eJournals lendemains 38/150-151

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2013
38150-151

"Héritage de Vichy" ou complexité de l'histoire?

2013
Evelne Sinnassamy
ldm38150-1510153
153 DDiscussion Evelyne Sinnassamy „Héritage de Vichy“ ou complexité de l’histoire? L’ouvrage de Cécile Desprairies, L’héritage de Vichy. Ces cent mesures toujours en vigueur 1 qui a donné lieu à de multiples passages de l’auteure à la radio et à la télévision, et à une ‚Une‘ enthousiaste de Libération, 2 est-il vraiment une révélation fracassante sur ce que l’auteure appelle „les acquis de Vichy“ et fait-il réellement la leçon aux historiens comme le prétendent certains médias? 3 C’est d’abord un objet singulier: la couverture sous le titre en majuscules rouges L’héritage de Vichy est occupée par la photographie Keystone en noir et blanc d’un pignon de maison sur lequel est reproduite en grand une affiche de Philippe Noyer, drapeau tricolore et portrait de Pétain avec képi de maréchal, intitulée „Révolution nationale“, qui fut imprimée et diffusée dès décembre 1940 et tirée jusqu’en 1944 à des millions d’exemplaires. 4 A l’intérieur des chapitres 5 richement illustrés en noir et blanc et en couleur (photographies, caricatures, images pieuses, affiches, publicités, opuscules, cartes) qui comportent de 6 à 18 entrées, chaque fiche se termine - nostalgie ou dérision plutôt macabre? - par une petite francisque, des feuilles de chêne ou les sept étoiles de maréchal comme cul-delampe! Quant aux „cent mesures“, 6 si l’on considère ces fiches de plus près, Cécile Desprairies sous la rubrique Un peu d’histoire, avec laquelle elle commence chaque fiche, ne cache certes pas que la plupart existaient avant Vichy, remontaient même parfois à la Révolution française honnie, à la III e République, et surtout qu’une grande partie de ces mesures avait été décidée ou préparée par le Front populaire, en particulier par Jean Zay, 7 mais cela ne l’empêche pas de les mettre au compte de „l’héritage de Vichy“, là où il s’agit plutôt de la réalisation ou de la poursuite de projets élaborés dans les années trente, 8 ou même bien avant. 9 Cela témoigne plus du temps long, de la continuité due au „poids de l’administration et des bureaux“ 10 et permet de comprendre que ce nombre tout compte fait réduit de lois n’ait pas été aboli lors du rétablissement de la légalité républicaine. 11 Cela relativise le titre en rouge sur la couverture „L’héritage de Vichy“, comme Cécile Desprairies le reconnaît elle-même dans l’introduction: „Sur un certain nombre de points le gouvernement parachève sans les nommer les initiatives du Front populaire que la IV e République entérinera“ (12). Tout aussi discutable est le sous-titre „Ces cent mesures toujours en vigueur“. Pour arriver au chiffre magique de „cent“, l’auteure ajoute à cela des fiches, plutôt anecdotiques, parfois amusantes, mais qui, comme elle le souligne elle-même, ne correspondent à „aucune disposition législative“ (35) de ‚Vichy‘: Le renouveau des pèlerinages (28); Du „Noël du Maréchal“ au Noël des entreprises (35); La sirène du premier mercredi de chaque mois („sous contrôle allemand“, 38); L’invention de 154 DDiscussion la télévision („et son développement sont revendiqués par l’occupant allemand dès 1940“ dit-elle, sans rappeler qu’il y avait en France depuis 1937 la diffusion d’une émission quotidienne, 39); Les „carreaux vichy“ à la mode (41); Quand la chimie allemande s’en mêle: Fanta et Pamprel (50) où Cécile Desprairies révèle que le conservateur utilisé dans ces boissons (Fanta, produit par la filiale allemande de Coca Cola, et Pampryl, inventé en Bourgogne, devenu sous l’occupation Pamprel) est aussi utilisé pour les „gaz lacrymogènes“ (52); Le riz de Camargue où elle assure que „les Français se mettent à manger du riz de Camargue“ (75) alors que la production n’atteint en 1944 que 2200 tonnes, ce qui ne fait pas beaucoup pour 40 millions d’habitants; La musique allemande, où elle écrit (87): „Quant à l’auteur du livret, Da Ponte [„librettiste juif“], on ‚oublie‘ de le mentionner“, alors que l’affiche pour la représentation au Théâtre des Champs-Elysées en janvier 1941 qu’elle reproduit indique bien „Dichtung von Lorenzo de Ponte“ (82); Le renouveau d’une certaine musique française où elle évoque les „concerts de la Pléiade“ indiquant qu’ils „perdurent jusqu’en 1947“ (90), sans préciser que justement le 22 