eJournals lendemains 42/166-167

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Narr Verlag Tübingen
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2017
42166-167

„La langue est Mère“, „le fantasme réalité“

2017
Françoise Rétif
ldm42166-1670030
30 Dossier Françoise Rétif „La langue est Mère“, „le fantasme réalité“ Hélène Cixous / Cécile Wajsbrot: Une autobiographie allemande Une autobiographie allemande: l’expression surprend à plus d’un titre. Comment quelqu’un qui n’a jamais vécu en Allemagne peut-il concevoir une „autobiographie allemande“? Cette autobiographie apparaît de surcroît, du fait de l’emploi de l’article indéfini, comme un récit parmi d’autres proposé par une écrivaine qui se dit „le résultat de plus d’un pays natal“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 16) et qui ne croit pas, en adepte du postmodernisme, à l’identité homogène. Il s’agit donc de l’„une de [s]es autobiographies“ (ibid.: 21). Le terme autobiographie est par ailleurs lui-même sujet à caution dans la bouche d’une femme de lettres qui ne fait guère de différence entre biographie et fiction. À Frédéric-Yves Jeannet qui lui demande, dans un entretien publié dix ans auparavant sous le titre de Rencontres terrestres: „Vous diriez quand même que c’est de plus en plus autobiographique, que vous vous rapprochez des faits réels? “, Hélène Cixous répond en effet: „,Autobiographique‘ est un mot que j’évite. Je l’ai toujours été, ni plus ni moins que Montaigne et que tout littérateur. ,L’auto‘ est toujours déjà autre, la traduction a toujours déjà commencé. Tout part de l’expérience du sujet, ce que Montaigne a instauré franchement dans la littérature française“ (Cixous/ Jeannet 2005: 30). Si la fiction est par essence autobiographique, l’autobiographie sera-t-elle fiction, autofiction? Pourquoi recourir ici à un mot sinon évité? La question guidera notre enquête, mais de prime abord il est clair que nous sommes là bien éloignés du ‚pacte autobiographique‘ tel que le définit Philippe Lejeune. Cette autobiographie paradoxale est tout d’abord le résultat d’une rencontre, la rencontre avec l’écrivaine Cécile Wajsbrot, par ailleurs amie de Frédéric-Yves Jeannet. Celle-ci explique dans la préface que l’idée lui était venue de faire avec Hélène Cixous un entretien qui devrait par la suite servir de prétexte à la venue de la célèbre écrivaine à Osnabrück, la ville natale de sa mère, où elle n’était encore jamais allée. Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot se rendirent en effet dans cette ville en avril 2015, alors que la première partie de l’entretien (réalisée entre mai et novembre 2012) était parue dans la revue allemande Sinn und Form (numéro du mars-avril 2014). La seconde partie de l’entretien eut lieu entre avril 2013 et mai 2014. Le livre qui porte le titre d’„autobiographie allemande“ retranscrit l’ensemble de l’entretien. Il s’agit d’une conversation à distance, sous forme d’échange de courriels, marquée par une double rupture, de nature et d’importance incomparables: la rupture temporaire de l’échange fin 2012 et surtout, en son centre, la rupture représentée par la mort de la mère d’Hélène Cixous, en juillet 2013. La ville d’Osnabrück, dont toute la lignée familiale maternelle, la famille Jonas, 1 est originaire, joue un rôle central dans le texte. Hélène Cixous a un rapport complexe à cette ville: la première fois qu’elle écrit sur Osnabrück, dans un livre ayant le nom de la ville pour titre, c’est sans y être allée; et 31 Dossier pourtant l’ouvrage Osnabrück revêt une importance de premier ordre pour comprendre le rapport de l’Allemagne à l’écriture en général, et à l’autobiographie en particulier. Vient ensuite „une réflexion à deux vieilles voix“, Benjamin à Montaigne (2001), à propos du voyage de sa mère et de sa tante à Osnabrück sur invitation de la ville désirant ‚renouer‘ avec les Juifs survivants de l’exil ou de la Shoah. Mais ce ne sera qu’en 2016, l’année allemande, comme elle la nomme, que Cixous racontera dans Gare d’Osnabrück à Jérusalem son propre voyage, le premier dans cette ville, sans sa mère, décédée, un voyage organisé par Cécile Wajsbrot et Andrea Grewe. 2 Il fallut la sollicitation de Cécile Wajsbrot (et/ ou le prétexte de l’entretien publié) - et que la mère fût morte? - pour que le voyage ait lieu. „Cécile [Wajsbrot] est venue me chercher. Elle s’en explique. Mais ce geste me reste inexplicable, comme l’est l’amitié même. Nous sommes re-mis aux mondes, portés, poussés, rappelés par des forces invisibles et très puissantes, des sortes d’anges qui commandent nos voyages intérieurs“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 15sq.). Seuls l’amour de la littérature et la foi en ses potentialités président au pacte: „Il y eut, entre Cécile et moi, un pacte qui n’a jamais fait loi, suscité par l’amour de la littérature et ses corollaires: l’amour de l’autre, le goût vital de la mémoire et l’espoir de la résurrection“ (ibid.: 16). Ce qui