eJournals lendemains 42/165

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2017
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L’Affaire Tarnac: L’é(a)vénement de deux générations politiques

2017
Jean-Frédéric Hennuy
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110 Discussion Jean-Frédéric Hennuy L’Affaire Tarnac: L’é(a)vénement de deux générations politiques Each epoch, each generation, each life has had, and has, its own experience, and the end of each generation must be itself. (Alexander Herzen) Les générations, actrices d’un présent, sont toujours le fruit d’un passé. (François Sirinelli) Rien ne paraît moins probable qu’une insurrection. Mais rien n’est plus nécessaire. (Le Comité Invisible) Il ne s’agit pas de savoir qui sera à la tête de tous mais comment tous formeront une seule tête. (Comité d’action étudiants-ouvriers) Partout dans le monde, la tendance principale est à la révolution. (Le Grand Timonier) Selon David Graeber, nous serions à un point de jonction de l’histoire, à un moment historique où „received definitions have been thrown into disarray. It is quite possible that we are heading for a revolutionary moment, or perhaps a series of them, but we no longer have the idea of what that might even mean“ (Graeber 2011: 41). Les décennies qui ont suivi Mai 68 ont vu se développer des perspectives politiques de droite et de gauche fondées sur ce que Graeber nomme des hypothèses différentes à propos de la réalité du pouvoir. Il explique, d’un côté, que la droite s’est enracinée dans une ontologie politique de la violence, „where being realistic means taking into account the forces of destruction“ (ibid.: 42). Et de l’autre côté, la gauche, de manière consistante, a proposé des variations sur une ontologie politique de l’imagination, „in which the forces that are seen as ultimate realities that need to be taken into account are those (forces of production, creativity,…) that bring into being“ (ibid.). C’est sur cette toile de fond politico-idéologique que se pose et se présente ce qu’on a appelé l’Affaire Tarnac. Faire l’analyse de ses tenants historiques et de ses aboutissants politiques, idéologiques et philosophiques amènera à comprendre comment elle est devenue un de ces moments historiques dont parle Graeber. Il s’agira en effet de considérer cette affaire comme un événement focalisateur et catalysant de deux générations politiques: la génération Sarkozy et la génération Tarnac. La particularité de ces deux générations réside dans la relation qui les unit. Elles ne sont pas en opposition sensu stricto car la génération Tarnac se veut être une ligne de fuite politique et idéologique de la génération Sarkozy, et c’est dans ce 111 Discussion sens qu’elle permet l’ouverture d’un nouvel espace, d’une nouvelle unité générationnelle de résistance et de liberté. En d’autres termes, il s’agira d’analyser le fait que hors de l’idéologie de la fin de l’histoire surgit, au travers de l’événement que constitue l’Affaire Tarnac, une génération politique qui cherche à participer idéologiquement et activement au réveil de l’histoire. Cependant, avant d’entreprendre cette analyse, il est dans un premier temps nécessaire de récapituler les faits de la dite Affaire Tarnac, puis, dans un deuxième temps, il conviendra de définir certains concepts théoriques tels que ceux d’‚événement‘ et de ‚génération politique‘, et de les mettre en relation avec l’Affaire Tarnac. Il sera alors possible d’analyser les idéologies véhiculées par ces deux générations à partir, premièrement, de leur relation à l’histoire (dans le cas présent il s’agira de Mai 68) et, deuxièmement, de l’éthique philosophique et politique que renferme leur idéologie respective. L’Affaire Tarnac L’Affaire Tarnac a débuté le 11 novembre 2008 avec l’opération Taïga. Ce jour-là, au petit matin, 150 policiers de la section anti-terroriste, de la police scientifique et des gendarmeries locales débarquent en force sur la place du village de Tarnac, en Corrèze, pour effectuer la perquisition de deux appartements et d’une ferme avoisinante, et arrêter neuf personnes (cinq hommes et quatre femmes, âgés de 25 à 34 ans). Au même moment, d’autres opérations similaires ont lieu à Rouen et à Paris. Sur les trois lieux de perquisition, environ vingt personnes ont été arrêtées en relation avec des sabotages de lignes de TGV ayant eu lieu trois jours plus tôt. A priori, rien de plus normal à cette opération de police. L’opération a débuté à six heures du matin et vers huit heures, le Ministère de l’Intérieur fait paraître un communiqué annonçant l’opération qui a à peine débuté. Vers la même heure les médias nationaux - c’est-à-dire des chaînes télévisées telles que France 2, basées à Paris, et non les chaînes locales telles que FR3 - sont arrivées à Tarnac. Fait qu’il est intéressant de constater, car il y a 450 km entre Paris et Tarnac. On peut donc émettre la possibilité que les médias ont été prévenus avant la publication du communiqué. À dix heures, alors que les perquisitions sont toujours en cours, Madame le Ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, donne à Paris une conférence de presse, avec à ses côtés le directeur de la SNCF , où elle annonce son soulagement et sa satisfaction du succès de l’enquête qui a abouti, en trois jours, à l’arrestation d’un groupe qu’elle caractérise comme dangereux et appartenant à l’ultra-gauche de la mouvance anarcho-autonome. Elle y répète que: „Depuis mon arrivée [place Beauvau] j’avais souligné les risques de résurgence violente de l’extrême gauche radicale“. Peu après, l’Élysée publie un communiqué dans lequel le Président Nicolas Sarkozy se réjouit „des progrès rapides et prometteurs obtenus“ dans le cadre de l’enquête sur les actes de malveillance commis contre des caténaires de la SNCF ( AFP , Libération, 11 novembre 2008). Le lendemain, le 12 novembre, toute la presse 112 Discussion française emboîtera le pas - Libération titrera la Une avec „L’Ultra-gauche déraille“. Dans l’hémicycle, alors que les interrogatoires ont à peine commencé, Michèle Alliot- Marie justifie à nouveau son coup de filet et dénonce un risque terroriste d’extrême gauche. Il est important ici de préciser qu’au cours des perquisitions, aucune arme n’a été trouvée. Le 14 novembre, les gardes à-vue s’achèvent et, bien que la police n’ait pas recueilli d’aveux, le Procureur Général du parquet de Paris donne à son tour une conférence de presse au cours de laquelle il annonce „qu’un groupe terroriste d’envergure internationale a été démantelé“. Le groupe de personnes à Tarnac qui serait organisé „autour de son leader charismatique et idéologue, le nommé Julien Coupat“, constituerait „un noyau dur conçu dans une structure qu’ils appelaient la cellule invisible et qui avait pour objet la lutte armée“. Ils auraient commis des actions en France et en Allemagne „qui se caractérisent toutes par la violence“ (Vincent/ Perez 2009). Le lendemain, un juge anti-terroriste ouvre une information judiciaire pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Les neuf membres de la supposée cellule invisible sont mis en examen pour „dégradation en réunion sur des lignes ferroviaires, dans une perspective d’action terroriste“ (Rauffer 2010: 12). Cinq d’entre eux sont mis en détention et quatre autres sont libérés sous contrôle judiciaire. Outre les sabotages des lignes ferroviaires du 7 et 9 novembre, il y a deux autres éléments à charge qui sont la soi-disant participation du groupe de Tarnac à un violent affrontement avec la police lors d’une manifestation à Vichy le 3 novembre, ainsi qu’un livre, L’Insurrection qui vient, 1 écrit par le Comité Invisible, qui est interprété par la police comme étant un bréviaire de la lutte armée. Au cours des mois qui suivront, toutes les personnes mises en détention préventive seront finalement relâchées sous contrôle judiciaire. Après six mois de détention, Julien Coupat sera libéré le 28 mai 2009. Aujourd’hui, huit ans après les premières arrestations, 2 le dossier n’a toujours pas avancé, et aucun jugement n’a encore été rendu. Au début du mois de mai 2015, le parquet, après sept ans d’enquête, a finalement rendu son réquisitoire définitif, et a décidé de renvoyer Julien Coupat et sa compagne au moment de l’affaire, Yldune Lévy, devant la Chambre Correctionnelle pour des faits qui ne sont plus qualifiés que comme „participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme“ (Confavreux 2016). Le parquet n’a pas non plus décidé d’abandonner le qualificatif de terrorisme en ce qui concerne le sabotage des lignes de TGV pour lesquels ils sont toujours inculpés. 