mai 1947 c’est la cantate Figure humaine pour 2 chœurs qui y est donnée, composée en 1943 sur le poème d’Eluard, Liberté, par Francis Poulenc, qui avait été diffusée en 1945 par la BBC et donnée à Bruxelles par des chœurs qui avaient répété clandestinement; 12 Danseuse étoile au firmament où elle reconnaît certes que la première consécration d’une danseuse étoile a eu lieu le 1 er mars 1940, donc avant l’instauration du régime de „Vichy“, mais elle l’inclut dans l’„héritage“ avec l’argument curieux que les „étoiles font partie de la symbolique et de l’esthétique de Vichy. Le maréchal Pétain, de par sa fonction, n’est-il pas lui-même porteur de sept étoiles? “ (96); Les héros de l’histoire revisités (en particulier Jeanne d’Arc, tout autant d’ailleurs revendiquée par la Résistance, comme on peut le constater dans de nombreux poèmes d’Aragon); Le film en couleur où elle affirme que „la projection du premier film en couleur et la commercialisation des premières pellicules photo couleur relèvent de l’occupant. La société Agfa qui les produit est allemande“ 13 (109), alors que la première représentation d’un film en couleur (Technicolor) a eu lieu en France le 4 octobre 1935: Becky Sharpe de Rouben Mamoulian; Le film d’animation; Le déploiement de la cinémathèque française (créée comme association loi 1901 en 1936, mais „autorisée à poursuivre ses activités“ après l’armistice, 116); La formule d’emploi des sulfamides; Des autostrades aux autoroutes. Pour ce qui est de la fiche Changer de nom sous Vichy (19), la loi „signée par Laval le 17 décembre, et parue le 9 janvier 1943“ suspend „la procédure du changement de nom“ qui sera rétablie après la Libération, il ne s’agit donc pas là de „mesure toujours en vigueur“, mais exactement du contraire. De même la carte nationale d’identité qui existait depuis 1921 sans être obligatoire et qui à partir de „la loi de l’automne 1940“ „possède un ‚caractère obligatoire‘“, est redevenue facultative. Cécile Desprairies considère que c’est par „anglophobie“ que la ligue française de rugby à XIII (sport ouvrier) a été dissoute par Carcopino et ce sport interdit, 155 DDiscussion mais comment expliquer alors le soutien au rugby à XV (sport de l’élite) qui est tout autant „d’origine anglo-saxonne“ (190)? Bon nombre de fiches concernent l’influence allemande, comme Heure d’hiver, heure d’été qui impose à la France l’heure de Berlin (36), et selon Cécile Desprairies diverses habitudes alimentaires: Le retour aux eaux minérales, „coutume germanique“ (53-55), 14 la suppression du diplôme d’herboriste („L’herboristerie devient une affaire allemande, et l’occupant fournit la liste des ‚plantes autorisées‘“) et l’habitude des tisanes, du „viandox“ et autres „boissons chaudes“ (56), L’huile de pépins de raisins (69), La saccharine, édulcorant de synthèse (76), et plus curieusement Fromage fondu et pâte à tartiner fromagère (71), alors que le créateur de la Vache-qui-rit est Suisse et que Léon Bel a repris pour le nom de son fromage depuis 1921 un dessin de Benjamin Rabier créé pour les camions militaires de ravitaillement français (les poilus parlant de la „Wachkyrie“ opposée à la „Walkyrie“ apposée sur les camions ravitailleurs allemands pendant la Première Guerre mondiale). 15 L’archéologie allemande a certes inspiré „de l’aveu de son instigateur Carcopino“ (106) Un statut pour l’archéologie, mais il est cependant étrange que Cécile Desprairies mette au crédit du développement de l’archéologie grâce aux „lois Carcopino“ la „découverte de la grotte de Lascaux [ ] en mai 1941“, alors qu’elle a été faite par hasard en septembre 1940 par un jeune garçon à la recherche de son chien. 16 Dans les fiches La police nationale et Des GMR aux CRS, Cécile Desprairies souligne que „le modèle allemand est prégnant“ jusque dans l’uniforme et l’orchestre, mais ses remarques sur „l’étatisation des polices“ avant, pendant et après ‚Vichy‘ ne sont pas très claires, et elle passe bien vite des GMR de ‚Vichy‘ aux CRS de 1944 17 (158-160). Dans Normalisation et norme AFNOR elle indique certes que c’est en Allemagne que „le premier comité des normes de l’industrie a été créé, en 1917», donc bien avant l’instauration du Troisième Reich, mais bien que l’AFNOR ait été créée en France en 1926, elle considère que „l’arrêté du 24 mai 1941 signe la véritable date de naissance de l’AFNOR“ et que ce serait donc un „héritage de Vichy“, alors