eJournals lendemains 35/138-139

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2010
35138-139

La série télévisuelle entre appropriation, remédiation et création: Kadie Jolie, Vis-à-Vis et Commissariat de Tampy (Burkina Faso)

2010
Ute Fendler
ldm35138-1390069
69 Dossier 3. Dynamiques d’appropriation et défis interculturels Ute Fendler La série télévisuelle entre appropriation, remédiation et création: Kadie Jolie, Vis-à-Vis et Commissariat de Tampy (Burkina Faso) Dans la mesure où les médias audiovisuels sont d’origine européenne et américaine, l’impact des médias en Afrique est d’abord considéré comme un transfert de techniques culturelles qui soulève la question de l’utilisation et de l’appropriation de ces médias. La question se pose de savoir comment un médium nouveau dans un certain contexte culturel, est adapté aux attentes du public et des utilisateurs et comment ce médium est éventuellement modifié par ces attentes, mais aussi sous l’impact de pratiques culturelles divergentes. Une approche utile dans ce contexte est celle d’Arjun Appadurai qui a décrit les impacts de la globalisation comme une „construction transnationale complexe de paysages imaginaires“ („a complex transnational construction of imaginary landscapes“, 1996, 31). Il introduit les notions de „mediascapes“, „ethnoscapes“ et „ideoscapes“, avec lesquelles il tente de décrire la négociation de relations transculturelles et d’idées et imaginaires qui émergent, voyagent, interagissent dans la sphère publique, qui, à son tour, est largement occupée par les médias de masse. Ces rencontres médiatiques jouent sur la réception et la production de formats, genres et sujets. Dans un rapport de CFI (Canal France International) de 2005 sur une enquête concernant les habitudes télévisuelles dans 15 pays africains, il est frappant de constater que trois préférences communes aux publics africains émergent: 1la fiction produite localement pour un public local; 2les programmes de sports en Afrique 3des informations indépendantes et diversifiées. (CFI, 15.09.2005, 2) L’intérêt principal du public africain peut se résumer à la fiction, l’information et le sport africain, tous programmes qui permettent aux spectateurs de s’identifier avec les images et les événements montrés à l’écran. Dans le cas du Burkina Faso, Serge Balima et Marie-Soleil Frère (2003) soulignent que la programmation pour la télévision prévoit 50% d’émissions d’origine internationale et 50% nationale (2003: 150). Notre étude porte sur la production télévisuelle de la RTNB (Radiotélévision nationale du Burkina Faso) en tant que faisant partie du „mediascape“ burkinabè où les productions locales et internationales se côtoient dans la programmation. On peut constater que les premières séries télévisuelles ont été produites au début des années 1990. Auparavant et de manière concomitante, il y avait (et il y a toujours) une forte présence au petit écran de productions latino-américaines, nord- 70 Dossier américaines et européennes. Cela explique que les télénovélas sud-américaines trouvent un public très large de presque 70% des spectateurs au Burkina Faso (2003: 327). Néanmoins, la demande pour des productions locales de fictions est grande, car le traitement sur le mode divertissant de sujets actuels qui de plus reflètent la vie sociale des spectateurs, est très apprécié. La question se pose de savoir si les formats des séries télévisuelles et de télénovélas introduits avant que la production locale ne commence, n’ont pas influencé la création de la télésérie locale. A ce niveau entre en jeu le concept de la remédiation, soit la réorganisation culturelle d’une société en fonction d’un nouvel espace/ agencement médiatique. Selon Jay David Bolter (2005: 14), le processus de remédiation est double. S’il est démontré que l’apparition d’un nouveau médium dans un contexte médiatique particulier modifie l’agencement global des médias dans ce milieu culturel, en même temps, l’émergence et le développement de nouvelles pratiques sont structurés spécifiquement par l’environnement médiatique. Il distingue essentiellement trois types: 1. remédiation comme médiation de la médiation. Toute médiation dépend d’autres actes de médiation. Les médias commentent, reproduisent et replacent continuellement d’autres médias. 2. remédiation comme relation inséparable de la médiation et de la réalité: […] tous les médias médiatisent la réalité. 