotte, il s’agit d’une catastrophe humanitaire et en même temps d’un conflit international de longue date. Dans une vingtaine de résolutions depuis les années 1975, les Nations Unies, l’Union Africaine et l’Union des Comores ont condamné l’appartenance de Mayotte à la France comme illégitime, tandis que la France et l’UE considèrent Mayotte comme faisant partie de l’Hexagone et de l’Union européenne. À votre avis, qui est responsable de cet immobilisme politique? Et quel rôle pourrait jouer l’UE dans ce conflit? Ali Zamir: Moi, je pense que tout le monde est responsable: les Nations-Unies, l’Europe et la France. Cette question, en effet, date de très longtemps. On ose parler des droits de l’Homme partout dans le monde, on ose dénoncer des génocides, mais on oublie qu’il y a aussi un génocide qu’on passe sous silence dans l’océan Indien. Anguille sous roche commence in medias res au moment où la jeune protagoniste, Anguille, est en train de se noyer en faisant clandestinement le trajet entre Anjouan et Mayotte. Commence alors, dans ce moment extrêmement dramatique, le récit à la première personne de sa vie, de ses souvenirs et de ses pensées: „une véritable houle verbale qui vous emporte dans son flot […], le récit des tribulations de ceux qui prennent la mer mais aussi de la condition féminine dans la société patriarcale de ce coin de l’océan Indien“, a écrit Sean James Rose dans Livres Hebdo le 3 juin 2016. La situation de votre protagoniste est hautement dramatique, Anguille est tombée enceinte d’un amant infidèle, son père la met à la porte et refuse tout contact. Malgré tout, elle veut garder l’enfant, elle veut vivre et elle s’enfuit. Vous placez donc votre protagoniste dans un contexte social très concret pour faire comprendre au lecteur comment elle en est arrivée là. Cependant, votre roman ne se limite pas du tout à un récit réaliste, n’est pas uniquement l’expression d’une critique sociale. C’est à la fois un récit plein d’humour, d’ironie, plein de désirs et de volonté de vivre, et une narration ludique. C’est étonnant, vu le sujet du roman. Ali Zamir: Oui, dans Anguille sous roche, c’est une jeune femme qui se noie et qui manifeste en même temps sa soif de liberté avec excentricité, avec exagération parce que, tout simplement, elle pense qu’elle va mourir et qu’elle doit d’abord, avant de mourir, marquer sa présence. Elle voit le monde comme une scène théâtrale où règnent l’hypocrisie, la ruse, la naïveté, le manque de confiance; des attitudes qui caractérisent le monde actuel. Selon Anguille le monde va mal, chacun a peur de l’autre. Or tout le monde devrait affronter cette peur, tout le monde devrait s’ouvrir à l’autre, tout le monde devrait assumer l’autre tel qu’il est, pense-t-elle. Anguille est victime de sa différence, elle était différente des autres, elle avait une autre vision de l’amour et de la vie. C’est pourquoi dans son récit-monologue, elle fait appel à l’ouverture d’esprit, à l’ouverture à l’autre. Voilà le message principal que j’ai voulu faire passer dans mon texte: l’ouverture à l’autre. 142 Dossier Dans votre deuxième roman Mon Étincelle, on rencontre une autre jeune femme qui nous raconte l’histoire de sa vie et de ses amours. Et cela également dans un moment hautement critique et menaçant: à bord d’un avion qui fait le trajet entre deux îles comoriennes et qui en subissant des turbulences graves risque de s’écraser. Pourquoi choisissez-vous toujours des jeunes femmes comme protagonistes principales de vos livres? Ali Zamir: Je choisis des jeunes femmes parce que les femmes m’inspirent et pour moi la femme symbolise la vie et tout ce qui est difficile à comprendre de la vie, la beauté et l’ambiguïté de la vie. Mes protagonistes ne sont pas seulement des victimes, mais elles cherchent à se révolter et à exprimer leur vision du monde. Dans Mon Étincelle, c’est l’histoire d’une jeune fille qui voit le monde comme un voyage et qui fait appel à l’amour. Étincelle pense que seul l’amour peut sauver le monde. Elle dit que le monde est comme un voyage où tout le monde doit s’unir pour que ce voyage se réalise. Le thème de l’amour est au centre de tout. Même quand elle parle de la corruption, de la discrimination professionnelle ou bien de la responsabilité parentale, elle fait référence à l’amour comme seule issue possible dans notre monde. Dans vos textes, les genres, les registres et les styles se mêlent d’une manière surprenante, dépassant les classifications conventionnelles. Ce choc entre le tragique et le comique, la prose et la poésie, langue parfois vulgaire et parfois très soignée intrigue et irrite à la fois. Ali Zamir: Avec mon écriture, je veux brouiller les frontières, parfois même effacer les frontières entre les genres, entre les registres, entre les formes textuelles. Anguille sous roche est par exemple un texte proche du genre dramatique, parce qu’Anguille parle comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, elle parle de didascalies, elle parle de