que, comme bien d’autres institutions, il s’agit du développement de ce qui existait déjà et continuera d’exister ensuite. Tout en rappelant les „mouvements régionalistes“ de la fin du XIX e siècle et la création des régions économiques en 1919 par Etienne Clémentel (précurseur également de la planification économique et des organisations professionnelles et adversaire de Pierre Laval dans les années trente), Cécile Desprairies détecte pourtant dans Le préfet régional et la création des régions l’influence du géographe Walter Christaller sans en donner de preuve, „mais il est permis de le penser“, dit-elle. 18 Et alors que le statut de Cartographe comme créateur remonte à la convention de Berne de 1886, elle y voit l’„influence allemande“ (174). Cette influence serait plus recevable pour Le handball, sport allemand ou Le certificat prénuptial ou même Massage et kinésithérapie. 156 DDiscussion Ainsi que pour la fiche Le Code de la route: en effet même si on propose en France un „code de la route et du roulage“ dès 1828 et que le premier „code de la route“ y date de 1921, il y avait peu de panneaux indicateurs, et c’est à travers le VOBIF (Verordnungsblatt der Militärbefehlshaber in Frankreich) qu’est imposée une nouvelle signalisation routière: on remplace les „panneaux écrits en français, incompréhensibles pour l’occupant“, par exemple la pancarte en français „sens interdit“ par le disque rouge barré de blanc, avec „schémas à l’appui, sur près de cinquante pages“ (222). 19 Et en 1941, puis 1942 le „Journal officiel recopie [ ] le Vobif “ (224). Mais il est exagéré de mettre au compte des occupants et de ‚Vichy‘ le tracé du „périphérique“ („suivant les plans établis sous Vichy“, 235) qui, avant et après la guerre, ne peut que suivre celui de l’ancienne enceinte des fortifications. Ce qui relève plus de l’„héritage de Vichy“, c’est La réorganisation des transports parisiens (230) qui fusionne le réseau d’autobus et le métro parisiens, c’est peut-être L’agrégation de géographie (128), même si elle avait déjà été réclamée par Ludovic Dupeyron au XIX e siècle 20 et bien que des géographes comme Théodore Lefebvre, Jacques Ancel, René Musset ou Henri Baulig aient été emprisonnés ou tués par les nazis, que d’autres durent se réfugier à l’étranger comme Jean Gottmann, 21 et que certains passèrent d’Uriage 22 à la Résistance comme Paul- Henry Chombart de Lauwe. 23 Mais même cette création de l’agrégation en 1943 s’insère dans un développement antérieur qui se prolongera après guerre: „L’intérêt pour les méthodes actives en géographie s’inscrit dans un mouvement de plus longue durée, fortement impulsé sous le Front populaire. Du côté de la géographie universitaire, pendant la guerre et dans l’après-guerre, nombre de géographes jouent un rôle important dans les organismes de conseil, de planification, de reconstruction. Si l’on ajoute à cela la renommée mondiale de l’Ecole française de géographie, on comprend que ce qui était au départ l’instrumentation de la géographie au service de l’idéologie pétainiste se soit transformé en promotion de la géographie scolaire et de la géographie universitaire.“ 24 Outre la création de La fonction de président-directeur général (146) peut-être inspirée de l’Allemagne, relève vraiment de „l’héritage de Vichy“ celle des ordres - des médecins (150), des architectes (152), des experts comptables (154) - qui correspondent alors à l’idéologie corporatiste du gouvernement de Pétain et qui appliquent tous la politique d’exclusion des juifs et des étrangers du régime. Ils sont réformés après 1945, mais demeurent. C’est aussi „le retour des congrégations“ (31). C’est la „réorganisation de la vie dans l’entreprise“ (139), fondée sur la „Charte du Travail“, 25 mais dont „l’échec est tellement patent qu’il met en évidence a contrario la réussite, on le sait, d’un autre dispositif, beaucoup plus résiduel, de la Charte, celui des comités sociaux d’entreprise“, 26 ces comités sociaux d’établissement (143-144) qui subsisteront - à ce sujet Cécile Desprairies évoque un „service médical et social du travail“ inspiré par „une instance similaire dans l’Allemagne nazie, l’Ausschuss für öffentliche Sicherheit“ qu’elle traduit par „Comité sur la santé publique“ (au lieu de „sécurité publique“). C’est La fondation de l’hôpital public (198-199), L’autorisation de mise sur le marché pour un médicament (203- 157 DDiscussion 