3. remédiation comme réforme: un processus de reformation de la réalité. Parallèlement à la croissance de l’importance de la télévision dans la vie quotidienne des populations urbaines en Afrique de l’Ouest, les formes traditionnelles de communication perdent de terrain. Abdul Ba parle même d’un remplacement de l’arbre à palabres par la télévision (1999: 8). Il insiste sur le fait que la télévision s’accapare cette fonction communautaire, la pratique sociale se déplace avec les acteurs, car les conditions de réception des programmes télévisuels créent une sorte de communauté de spectateurs qui discutent les émissions. Andreas Hepp décrit cette émergence d’une communauté de spectateurs comme étant un moment crucial de la rencontre du global et du local. Ces discussions autour du rôle de la télévision témoignent de la négociation entre discours médiatique et discours de la vie et de la culture quotidiennes dans un processus communicatif. (1999: 192) Hepp distingue également trois structures communicatives: 1 - la mise en relation du vu avec les phénomènes de la vie quotidienne, 2 - la création d’une expérience émotive commune et 3 - l’interprétation du message médiatique. Les spectateurs commentent les émissions, les imitent éventuellement et intègrent le message télévisuel dans leur horizon d’attentes. Dans ce processus, le message est connecté avec les savoirs et codes culturels locaux. Un exemple pour illustrer ce phénomène pourrait être la réception de la série télévisuelle des années 1990 Sida dans la Cité (Côte d’Ivoire, Burkina Faso) qui permettait aux spectateurs de discuter le nouveau fléau et ses dangers pour la population sans craindre d’être soupçonnés de séroposivité à cause de l’intérêt manifesté pour le sujet (Fendler 2000). 1 La remédiation de formats et de genres locaux, traditionnels et globaux 71 Dossier semble être caractéristique du „médiascape“ burkinabè, un phénomène qui s’accompagne d’une réception active, une remédiation de la réalité. En présentant trois exemples de formats différents, nous proposons de suivre plus précisément ces processus de remédiation dans le médiascape burkinabè. En 1999, la compagnie Jovial produisait Kadi Jolie. Le cinéaste burkinabè de réputation internationale Idrissa Ouédraogo réalisait les premiers épisodes. En six mois, deux saisons de 20 épisodes chacune ont été produites, ce qui montre le grand succès rencontré par cette série. Le synopsis tourne autour du personnage principal, Kadi, une femme toujours célibataire à 30 ans et qui vit dans la capitale du Burkina, Ouagadougou. La série raconte les préoccupations de la vie quotidienne comme la recherche d’un bon mari, du bonheur, de la fortune. Kadi affronte mésaventures et mesquineries avec l’aide de sa meilleure amie Nora. Ensemble, elles luttent contre l’escroquerie, le vol, la violence, la charlatanerie. La série met donc en scène la vie quotidienne à Ouagadougou dont les divers aspects sont traités sous forme d’anecdotes au fil des épisodes à suivre. Tous ces sujets sont traités avec humour, parfois même dans un registre burlesque ce qui répond au besoin de divertissement des spectateurs. En même temps, ces sujets sont toujours d’actualité, de telle sorte qu’ils peuvent toujours initier des débats entre spectateurs, phénomène que Hepp avait décrit comme la mise en relation du vu et du vécu. Une caractéristique de la structure narrative est l’ouverture de presque chaque épisode: Kadi s’entretient avec Nora, face à l’écran, comme si elles s’adressaient à une troisième personne, un spectateur imaginé. Ainsi, Ouédraogo installe une atmosphère théâtrale dès le début, l’écran semble être le rideau qui se lève au moment où les personnages principaux commencent leurs échanges entre eux - et avec les spectateurs. Sélom Gbanou avait déjà souligné la parenté des sitcoms ivoiriens avec le théâtre en proposant de parler de „téléthéâtre“ appellation qui conviendrait également à Kadi Jolie. Mais après l’ouverture qui installe une situation dialogique entre le film et le public, la série utilise bien d’autres moyens qui témoignent d’une remédiation de pratiques orales quotidiennes outre celle du théâtre. Quand les deux amies chuchotent des informations, on crée un suspense car le spectateur est exclu de la transmission de ces informations. Il est donc obligé d’attendre le dénouement à la fin. Cette structure semble reprendre le modèle des énigmes que l’auditeur doit résoudre, pour la littérature orale. Un autre élément constitutif de la série est l’humour, autant au niveau des types qu’au niveau de la mimique, des gestes et du scénario. Analysons l’épisode „Le sourd-muet“ à titre d’exemple. David arrive à convaincre Kadie et Nora de lui confier leurs économies pour monter un théâtre de rue qui leur serait profitable à tous trois. Mais il utilise cet argent pour acheter une mobylette à sa petite amie. Quand les deux amies se rendent compte de l’escroquerie de David, elles portent plainte. David s’arrange avec le policier en le corrompant. 