se nomme „autobiographie“ est donc le résultat d’une écriture conjointe (même si elle est déséquilibrée) prenant son origine dans les questions et sollicitations, dans l’intérêt de l’autre - grâce à la rencontre d’un „ange“, „quelque guide“ (ibid.: 30) qui partage avec le sujet/ objet de l’autobiographie un certain nombre d’affinités ou des expériences sinon similaires, du moins comparables. Sur „l’amitié“ qui lie les deux femmes écrivains, on n’apprend pas grand-chose. On peut cependant déduire du texte ce qui peut au moins en partie l’expliquer: les origines juives communes, un vécu lié à ces origines: un vécu direct dans le cas d’Hélène Cixous, et une „expérience par transmission“ (ibid.: 80) dans le cas de Cécile Wajsbrot - l’„expérience par transmission“ étant également fondamentale pour Cixous, mais d’une façon qu’il nous faudra préciser. Certains éléments de la vie d’Hélène Cixous sont connus: elle est née à Oran en 1937 d’une mère juive allemande, Ève Klein, ayant fui Osnabrück avant l’avènement du nazisme, en 1930, 3 et d’un père juif, le Dr. Georges Cixous, né à Oran, mort à Alger en 1948, 4 emporté par la tuberculose alors qu’Hélène était encore enfant, après avoir été interdit de profession et mis au ban de la société par les lois antisémites du régime de Vichy. Elle parle dans Une autobiographie allemande de: […] son expulsion hors de la société en octobre 1940 (la Société Française Blanche colonialiste impérialiste raciste xénophobe qui en ce temps-là occupait la presque-totalité de la société et qui se proclamait propriétaire de l’État et de la Nation de France), expulsion et excrétion hors de tout ce qui s’assemblait sous France, le nom devenu synonyme de violence (c’est-à-dire la mémoire, l’histoire, la culture, le patrimoine, le droit). Expulsion-bannissement ordonnée par le statut des Juifs qui, si nous avions été en ‚métropole‘, eût été suivie de déportation, mais qui, faute de moyens de transport, s’opérait sur place, si bien que du jour au lendemain nous fûmes foutus à la porte, mais il n’y avait pas de porte, il fallait donc devenir pestiférés sur place (ibid.: 77). 32 Dossier L’ensemble de la famille et les enfants en particulier subirent les conséquences du bannissement du père: […] nous avons eu, mon frère et moi, le droit de rentrer dans le jardin d’Éden dit Cercle militaire d’Oran quand mon père a été mobilisé en 39 (il était médecin lieutenant) j’avais deux ans et demi et j’étais archi-adulte, et dedans le paradis c’était l’enfer, la haine, l’exil, j’ai appris par les autres enfants que j’étais maudite et infâme (=juive) et tout de suite après, fin 40, nous avons été jetés hors jardin, hors terre, hors nationalité. […] C’est moi personnellement, avec mes trois ans et mes trois mille ans, qui ai été précipitée dans l’abîme. Or à l’expérience , directe‘ vient se mêler, mystérieusement, l’expérience par transmission: ce dont vous parlez, ce récit incertain et troublant (ibid.: 80). J’ai souffert brusquement de l’antisémitisme actif dès que nous avons été autorisés à être scolarisés. J’avais sept ans et j’ai senti que nous n’étions pas de cette communauté de ,Français‘ qui étaient seulement obligés, par les Américains et de Gaulle, de nous ,laisser passer‘ (ibid.: 73). De façon remarquable, l’antisémitisme est rapporté ici en priorité à la France, alors que l’écrivaine ne parle ni du nazisme ni de la Shoah qui ont menacé sa mère en Allemagne. „Algérie et Allemagne“ sont „[l]es deux pays“ de Cixous (ibid.: 17). Avec la France, elle se dit „très fâchée historiquement“ (Cixous 2016: 89): elle ne lui appartient pas, „cette sensation de non-appartenance est comme [s]a peau“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 95). C’est dans la langue française qu’elle se sent chez elle: „Je crois n’avoir jamais ,été en France‘, pleinement. Je suis en français […] - jamais, il en est ainsi, je n’ai fait l’expérience de la fusion avec ce pays. Sauf en littérature. Mais la littérature n’est pas ‚française‘“ (ibid.: 83sq.). Si Cixous n’a pas vécu en Allemagne, tous ses ancêtres du côté maternel sont originaires de ce pays, ce sont là les premiers éléments biographiques justifiant une autobiographie ‚allemande‘. Ces éléments sont documentés dans l’ouvrage autant par les photos que par le texte. On voit ainsi des portraits de l’aïeule, la grand-mère de la mère, Hélène Jonas (ibid.: 37), le grand-père de la mère, Abraham Jonas, le fondateur de la maison Jonas, commerce de cuirs, immortalisé le jour de son 80 e anniversaire (ibid.: 46), la grand-mère tant aimée d’Hélène, Omi, Rosi Klein, née Jonas, qui quittera Osnabrück au dernier moment, en 1938 (ibid.: 81), la mère et sa sœur (voir note 1), le père et la mère en voyage de noces au Maroc, en 1935 (ibid.: 72), le père enfin en 1939, en uniforme de médecin lieutenant (ibid.: 90). Une autobiographie allemande retrace la généalogie d’Hélène Cixous, l’arbre généalogique d’une Juive, figure inversée du ‚certificat de filiation‘ (‚Ahnenpass‘) que les Allemands devaient établir sous le nazisme pour prouver leur descendance aryenne. Cécile Wajsbrot est née à Paris en 1954. Depuis quinze ans, elle vit entre Paris et Berlin. Elle est issue d’une famille de Juifs polonais réfugiés en France, elle n’a pas connu la guerre, mais elle a fait sienne l’histoire familiale et s’est trouvée elle aussi très vite exilée en quelque sorte au sein d’une histoire nationale officielle en décalage par rapport à la réalité vécue. 