204), 27 La médecine du travail (200), fiche où Cécile Desprairies assure qu’„une nouvelle profession est née“, ce qui n’est pourtant pas un „héritage de Vichy“, 28 mais l’inscription dans la loi d’un corps de doctrine élaboré dans les années trente. ‚Vichy‘ a cependant, même si cette politique a, elle aussi, commencé dans les années trente et en particulier sous le Front populaire, entrepris une politique sociale et familiale 29 avec une première notion de salaire minimal (alors que „les salaires sont bloqués et contrôlés par l’occupant“; 145), L’extension des allocations familiales (25) ou La protection maternelle et infantile (214), „validées à la Libération“ (27). Mais pour les femmes mariées, si la loi de 1940 supprime celle de 1938 qui leur permettait de travailler, celle de 1942 se contente (par nécessité) de reprendre „l’essentiel des dispositions de la loi de février 1938“ (140), il ne s’agit donc pas vraiment d’un „héritage de Vichy“, d’autant plus qu’il ne faut pas oublier „la violence spécifique de la politique du régime à l’égard des femmes due, en grande partie, à leur désignation collective comme élément clé de la déchéance et de la régénération nationales“. 30 Ce n’est pas non plus „un héritage de Vichy“ que le „numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques“ (163) développé pour d’autres raisons dès 1934 par René Carmille 31 et qui deviendra le numéro de sécurité sociale toujours en vigueur aujourd’hui. Quant aux lois contre l’alcoolisme - La nouvelle place des apéritifs (59) avec l’interdiction des apéritifs titrant plus de 16 degrés, La fin du bouilleur de cru (62), Vers la fin des cafés (80) - le gouvernement de Pétain s’y emploie au nom du combat contre „la décadence nationale“ (60), 32 alors que c’est pour des raisons de „santé publique“ que luttait la III e République avec par exemple l’interdiction de l’absinthe. La continuité, là, n’est qu’apparente - et il ne faut pas oublier que l’occupant allemand s’employa à transporter en Allemagne les plus grands vins, les champagnes, les cognacs et autres alcools et que des „Weinführer“ étaient chargés d’en vendre dans le monde entier au profit de l’Allemagne pour financer la guerre. 33 C’est aussi une fausse continuité que le titre de la fiche Du Centre Alexis Carrel à l’INED suggère, contre laquelle Henri Wallon s’était déjà élevé en 1947. 34 Dans les deux fiches sur l’alpinisme et „la montagne pour tous“ (185), 35 il est dit que la station de Courchevel a été créée par ‚Vichy‘: en réalité, même si un rapport de 1942 du Commissariat Général à l'éducation générale et sportive (CGEGS) s’intéresse au site des Trois Vallées (déjà envisagé comme domaine skiable dans les années 20), c’est en 1946 que le Conseil général du département de la Savoie avec Pierre de la Gontrie et Pierre Cot a réalisé, pour rendre la montagne accessible au plus grand nombre, le projet d’aménagement des Trois Vallées, développé de mémoire pendant sa captivité dans un oflag par l’urbaniste et architecte Laurent Chappis, 36 et la construction de la station de Courchevel (en partie financée par les „dommages de guerre“ payés par l’Allemagne). 158 DDiscussion Dans son introduction, Cécile Desprairies parle d’une „réinvention du quotidien“ dans cette „période effervescente“ (13) entre 1940 et 1944, ce qui semble une vue un peu optimiste et guillerette sur ces années-là. Plus qu’une analyse de l’héritage administratif de ‚Vichy‘ qui était un sujet pertinent, et malgré des passages intéressants, c’est souvent plutôt un magasin pittoresque où se mêlent, avec pas mal d’approximations, anecdotes et belles images: certains y retrouveront peut-être des souvenirs d’enfance, mais ceux qui ont crié à la révélation manquaient sans doute de mémoire - ou de lectures. 1 Préface d’Emmannuel Le Roy Ladurie, Paris, Armand Colin, 2012, 256 pages. 