3 Générations politiques Une manière d’analyser cette affaire politico-juridique est de le faire en la considérant comme étant la confluence particulière de différentes forces politiques et idéologiques, et dont la confrontation, la conflagration, a produit un événement. En termes deleuziens, cet événement qu’est l’Affaire Tarnac pourrait se définir comme „une production instantanée intrinsèque aux interactions entre différentes forces“ (Stagoll 113 Discussion 2011: 89-91, ma traduction), et par conséquent, il est l’expression d’un „potentiel productif des forces hors desquelles il est né“ (ibid.: 89). En d’autres termes, l’événement de l’Affaire Tarnac peut être conçu comme la production de la singularité d’un réseau de forces idéologiques dont la déflagration ouvre un potentiel productif immanent, original et créatif. Ce qui en résulte est l’apparition, hors ce qu’on appellera la génération Sarkozy dominante (puisqu’au pouvoir à cette époque), d’une ligne de fuite au bout de laquelle la génération Tarnac fait son émergence et qui, comme nous allons le démontrer, se forme comme un espace générationnel de possibilités nouvelles, où de nouvelles forces idéologiques de résistance peuvent prendre forme et se mettre en action. On peut en effet parler de la création de générations car, comme l’explique Jane Pilcher dans son analyse du travail de Mannheim sur la théorie des générations, la création d’une génération se fait en liaison, en réflexion d’un événement à un moment, à une période de changement social et culturel (cf. Pilcher 1994: 483). Pris dans ce sens, le concept de génération est, par conséquent, fondé sur l’idée d’une force de changement et de progrès social (ibid.: 484). On peut raffiner cette définition en l’analysant à partir du concept de ‚génération politique‘. Ce terme, comme l’explique Vincent Tournier, renvoie généralement „à l’hypothèse d’une mentalité collective façonnée par un événement fondateur“ (Tournier 2004: 230, mes italiques). L’exemple qui fait référence est celui de Mai 68 au cours duquel les événements ont structuré la conscience collective d’une génération politique. En s’inspirant de Mannheim et Ortega y Gasset, Richard et Margaret Braungart offrent deux définitions complémentaires du concept de génération politique qui s’applique à la définition des générations Sarkozy et Tarnac: une génération politique existe „lorsqu’un groupe d’âge historique se mobilise pour œuvrer au changement social et politique“, et „une génération politique survient quand l’âge se trouve corrélé au comportement politique collectif“ (Braungart/ Braungart 1989: 9). L’événement que déclenche l’Affaire Tarnac n’impose pas le passage d’une génération politique à une autre, mais bien la création d’une ligne de fuite générationnelle. Si l’on se réfère à la définition que donne Gilles Deleuze de la ligne de fuite en tant qu’un „chemin de mutation précipité à travers l’actualisation de connections entre des corps qui n’étaient pas implicites auparavant, qui libère des puissances nouvelles dans les capacités de ces corps à agir et à répondre“ (Tamsin 2011: 148, ma traduction), la génération Tarnac cherche à produire de nouveaux moyens de penser, de vivre et d’agir, c’est-à-dire une autre idéologie qui n’est pas toujours déjà perceptible aux sujets de la génération majoritaire de la réalité dominante (cf. ibid.). Il faut ici considérer le terme d’idéologie dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme „un ensemble de valeurs et valorisations, de croyances et représentations, de codes et normes, de discours et débats qui caractérisent une société globale et les multiples sous-cultures qui co-existent en son sein“ (Berteaux/ Lindhart 1988: 83). Par conséquent, un événement tel que celui de l’Affaire Tarnac engendre une ligne de fuite, une discontinuité dans le système idéologique dominant afin de forcer un 114 Discussion changement réel, pas seulement au niveau des idées, mais bel et bien pour entamer une transformation complète des modes d’existence. On peut donc parler de génération Sarkozy lorsqu’on parle d’une cohorte qui se rallie à l’idéologique sarkozyste et à la mise en action de sa politique. Celle-ci passe par la mise en place d’un langage qu’on va retrouver chez non seulement des sociologues, des criminologues, des spécialistes en sécurité (qui agissent notamment comme conseillers du pouvoir) mais aussi des politiciens et des activistes. On peut également parler de génération Tarnac lorsqu’on se réfère à la cohorte qui possède des affinités électives politiques et idéologiques avec le groupe des inculpés de Tarnac. Il s’agit non seulement de personnes qu’on retrouve dans les manifestations de soutien au groupe, mais aussi des intellectuels et des revues politiques qui défendent des idées, des idéaux et des valeurs semblables. Leur objectif est de fournir une analyse critique de l’idéologie sarkozyste afin d’offrir les jalons pour le développement d’une société post-capitaliste. Mai 68: Conscience historique Le premier point de connexion entre la génération Sarkozy et la génération Tarnac se trouve dans leur conscience historique et leur interprétation des événements de mai 68 et la réponse politique et idéologique qu’elles y donnent. 1. La Génération Sarkozy D’un côté, il y a la génération Sarkozy, qui, comme l’a clairement énoncé Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale de 2007, accuse Mai 68 d’avoir „imposé le relativisme intellectuel et moral“, „liquidé l’école de Jules Ferry“, „introduit le cynisme dans la société et dans la politique“, abaissé le niveau moral de la politique: „la morale, après 68 on ne pensait plus en parler“ (Filoche 2007). Le futur Président de la République alla jusqu’à lancer: „Je veux tourner la page de Mai 68 une bonne fois pour toute“ et finalement de se demander „si l’héritage de Mai 68 doit être perpétué ou s’il doit être liquidé“ ( AFP et AP 2007). Cependant, en 2011, le magazine Slate titrait un article en affirmant que Sarkozy était „Le plus soixante-huitard des présidents“ (Proust 2001). Ce titre n’entre étrangement pas en contradiction avec les affirmations de Nicolas Sarkozy à propos de l’héritage de Mai 68. Pour comprendre pourquoi, il est nécessaire de revenir sur les représentations historiques et politiques de Mai 68 qui ont été construites pendant les dernières décennies. En effet les critiques et les remises en cause de Mai 68 (Deleuze 1984, Demerin 1988, Ross 2010, Sirinelli 2008, Bracke 2013, Pereira 2009, Sommier 1994, Maler 1998, Le Goff 1998, Cusset 2008, Boltanski 2003) montrent l’importance de sortir d’une certaine fétichisation et d’une scotomisation historique et sociologique de Mai 68. Dans son analyse critique de Mai 68, Kristin Ross explique que la portée collective des événements a été confisquée et de la sorte amoindrie. Tout d’abord, l’insurrection des étudiants universitaires est devenue la synecdoque pour tout le mouvement 115 Discussion de masse de Mai 68. Et plus précisément ce sont les leaders du mouvement estudiantin parisien qui en sont devenus les figures représentantes et incontournables (Jacques Sauvageot, Daniel Cohn Bendit et Alain Glismar). La masse des autres étudiants, des paysans, des ouvriers est tombée dans l’anonymat historique, tandis que les personnalités publiques ont avec le temps phagocyté les images des événements. Ils sont devenus, explique Ross, „des figures historiques qui ont ré-encodé Mai 68“ en le fixant autour d’un petit triumvirat et dont chacun est devenu un engagé de la culture de la communication (Ross 2010: 306). Ils ont, en quelque sorte, confisqué l’histoire de tous les autres participants et auteurs de Mai 68. Ils ont, explique toujours Ross, mis en place „un exercice de contrôle et de neutralisation“ historique, politique et culturel de Mai 68 (Ross 2010: 308). La sociologue Isabelle Sommier appelle ce processus „la tendance album de famille“ et explique qu’il s’agit d’une vieille tactique de confiscation: „toute politique une fois amoindrie perd affectivement son autorité en devenant localisable et donc contrôlable“ (Sommier 1994: 64). Seuls les personnages médiatiques et médiatisés de Mai 68 ont eu ce pouvoir d’ôter toute signification historique et toute cohérence politique à ces événements. Il a donc bel et bien été question de liquider Mai 68, et vingt ans plus tard tout ce qui restait de 1968 était le parcours de certains étudiants leaders, en particulier ceux qui avaient tiré la leçon des événements et qui après avoir renoncé à l’énergie politique de mai […] étaient ravis, à présent, de faire partie intégrante de l’ordre établi […] autrement dit seul les individus qui étaient passés directement du Quartier Latin à des rôles de premier plan dans l’industrie de la culture ou des média étaient représentatifs de Mai 68 qui s’est vu dépolitisé pour devenir une simple révolution culturelle, à la fois une révolte de la communication et une école d’apprentissage