72 Dossier L’épisode joue sur les types: David est petit et plutôt chétif, mais sa copine grande et dominante. Cette contradiction incite à rire mais en même temps ce couple ridicule permet d’aborder un sujet délicat, notamment l’intérêt financier qui se mêle aux relations amoureuses. David, pour satisfaire son amie doit lui offrir de coûteux cadeaux. Mais comme il est chômeur, il est obligé de „trouver“ de l’argent pour ne pas perdre son amie. Ainsi, le déséquilibre dans les couples au niveau de l’âge et de la situation financière est souligné dans la série pour attirer l’attention du public sur ces problèmes grandissants. L’approche humoristique de sujets sociaux délicats est constitutive de la série. Quand Kadie et Nora se rendent au commissariat pour porter plainte contre David, elles ont le pressentiment que le policier ne traitera pas cette affaire selon les règlements juridiques. Elles commentent le comportement du policier, ce qui montre explicitement l’attente des citoyens et des spectateurs envers les représentants du pouvoir: honnêteté, respect. Ainsi, une complicité entre les protagonistes et les spectateurs s’installent qui se conforte/ s’affirme quand le comportement corrompu du policier confirme les soupçons. La construction narrative est celle d’une pièce de théâtre dans laquelle on établit cette complicité entre acteurs et spectateurs aux dépens d’un troisième acteur. Mais en même temps, on peut constater un processus de remédiation: remédiation d’une attente forgée par la réalité sociale qui est reflétée dans la série, qui, à son tour, va avoir un impact sur les spectateurs qui critiquent ouvertement le comportement des policiers à travers la série. La mise en scène de la critique dans une sorte de comédie, favorise le regard critique, car elle permet de franchir cette barrière qui protège d’habitude le pouvoir, une barrière établie par la crainte et une certaine pression sociale. La série combine donc des techniques narratives orales (le chuchotement, le dévoilement retardé de secrets, la répétition, des caractères stéréotypés, l’exagération de défauts physiques, moraux ou sociaux) avec celles du théâtre et de la série télévisuelle. La reprise d’un tel sujet brûlant dans un média „moderne“, audiovisuel, permet de reprendre les techniques narratives et performatives de l’oralité pour toucher un public citadin, comme Abdul Ba l’avait déjà signalé: l’habitude sociale suit le médium: la télévision prend la place de l’arbre à palabres. On pourrait donc observer la prolongation de la réalité télévisuelle à la réalité vraie. Kadi Jolie a été programmée en Côte d’Ivoire et au Sénégal où elle a également connu un grand succès. Cela s’explique aussi par le style humoristique qui est semblable à celui du „téléthéâtre“ des „Guignols“ d’Abidjan (Gbanou 2002). Le médiascape dans un pays ouest-africain comme le Burkina Faso est construit par des transferts transculturels qui - en raison du contexte historique, des formats et des techniques - sont dominés en partie par les productions européennes. En même temps, une forte influence des productions sud-américaines et indiennes peut être observée. Au-delà de ces influences non-africaines, des transferts régionaux ont également un impact sur le marché local, comme par exemple les séries ivoiriennes. Ce premier exemple illustre très bien la construction fort complexe du médiascape. 