33 Dossier Pour vous dire de nouveau les choses, si je suis née après la guerre, j’ai vécu très tôt mon enfance dans le récit familial de la guerre ou plutôt de la déportation, ma grand-mère m’ayant raconté ce qui était arrivé à son mari, convoqué par la police française en mai 41, déporté dans le camp de Beaune-la-Rolande avant de l’être à Auschwitz où il est mort, assassiné comme on dit aujourd’hui en Allemagne. M’ayant raconté les policiers français venus pour la rafle du Vel d’Hiv. Le récit familial s’opposait au récit collectif puisque, à l’époque, non seulement on ne parlait pas vraiment de l’extermination, mais tout ce qui se rapportait à ce sujet était attribué à l’Allemagne nazie - souvent à l’Allemagne tout court - et la France n’y avait officiellement pris aucune part. Cet abîme entre les deux récits, longtemps je n’ai pas su comment le combler, me réfugiant sans doute aussi pour cela dans le silence, l’absence de parole, et peut-être est-ce cet abîme que je cherche à franchir par l’écriture. (ibid.: 74sq.). Ses romans et essais disent la difficulté de vivre en conscience de l’expérience du bannissement et de l’extermination des Juifs, „l’injustice de devoir porter cela comme si nous en étions responsables, ou l’horreur, la culpabilité irrationnelle dont on ne peut se défaire“ (Wajsbrot 2005: 77): „j’étais seule à porter leur poids dans d’autres temps, comme si ma mission était de conserver leur inadaptation à la vie qu’ils menaient telle quelle, pour que d’autres générations l’endossent“ (ibid.: 51). Bien que née en France et écrivant en français, elle ne ressent pas le français comme sa langue maternelle, elle a „appris l’allemand au lycée pour comprendre le yiddish - comme le souhaitait [s]a grand-mère“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 63): Le français est ma langue maternelle mais celle de mes parents était le yiddish. (Ma mère a appris le français à l’école, mon père, qui n’est jamais allé en classe en France, l’a appris ,sur le tas‘ et le parlait avec un accent.) Pourquoi aussitôt ce mais? Parce que j’ai le sentiment d’une langue apprise, d’une langue d’école et non d’une langue affective. […] Dans mon enfance j’ai beaucoup entendu le yiddish - essentiellement par ma grand-mère (maternelle), dont le français était phonétique -, par mon père aussi - mais je ne le parle pas. […] Pourtant, à travers mon attachement à ma grand-mère, à travers ces chansons de l’enfance, à travers la cuisine et le nom de plats, j’ai le sentiment que ma langue affective est quand même le yiddish. Un peu comme une langue maternelle que je ne saurais pas parler. Et je suis dans un entre-deux de langues, non face à un trop-plein mais à un trop-vide. (ibid.: 63). La question des langues, du rapport aux langues, du plurilinguisme et de l’entre deux ou plusieurs langues est au centre du dialogue entre les deux femmes (et dans ce que Cixous dit de son rapport à la littérature). Et si ce dialogue est déséquilibré, Cécile Wajsbrot étant la questionneuse, c’est à propos de son rapport aux langues que sa langue se délie et qu’elle commence à faire part de son expérience personnelle. La dernière phrase de la citation ci-dessus est un écho à la „grande joie de langues“ qu’évoque Cixous quand Wajsbrot l’interroge sur son rapport comparé au français et à l’allemand et à une éventuelle „douleur des langues“ (Wajsbrot) due à „l’effondrement de la tour de Babel“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 40): […] ma vie a commencé dans une grande joie de langues. Un festin et force plaisirs et plaisanteries, c’étaient les langues qui m’enchantaient, rue Philippe à Oran. Je pourrais dire, sans exagérer, que les êtres chers de ma famille étaient porteurs de langues, chacun les siennes et que j’adorais le vol des accents dans la maison et les salves d’idiomes. Je crois 34 Dossier qu’enfant j’ai pu prendre le monde promis comme un réservoir de langues désirables. J’en garde quelque chose. J’ai passion, gourmandise, dès que je lis, pour les mots, les tournures, en toutes les langues. Je suis profondément plurilingue, et j’écris accompagnée d’une brigade de dictionnaires (ibid.: 40sq.). Hélène Cixous fait ici allusion à une situation familiale qu’elle partage avec des auteurs germanophones d’origine juive, par exemple Stefan Zweig ou Elias Canetti. Eux aussi décrivent des réunions familiales, des tablées rassemblant les membres dispersés de la communauté, de la diaspora, où les langues du monde se