de la manipulation (Ross 2010: 310sq.). L’analyse de Jean-Pierre Le Goff sur l’héritage de Mai 68 nous permet de comprendre dans les détails que ce sont les soixante-huitards qui, dans les années 80, ont répandu les thèmes chers à Mai 68 (autonomie, épanouissement individuel etc.) pour les réinsérer dans les théories de New Management, et ceci non seulement pour les mettre au service de l’optimum productif (Le Goff 2008: 82) mais aussi pour en faire les principes, la doctrine, d’un nouveau conformisme: „Jamais une société ne semble avoir érigé l’autonomie en valeur de référence, dans le même temps où l’on déplore la dissolution des repères de la morale et de l’autorité“ (Le Goff 2006: 17). Ce sont donc ces figures médiatiques qui ont été, selon Ross, „les instruments de la victoire du capitalisme sur la gauche“ et ainsi favorisé ce que Le Goff appellera de son côté „une dépolitisation de la société“ et l’arrivée „d’une figure de l’individualisé qui pose un défi considérable non seulement aux figures traditionnelles de l’engagement, mais aussi au lien de citoyenneté“ (Ross 2010: 313; Le Goff 2006: 88). Il continue d’expliquer que depuis les années 80, le discours dominant a été présenté à la société française „sinon comme le meilleur, du moins comme le moins mauvais possible […] Après les années de contestation et de lutte […] l’heure est à la pacification et au consensus“ (Le Goff 2006: 457). 116 Discussion Mai 68 relève donc d’un paradoxe qui fait émerger une figure, un type d’individu désaffecté par les questions politiques, obsédé par le culte narcissique, le règne de l’image et de la séduction (ibid.). C’est cette figure, cet individu, qui votera en grand nombre pour Nicolas Sarkozy en 2007. En effet comme l’a à nouveau montré Kristin Ross, c’est le trope de la génération 68 qui „contient à lui seul tout le mouvement en avant de la modernisation capitaliste qui est alors montré et expliqué comme naturel et tracé d’avance. Il n’y a pas d’autre possibilité que le capitalisme dit démocratique pour sortir la France bloquée et arriérée“ (Ross 2010: 313). Mai 68 doit être considéré comme une erreur de jeunesse dont les leaders se sont éloignés aussi vite que possible. En Mars 1978, Serge July expliquait dans Libération que Mai 68 „c’était il y a un siècle“, et Daniel Cohn Bendit, qui au fil des années lui aussi mit beaucoup d’eau libérale dans son vin libertaire en criant haut et fort en 2008 que „Mai 68: c’est fini. Oubliez! “ (Cusset 2008: 38 et 32). Au vu de ces affirmations qui résument le travail de sape politique et historique de l’importance des événements de Mai 68 ayant été élaboré au cours des quatre dernières décennies, on comprend mieux d’un côté le titre de magazine Slate et, d’un autre côté, que les déclarations de Nicolas Sarkozy se positionnent dans la durée d’un long travail de recodage de Mai 68 qui n’a pour but que son effacement, son oubli. Sarkozy tente de cette manière d’enfoncer les derniers clous dans le cercueil de Mai 68. 2. La génération Tarnac D’un autre côté, en opposition à cette génération Sarkozy se positionne une autre génération, la génération Tarnac qu’il serait difficile d’assimiler - comme ont voulu le faire le Procureur de la République et le Ministère de l’Intérieur - à un petit groupe qui fuirait „l’anonymat et l’agressivité des grandes villes […] qui vivrait en marge de la société dans une tradition de solidarité, de partage et de résistance“ (Gay 2009: 26). La qualification de „petit groupe“ contient une connotation négative volontaire, et le reste de l’affirmation est peut-être vraie pour certains d’entre eux, mais à beaucoup d’égards trop réductrice et trop simpliste pour définir une génération. Par contre, au même titre que la génération Sarkozy, il est bon, pour la définir, d’analyser son rapport historique et politique à Mai 68. En effet, les critiques et les remises en cause des analyses et des narrations faites à propos de Mai 68 au cours des dernières décennies montrent aussi qu’il est primordial, comme le suggère Maud Bracke, „de replacer les événements [de Mai 68] et leurs effets politiques, sociaux et culturels dans une perspective à long terme, c’està-dire d’étendre l’analyse jusqu’aux générations qui suivent, qui n’ont pas pris part mais qui en ressentent les conséquences jusqu’à nos jours“ (Bracke 201: 639). En effet, il existe un autre Mai 68, comme l’explique Henri Maler: „[un Mai 68] qui appartient non à une histoire digestive mais à une histoire éruptive: cette histoire-là double le temps qui se vide comme un sablier, le lézarde souvent et le fracture parfois“ (Maler 2008). Si Mai 68 a été enterré au cours de l’été qui l’a suivi, même si ses événements n’ont pas pu tenir toutes leurs promesses, „Mai 68 a continué de 117 Discussion vibrer dans ses conséquences: […] ébranlements de toutes les institutions, fissures de toutes les dominations, effusions de toutes les révoltes, craquements de toutes les écorces, sous l’effet des luttes et des aspirations libertaires et autogestionnaires“ (Maler 2008). Pour comprendre ce dont il s’agit vraiment, il suffit de prendre l’exemple de l’insurrection qui a eu lieu en 2006 contre le Contrat Première Embauche ( CPE). 4 On retrouve dans les messages invoqués lors des manifestations des similitudes philosophiques, sociales et politiques avec ceux de Mai 68: „À bas le salariat, à bas le travail“, „Construisez des écoles vous fermerez des prisons“, „Détruire, rajeunir“, „À bas la société spectaculaire-marchande“ (Bureau of Public Secrets 2013). Chacun de ces messages de par sa forme et son contenu montre et démontre, comme le constate le philosophe Mehdi Belaj Kahcim - proche d’Alain Coupat - en ce qui concerne l’héritage et l’influence de Mai 68, que „Mai 68 reste un mouvement mystérieux […] qui explique l’impasse de notre génération“ (Dufresne 2012: 307). A nouveau l’analyse d’Henri Maler permet de mieux cerner à la fois le lien intime qui existe entre l’insurrection de Mai 68 et celle de 2007, ainsi que l’ambiguïté, l’incertitude de toute une génération qui se veut à gauche: „Mai 68 n’a pas pris sa retraite. L’événement lesté de ses virtualités n’est pas épuisé par ses actualisations ponctuelles et partielles, ni même ses prolongements durables ou éphémères. L’événement n’est pas entièrement son propre contemporain et ne s’efface pas derrière ses successeurs. L’événement n’est pas un fait, mais une puissance“ (Maler 2008). Dans une analyse semblable à celle de Maler, Le Goff explique clairement qu’on le veuille ou non, l’héritage de Mai 68 „a été transmis aux générations nouvelles [et] se traduit par une posture particulière: une façon d’être dans son rapport à soi, aux autres et au monde, une façon de vivre et de se comporter en société“ (Le Goff 2006: 474). Faisant écho aux insurgés de Mai 68, la génération Tarnac tire des conclusions similaires: „les pétitions et autres protestations solennelles ont fait leur temps. Le temps est à nouveau venu de construire de nouvelles barricades afin de faire face ‚à un ordre social finissant soucieux de revenir au statu quo‘, et de sans cesse et sans répit s’opposer à des actions de masse de type extra-parlementaire“ (Le Goff 2006: 135). Pour eux, le légalisme politique et parlementaire a fait, une fois encore, son temps. Ainsi les conclusions tirées par Le Goff à propos de l’héritage de Mai 68 se trouve à nouveau pertinente pour le combat que cherche à mener la génération Tarnac: „La bourgeoisie utilise et utilisera toujours la répression contre le peuple et elle peut aller jusqu’au fascisme lorsque la révolte grandit“ (Le Goff 2006: 17). Depuis Mai 68 l’idéologie de la répression de l’Etat sécuritaire n’a fait qu’agrandir et éparpiller ses tentacules. C’est ce que Deleuze et Guattari analysent comme étant le fascisme de pouvoir, „qui investit tout discours, qui d’une façon ou d’une autre, fait appel à la raison [comme par exemple le célèbre TINA de Margaret Thatcher (There Is No Alternative)]. Le fascisme le plus ouvertement déclaré ne parle-t-il pas en effet lui aussi de langage des buts, du droit, de l’ordre et de la raison“ (Deleuze/ Guattari 1972: 440). Il est donc temps de commencer à cesser d’être „le flic des autres et de soimême en libérant le désir des forces d’oppression qui le répriment et le manipulent“ 118 Discussion (ibid.: 415). C’est cet éthos commun qui (ré-)unit la génération 68 à la génération Tarnac. Pour cette dernière, Mai 68 reste le mythe fondateur de l’opposition qu’il faut perpétuer face à „une droite revancharde et réactionnaire, qui n’a jamais compris pourquoi ce mouvement avait eu lieu, veut lui faire porter la responsabilité“ de tous les maux contemporains de la France (Le Goff 2006: 466, Sirinelli 2008: 123). Mai 68 porte toujours en lui une aura, une sorte de charisme