2 Libération, 19 octobre 2012: „Maréchal, nous y revoilà! “ 3 Certes les premières études sur cette période ont été consacrées surtout aux lois criminelles du gouvernement de Pétain, aux persécutions contre les francs-maçons, les juifs et les communistes, à la répression contre la Résistance, à la collaboration, au STO, à la politique raciale, à la ‚solution finale‘, mais l’affirmation répétée dans la presse que ce livre de Cécile Desprairies mettrait mal à l’aise les historiens qui n’auraient pas fait ce travail sur l’histoire administrative et la vie quotidienne, ne tient pas, si l’on considère tous les livres d’historiens parus sur ces questions depuis les années 1990 (certains avec des titres analogues à cette Une de Libération, comme, de Jean-Pierre Le Crom, Syndicats, nous voilà! Vichy et le corporatisme, Paris, éditions de l’atelier, 1995, ou Au secours, Maréchal! L’instrumentalisation de l’humanitaire [1940-1944], Paris, PUF, 2013) et les nombreux colloques sur ces sujets (voir par exemple les actes du colloque publiés sous la direction de Jean-Pierre Azéma et François Bédarida, Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, ceux du colloque de Bayeux de la Fondation Charles de Gaulle, de la FNSP et de l’Association française des constitutionnalistes, Le rétablissement de la légalité républicaine, Bruxelles, Complexe, 1996, ou le petit livre, paru la même année, de Marc-Olivier Baruch, Le régime de Vichy, Paris, La Découverte, 1996, qui évoquait également la „modernisation“ en cours et la vie quotidienne des Français sous Vichy avant sa thèse Servir l’Etat français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997), pour la plupart absents de la bibliographie. Voir les notes suivantes, passim. 4 Cf. Jorge Amat et Denis Peschanski, Maréchal nous voilà? La propagande sous Vichy (1940-1944), 63 minutes, Compagnie des Phares et Balises, 2008. 5 Intitulés: I. Vie quotidienne, II. Alimentation, III. Culture, IV. Education, V. Métiers, VI. Pratiques sportives, VII. Santé, VIII. Equipements et transports. 6 Dans l’introduction Cécile Desprairies les réduit à 68 qui perdurent sur les 16786 lois et décrets promulgués entre 1940 et 1944, chiffres indiqués par Jean-Pierre Le Crom dans son article fondamental: „Droit de Vichy ou Droit sous Vichy? Sur l’historiographie de la production du droit en France pendant la Deuxième Guerre mondiale“, in Histoire @Politique. Politique, culture, société, 9, septembre-décembre 2009, www.histoire-politique.fr. 7 Même si C. D. cite souvent Souvenirs et solitude de Jean Zay, il est un peu macabre de voir tant de dispositions imaginées et préparées par Jean Zay et son ministère de l’éducation nationale, des beaux arts, de la recherche, des sports et des loisirs, attribuées à l’„héritage de Vichy“, si l’on se souvient que Jean Zay, condamné par la justice de l’état pétainiste à la „déportation à vie“, puis emprisonné à Riom, fut enlevé et assassiné par la 159 DDiscussion Milice au puits du Diable, aux Malavaux près de Cusset, cf. Olivier Loubes, Jean Zay. L’inconnu de la République, Paris, Armand Colin, 2012. 8 P. ex. pour les allocations familiales, les assurances sociales, la médecine préventive, le carnet de santé, la médecine du travail, la podologie, l’INAO et les AOC dont l’initiative remonte à 1935 avec le comité national des vins et des eaux de vie, comme Cécile Desprairies le signale elle-même („En 1936 paraissent les premiers décrets d’AOC [ ]. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, plus de 200 sortes d’AOC sont classées“, 64), l’AFNOR, le Centre d’études des problèmes humains, la Réunion des théâtres lyriques nationaux, la pratique collective de la musique, la cinémathèque française, l’éducation physique, les colonies de vacances et leur personnel d’encadrement, la présomption d’irresponsabilité des mineurs, l’enseignement des langues vivantes, l’organisation de l’archéologie, le droit de préemption des musées, le statut de l’auteur, le meilleur ouvrier de France institué par Albert Lebrun, le plan d’aménagement de la région parisienne et le „Grand Paris“, le programme de construction d’autoroutes ou du périphérique etc. 9 L’accouchement anonyme qui remonte à 1793 ou même au „tour“ du XVII e siècle, la Statistique générale de la France à 1840, le Cercle de la librairie à 1847, la Réunion des Musées Nationaux à 1895, la „retraite des vieux“ au vote de 1910, la cantine d’entreprise à 1913, les premiers projets de lois sur les régions aux années 20, la fête des mères à 1920, le Club alpin à 1874. 