croisent et se répondent, même si, pour Canetti au moins, l’apprentissage de l’allemand fut beaucoup moins joyeux que pour Hélène Cixous. Le rapprochement est d’autant plus justifié que, si sa „chance familiale [fut] le plurilinguisme joyeux“ (ibid.: 73sq.), elle se déclare de langue maternelle… allemande! Bien qu’ayant „reçu“ le français „au moins deux fois, en don“ (ibid.: 67) par son „père d’abord, merveilleux artiste de la langue“, puis par sa mère, „une acrobate en langues“ (ibid.: 67sq.), „le français a toujours été une de [s]es langues étrangères chéries“ (ibid.: 74)… Ce n’est donc pas la langue dans laquelle est écrite toute son œuvre - encore faudrait-il nuancer cette assertion, car son œuvre est écrite dans une langue qui fait lien entre les langues, 5 parlons plutôt de la langue française telle qu’elle la travaille et la réinvente, entre autre dans la déconstruction des frontières linguistiques - ce n’est pas le français sa langue maternelle, mais l’allemand, ou du moins un certain allemand. Elle le dit à de nombreuses pages du texte: „je suis un cas: l’allemand est vraiment ma langue maternelle, par Omi [la grand-mère, FR] et ma mère. Ce qui signifie que je suis et ne suis qu’un, une, enfant, en allemand, de l’allemand“ (ibid.: 59): Cet allemand-enfant, cette première saveur, j’en ai joui: tous les mystères de la langue entendue avant la lettre, la pré-langue, j’ai encore en moi mes étonnements amusés, on a l’ouïe chatouillée par des mélodies pastiches, des simulacres, c’est l’origine de la poésie, du calembour, la trame sonore idiomatique […] (ibid.). La langue maternelle de Cixous, c’est l’allemand, l’allemand que sa mère et sa grand-mère (ainsi que les nombreux juifs exilés) parlaient en Algérie, dans les rues d’Oran. C’est une langue exilée, hors contexte, hors sol. Plus qu’une langue ‚maternelle‘, comme on dit en français, l’allemand est pour Hélène Cixous la Muttersprache, pas seulement la langue de la mère (ainsi que l’on peut traduire le mot allemand), mais la langue Mère: „On dirait qu’une langue est Mère, la mère, et presque plus mère que l’autre! “ (ibid.: 62). „Il y a des années que je prends l’allemand pour ma mère et inversement“, note-t-elle encore (ibid.: 41). Non seulement l’allemand est la langue prénatale, la langue de l’origine, la langue à l’origine, mais langue allemande, Allemagne et Mère sont indissociables, superposables. L’allemand, l’Allemagne et la mère, porteuse, médiatrice de la langue et du pays, seule médiatrice avec la grand-mère, se confondent: „Elle (c’est une elle) [l’Allemagne, FR] est indissociable, indémêlable de ma mère (autrefois doublée par Omi, encore plus Allemagne qu’Ève)“ (ibid.: 31). La langue est transmise hors sol, et il n’y en a pas d’autre 35 Dossier médiateur que la mère (et la grand-mère). La langue met au monde autant que la mère. Elle remarque toutefois que cet allemand transmis par la mère et la grand-mère a transité en quelque sorte par le français - préfigurant l’imbrication originelle des langues qui préside à son écriture. […] c’est dans la langue française que mes mères (ma mère et ma grand-mère) ont tissé et abrité, caché peut-être lorsqu’elles le crurent nécessaire pendant la guerre, leur maison et leur corps aus Deutschland, faisant ,passer‘ leur vérité première sous la nappe du français. Dans le logis d’Oran, Omi disait toujours ,chez nous‘, en français, pour énoncer une loi ou un usage faisant autorité, et ce ,chez nous‘ c’était en Allemagne (ibid.: 21sq.). De plus, l’allemand langue maternelle n’est pas l’allemand académique, l’allemand appris à l’école. C’est l’allemand oral, parlé à la maison. Cixous raconte comment elle se heurta à une professeure de nationalité allemande qui, alors qu’elle entrait en 4 e en se réjouissant d’approfondir sa connaissance de l’allemand choisie comme langue seconde (sa mère avait voulu qu’elle apprenne l’anglais comme première langue étrangère), 6 prétendait lui interdire l’usage de certains mots ou expressions, connus de longue date, mais mâtinés de yiddish: ,Meschugge‘, tel serait le titre du chapitre où je parlerais de mes batailles allemandes au lycée, […] C’est Meschugge qui fut le schibboleth manqué lorsque je me présentai devant la Loi. […] ,J’entre‘ en 4 e , joyeuse, sûre de moi, anticipant la gloire et la jouissance, et patatras. Jamais je n’ai senti un tel dépaysement, une telle aliénation. C’était à devenir folle. Meschugge. Verrückt. Tenez, ce mot ,verrückt‘ que j’entendais tous les jours à la maison lancé par la colère d’Omi: du bist ja ganz verrückt, en réalité, il vivait rue Philippe à Oran sous le nom de Forukt. Omi me répétait: chapzonnenimherts. Voilà que ces vocables entraient sur le tableau noir masqués, méconnaissables […] (ibid.: 26sq.) L’allemand et le yiddish, l’allemand et le français, se contaminent: la bâtardise, l’hybridation des langues et leur interpénétration sont revendiquées, choyées, source de jouissance et d’inspiration. Ce qu’elle nomme