qui porte jusqu’à nos jours la faille de la démocratie parlementaire et libérale et qui circule parmi ses craquelures, et qui fait encore souffler un vent, un courant d’air de séditions, de libertés insoumises et solidaires. La génération Tarnac se situe dans la lignée des groupes dits d’extrême gauche qui ont suivi le mouvement de Mai 68 et qui prônent la nécessité des luttes extra-parlementaires et qui appellent au renversement de la bourgeoisie (néo-)libérale. Mai 68 a prouvé qu’un changement révolutionnaire était possible dans une société capitaliste développée, qu’une cassure, qu’un événement pouvait avoir lieu, se produire. Fort de cet héritage et de cet exemple, il est alors question pour la génération Tarnac de passer à des formes de luttes révolutionnaires différentes et inédites qui doivent s’étendre à l’ensemble de la société. Même si la question de la violence n’en est pas écartée (car elle ne peut être évitée et se doit d’être réfléchie, comme on va le voir plus loin dans cette analyse), les formes révolutionnaires de la génération Tarnac se situent principalement dans ce que Le Goff appelle „le bannissement des tentations judéo-chrétiennes“ telles qu’abnégation et sacrifice. Il faut comprendre par là que la „lutte révolutionnaire ne peut être qu’un jeu où tous éprouvent le besoin de jouer. La révolution passe par une transformation immanente, ‚ici et maintenant‘, des rapports entre les individus: ‚Trouve de nouvelles relations avec ton amie, aime autrement, refuse la famille. Non pour les autres, mais avec les autres, c’est pour toi que tu fais la révolution, ici et maintenant‘“ (Le Goff 2006: 128). Ce qui prime pour la génération Tarnac, c’est de se dégager de la gauche qui se conforme à l’anti-conformisme. Il est à nouveau temps de proposer de nouvelles ouvertures, d’autres dimensions politiques et idéologiques. Il est maintenant vital de répondre aux questions toujours pertinentes posées par Mai 68. Pour la génération Tarnac, il est dorénavant l’heure de disséminer de nouvelles valeurs, d’autres modes de pensée et de vie, de (r)établir la communication entre égaux, de remplacer la verticalité de la structure institutionnelle par l’horizontalité du rhizome et la latéralité de la ligne de fuite. Etudier l’Affaire Tarnac au travers de la formation de deux générations politiques qui possèdent des consciences historiques opposées fournit le fondement pour l’analyse de certains éléments constitutifs de deux possibles génomes idéologiques pour une société non pas à venir mais qui vient, et c’est en cela que cette affaire fait événement. Du côté de la génération Sarkozy, il sera question d’une idéologie que l’on peut qualifier de sécuritaire, et de l’autre côté, pour la génération Tarnac, il s’agira, en ligne de fuite, d’une idéologie de l’insurrection. 119 Discussion Deux idéologies: sécurité vs. insurrection C’est la magie noire de la contamination de Mai 68 qui non seulement hante Nicolas Sarkozy mais qui se veut aussi la base d’une idéologie politique fondatrice de la génération Sarkozy. Il est question de désarmer la portée historique et politique de certains éléments du passé, et comme on vient de le voir, ce sont ceux de Mai 68 dont il est question. Alberto Toscano propose l’analyse qu’il y a chez Nicolas Sarkozy un désir d’exorciser le passé. Il s’agirait d’une réaction à la peur que le passé insurrectionnel de Mai 68 ne revienne et le hante, ou pire: qu’il ne devienne la marque, l’héritage historique de sa présidence. C’est cette peur qui a généré toutes les politiques sécuritaires que Sarkozy a mises en place depuis son mandat de ministre de l’Intérieur. Le contexte de la crise économique mondiale ainsi que les premières insurrections, en Grèce, de la dite ‚Génération des 700 euros‘, lui ont fait dire à son cabinet ministériel „qu’on ne peut pas avoir un Mai 68 à Noël“ (Toscano 2009: 3, ma traduction). Cette hantise de Mai 68 fournit le point d’ancrage d’une idéologie et se traduit par une obsession de l’ordre, de la peur de toute agitation sociale et de toute radicalisation politique (ibid.: 3sq.). L’Affaire Tarnac est à la fois la mise en pratique et l’apogée de cette politique sécuritaire. Dans la pratique cette idéologie prend la forme d’une notion toute particulière qui est celle du ‚pré-terrorisme‘ sur laquelle toute l’Affaire Tarnac repose. La notion de ‚pré-terrorisme‘ établit le lien entre l’identification d’individus considérés comme dangereux face à l’idéologie et au nouveau contrat social sarkozyste, et la probabilité de futures révoltes. La porte est donc ouverte à toutes sortes de répressions préventives, et il est ainsi facile de comprendre qu’une communauté définie comme radicale, telle que celle de Tarnac, apparaît alors aux yeux du ministère de l’Intérieur comme un leurre qui „dissimule une cellule radicale d’ultra-gauche sur le point de passer à l’acte terroriste“ (Vincent/ Perez 2009). Cette communauté qui tente non seulement de vivre en dehors de la société spectaculaire-marchande mais qui essaie également de rétablir des liens de solidarité entre des gens vivants dans une même communauté tombe sous le coup de la loi de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ainsi que l’article 421 du Code Pénal qui définit les actes de terrorisme comme consistant à „troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur“ notamment au moyen de „destructions, dégradations et détériorations“. Cette définition s’applique même s’il n’y a pas volonté de tuer. Le principe pervers de cette loi est qu’elle permet des actions qui sont à la fois policières et judiciaires. L’objectif est la neutralisation judiciaire préventive. Cette souplesse d’action permet de remplir deux objectifs: 1) procéder à des arrestations préventives. C’est la stratégie du coup de filet ou du coup de pied dans la fourmilière. Il est possible d’arrêter un grand nombre de personnes liées de près ou de loin à une affaire, l’objectif étant la déstabilisation des réseaux. Les personnes arrêtées peuvent rester en détention préventive pendant deux ans et n’être relâchées qu’une fois innocentées. 120 Discussion 2) condamner des gens contre lesquels on n'a pas d’autres éléments à charge. Cinquante à quatre-vingt pour cent des personnes condamnées pour terrorisme en France le sont avec ce chef d’accusation principal. Dans le cadre de l’idéologie sarkozyste, cette loi représente une réponse à une préoccupation essentielle des Français et remplit la responsabilité majeure qu’est la sécurité de l’État. Pour Gérard Gachet, du ministère de l’Intérieur, cette loi permet de faire un travail sérieux envers tout ce qui peut menacer l’ordre public et la liberté des Français (Dufresnes 2009). Elle répond aux deux piliers de la politique sécuritaire sarkozyste: anticipation, c’est-à-dire prévention, et réactivité, c’est-à-dire répression. Au même titre que Charles De Gaulle, qui, en Mai 68, agitait la menace de la guerre civile pour pouvoir envoyer les CRS contre les manifestants, Nicolas Sarkozy et son ministère de l’Intérieur ont envoyé la SDAT à Tarnac sous prétexte que l’insurrection était proche. Pour les services de l’ordre, le ministère de l’Intérieur, les criminologues et les consultants experts en sécurité, l’Affaire Tarnac relève bel et bien de terrorisme. De cette façon l’État ainsi que la Justice établissent l’égalité entre les kamikazes islamistes et les gens de Tarnac. Avec cette qualification générique de ‚terroriste‘ l’État - ainsi que la Justice - non seulement utilise un terme chargé politiquement et émotionellement mais aussi il cherche à regrouper, à confondre et à effacer toutes les différences qui existent entre ses opposants. Dans son discours à l’Assemblée Nationale, Michelle Alliot-Marie (ministre de l’Intérieur) a caractérisé le groupe de Tarnac comme étant „des individus qui rejettent toute expression démocratique et appellent aux mouvements violents“ (Vincent/ Perez 2009). Elle a également affirmé qu’elle portait une attention toute particulière à ce type de mouvement et que la „démocratie ne saurait tolérer une expression radicale et violente“ de la part d’un groupe de suspects appartenant à l’ultra-gauche de la mouvance anarcho-autonome (Vincent/ Perez 2009; Gay 2009: 21sq.). Gérard Gachet reprendra le même registre sémantique lors d’une interview au cours de laquelle il affirme qu’il s’agit bien d’une mouvance ultra-gauche et qu’elle est une menace qui revendique un certain nombre d’actes violents. À cela il faut aussi ajouter la découverte, lors de la perquisition de Tarnac, de documents théoriques qui appellent au sabotage des grands réseaux de l’État, dont notamment le livre L’Insurrection qui vient écrit par le Comité Invisible. Selon lui, il y a un certain nombre de faits concordants qui font que l’ultra-gauche a une réalité politique (Dufresnes 2009). Ce sera, ensuite, le tour de Jean-Claude Marin, Procureur de la République à Paris, de confirmer lors de la conférence de presse qui a suivi l’arrestation du groupe de Tarnac: Il y a une sorte de noyau dur composé de cinq personnes qui va se voir […] reprocher par le Parquet, pour l’un d’entre eux, le fait d’être le dirigeant d’une structure à vocation terroriste. […] Ce noyau dur avait conçu la création d’une structure qu’ils appelaient la cellule invisible et qui avait pour objet la lutte armée, dont le but ultime était de provoquer la chute de l’État (Gay 2009: 30, 38). 