scènes, elle parle de rideaux etc. On a donc là beaucoup d’éléments d’une pièce théâtrale, mais en même temps c’est un texte qui fait référence à la poésie. On peut le lire comme un poème en prose. Et puis, c’est aussi un texte qui peut être lu comme un roman avec une multitude de genres et de registres. Je voulais aussi, par ce moyen esthétique, éviter que l’on range mes textes dans des cases, qu’on les classifie. C’est à mon avis ce qui tue la littérature... et la lecture aussi. Je suis persuadé que chaque texte littéraire a sa propre valeur, sa spécificité, ses capacités et ses traits de caractère. On ne doit pas se contenter de classifier les textes littéraires, de les ranger dans des cases. La structure de Mon Étincelle - histoire d’une jeune femme en quête de la vérité de son histoire familiale et par là de son identité - m’a rappelé les poupées russes étant donné que dans chaque histoire racontée s’en cache une autre ou, plus précisément, est intégrée une multitude d’autres histoires. Comprendre l’histoire d’Étincelle nécessite de se laisser entraîner dans cet univers rhizomatique de conversations, de récits qui sont liés, se complètent et, parfois, se contredisent. 143 Dossier Ali Zamir: Tout à fait. Étincelle met en attente le lecteur parce qu’elle-même n’a pas la suite de l’histoire, elle attend que sa maman lui raconte cette suite, ou bien elle attend qu’un autre personnage lui raconte la suite. Et puis, on a des histoires qui ont des suites, on a des histoires qui n’ont pas de suite, on a des coupures, des interruptions et tout cela crée une mise en abîme labyrinthique: nous, en tant que lecteurs, nous écoutons Étincelle, Étincelle écoute sa mère, sa mère écoute son père et ainsi de suite. C’est une forme anti-romanesque, non-linéaire. On a là une histoire qui s’interroge de plus en plus, qui va ainsi à l’encontre des conventions littéraires des romans. Parfois les digressions dans la narration labyrinthique que l’on trouve dans Mon Étincelle dominent tellement le récit qu’on a, en tant que lectrice et lecteur, tendance à se perdre tandis que, dans Anguille sous roche, la lecture est guidée par le fil rouge d’une seule phrase dont est composé tout le récit. Ali Zamir: Oui, mais toutes ces parenthèses ouvertes dans Mon Étincelle ne s’excluent pas par rapport au récit-cadre. Au contraire, elles enrichissent le récit-cadre dans la mesure où elles permettent d’élargir les thèmes abordés, d’aborder le thème de l’amour, le thème de la corruption, le thème de la discrimination professionnelle. Ces parenthèses permettent à l’auteur de questionner ou bien de s’opposer à une position morale. À l’inverse, dans Anguille sous roche, on a aussi une forme anti-romanesque, mais une forme plutôt spiralée et anguillère puisque le texte consiste en une seule phrase qui imite à la fois la forme de l’anguille et celle du tourbillon de la mer où se trouve l’héroïne. C’est une phrase d’urgence, mais une phrase qui ruse aussi. Il y a beaucoup de ruses et de suspens et, souvent, on se demande où veut nous emmener Anguille. Elle pose des questions, elle malmène le lecteur, elle interroge, elle refuse de lui livrer des réponses et tout cela pour dire qu’on n’est pas obligé de tout livrer, parce qu’on n’est pas maître de la connaissance. C’est une manière d’aller à la recherche de la vérité avec son lecteur, de ne pas imposer quelque chose. Mon écriture est donc une écriture qui interroge, qui questionne le monde, et qui aide ainsi le lecteur à se questionner lui-même, à chercher avec l’écrivain. Pour terminer, j’aimerai revenir encore une fois sur la Foire du livre et tenter de créer des passerelles entre cet évènement, vos livres et les sujets que vous abordez ainsi que votre écriture transgressive. En 1989, la France a été pour la première fois l’invitée d’honneur à la Foire du livre. En 2017, c’est donc la deuxième fois. À ce rythme, si nous nous projetons dans l’avenir, la France pourrait être de nouveau au centre de la plus grande Foire du livre en Europe en 2045. Comment imagineriezvous la conception du pavillon de la France / des littératures en langue française? Et comment se présenterait le marché éditorial pour les littératures en langue française à l’avenir? Ali Zamir: Tout d’abord, était-ce la France ou la langue française l’invitée d’honneur? Ce sont deux choses différentes. C’est justement là que se pose le problème, parce 144 Dossier que si c’est la langue française, il s’agit d’une question qui concerne tout un monde et pas un seul pays. Il faut savoir choisir les termes appropriés pour désigner l’événement. Comme je viens de le souligner, j’ai compris que l’invitée d’honneur de l’événement était la littérature de langue française, c’est-à-dire une littérature qui vient des cinq continents, une littérature riche et vaste. En ce cas, il faudra trouver une autre expression pour designer l’invitée d’honneur. Sinon il s’agirait de la littérature d’un maître et de ses serviteurs. Merci beaucoup pour cet entretien!