73 Dossier Vis-à-Vis est une télésérie conçue par Abdoulaye Dao et produite entre 1999 et 2003 qui vient de recevoir le prix „Pellicule d’or“ en janvier 2010. Cette série a également connu un succès énorme, mais uniquement au Burkina Faso, parce qu’elle aborde des thèmes sociopolitiques de grande actualité nationale visant un public local et non pas transrégional. Outre cette concentration thématique, elle est également différente dans sa structure narrative car les épisodes se déroulent dans la buvette „Vis-à-Vis“, un lieu public où des personnes de couches sociales et culturelles diverses se rencontrent et échangent leurs opinions sur des sujets d’actualité. Il y a quelques rares épisodes qui intègrent aussi des prises à l’extérieur. Ce format correspond donc plus à une sitcom qu’à une série télévisuelle. Ce choix peut bien évidemment être lié aux contraintes financières de production. Mais cette limitation n’a pourtant pas eu de conséquence sur la réception très positive de la série par les spectateurs burkinabè qui l’appréciaient énormément pour la critique ouverte de problèmes virulents dans la société burkinabè comme, par exemple, la question des prix exorbitants des parcelles dans la commune de Ouagadougou. Nous proposons de nous intéresser plus particulièrement à l’épisode „Buvette en otage“ qui aborde la question de l’abus de pouvoir dans une perspective comparative avec l’épisode de Kadi Jolie. Un homme en tenue militaire entre dans la buvette et pose son révolver sur la table. Cette arrivée déclenche une discussion entre Max, le propriétaire de la buvette, Chrysostome, un directeur de société et habitué de la buvette et le soldat autour de l’usage du pouvoir. Max défend l’idée qu’un lieu public ne doit pas être investi par les forces de l’ordre sans raison. Chrysostome quant à lui souligne que les soldats sont des citoyens comme tous les autres, tous égaux devant la loi. Le soldat quitte alors la buvette pour revenir avec deux autres soldats armés qui commencent à donner des ordres saugrenus aux clients de la buvette: voulant obliger un client à chanter, un autre à se déguiser en femme et un troisième à faire des exercices, bref: les militaires veulent les forcer à se livrer à des activités ridicules et inutiles dans le seul but de manifester le pouvoir attaché à leur statut de soldats armés. Trois clients résistent et invoquent leurs droits de citoyens, la liberté d’expression, le pouvoir partagé, mais tous doivent se soumettre à la force brute. La situation s’inverse grâce à l’arrivée et l’intervention du supérieur des soldats. Il entre dans la buvette, en tenue civile, comme il est souhaitable dans un lieu public, et rétablit l’ordre. Il présente ensuite ses excuses aux concitoyens pour la méconduite de ces quelques éléments de l’ordre militaire qui abusent de leur pouvoir. Dans le contexte burkinabè, un tel épisode est assez surprenant si l’on considère le fait que le président de la République est un ancien militaire, qui est soupçonné d’avoir été l’instigateur du coup d’état contre son prédécesseur et ami, Thomas Sankara. Les militaires avaient et ont toujours un rôle important dans la société. Les soldats ou les policiers, donc les hommes en uniforme, „en tenue“, comme ils sont aussi appelés dans cet épisode, inspirent la peur, parce que les cas d’abus de pouvoirs sont récurrents. La série reprend donc un sujet brûlant pour le traiter dans la sphère publique qu’est la télévision. Un large public peut suivre l’échange 74 Dossier des arguments pour et contre „les hommes en tenue“ et leur rôle dans une société civile. Encore une fois, une série thématise ainsi un problème délicat connu par tout le monde, mais tabouisé à cause de sa relation avec le pouvoir. L’audace d’aborder ce problème, de le dévoiler et d’inviter ainsi tous les différents personnages en présence de suivre les arguments tout en les appuyant ou en les contrariant. De cette manière, la série crée un espace public où une discussion ouverte est rendue possible. Le supérieur étant un homme raisonnable qui respecte les droits des citoyens et les lois, la critique est un peu affaiblie, parce que les militaires ne sont pas tous présentés comme des irresponsables. Ainsi et surtout les supérieurs sont mis en scène comme des citoyens comme tous les autres qui guident leurs hommes dans la bonne direction pour le bien de la société tout entière. Bien que ce sujet puisse être adapté à un autre contexte, la série s’adresse prioritairement au public burkinabè. Cette adresse locale est renforcée par le jeu d’un des acteurs: Abdoulaye Komboudry qui a joué dans la plupart de grandes productions cinématographiques du Burkina et a gagné une réputation internationale. Abdoulaye Komboudry est un acteur admiré dans son pays natal parce qu’il incarne la figure de l’homme du peuple qui dit hautement les problèmes et soucis de la majorité de la population. Le décor met en place, en quelques éléments caractéristiques, la