10 Le Crom, op. cit., 5. Il faut aussi se souvenir que les administrations sous Pétain restaient, malgré la „juilletisation“ de 1940 et les mesures anti-juives et antimaçonniques, en partie les mêmes qu’avant 1940, et donc pas forcément pétainistes ou collaborationnistes, se contentant parfois de gérer le quotidien avec diverses marges de manœuvre, cf. là-dessus Nathalie Carré de Malberg, „Les fonctionnaires (civils) sous Vichy: essai historiographique“, in: Histoire@Politique, 2, 2007, www.histoire-politique.fr, et François Bloch- Lainé / Claude Gruson, Hauts fonctionnaires sous l’occupation, Paris, Odile Jacob, 1996 qu’elle cite en exergue: „Il y avait pour tous des échappatoires qui n’impliquaient pas nécessairement la démission totale. Rares étaient les situations dans lesquelles on ne pouvait ni esquiver ni refuser sans sacrifier ses moyens d’existence [ ]. Il suffisait le plus souvent d’être prêt à se faire mal voir, à être éloigné des tâches importantes, à ne plus ‚avancer‘“ (133). Il y eut entre autres aussi le réseau NAP (Noyautage des administrations publiques) et même le corps préfectoral largement ‚purgé‘ par l’Etat français compta des résistants, cf. Arnaud Benedetti, Un préfet dans la Résistance, Paris, CNRS, 2013. Voir aussi l’étude de „ces gens qui essaient de concilier morale et dureté des temps“, Choices in Vichy France, faite en 1986 par John F. Sweets, parue en français sous le titre Clermont-Ferrand à l’heure allemande, Paris, Plon, 1996, par exemple: „Bref, grâce au coup de main de nombreux fonctionnaires, d’agents de différents services et à l’aide de la population locale, grâce aussi à leur détermination à ne pas se laisser piéger, la plupart des juifs d’Auvergne qui auraient dû être déportés échappèrent à ce destin“ (136). 11 Cf. Jean-Pierre Le Crom, L’avenir des lois de Vichy, in: Bernard Durand / Jean-Pierre Crom / Alessandro Somma (ed.), Le droit sous Vichy, Francfort sur le Main, Klostermann, 2006 (coll. Das Europa der Diktatur, 13). Notons que si cet article de J.-P. Le Crom est cité plusieurs fois par C. D., la référence à ce volume, issu d’un colloque organisé à Blankensee près de Berlin en 2004, manque dans la bibliographie (248). 12 On pourrait aussi citer Roger Désormière, „ardent défenseur de la musique française contemporaine“, qui continua d’être chef d’orchestre à l’Opéra comique sous l’occupation tout en faisant partie du mouvement de Résistance „Front national des musiciens“ et en sauvant par exemple de la saisie par les nazis des tableaux et des biens de Darius Mil- 160 DDiscussion haud, forcé d’émigrer en tant que „juif“ et „artiste dégénéré“. La poursuite de la création artistique sous Vichy et l’occupation n’est pas uniquement le fait de „collabos“. Il y a certes eu „une mise au pas de la production littéraire“ et un „enrôlement d’écrivains et d’intellectuels français dans le dispositif de la propagande nationale-socialiste“, comme l’a montré Gérard Loiseaux dans La littérature de la défaite et de la collaboration, Paris, Fayard, 1995 (série „Pour une histoire du XXème siècle“), mais il y a eu également, outre une production artistique clandestine (cf. François Eychart / Georges Aillaud, Les Lettres françaises et les Etoiles dans la clandestinité 1942-1944, Paris, Le cherche midi, 2008) et celle des camps (cf. entre autres Mechtild Gilzmer, Fraueninternierungslager in Südfrankreich, Rieucros und Brens 1939-1944, Berlin, Orlanda, 1994 ou Germaine Tillion, Le Verfügbar aux Enfers: une opérette à Ravensbrück, Paris, La Martinière, 2005, jouée encore en 2013 à Paris à la crypte Saint-Sulpice), une résistance intérieure et un double jeu possible des artistes souvent compris par le public, comme on peut voir dans l’exposition L’art en guerre. France 1938-1947 dont l’une des commissaires, Laurence Bertrand Dorléac, a publié L’art de la défaite 1940-1944, Paris, Seuil, 1993 (réédité en 2010 et 2012). 13 Elle oppose à Agfa „l’invention de la pellicule couleur par l’américain Kodakchrome“ (110), en réalité il s’agit de la firme Kodak, qui a inventé la diapositive couleur „Kodachrome“. 14 Mais la remarque „Après 1944, il ne sera plus possible de commander un ‚quart Vichy‘ comme auparavant, ni de suçoter les pastilles éponymes de la même façon“ (55) est plutôt incompréhensible, ni la ville de Vichy, ni ses eaux ou ses pastilles ne sont responsables du lieu d’installation du gouvernement de Pétain, et le combat de la ville de Vichy et des Vichyssois pour qu’on parle de „dictature de Pétain“ plutôt que de „régime de Vichy“ se poursuit (voir la énième proposition de loi à ce sujet du député Gérard Charasse du 10 octobre 2012)! 15 Comme le rappelle Laurent Dispot, La Walkyrie, La Vache qui Rit, la place Tahrir, in: La Règle du Jeu, 14 juin 2011. 