son „pré-allemand est riche, sensuel, rigolo. Mais l’allemand-grande-personne“, elle ne l’a jamais développé. Et elle reconnaît elle-même que, quand elle se trouve en pays germanophone, elle a „douze ou treize ans“ (ibid.: 60). L’allemand la ramène toujours à son enfance, bien qu’elle se soit rendue, à l’âge adulte, un certain nombre de fois (mais pas fréquemment, à la différence de Cécile Wajsbrot) en Allemagne, toujours avec sa mère, „[s]on Allemagne incarnée“ (ibid.: 105) - sauf à Osnabrück. Elle parle notamment d’un voyage sur le Rhin à partir de Bonn, ou encore de Munich, Berlin-Est et Francfort. Le premier voyage en Allemagne, qu’elle évoque plus en détails dans Une autobiographie allemande, elle l’a cependant accompli avec sa grand-mère, à Cologne, en 1951. Sontelles allées à l’époque à Osnabrück? Elle ne s’en souvient pas, peut-être en a-t-elle seulement rêvé. Cécile Wajsbrot remarque qu’elle n’a jamais raconté ce premier voyage en Allemagne dans ses livres. Et de demander: „L’Allemagne peut-elle n’être, littérairement, qu’un domaine du passé, quelque chose qui ne vous appartiendrait pas? “ (ibid.: 30). À cela, Cixous répond qu’elle „ne raconte pas avec l’écriture“. 36 Dossier Avec l’écriture, je peins, - quoi? le peuple des pensées et des visions, les passages, pas les pas. L’Allemagne - une Allemagne ou des Allemagnes - parle, passe, chante, se lève et se couche en moi, tous les jours. […] L’Allemagne, j’y reviens (ibid.). L’Allemagne est Mère, l’Allemagne se confond avec sa mère, l’Allemagne se confond avec l’allemand langue de la mère (et de la grand-mère). Ce n’est pas l’Allemagne réelle qui l’intéresse, qu’elle soit présente ou passée, mais une Allemagne imaginaire, imaginée, mythologisée, comme la mère, un „fantasme“ de mère et d’Allemagne - étant posé que „le fantasme est réalité“ (ibid.: 62). Elle transporte „son“ Allemagne, son allemand-mère avec elle. L’Allemagne n’est pas le pays où elle va, mais où elle „revient“. À propos d’une visite récente à Berlin, elle écrit: À Berlin ces jours-ci je n’ai pas cessé de mettre mes mots dans les siens. Il y a eu des petits décalages, avec mes amis berlinois, ce que nous (Ève-Omi-moi) appelons les Kartoffelpfannkuchen - nous n’étions pas d’accord - on ne dit pas Käse avec un a ouvert, disent-ils, ça c’est du hochdeutsch, me dit-on, moi je défends maman 7 […] (ibid.: 106). L’Allemagne est une „Allemagne intérieure“, indissociable d’elle et de sa petite enfance, de l’existence inconsciente, prénatale. L’Allemagne est le pays prénatal, la „mer“ primordiale d’où émergera plus tard „le fleuve sonore“ (ibid.: 39) de la langue et de l’écriture: Ai-je jamais abordé l’Allemagne? L’Allemagne m’a-t-elle abordée? Y suis-je parvenue, l’ai-je quittée? Voici mon sentiment ou ma sensation: je sens avoir toujours déjà été entourée d’Allemagne, j’ai pour souvenir primordial d’avoir été une algue flottante dans le sein de cette mer. Si, l’Algérie, j’y suis née, l’Allemagne, j’en suis née, j’en ai été environnée dès ma naissance […] (ibid.: 19). Je dis ,Allemagne‘ et c’est devant moi aussi infini, intraitable, indissociable de ,moi‘ que - disons par exemple le nom Abraham pour Derrida, qu’il aura choisi comme prénom de l’énigme de ,l’être-juif‘. Je dis ,Allemagne‘ et ce nom chante pour moi depuis ma plus petite enfance, comme s’il était l’autre nom d’Omi, ma grand-mère et donc ma mère par Allemagne (ibid.: 21). Il me vient à l’esprit une composition: une langue-ville-pays. Une langue dans laquelle je voyage et je demeure comme dans une ville qui serait pour moi tout mon pays mondial. Et qui comprendrait tous mes états d’âme. Ainsi, […] on trouvera assignés à des places analogues, au même titre de titre, Angst et Osnabrück. Deux ,titres‘ ,allemands‘ en français, deux fonctions de nom propre, comme deux noms de lieux spirituels dont je me fais l’archéologue. […] Et il se trouve que ces ,villes‘ préhistoriques que sont les pulsions et les passions sont localisées dans mon Allemagne intérieure (ibid.: 22sq.). Cécile Wajsbrot a beau essayer de l’amener à parler de l’Allemagne réelle, de la chute du mur par exemple, elle revient toujours à la littérature, le mur lui-même est pour elle une figure post-moderne, emblématique de la quête de l’écriture (cf. 33sq.). L’AIlemagne de Cixous est „intemporelle“ (ibid.: 33). De façon remarquable, elle n’assimile pas l’Allemagne à „l’être-juif“ dans Une autobiographie allemande (cf. citation plus haut). À propos du voyage de sa mère (et de sa tante) à Osnabrück, elle 37 Dossier écrit dans Benjamin à Montaigne: „Les Juifs sont obligés par la maladie de l’Allemagne à l’état d’être-juifs“ (Cixous 2001: 152). C’est justement cette surdétermination-là que Hélène Cixous ne veut pas pour elle et son œuvre. Il n’existe pas de réalité en dehors du discours. Ou plus exactement: le discours, et ses rêves, doivent être plus forts que la réalité. J’ai pu reprendre mon rêve de descendante, le plus ancien de mes rêves, celui que j’ai commencé à caresser à Oran, quand j’ai eu mes premiers rêves de rêves. J’ai toujours su que j’étais destinée à vouloir comparer les rêves et la réalité, afin de confondre la réalité, de la faire avouer ses rêves cachés, et qu’elle dépendait de moi, de ma visite, de mes questions, pour sortir de son sommeil et se révéler (Cixous 2015: 40). Les personnes réelles n’échappent pas à cette vérité fondamentale, la seule existante. Cixous traite les personnes réelles comme les faits: elle les réinvente. 