représentation d’une buvette populaire typique de celles que la plupart des burkinabè fréquentent. Et même si le décor ne change jamais, le metteur en scène y introduit du mouvement par la succession de prises continuellement changeantes, qui alternent les focalisations sur les intervenants dans la discussion ainsi que de gros plans sur l’arme. Hormis ces variations de cadrage, la scène reste toujours la même, de telle sorte qu’en effet, cette série pourrait très bien être du théâtre filmé. Ainsi, l’intérêt du spectateur peut-il se concentrer sur les opinions échangées. Le réalisateur Dao arrive à tirer profit des avantages du médium et à répondre aux attentes du public. Il ouvre ainsi l’espace de la parole, un forum d’expression, à ses spectateurs. L’idée avancée par Abdul Ba que la télévision remplace l’arbre à palabres, se vérifie tout particulièrement dans le cas de Vis-à-Vis, car la série met en scène une buvette, un lieu de rencontres public pour échanger des opinions. On pourrait aussi parler d’une remédiation de la sphère publique et de la réalité selon Bolter, dans deux sens: la série reprend le modèle réel d’échanges pour le médiatiser et pour permettre un accès à un large public et à travers la série, une discussion sur les valeurs de la société est déclenchée qui pourrait avoir un impact sur la réalité. Cette série utilise moins les possibilités techniques de la télévision que Kadi Jolie, à tel point qu’elle semble être plutôt statique, théâtralisée. Ces „faiblesses“ se transforment pourtant en avantages parce que le style de cette série met l’accent sur la parole, sur l’échange d’opinions ce qui correspond à une pratique sociale en perte, mais qui retrouve ici sa place. Le dernier exemple que je souhaite analyser, est la série policière Commissariat de Tampy produite par Missa Hébié (2003-05) et qui a également connu un grand 75 Dossier succès au Burkina Faso. Au centre de cette série, comme le titre l’indique, se trouve l’équipe du Commissariat de Tampy, un quartier ouagalais. Les personnages sont fortement typisés: le bel inspecteur intelligent Roch qui est un coureur de jupons, la belle collègue Mouna, émancipée et dynamique, la policière corpulente, Poupette, le brigadier simple d’esprit, son collègue toujours légèrement ivre et le chef de l’équipe, le commissaire, toujours fier de l’efficacité de ses agents. La structure narrative est plus complexe comparativement aux deux exemples précédents, car le protagoniste change selon l’épisode pour mettre en avant chaque fois un autre membre de l’équipe. Comme cette formule est caractéristique de presque toutes les séries policières américaines et européennes, on peut constater que la série est inspirée par les influences étrangères tout en conservant des caractéristiques locales. Car c’est toujours la parole qui est au centre de l’intérêt, l’échange d’opinions sur les différents comportements et problèmes dans la société. Le Commissariat de Tampy est plus proche de Kadi Jolie dans l’alternance de séquences statiques et des séquences d’action, car le cadre principal est constitué par les locaux du commissariat lui-même, que les commissaires et leurs collaborateurs quittent pour des enquêtes ou des poursuites - plutôt rares - dans les quartiers de la capitale. La limitation de locaux est encore une fois aussi liée aux coûts de production, mais Hébié arrive à pallier le déficit d’actions qui en résulte grâce au procédé de focalisation alternée sur les personnages principaux et les échanges entre les membres de l’équipe. Le réalisateur a ajouté des éléments supplémentaires, notamment la buvette à côté du commissariat dans la rue. Le propriétaire de cette buvette est le rival du brigadier dans une affaire amoureuse, les deux hommes courtisent en effet la même femme policière, et en même temps il représente la voix du peuple. L’homme en uniforme qui était un sujet délicat dans les deux séries citées précédemment, apparaît dans cette dernière série comme un héros de la vie quotidienne: le supérieur est irréprochable et attend de son équipe qu’elle défende les lois et la morale. Les commissaires ont leurs défauts individuels, mais ils n’abusent pas de leur pouvoir. Cette question de l’abus de pouvoir est cependant mise en scène, mais de manière minimale et presque ridicule, à travers le personnage du policier simplet qui aurait tendance à vouloir frapper les détenus, mais qui, en homme soumis à ses devoirs et à ses supérieurs, contrôle