121 Discussion Pour le ministère de l’Intérieur la situation était grave car ce groupuscule radical voulait non seulement attaquer les symboles de l’État mais aussi ses moyens de fonctionnement. Les services de police ainsi que la Justice insinuent, au travers de toute cette rhétorique, un rapprochement historique, un parallèle avec les années 70-80, au cours desquelles l’État français avait vu se développer des groupes similaires à celui de Tarnac, dont notamment Action Directe, et qui se sont radicalisés au point de la violence armée. Le ministre de l’Intérieur, Madame Alliot-Marie, avait déjà par ailleurs souligné, en 2008, la forte possibilité d’une „résurgence violente de l’extrême gauche radicale“, et pour éviter un tel scénario, elle avait affirmé que „l’anticipation était essentielle […] elle est la meilleure des protections“ (Paye 2011: 72). Les différents criminologues et idéologues au service de l’État avaient entérinés ce point de vue dans une circulaire qui annonçait la possibilité d’une „multiplication d’actions violentes commises sur différents points du territoire national susceptibles d’être attribués à la mouvance anarcho-autonome“ (Gay 2009: 112). À cela on peut encore ajouter l’analyse du criminologue et conseiller du ministère de l’Intérieur, Alain Bauer, qui explique que „Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire“ (Bauer 2010). C’est en effet lui qui avait le premier prêté une sérieuse attention au manifeste du Comité Invisible, L’Insurrection qui vient, et dont l’auteur supposé serait (selon les forces de l’ordre) Julien Coupat. Ce livre constitue une pièce essentielle de l’Affaire Tarnac car il fait directement référence au sabotage comme moyen de paralyser l’État: „Saboter avec quelques conséquences la machine sociale implique aujourd’hui de reconquérir et réinventer les moyens d’interrompre ses réseaux. Comment rendre inutilisable une ligne de TGV , un réseau électrique? “ (Comité Invisible 2007: 101). Pour Alain Bauer, il y a une parfaite continuité entre le fait d’écrire cette phrase et le fait reproché au groupe de Tarnac d’avoir commis les dégradations sur une ligne de TGV . Bauer considère que le texte fait part d’un „processus intellectuel [qui] ressemble extraordinairement aux origines d’Action Directe“, et il ajoute que „c’est la première fois après 90 pages de discours socio-ethno-politique qu’on avait le mode d’emploi des atteintes de la société en réseaux“ (Dufresnes 2009). Pour lui, il est donc nécessaire de considérer ce texte comme une revendication a priori des sabotages, et donc non seulement une preuve mais aussi une pièce à conviction. On voit donc que l’action préventive menée contre la communauté autonome de Tarnac avait deux objectifs. D’un côté, préserver l’ordre et la sécurité de la population française et, d’un autre côté, éveiller l’opinion publique sur l’existence et le danger intérieur de ces groupes radicaux sur le point d’utiliser la violence comme moyen d’expression et de terreur. Dans un premier temps, il était question de générer, plusieurs mois avant l’affaire même, un conditionnement de l’opinion pour évoquer les risques d’une forme de terrorisme d’ultra-gauche. Le ministre de l’Intérieur a cru bon de mettre les Français en condition et l’Affaire Tarnac en fut l’illustration. Dans un deuxième temps, il était question de faire comprendre à tous ceux et celles qui seraient tentés d’avoir des sympathies insurrectionnelles et des intentions préterroristes similaires au groupe de Tarnac qu’ils risquent de gros ennuis avec la 122 Discussion police et la justice. 5 Il n’était pas question de laisser se développer partout sur le sol français une nouvelle génération de terroristes qui se voudraient être les héritiers des groupes des années de plomb. De son côté, la génération Tarnac tire hors de l’héritage de Mai 68 un constat complètement opposé et qui entraîne une analyse de la génération Sarkozy comme ayant embrassé ce qu’Alain Brossat appelle la ‚totale-démocratie‘, c’est-à-dire qu’il n’y aurait „rien d’autre (politique) que la démocratie parlementaire, rien d’autre (vital) que le travail soumis aux conditions de l’entreprise, rien d’autre (économique) que le libre jeu du marché, rien d’autre (affectif) que la famille, etc.“ (Brossat 2009: 111sq.). La réflexion politico-philosophique de la génération Tarnac, il faut la chercher dans deux textes qui sont dans la lignée politique et philosophique de la revue Tiqqun dont Julien Coupat était l’animateur: L’Appel (Anonyme 2003) et L’Insurrection qui vient (Comité invisible 2007). Le texte L’Appel énonce les prémisses politiques autour desquelles la ‚génération Tarnac‘ pourrait être rassemblée: Quant à l’ordre sous lequel nous vivons, chacun sait à quoi s’en tenir: L’empire crève les yeux. Qu’un régime social à l’agonie n’ait plus d’autre justification à son arbitraire que son absurde détermination - sa détermination sénile - à simplement durer; Que la police, mondiale ou nationale, ait reçu toute latitude pour régler leur compte à ceux qui ne filent pas droit; Que la civilisation, blessée en son cœur, ne rencontre plus nulle part, dans la guerre permanente où elle est lancée, que ses propres limites; Que cette fuite en avant, déjà centenaire presque, ne produise plus qu’une série sans cesse plus rapprochée de désastres; Que la masse des humains s’accommode à coups de mensonges, de cynisme, d’abrutissement ou de cachetons à cet ordre des choses, nul ne peut l’ignorer. (Anonyme 2003: 1) Et afin de combattre cet état de fait sordide, le collectif rédacteur du tract propose sa propre stratégie qui veut „établir dès maintenant un ensemble de foyers de désertion, de pôles de sécession, de points de ralliement. […] Pour cela nous avons besoin de lieux. De lieux où s’organiser et développer les techniques requises. Où s’exercer au maniement de tout ce qui pourra se révéler nécessaire. Où coopérer“ (Collectif 2005: 6). Il est donc question de la formation de communes car, comme il est expliqué dans L’Insurrection qui vient, „une montée insurrectionnelle n’est peut-être rien d’autre que la multiplication de communes, leur liaison et leur articulation“ (Comité Invisible 2007: 107). L’option communautaire et communiste, qui avait été chassée „par la porte de l’Histoire européenne […] nous revient par la petite lucarne de Tarnac“ (Brossat 2009: 108). Ce programme d’action politique sera confirmé et surtout clarifié par le collectif dans la Proposition VI du tract: „D’un côté nous voulons vivre le communisme; de l’autre, nous voulons répandre l’anarchie“ (Collectif 2005: 1 et 6). Comme l’explique Alain Brossat dans son analyse de l’Affaire Tarnac, le signifiant ‚communisme‘ est à nouveau doté de la capacité „de présenter des espaces autres que ceux de la domination, de nommer des alternatives globales aussi bien en termes spatiaux que temporels. Dans cette topographie, le communisme est ancré 123 Discussion dans le réel, il augmente ou intensifie le réel“, et il est question une fois encore de bien l’enraciner dans „l’imaginaire des peuples qu’il investit sous la forme d’utopies, de grands desseins d’avenir, de promesses et d’espérances collectives, d’une véritable eschatologie“ (Brossat 2009: 108). En faisant face à l’indétermination du signifiant ‚démocratique‘, la revalorisation du signifiant ‚communisme‘ se fait, pour la ‚génération Tarnac‘, figure d’inservitude volontaire. Dès la première phrase, L’Insurrection qui vient fait écho à la vision catastrophique et nihiliste de L’Appel: „Sous quelque angle qu’on le prenne, le présent est sans issue“ (Comité invisible 2007: 7). De nouveau on ne peut s’empêcher de penser combien ce texte, influencé et inspiré par les textes situationnistes, dont notamment La Société de spectacle de Guy Debord, entre en dialogue avec une certaine partie de l’idéologie de Mai 68 et ainsi cherche à faire des propositions et à prendre des positions politiques qui sont adaptées à l’époque contemporaine. Premièrement, il propose une critique libertaire de la société contemporaine dont notamment les conditions miséreuses de notre vie quotidienne dominée par l’idéologie néolibérale dans les grandes métropoles. Et deuxièmement, au même titre que L’Appel, il propose des solutions dont notamment la réorganisation de notre vie quotidienne en communes. Cette vision de la Commune est envisagée à la fois comme une expérience collective de la politique ainsi que comme un instrument d’action politique qui se veut à la fois existentiel et éthique. 