8 La mère, sa propre mère, la mère réelle elle-même est une „fiction“. Elle est idéalisée, mythifiée dans l’œuvre qui, comme le remarque justement Cécile Wajsbrot, „transfigure le réel en une mythologie“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 85), bien que l’écrivaine ellemême s’en défende. 9 Dans Gare d’Osnabrück à Jérusalem, livre paru la même année que Une autobiographie allemande, Cixous rapporte (ou invente? ) le dialogue suivant avec la mère: - Tu as toujours eu de l’imagination, dit ma mère. Tu m’as inventée. Tu écris et tu prends tes inventions pour la réalité. […] - Je ne suis pas une fiction. Moi, je prends le train pour Osnabrück à la gare du Nord, garde le nord! (Cixous 2016: 42). Elle avait tenu les mêmes propos dix ans plus tôt dans l’entretien avec Frédéric-Yves Jeannet: Nous sommes tous des contes. Il n’y a pas autre chose que des inventions. Ma mère, par exemple, me fait un plaisir fou (dont elle ne se rend pas compte parce que je ne peux pas lui expliquer) quand, lisant mes derniers textes - c’est-à-dire qu’elle se force à lire parce qu’elle n’aime pas lire ce que j’écris, ça ne l’intéresse pas tellement -, elle me dit: ,Quelle imagination tu as, quand même! Tout ça ce sont des inventions, des fantaisies, des choses que tu as fabriquées.‘ Elle considère que tout ce que j’écris est de la fiction. Et je lui dis merci. Parce que c’est vrai. Évidemment, selon moi, cette fiction est la chose la plus vraie qui soit. Mais pour elle, c’est stupéfiant. Elle dit: ,Vraiment, tu as toujours vécu dans d’autres mondes.‘ Elle pense qu’elle a vécu dans la réalité, et moi dans l’imagination. C’est très bien. C’est comme ça. (Cixous/ Jeannet 2005: 30sq.). L’Allemagne, l’allemand étant assimilé à la Mère, la mort de la mère a fait craindre la perte de la langue, générant une très forte angoisse - la perte de la langue allemande et donc aussi de la littérature, puisque la littérature „était déjà dans la langue“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 98): Il y a des années que je prends l’allemand pour ma mère ou inversement. Il y a trois ou cinq ans j’ai tressailli à l’idée que j’étais menacée de perdre les deux ensemble. J’ai anticipé et 38 Dossier vivement repoussé un monde sans l’allemand-maman. J’ai ouvert un carnet et j’ai commencé à noter les nombreux mots familiers que je devinais devoir m’être arrachés, peut-être comme avec un guerrier mort on brûle ses chevaux et ses armes. Je suis terrorisée. Je pressens la brutalité sourde d’une langue coupée (ibid.: 41). Comment comprendre une telle peur de la perte de la langue (allemande) à l’âge adulte (Cixous a 76 ans quand décède sa mère), ou bien, pour dire les choses autrement, comment comprendre une telle fixation à la langue-mère, à la mère-langue? Dans la mort de la mère se rejoue vraisemblablement la première grande angoisse de perte, le déchirement originel, la première séparation d’avec la mère - une perte suivie de la venue à l’écriture refuge où la mère est retrouvée, ainsi que Cixous l’a ‚raconté‘ dans… Osnabrück: À l’âge de trois ans et demi je perdis ma mère. C’était la première fois, elle fut remplacée par néant et cela fut si orageux et si spectaculaire que je me vois encore avec toutes les précisions la pleurer au-delà de toute mesure de toute raison, sans pouvoir cesser de verser tout ce que j’avais dans le corps un lundi une journée entière, c’était le premier octobre 1941 rue d’Arzew à Oran […] (Cixous 1999: 9). J’appris à écrire tout de suite avec jubilation. Je me souviens du goût du tracé de chaque lettre. Je me dépêchai. Sur le papier parmi les jambes des lettres j’étais heureuse, j’exultai. Mais gare si je levais le nez un glaive me découpait la poitrine. Je compris que j’étais maudite […]. Avec mes pages de papier me frotter la figure, avec mes mamans de papier. Première drogue. Plus tard je préférai à toutes les poupées, celluloïd, faïence, chiffon, qui toujours me demeurèrent lointaines et inanimées, les petites femmes de papier inestimables qui me venaient aux doigts à volonté (ibid.: 12sq.). La Mère - et donc aussi la langue allemande - sont indissociables de l’écriture dans laquelle la mère est retrouvée. Seize ans après la parution du roman Osnabrück, Osnabrück, la ville, enfin approchée, réellement, sera le lieu où la mère morte sera réincarnée, rendue à la vie dans l’œuvre vouée à la „résurrection“, ou du moins à „l’espoir de résurrection“. Par un retournement génial, la ville qui