ses réflexes. Les deux agents simplets de la série condensent donc dans leurs caractères tous les traits négatifs de la représentation policière, essentiellement les deux motifs de l’abus du pouvoir et d’alcool, la brutalité, et le manque d’intelligence. Ils apparaissent ainsi comme des personnages grotesques et comiques qui permettent aux spectateurs de rire de leurs comportements. Dans l’épisode „Le bébé abandonné“, pour donner un exemple concret, une femme est accusée d’avoir abandonné son bébé. Elle accuse le sergent de l’avoir engrossée et abandonnée après. Le supérieur suspend le sergent de ses fonctions. Ce dernier mène cependant sa propre enquête en cachette. Il découvre que son ex-copine a utilisé le bébé d’une autre femme pour l’obliger à payer une pen- 76 Dossier sion alimentaire. Une fois la tromperie dévoilée, la réputation du sergent peut être rétablie et le supérieur tente de donner une leçon de morale aux femmes. De cette courte présentation de trois téléséries burkinabè, on peut conclure que le médiascape de ce pays est fortement influencé par des formats préexistants et importés, comme les télénovélas, les sitcoms, les séries policières etc. Les modèles semblent pourtant tout juste déclencher la production locale donnant l’exemple de ce qu’on peut faire avec le support télévisuel et digital. La deuxième source semble être le théâtre qui a une tradition assez longue au Burkina Faso - surtout dans les domaines de la sensibilisation. Il s’agit donc souvent d’un théâtre qui traite des sujets délicats, mais décisifs pour la société. La scène, souvent une place de marché ou la rue, ouvre dès le début un espace public où, de manière didactique, des problèmes de société sont abordés, invitant les spectateurs à discuter, à échanger pour trouver des solutions. La télésérie naît de la rencontre de l’arbre à palabres, du théâtre pour le développement, et du format télévisuel. Ce dernier se prête davantage à la présentation des problèmes de société parce que plusieurs personnages sont mis en scène et incarnent divers points de vue. L’approche humoristique amortit le choc éventuellement causé par le traitement de sujets tabous et facilite une critique amère. Un nouvel espace public se crée, prolongeant en quelque sorte les espaces dits traditionnels. La tendance qu’on peut observer est donc celle du développement d’un médiascape local influencé par des productions globales mais qui sont adaptées et façonnées par le paysage culturel/ marché local. Une production locale pour un public local qui reprend dans la télésérie des formats connus en les adaptant au format télévisuel, les médiatisant. En termes de remédiation, nous pouvons observer que les trois types présentés par Bolter et Grusin se manifestent également dans le contexte de l’émergence de la télésérie burkinabè. Le médium télévisuel médiatise aussi la réalité, la transmet, choisit un focus, l’encadre et le met ainsi en exergue ce qui entraîne une réflexion médiatisée sur problème présenté par un groupe d’intervenants. Le résultat de cette mise en perspective et en situations peut être la remédiation comme réforme, le processus de réformer la réalité à travers un discours télévisuel qui est en contact immédiat avec la réalité vécue des spectateurs. Les directeurs burkinabè utilisent le format télévisuel en le changeant, en l’adaptant au contexte et aux attentes locaux. Ainsi naît un nouveau type de télésérie ou de sitcom entre théâtre, arbre à palabres et télévision, une nouvelle création qu’on pourrait appeler „sitcom à palabres“. Bibliographie Ang, Ien: Living Room Wars: Rethinking Media Audiences for A Postmodern World, London, 1996. Appadurai, Arjun: Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalization. Minneapolis/ London, University of Minneapolis Press, 1996. 77 Dossier Appadurai, Arjun: „Disjuncture and Difference in the Global Cultural Economy“, in: Braziel, Jana E., Mannur, Anita (eds.): Theorizing Diaspora: A Reader. Malden, MA: Blackwell, 2003, 25-48. Ba, Abdoul: Télévisions, paraboles et démocraties en Afrique Noire. Paris: L’Harmattan, 1996. Ba, Abdoul: Les téléspectateurs africains à l’heure des satellites. De la case d’écoute à la parabole, Paris, L’Harmattan, 1999. Balima, Serge; Frère, Marie-Soleil: Médias et Communications sociales au Burkina Faso. Approche socio-économique de la circulation de l’information, Paris, 2002. 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