6 Il faut interpréter cette dimension éthique du communisme comme un désir profond de recouvrer la notion émancipatrice de ‚communauté‘. 7 Le fait qu’il faille peut-être une „génération entière pour construire dans toute son épaisseur un mouvement révolutionnaire victorieux“ (Collectif 2005: 1) n’est pas non plus ce qui va faire reculer cette ‚génération Tarnac‘. Cette notion de génération entière montre non seulement le temps qu’il faudra peutêtre pour résoudre ce conflit générationnel et par conséquent le gouffre idéologique qui fait que ces deux générations s’opposent en tous points. Les inculpés de Tarnac, en tant que sympathisants et pratiquants de l’idéologie de L’Appel et de L’Insurrection qui vient, ont rapidement fait l’expérience que l’Étatnation capitaliste moderne ne tolère pas facilement les propositions politiques et sociales alternatives puisqu’ils ont été arrêtés manu militari. Bien entendu, les membres du groupe de Tarnac, ainsi que les philosophes, les sociologues et la génération de citoyens et citoyennes qui leur sont idéologiquement proches, réfutent et rejettent un tel état des choses. Nombreux sont les critiques qui voient dans l’application de la loi anti-terroriste non seulement la négation du respect des libertés publiques et individuelles mais, pire encore, un moyen de criminalisation des mouvements sociaux contestataires. Le philosophe argentin Miguel Benasayag affirme qu’il faut penser les actes de sabotage qui ont été commis non en termes de légalité mais en termes de légitimité. Selon lui, nous vivons, que cela nous plaise ou non, dans une société qui nie le fait qu’elle est violente, et cela pour mieux en instrumenter la violence. Ainsi certains actes de résistance, qui peuvent être violents, ne sont pas jugés politiquement mais automatiquement catégorisés, pathologisés comme fous, irrationnels, alors qu’il faudrait 124 Discussion les penser rationnellement, par rapport à la situation de l’époque. Face à des actes de résistance, il ne faut jamais nier la rationalité de l’époque dans laquelle ils ont été commis. De cette manière on peut donc considérer qu’il est possible de faire des actes légitimes et nécessaires même quand ils ne sont pas légaux (Benasayag 2010). Résister, c’est être à la frontière, dans la limite entre le légal et le légitime. Il faut donc, toujours selon Benasayag, „pouvoir penser la violence dans sa complexité et la condamner, c’est l’acte le plus violent qui puisse exister“ (Benasayag 2010). Affirmation qui nous amène à la figure du terroriste face à la légitimité de la lutte armée violente. Pour Benasayag, la distinction est simple: la frontière entre les deux passe par le fait de ne jamais utiliser des vies humaines comme message envers l’autre. La génération Tarnac est en parfait accord avec cette analyse faite par Benasayag. En effet L’insurrection qui vient prend à bras-le-corps la rationalité de la légitimité de la violence dans des actes de résistance en expliquant „qu’il n’y a pas d’insurrection pacifique. Les armes sont nécessaires: il s’agit de tout faire pour en rendre l’usage superflu. Une insurrection est d’avantage une prise d’armes, une ‚permanence‘ armée, qu’un passage à la lutte armée. On a tout intérêt à distinguer l’armement de l’usage des armes“ (Comité Invisible 2007: 118sq.). S’il est légitime de répondre à la violence de l’État par la violence et si les armes font partie de la constante révolutionnaire, leur utilisation est souvent improductive dans les grands moments révolutionnaires et insurrectionnels. Le Comité Invisible fait notamment référence à des mouvements insurrectionnels de générations précédentes: le 10 août 1792, 18 mars 1871, octobre 1917 (Comité Invisible 2005: 119). Si ces différents moments insurrectionnels considéraient leur violence comme légitime à leur époque, le Comité Invisible fait une analyse différente de la rationalité contemporaine: „D’un point de vue stratégique, l’action indirecte, asymétrique, semble la plus payante, la plus adaptée à l’époque: on n’attaque pas frontalement une armée d’occupation“ (ibid.). Le Comité Invisible envisage d’ailleurs les deux types de réactions possibles de l’État: „L’une d’hostilité franche, l’autre plus sournoise, démocratique“ (ibid.: 120). Dans le cas de l’affaire Tarnac, le fait d’apposer l’étiquette terroriste sur les personnes arrêtées met en place ce second type d’hostilité car il offre la possibilité d’une rhétorique à double effet. Tout d’abord, comme l’explique le sociologue Laurent Bonelli, „le terrorisme est un outil de disqualification de l’adversaire en tant qu’adversaire politique. Une telle qualification dénie l’échange politique. […] Le terrorisme est une manière de délégitimer certains groupes d’opposition, une manière de criminaliser la contestation“ (Bonelli 2008). On n’est donc plus dans le domaine judiciaire mais bien dans celui de la politique, de la politique légitime. Julien Coupat, dans l’entretien qu’il a accordé au Monde en Mai 2005, s’est expliqué longuement sur le terme juridique de ‚terrorisme‘: Le flou qui entoure la qualification de ‚terrorisme‘, l’impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française: ils sont au principe de cette chose que l’on peut, elle, très bien définir: l’antiterrorisme dont ils forment plutôt la 125 Discussion condition de fonctionnement. L’antiterrorisme est une technique de gouvernement qui plonge ses racines dans le vieil art de la contre-insurrection, de la guerre dite ‚psychologique‘ […]. L’antiterrorisme c’est la méthode par quoi l’on produit, positivement, l’ennemi politique en tant que terroriste […] il s’agit d’anéantir la ‚menace subversive‘ en associant, au sein de la population, l’ennemi intérieur, l’ennemi politique à l’affect de la terreur. (Coupat 2009) Sur ce point, le sociologue Mathieu Rigouste fournit une analyse perspicace: les termes de ‚terrorisme‘ et ‚terroriste‘ permettent la création d’un ennemi intérieur, „un personnage symbolique, une figure qu’on retrouve partout où il y a des formes d’autorités centralisées“ (Rigouste 2009). Il s’agit d’une figure construite médiatiquement qui permet de diffuser dans la population le type de personnage, de comportement, de faciès, de corps qui est potentiellement dangereux, de soutenir des discours sur ce qu’il faut défendre (la Nation, l’État, le capitalisme, etc.), sur la propriété, sur les autres, ou encore de justifier une structure de pouvoir. Le fait que les inculpés de Tarnac aient refusé de coopérer à l’enquête en n’acceptant pas de donner volontairement leur ADN , 8 qu’ils n’aient jamais utilisé de téléphones portables, qu’ils aient décidé de vivre dans un coin retiré, qu’ils aient établi des liens amicaux avec les habitants de Tarnac sont pour les forces de l’ordre la preuve qu’ils étaient passés dans la clandestinité, et la ferme retirée dans laquelle ils vivaient était la base logistique du groupe (Mandraud 2008). Ainsi leur mode de vie, leur mode de contestation politique sortant du cadre démocratique, leur recherche d’anonymat révélaient le fait qu’ils avaient quelque chose à cacher, c’est-àdire „leur intentionnalité, celle de vouloir commettre des attentats afin de déstabiliser l’État“ (Paye 2011: 66), et de ce fait convoquaient l’image de l’ennemi intérieur qui est devenue „l’objet qui les désigne comme coupables et les identifie comme terroristes“ (ibid.). Il n’y a pas de preuves contre les inculpés de Tarnac, mais les auteurs des sabotages sur les lignes de TGV ne peuvent être qu’eux, et cela découle de leur nature insurrectionnelle. L’utilisation d’une telle rhétorique de la part des forces de l’ordre et de la Justice a permis de les classer comme un groupe à risque, comme terroristes, et donc par conséquent les rendre redevables de traitements différents de la population dite normale. Pour le philosophe Mehdi Belhaj Kacem, „nous sommes dans ce que Debord a appelé dans ces ‚commentaires‘, la guerre civile préventive, virtuelle dirait Deleuze. L’État ne répond pas à une guerre qu’on lui livrerait effectivement, qui tomberait sur le coup du droit commun, mais qu’on pourrait lui livrer et donc régresser au délit d’opinion pur et simple“ (Belhaj Kacem 2009). De cette manière l’Affaire Tarnac a permis de „transformer l’objet invisible, la menace terroriste, en objet existant, visible“ (Paye 2001: 118). Il n’était donc pas question d’appréhender de dangereux terroristes, mais de faire accepter aux Français le