a banni et proscrit les Juifs, la ville qui les a contraints à l’exil ou à l’extermination, devient, dans Gare d’Osnabrück à Jérusalem, celle de la résurrection de la mère: Comme si Maman était devenue Osnabrück, voilà comment j’y vais, comme si elle m’attendait, comme si je m’attendais à la voir venir vers moi au coin de la Grande Rue, comme si j’allais pouvoir crier maman! J’écouterais les notes du cri en français dans l’air allemand et elle presserait le pas qu’elle a toujours eu vif vers moi en me souriant, et maintenant je la vois elle montre son achat allemand, ein Knirps naturellement, il n’y a qu’ici qu’on fait des parapluies aussi pratiques comme si j’y allais pour crier reviens! et non seulement elle revient, et la retrouver vivante, parce qu’à Osnabrück elle n’est jamais morte, presque tous sont morts, mais elle, elle a toujours su où était la vie, et en bonne santé, et escortée d’une bande de mots que j’avais totalement oubliés et qui n’attendent qu’une occasion, elle file à une vitesse surprenante régulière et comme immobile, comme la cane entourée de ses nombreux canetons surnaturellement rapide file, filent, sur la soie mordorée de la Hase (Cixous 2016: 95). 39 Dossier On le voit: tout naît, tout meurt, tout renaît en Allemagne et plus précisément à Osnabrück. L’allemand, les mots allemands sont des „revenants“, comme les habitants, certains habitants d’Osnabrück, ceux à qui l’auteure, animée d’„une compulsion religieuse“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 49), prête une seconde vie dans l’œuvre. „Vous savez, chère Cécile, les mots allemands ont un charme particulier pour moi: ils me semblent toujours revenir, être des mots retrouvés, sauvés“ (ibid.: 43): Mes revenants sont des toujours-vivants: des êtres et des choses-êtres qui viennent témoigner que la mort n’est pas un château-fort souterrain, que l’amour, l’amitié, la télépathie, l’écriture ont des pouvoirs surnaturels et réels (ibid.: 53). On comprend pourquoi l’autobiographie peut être, doit être ‚allemande‘. Elle ne cherche pas à rendre compte des faits réels, attestés par l’état civil ou par l’Histoire officielle. L’autobio-graphie est ré-écriture de la réalité telle qu’elle est rêvée, fantasmée, réinventée. Elle est, comme l’écriture en général, avènement de la mémoire intérieure, „[d]es zones primitives [qui] se présentent à moi sous leurs noms de divinités archaïques donc allemands“ (ibid.: 23). Elle est fiction, rêve, fantasme. Rien à voir avec la mémoire retracée par les livres d’Histoire. En prologue à l’autobiographiedialogue, Cixous écrit: J’ai toujours aimé l’Allemagne Et pourtant - Je l’ai tenue en respect, en estime, au-dessus, au-delà du nazisme Et pourtant - J’aime que Ève ma mère qui en naquit et s’en évada ne m’ait jamais interdit un amour éclairé qu’elle ne pouvait plus franchement partager. Je voulais aller à Osnabrück comme à ma mère et avec elle. Mais Ève ma mère ne parvint jamais à partager ce vouloir. (ibid.: 15). La mère de Cixous avait - on se doute pour quelles raisons! - „un rapport divisé“ à la langue et au pays (ibid.: 66): pour elle le nazisme était une réalité indépassable. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle ne voulait pas retourner à Osnabrück avec sa fille qu’elle savait animée d’un „amour éclairé“ pour l’Allemagne. La transfiguration n’aurait pas été soutenable pour la mère; la confrontation à la réalité préjudiciable au travail de re-création de la fille. Il fallait que la mère fût morte pour que la distance nécessaire au travail de l’imagination pût opérer, pour qu’Osnabrück restât mythique ou archaïque. L’Histoire n’est pas étrangère à Cixous, sa biographie ne peut l’en dispenser. L’œuvre - et l’autobiographie - y est enracinée sans doute, à sa manière, mais elle ne se laisse pas surdéterminer. La réalité, même historique, ne saurait émettre de diktat. „Rien, aucun aléa politique, aucune crise dans l’Histoire ni personne, ne peut me priver de mes alliances spirituelles“, affirme Hélène Cixous à son interlocutrice que l’on devine médusée, elle qui subit en quelque sorte, à son corps défendant, l’emprise d’une histoire non vécue et défend l’engagement en littérature. 10 40 Dossier Dans l’un de ses premiers textes, dans lequel elle analyse des œuvres des romantiques allemands E. T. A. Hoffmann et Kleist, en 1974, Hélène Cixous écrivait: Qu’est-ce qui se passe en ce non-lieu que le mot de ,fiction‘ ne désigne que pour en inscrire la trouble et mouvante aventure, au-delà des genres et des oppositions, là où le réel n’est pas définissable par un contraire, où le littéraire n’est pas une émanation d’autre chose, à imprimer, où le fantasme n’est pas un simple bouche-trou, où le désir n’est pas un rêve, là où s’annonce, au pluréel, l’ailleurs à venir? […] pour moi la fiction, qui est une action, a une efficacité. Le désir qui la produit rendra possible ce qu’il désire (Cixous 1974: 5). Des décennies plus tard, on est en droit de se demander si l’écriture hyper-subjective d’Hélène Cixous, qui dévalorise les faits au profit du signifiant, si „La Littérature en tant que Toute-puissance-autre“ 11 a réussi son pari: l’œuvre magistrale, monumentale s’impose, indubitablement. Mais a-t-elle „gagné“, a-t-elle répandu - fallait-il répandre? - „ses puissances illusionnantes sur le monde“? 