16 Sur l’influence en France des archéologues allemands majoritairement membres du parti nazi cf. Laurent Olivier, Nos ancêtres les Germains. Les archéologues au service du nazisme, Paris, Tallandier, 2012. Cf. aussi Jean-Pierre Legendre / Laurent Olivier / Bernadette Schnitzler (ed.), Le sang et le sol: l'archéologie nazie en Europe de l'Ouest, Paris, Infolio, 2007. L’exposition Graben für Germanien. Archäologie unterm Hakenkreuz du 10 mars au 8 septembre 2013 à Brême dans le Focke-Museum et son catalogue, Theiss- Verlag, 2013 a rouvert ce dossier toujours brûlant, comme certains refus de prêts l’ont révélé; cf. Frank Keil, „Durcharbeitung ‚Graben für Germanien - Archäologie unterm Hakenkreuz‘ - eine wegweisende Ausstellung im Bremer Focke-Museum“, in: Berliner Zeitung, 66, 19.03.2013, 24. 17 Pour éclaircir cette question complexe, voir la thèse de Marc-Olivier Baruch, Servir l’Etat français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997, citée dans la bibliographie de C. D. Voir également celle d’Alain Pinel, Une Police de Vichy: Les groupes mobiles de réserve (1941-1944), Paris, L’Harmattan, 2004, ainsi que Jean-Marc Berlière / Denis Peschanski (ed.), La police française (1930-1950). Entre bouleversements et permanences, Paris, La Documentation française, 2000; Jean-Marc Berlière (avec Jean-Marc Chabrun), Les policiers français sous l’Occupation d’après les archives inédites de l’épuration, Paris, Perrin, 2001 et Jean-Marc Berlière, „La loi du 23 avril 1941 portant organisation générale des services de police en France“, in: Criminocorpus. Re- 161 DDiscussion vue hypermédia, Histoire de la police, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2008, URL: http: / / criminocorpus.revues.org/ 271; DOI: 10.4000/ criminocorpus.271. 18 Cécile Desprairies reproduit une carte venue d’un fonds privé (collection B. Fousse) qu’elle attribue à Walter Christaller sans en donner la source (172). 19 Il faut dire que les nazis avaient une forte activité sémiotique, comme les tableaux pour l’identification des prisonniers des camps le montrent avec les triangles rouges, noirs, verts ou roses marqués d’initiales et parfois combinés avec les étoiles jaunes, tableaux exposés dans divers lieux de mémoire ou musées, comme Topographie des Terrors. Gestapo, SS und Reichssicherheitshauptamt auf dem „Prinz-Albrecht-Gelände“. Cf. Léon-Ernest Halkin, À l'ombre de la mort, Bruxelles, Pauli, 2 1965 (première édition: Paris, Castermann, 1947): „Le premier contact avec nos aînés nous remplit de stupeur: ces prisonniers, qui portent le domino à lignes verticales bleues et grises, sont squelettiques, avec sur le visage des traces de coups, noires ou rouges. Accablés sous une charge invisible, ils sont ce que nous allons être. Chacun porte sur la poitrine un triangle de couleur, son numéro et l'initiale de sa nationalité. Le triangle est rouge pour les prisonniers politiques, vert pour les prisonniers de droit commun, rose pour les homosexuels, noir pour les ‚asociaux‘; les Juifs, en outre, avaient un insigne jaune. Je remarque beaucoup de Polonais et de Russes, des Norvégiens, des Tchèques, quelques Français. Cette bigarrure de races représente bien l'Europe dévastée et meurtrie; cet extraordinaire mélange de toutes les nations est un résumé vivant de notre histoire“ (106-107). 20 Cf. Olivier Dumoulin, „A l’aune de Vichy, la naissance de l’agrégation de géographie“, in: André Gueslin (ed.), Les Facs sous Vichy, Actes du colloque de Clermont- Ferrand, Clermont-Ferrand, Presses de l'Université de Clermont-Ferrand, 1994, 23-38. Cf. l’étude détaillée de Jean-Pierre Chevalier, Éducation géographique et Révolution nationale. La géographie scolaire au temps de Vichy, in: Histoire de l’éducation, 113, 2007, 69-101. 21 Jean-Pierre Chevalier, op. cit., 92. 22 L’école de cadres d’Uriage (dans les Alpes, après avoir d’abord été installée au château de la Faulconnière, près de Gannat, jugé trop proche de Vichy) fondée en août 1940 par Pierre Dunoyer de Segonzac pour la rénovation de la France, avec le soutien du maréchal Pétain, est dès 1941 prise entre deux feux, car les stagiaires d’Uriage sont contre la collaboration et la politique de Pierre Laval. Nombre d’entre eux s’engageront dans la Résistance et joueront un rôle important après la Libération, comme Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde. 23 Jean-Pierre Chevalier, op. cit., 94. 24 Ibid., 101. 