droit que s’est arrogé le pouvoir de nommer comme terroriste et de se donner les moyens de criminaliser toute image d’opposition, quelle qu’elle soit. L’Affaire Tarnac n’est pas construite sur la découverte de preuves matérielles qui pourraient incriminer les inculpés, mais bel et bien sur la création d’une image qui repose sur un travail sur le langage. Comme on l’a déjà observé, les neuf personnes 126 Discussion interpellées à Tarnac ont été qualifiés de terroristes parce que le pouvoir les a décrétés comme tel. À cela on peut rajouter l’usage particulier d’un certain type de vocabulaire dans les rapports de police: une échelle devient du „matériel d’escalade“, la ferme où ils habitent est un „lieu de rassemblement et d’endoctrinement, une base arrière pour les actions violentes“, un simple horaire des chemins de fer devient un „document précisant les heures de passage des trains, commune par commune, avec horaire de départ et d’arrivée dans les gares“ (ibid.: 6; Agamben 2008). On y retrouve également des termes qui font référence à l’organisation armée tels que ‚commando‘ et ‚ QG ‘, ainsi que d’autres qui permettent de montrer Julien Coupat comme le leader charismatique 9 (paradoxe flagrant, il serait le chef, c’est-àdire celui qui nie l’autonomie d’un groupe de gens réputés autonomes [Coupat 2009]). L’emploi de tels substantifs et qualificatifs permet de créer de toutes pièces l’image d’un groupe organisé militairement et dans la foulée d’authentifier leurs intentions criminelles. Cette image du terroriste dressée grâce à la reconstruction du langage 10 prend toute son ampleur dans l’utilisation du terme, de la catégorie politique, qu’est la formule ‚Ultra-gauche de mouvance anarcho-autonome‘. Au lendemain de l’Opération Taïga, tous les médias, journaux, télévisions et internet ont repris cette formule. Ce n’est que plus tard lorsqu’il devient clair qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond avec cette affaire que les médias vont finalement faire les enquêtes de fond nécessaires et admettre qu’ils s’étaient laissé manipuler un peu trop facilement. La notion de ‚mouvance‘, que l’on trouve d’ailleurs utilisée de manière interchangeable avec le synonyme ‚nébuleuse‘, fait référence au manque, voire même au refus, de toutes structures établies et à la multiplicité des groupes qui peuvent s’inscrire ou être inscrits dans cette formule. Les notions de ‚mouvance‘ et de ‚nébuleuse‘ renvoient à un flou organisationnel recherché par les différents groupes d’action qui se veulent décentralisés, et ayant en même temps certains consensus et certaines libertés quant à leur type et mode d’action comme l’explique Jean-François Daguzan, Directeur de la revue Sécurité Globale: les „réseaux communautaires s’organisent de façon aléatoire autour d’un système large et dont l’axe de valeurs peut se concrétiser tangiblement ou non“ (Daguzan 2010: 27). Les membres de la communauté de Tarnac chercheraient probablement à s’opposer à une telle interprétation car pour eux cette notion de ‚mouvance‘ ne serait après tout qu’un fantasme policier fait d’une juxtaposition de mots qui cherche à créer un objet avec des contours définis, un supposé corpus idéologique, des liens d’appartenance organisationnelle et des relations organiques entre les groupes. Ce que Gérard Gachet, porte-parole du Ministère de l’Intérieur, confirme d’ailleurs en expliquant qu’il s’agit de vieux termes et qu’ils sont utilisés simplement dans l’intention „d’essayer de situer intellectuellement les gens interpellés“ (Médiapart 2009) ainsi que leurs écrits, leurs opinions et leur attitude, et comme il a déjà été démontré l’objectif de l’État est la „gestion courante de la pacification sociale“ (Coupat 2009). Dans l’entretien qu’il a accordé aux médias, Julien Coupat s’est également longuement exprimé sur l’amalgame entre ‚ultra-gauche‘ et ‚anarcho-autonome‘: 127 Discussion Il est bien dans l’intention du nouveau pouvoir de s’attaquer à l’ennemi, en tant que tel, sans attendre qu’il s’exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression. Il importe peu, finalement, qu’il ne se trouve personne en France pour se reconnaître ‚anarchoautonome‘ ni que l’ultra-gauche soit un courant politique qui eut son heure de gloire dans les années 1920 […]. On ne saurait prédire cependant, lequel d’‚anarcho-autonome‘ ou d’‚ultragauche‘ emportera finalement les faveurs du spectacle. (Coupat 2009) A propos de cette question historique, Christophe Bourseiller explique dans son livre Histoire générale de l’ultra-gauche que ce terme regroupe les marxistes révolutionnaires des années 1920 et leur postérité, des groupes qui ont entrepris un travail théorique sur le marxisme, d’un point de vue anti-autoritaire, contre la médiation du parti et pour la spontanéité des masses auto-organisées (Bourseiller 2003). Parmi les différents groupes qui ont été classés sous le terme d’ultra-gauche, aucun d’entre eux ne s’en est jamais revendiqué. Aujourd’hui on ne peut s’en référer qu’à titre historique. Cependant pour Gérard Gachet, la qualification d’‚ultra-gauche‘ est tout à fait justifiée politiquement car il s’agit ici de „séparer cette mouvance de l’extrême gauche institutionnelle inscrite dans un processus électoral respectueux de la vie démocratique“ (Médiapart 2009) et à ce niveau ‚l’ultra-gauche‘ est en opposition à ‚l’extrême gauche‘. Comme il a déjà été mentionné, le groupe de Tarnac récuse cette appellation dans sa totalité. Benjamin Rosoux, une des personnes mises en détention préventive, explique que le terme est apparu deux ans plus tôt dans le sillage du CPE et des manifestations violentes qu’il avait provoquées afin de „stigmatiser des groupuscules qui tenteraient de manipuler les foules d’étudiants“ (Médiapart 2009), et l’opération Taïga aurait été une campagne de communication qui aurait servi à officialiser l’ultra-gauche de la mouvance anarcho-autonome dans le langage sarkozyen. Eric Hazan, l’éditeur du livre L’Insurrection qui vient, explique (Hazan 2009) que si l’on part du postulat de la totale égalité entre les gens comme point commun entre l’anarchisme et le groupe de Tarnac, alors oui, il y a bel et bien des affinités électives, cependant il ne faut pas oublier qu’il en faut plus pour parler de théorie anarchiste. L’anarchisme possède en effet toute une histoire, une tradition et une ligne politique qui lui sont propres - même si elles ne sont pas toujours clairement définies. De plus, pour la génération Tarnac, il ne s’agit pas simplement de se rattacher aveuglément aux générations d’anarchistes qui précèdent. Il est question de faire une critique de la relation entre l’anarchisme et la gauche traditionnelle. Cette dernière est perçue comme faisant maintenant partie intégrante du processus néo-libéral et par conséquent incapable de générer du changement. L’influence des Situationnistes est essentielle dans le sens où la ‚génération Tarnac‘ cherche à promouvoir une forme d’anarchisme qui est basée sur l’insurrection sociale. En conséquence, il faut se méfier de ce genre de doublet car ils sont toujours l’objet d’un amalgame. Quoi qu’il en soit, cette appellation témoigne d’une sérieuse ignorance des philosophies anarchiste et autonome. D’un côté, les anarchistes cherchent à former une société sans hiérarchie, sans État et s’organisent en 128 Discussion fédération, alors que, d’un autre côté, les autonomes rejettent tout système organisationnel et se regroupent en fonction de leurs idéologies. Formuler une critique, entreprendre une critique de l’idéologie sarkozyste dominante n’a pas pour but de formaliser et mettre en pratique une autre idéologie - que cela soit dans sa fonction ou sa structure. Pour la génération Tarnac, il est question d’entreprendre un projet théorico-politique beaucoup plus ambitieux, dont la vocation est transformatrice et non conservatrice ou régulatrice. En d’autres mots, il est question, avec le travail contre-idéologique entamé, de mettre en marche une autre réalité sociale, une autre organisation de production ainsi qu’une autre répartition des richesses au travers de ce que Négri et Hardt ont appelé un ‚Commonwealth‘. Dans les manifestes tels qu’Appel, L’Insurrection qui vient et, plus récemment, À nos amis, il s’agit d’élaborer des contre-structures, de faire valoir la probité d’autres choix à travers le prisme d’une plus grande justice sociale, et ainsi offrir des alternatives viables au capitalisme (néo-)libéral contemporain. Cette recherche d’une nouvelle voie/ voix de passage se situe pour Isabelle Garot „à l’exact point de rencontre de la critique idéologique et de l’initiative politique, à l’intersection de l’élaboration théorique et des luttes sociales multiples, désormais indissociable d’une visée politique globale concertée“ (Garo 2009: 