12 A-t-elle tenu sa promesse d’agir sur la réalité? La réalité est-elle „confondue“, a-t-elle avoué „ses rêves cachés“ (Cixous 2015: 40), a-t-elle révélé sa face voilée? À l’heure où une post-vérité dégradée en fake news règne en maître sur les réseaux et dans les rapports sociaux, ainsi qu’au plus haut niveau des sphères politiques et économiques, peut-être faudrait-il que la littérature retrouve le chemin de la réalité, qu’elle „garde“ ou retrouve „le nord“… A. Ouvrages: Cixous, Hélène, Prénoms de personne, Paris, Le Seuil, 1974. —, L’ange au secret, Paris, Des Femmes, 1991. —, Osnabrück, Paris, Des Femmes, 1999. —, Benjamin à Montaigne. Il ne faut pas le dire, Paris, Galilée, 2001. —, Manhattan. Lettres de la préhistoire, Paris, Galilée, 2002. —, Gare d’Osnabrück à Jérusalem, Paris, Galilée, 2016. Cixous, Hélène / Jeannet, Frédéric-Yves, Rencontres terrestres, Paris, Galilée, 2005. Cixous, Hélène / Wajsbrot, Cécile, Une autobiograhie allemande, Paris, Christian Bourgois, 2016. Wajsbrot, Cécile, Pour la littérature. Essai, Paris, Editions Zulma, 1999. —, Mémorial, roman, Paris, Editions Zulma 2005. B. Articles: Cixous, Hélène, „Au temps d’Anna“, in: Europe, 892-893, 2003, 80-92. Rétif, Françoise, „Il y a quelqu’un qui a tué Ingeborg Bachmann. Bachmann vue par Cixous dans L’ange au secret “, in: Allemagne d’aujourd’hui, 122, 1993, 103-122 [Austriaca, 36, 1993, 77- 96]. —, „Verzerrung und Verstümmelung einer Stimme: Philippe Jaccottets und Hélène Cixous’ Widerspiegelung von Bachmanns Werk und Person“, in: Sprachkunst, XXVI (2. Halbband), 1995, 315-325. —, „M comme Manhahan, G comme genre/ Geschlecht. Hélène Cixous et Ingeborg Bachmann. Construction et déconstruction des mythes entre Europe et Amérique“, in: Ortrun Niethammer / Heinz-Peter-Preußer / Françoise Rétif (ed.), Mythos und Geschlecht. Übersetzungen - Überschreibungen - Übermalungen, Heidelberg, Winter, 2007, 55-71. 41 Dossier 1 La grand-mère Omi, née Jonas, a épousé un Klein, un austro-hongrois, originaire de Tirnau (Cixous/ Wajsbrot 2016: 61). 2 Dans l’interview, Cixous se plaint du manque d’intérêt de l’Allemagne et d’Osnabrück pour elle (ibid.: 32). La ville et ses institutions ne l’auraient jamais „appelée“, alors qu’elles avaient invité sa mère. La mémoire semble ici trahir Hélène Cixous. En effet, Ortrun Niethammer, alors enseignante à l’université d’Osnabrück, avait engagé des négociations entre la ville et H. Cixous (par l’intermédiaire de F. Rétif) pour faire venir l’écrivaine, qui avait finalement refusé, parce que sa mère ne voulait pas se rendre de nouveau à Osnabrück, cette fois avec sa fille. 3 La date est donnée en légende d’une photo représentant Ève et sa sœur Éri (ibid.: 57). 4 Éléments de biographie livrés sur le site de l’éditeur Galilée. 5 „Pour moi (ça par exemple, on ne peut le dire qu’en français, moi, je) - il n’y a qu’une langue et elle parle parfois anglais, ou tantôt chante allemand, c’est un fleuve sonore où se jettent tant d’affluents, où la pensée s’avance, sillon sensuel, s’aidant ou se parant dans son effort et son élan des forces et des charmes d’une langue ou d’une autre“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 39). 6 „Mon cursus avait été surdéterminé, sans que j’en sache clairement les ressorts, par des affects maternels de circonstance: il fut toujours évident que je ferais de l’anglais en 1ère langue (en 6e) et de l’allemand en 2ème langue (en 4e). Il eût été impossible d’inverser l’ordre. Je n’ai compris que tard à quel degré avait joué la forte ambivalence de ma mère (et donc aussi d’Omi) à l’égard de notre langue maternelle, véritable don-poison“. (ibid.: 26). 7 Sa mère est déjà morte à ce moment-là. 8 Ce fut le cas en particulier pour son „ange au secret“, Ingeborg Bachmann. Si Cixous a écrit, comme elle le note elle-même, „de petits [très beaux, FR] textes-lisants en son honneur“ (cf. par exemple dans le numéro de la revue Europe, 892-893, 2003), elle „la fai[t] venir parmi [s]es proches“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 99), parmi ses rêves et fantasmes, en particulier dans L’ange au secret (Des femmes, 1991) et Manhattan. Lettres de la préhistoire (Galilée, 2002), en déformant la personne réelle, telle qu’elle nous est livrée par toutes sortes de témoignages et de textes autobiographiques (cf. Rétif 1993, 1995, 2007). 9 Cf. Cixous/ Wajsbrot 2016: 88: „je n’écris pas avec le sentiment de transfigurer“. 10 Cf. Wajsbrot 1999 et la conférence „S’engager en littérature“ du 22.05.2017 à l’Institut français / Université de Bonn. 11 Cf. Prière d’insérer de Manhattan. Lettres de la préhistoire, Paris, Galilée 2002. 12 Idem.