25 Voir à ce sujet Jean-Pierre Le Crom, „Droit de Vichy ou Droit sous Vichy? “, op. cit., 3 et surtout le livre (issu de sa thèse) de Jean-Pierre Le Crom, Syndicats, nous voilà! Vichy et le corporatisme, op. cit., ainsi que Philippe-Jean Hesse / Jean-Pierre Le Crom (ed.), La protection sociale sous le régime de Vichy, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001 (collection „Histoire“). 26 Jean-Pierre Le Crom, „Droit de Vichy ou Droit sous Vichy? “, op. cit., 3. 27 Mais il est curieux qu’elle souligne deux fois - dans le texte et sous une illustration - que „le laboratoire français Rhône-Poulenc, via sa filiale Specia, s’est ainsi associé à l’allemand Bayer pour fabriquer et commercialiser l’aspirine“ (204), comme si c’était un „héritage de Vichy“, alors que l’aspirine est commercialisée par la Société chimique des usines du Rhône depuis 1908 et qu’en juin 1919 la marque Aspirine et sa fabrication tombent dans le domaine public comme prise de guerre à la suite du Traité de Versailles. 162 DDiscussion 28 Sans remonter au Rapport Villermé de 1840, rappelons que les premiers instituts de médecine du travail sont créés à Lyon en 1930, à Paris en 1933 et en 1935 à Lille, que Guy Hauser organise en 1937 les premières journées internationales de pathologie et d’organisation du travail sous le patronage commun du syndicat (la CGT) et du patronat (la CGPF), tandis qu’un décret du 7 juillet 1937 crée un corps de médecins conseils de l’inspection du travail. La loi du 25 juillet 1942 reprend une circulaire du 1er juin 1940 (donc avant le régime de Pétain), elles sont toutes deux inspirées par le docteur René Barthe, cf. actualité et dossier en santé publique, 9, décembre 1994, IV-XIII. 29 Voir sur ce sujet deux livres également absents de la bibliographie: Michèle Bordeaux, La victoire de la famille dans la France défaite, Paris, Flammarion, 2002 et Marc Boninchi, Vichy et l’ordre moral, Paris, PUF, 2005. 30 Cf. Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil, 1996, 95. 31 Ce numéro avait été proposé dans les années trente par René Carmille, pionnier de l’usage des cartes perforées, pour rendre plus efficace la conscription. Puis après 1940 il l’utilisa pour permettre une mobilisation clandestine sous couvert d’un service de la démographie. Et donc lorsque ce numéro fut attribué non plus seulement aux hommes mobilisables, mais à chaque personne, on y ajouta un 13 ème chiffre pour distinguer les sexes: 1 pour homme et 2 pour femme. Les occupants voulaient ajouter 3 pour „homme juif“, 4 pour „femme juive“, 5 pour „homme tzigane“ et 6 pour „femme tzigane“, ce qui ne fut pas appliqué par René Carmille. Membre du réseau de résistance „Marco Polo“, arrêté et interrogé par Klaus Barbie, il fut déporté à Dachau et n’en revint pas. 32 Cf. Marc Boninchi, op. cit., 237sq. 33 Cf. Don Kladstrup / Petie Kladstrup, Wein und Krieg. Bordeaux, Champagner und die Schlacht um Frankreichs größten Reichtum, Stuttgart, Klett-Cotta, 2002, 85-86. 34 Cf. Francine Muel Dreyfus, La rééducation de la sociologie sous le régime de Vichy, in: Actes de la recherche en sciences sociales, 153, 2004, 65-79. 35 Outre l’article d’Alice Travers cité par Cécile Desprairies, voir le livre qu’elle consacre à ce sujet: Alice Travers, Politique et représentations de la montagne sous Vichy: La montagne éducatrice 1940-1944, Paris, L’Harmattan, 2001. 36 „Courchevel a été lancé par des gens qui étaient des résistants. Le préfet Coldefy rentrait de déportation, le président du conseil général, Pierre de la Gonterie [sic], était parti en Algérie, Pierre Cot, un crypto-communiste, avait aussi des idées de gauche, et moimême, j’ai passé une bonne partie de ma captivité en baraque de représailles suite à des tentatives d’évasion. Ça forge quand même un caractère, c’est une expérience inouïe dans une vie! En tout cas, il est certain que même aujourd’hui, il reste des tas de choses à faire pour l’avenir de la montagne. Mais il ne faut pas continuer à perfectionner la bougie en croyant qu’on va découvrir l’électricité! Or en ce moment, on perfectionne la bougie Alors qu’à mon avis, c’est avec la montagne humaniste qu’on doit découvrir l’électricité“ (Entretien avec Laurent Chappis, in: L’Alpe, 51, 2009). Cf. aussi Philippe Revil, L’anarchitecte Laurent Chappis, rebelle de l’or blanc, Chamonix, Guérin, 2002 et Laurent Chappis, Ma montagne: du rêve à la réalité, Fondation pour l’action culturelle internationale en montagne, 2003-2009.