27). Ce qui est important de comprendre ici, c’est non seulement le fait que les idées se veulent comme partie intervenante du réel, mais aussi le rôle essentiel de l’entrelacement entre la dimension théorique et critique, et de leur mise en pratique au travers des luttes émancipatrices afin qu’elles aient un effet constructif et constructeur. Un tel processus permettra, selon la génération Tarnac, de mener à une mobilisation sociale, de conduire à une démocratisation radicale. On voit donc que dans cette affaire, tout est plus complexe qu’il n’y paraissait. La rhétorique idéologique d’une génération nourrit celle de l’autre: „C’est bien un champ de bataille qui s’offre au regard: l’idéologie [dominante] s’y présente comme une force sociale, intégrée à la réalité dont elle contribue à orienter les transformations, confrontée à des résistances et des luttes qui doivent elles aussi se doter de leurs représentations et de leurs discours propres, exigeant de toute urgence le renouveau de l’intervention théorique, politique et syndicale“ (Garo 2009: 83). L’événement de l’affaire Tarnac a permis à la génération Sarkozy d’imposer la nécessité d’une intervention sécuritaire face à un ennemi intérieur, et ceci sur les ressorts de la peur: „la vie en société n’est guère viable si un pouvoir fort n’empêche pas la guerre de tous contre tous“ (Enjalbert 2013). La génération Sarkozy a retenu la leçon de la présidence de G. W. Bush lorsqu’il a développé le concept ‚d’axe du mal‘ afin de mettre en place une politique et un pouvoir basé sur la peur. La génération Sarkozy a remis au goût du jour la notion d’ultra-gauche afin de justifier sa propre politique sécuritaire basée sur la vision d’une société menacée de l’intérieur. Une politique sécuritaire qui a permis, notamment à travers l’Affaire Tarnac, de rationaliser et de centraliser sa production idéologique sur la défense, la sécurité et la production de contrôle. Il s’agissait en effet d’effectuer un tournant sécuritaire afin de créer un idéal suprême de société qui est, selon Xavier Raufer, „celui d’un monde 129 Discussion ordonné dans lequel des ‚États boucliers‘ protègent l’existence physique de tous leurs citoyens; au sein de tels États, le danger, le risque sont si possible bannis; où le calme, la sécurité et l’ordre doivent régner“ (Rigouste 2011: 145sq.). Ces valeurs, on les retrouve dans les différents manifestes de la génération Sarkozy qui se présente comme une droite forte, décomplexée, fière de son idéologie et de ses convictions (Bouge 2012, Dupont 2012). Et, par conséquent, il s’agit de mettre en avant la croyance en un État fort dans lequel l’autorité républicaine conçoit le mot ‚sécurité‘ non pas comme un gros mot mais plutôt comme un droit qui se trouve être pour chacun la première des libertés. Pour la génération Tarnac, il s’agit de ne plus se laisser gouverner par une forme de populisme autoritaire 11 et d’inventer de nouvelles subjectivités 12 qui s’opposent au pouvoir et aux idées dominantes par des micro-résistances et qui défendent les singularités autonomes - „Communauté et singularité ne s’opposent pas“ (Guattari/ Negri 2010: 19 et 40-48). Comme l’explique Isabelle Garo, „le but n’est pas de croiser le fer à tous les coins de rue mais de construire, par et par-delà la confrontation élaborée, une autre démarche théorico-politique, façonnant son argumentation propre, édifiant parallèlement ses propres structures de diffusion et de débat“ (Garo 2009: 72). De cette manière, il s’agit de mettre en route un mouvement populaire dont la capacité sera de s’engager et d’organiser „démocratiquement des pratiques de ré-appropriation autogestionnaire de l’appareil productif et de la vie sociale toute entière“ (Garo 2009: 57). Ces dérobades, cette (dé-)multiplication de la désobéissance volontaire, met en place ce que Deleuze appellerait un mouvement aberrant, qui remet en question le statut du rapport de force politique dominant parce qu’il „échappe aux rapports de nombres“ et par conséquent trouve l’occasion de renverser sa subordination (Deleuze 1998: 53). En d’autres termes, ces nouvelles formes de résistance et de défection permettent de mettre en place des lignes de fuite actives qui forment un agencement de machines de guerre nomades contre les appareils de capture des appareils de l’État. Ainsi la génération Tarnac est consubstantiellement liée non seulement à une pensée du dehors mais aussi au nomadisme, et de par cela forme une génération mouvante pour laquelle résister, c’est créer et libérer le pouvoir d’agir des gens. AFP, „Sabotages à la SNCF: Dix personnes toujours en garde à vue“, in: Libération, 11 Novembre, 2008, www.liberation.fr/ societe/ 2008/ 11/ 11/ sabotages-a-la-sncf-dix-personnestoujours-en-garde-a-vue_244116, dernier accès le 8/ 9/ 2017. AFP/ AP, „Sarkozy veut ‚liquider‘ l’héritage de Mai 68“, in: Nouvel Observateur, 30 avril 2007, http: / / tempsreel.nouvelobs.com/ politique/ elections-2007/ 20070430.OBS4781/ nicolassarkozy-veut-liquider-l-heritage-de-mai-68.html, dernier accès le 8/ 9/ 17. Agamben, Giorgio, „Terrorisme ou tragi-comédie“, in: Libération, 19 novembre 2008, www. liberation.fr/ societe/ 2008/ 11/ 19/ terrorisme-ou-tragi-comedie_257959, dernier accès le 8/ 9/ 17. 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La vive opposition et la contestation d’une partie de la population, ont fait reculer le pouvoir exécutif. Si la loi mettant en place le CPE a été publiée au journal officiel le 2 avril 2006, avec la promesse de Jacques Chirac que des modifications seraient effectuées, un projet de loi présenté par le Premier ministre du 10 avril 2006 a proposé de le retirer et de le remplacer par un dispositif visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté“ (Wikipédia, https: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Contrat_premi%C3%A8re_em bauche, version du 21 mars 2017). Mouvement contre le CPE: „Les syndicats et coordinations d’étudiants et de lycéens, ainsi que les partis de gauche, manifestent contre le gouvernement Dominique de Villepin et demandent le retrait du CPE. Un grand nombre d’Assemblées générales demandent aussi l’abrogation de l’intégralité de la loi pour l’égalité des chances dont il fait partie, et également le retrait du contrat nouvelles embauches (CNE), plus ancien, similaire par certains aspects au CPE. D’autres revendications ont également été défendues, sans succès (augmentation du nombre de postes aux CAPES, etc.). Face aux manifestations, le 10 avril, Dominique de Villepin annonce que ‚les conditions ne sont pas réunies‘ pour que le CPE s’applique, deux mois après son adoption par le Parlement et dix jours après la validation de la loi (décision 2006-535 DC du 30 mars 2006) par le Conseil constitutionnel. Cette loi est alors retirée. Le conflit voit par ailleurs naître une résistance importante d’étudiants, qui veulent continuer à travailler, contre les blocages d’universités et de lycées par les militants politiques.“ (Wikipédia, https: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Mouvement_contre_le_contrat_premi%C3%A8re_ embauche, version du 24 septembre 2017). 5 Alberto Toscano l’exprime de la manière suivante dans son article dans le Guardian: „The French authorities have made it clear that the aim of this highly spectacular operation was to send a pre-emptive message, to nip in the bud the perceived threat of anti-capitalist movements that refuse the parliamentary arena and opt for direct action“ (in: „Criminalising Dissent“, The Guardian, mercredi 28 Janvier 2009). 6 Je paraphrase certains aspects de la description qu’Alberto Toscano a faite de L’insurrection qui vient dans les articles „The war against pre-terrorism“, in: Radical Philosophy, 154 (March/ April 2009), 5, 7, et „Criminalising Dissent“, in: The Guardian, 28/ 01/ 2009. 7 Dans ce sens on peut mieux comprendre l’allusion du titre au livre de Giorgio Agamben, La communauté qui vient, Paris, Seuil (Librairie du XXe siècle), 1990. 8 Pour Julien Coupat (cité dans Gay 2009: 50), „refuser de se soumettre volontairement au fichage biométrique est un principe éthique“. 9 Expression qui fait aussi référence à l’organisation des sectes dont un grand nombre est interdit en France parce qu’elles sont considérées comme dangereuses. 10 Pour une analyse complète de cette reconstruction du langage cf. Paye 2011: 65-69. 11 Cf. Stuart Hall, Le populisme autoritaire. Puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatchérisme et du blairisme, Paris, Amsterdam, 2008. 12 „La production de nouvelles formes de subjectivité collective, capables de gérer selon des finalités non capitalistiques les révolutions informatiques, communicationnelles, robotiques et de la production diffuse, ne relève nullement de l’utopie“ (Guattari/ Negri 2010: 19).