eJournals lendemains 36/142-143

lendemains
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2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2011
36142-143

Michel Houellebecq: Questions du réalisme d’aujourd’hui

2011
Jörn Steigerwald
Agnieszka Komorowska
ldm36142-1430006
4 Editorial Stadt in einem solchen Maße zum Projektionsraum der europäischen Zivilisation wird, dass so etwas wie eine „literarische Stadt“ entstehen kann, in der sich individuelle und kollektive Kartografien, moralische Topografien und poetische Soziogramme miteinander verbinden. Wie diese Stadtrepräsentationen sich trotz der nicht nur das umgebende Land aus- und einschließende Mauern dem „Anderen“ und „Fremden öffnen verweist auf die Stadt als Modell eines (auch) heterotopen Raums: solche Perspektiven lassen uns auch die Städte und die Stadtkonstrukte unserer Zeit anders und besser lesen und verstehen. Agnieszka Komorowska und Jörn Steigerwald haben ein Houellebecq- Dossier zusammengestellt, dem es nicht nur gelingt, die (nicht nur deutsche) Houellebecq-Forschung auf eine neue Basis zu stellen. Wenn es anhand des Werkes des als Skandalautor ge- und behandelten Romanciers darum geht, den „Questions du réalisme d’aujourd’hui“ nachzugehen, so wird damit nach einer autor-biographischen, einer dem oder den Skandalen gewidmeten und einer dem Einfluß des „klassischen“ Realismus des 19. Jahrhunderts nachgehenden Phase erstmals die Frage gestellt, inwieweit uns die Romane Houellebecqs mit einer neuen Art des Realismus konfrontieren, und was Literatur und Literaturwissenschaft anhand dieses Werkes über den Ort und die Möglichkeiten dieses Realismus lernen können. Dabei verzichtet der Autor bewusst auf eine umfassende Realismus-Theorie, doch die Fragen, die er und seine Romane stellen, lassen erkennen, welche Möglichkeiten sich für einen andeconditions et les possibilités de modes de vies humaines et la ville devient à tel point l’espace de projection de la civilisation européenne, que quelque chose comme une „ville littéraire“ peut naître, dans laquelle se lient des cartographies individuelles et collectives, des topographies morales et des sociogrammes poétiques. Comment ces représentations urbaines s’ouvrent à „l’autre“ et à „l’étranger“ malgré les murs qui n’incluent ni excluent non seulement la campagne, mais renvoient à la ville comme modèle d’un espace (également) hétérotope: de telles perspectives nous aident aussi à mieux percevoir et reconnaître les villes et les constructions urbaines de notre temps. Agnieszka Komorowska et Jörn Steigerwald ont réuni un dossier sur Houellebecq, qui réussit non seulement à mettre la recherche sur Houellebecq (pas uniquement allemande) sur une nouvelle base. Si dans l’œuvre de ce romancier considéré comme auteur à scandale il s’agit de sonder les „Questions du réalisme d’aujourd’hui“, poursuivant une phase d’auteur-biographie, vouée au ou aux scandale(s) et sous l’influence du réalisme „classique“ du XIX e siècle, il est pour la première fois question combien les romans de Houellebecq nous confrontent à un genre de nouveau réalisme, et combien, à l’aide de cet œuvre, la littérature et les sciences littéraires peuvent apprendre sur le lieu et les possibilités de ce réalisme. L’auteur renonce consciemment à une ample théorie du réalisme, mais les questions que lui-même et ses romans posent, laissent entrevoir quelles perspectives s’ouvrent pour un autre 5 Editorial ren Realismus zwischen dem historischen Modell der „Klassiker des französischen Romans“ und den Ecriture- Abenteuern der Avantgarde (insbesondere des Nouveau Roman) auftun könnten; auch dies ein neben den Houellebecqschen Themen über die Literatur hinaus aktuelles Thema. Neben dem finanzpolitischen Unvermögen zeichnet sich das Feld der Außenpolitik ebenfalls durch mangelnde Koordination und eine fehlende gemeinsame Handlungsperspektive aus. Dies zeigt der Beitrag von Roland Höhne zur divergierenden „arabischen Politik“ beider Staaten und zu deren historischer Genese auf. Wir freuen uns besonders, den Leserinnen und Lesern ausnahmsweise zwei Rezensionen, eine französische und eine deutsche, zu dem jüngst erschienenen Werk Karl Heinz Götzes, Süsses Frankreich (S. Fischer 2010) bieten zu können. Wenn Michel Delon dem Essai einen „sens de la mesure et l’art de l’analyse équilibrée“ attestiert und sich freut, etwas über Frankreich gelernt zu haben, so weist das ebenso auf den Ausnahmecharakter dieser Publikation hin, wie Heinz Thomas Kompliment, es handele sich um einen „vorzüglichen Schreiber und [einen] naturwüchsigen Materialisten“, dessen Verdienst in diesem Buch u.a. darin bestehe, die „Permanenz kultureller Mythen“ verdeutlicht zu haben, deren Kenntnis vielleicht auch in (deutschfranzösischen) Krisen hilfreich wäre. Wolfgang Asholt * Hans Manfred Bock réalisme entre le modèle historique des „classiques du roman français “ et des Ecritures-aventures de l’avant-garde (particulièrement du Nouveau Roman); ceci est aussi - au-delà des thèmes soulevés par Houellebecq - un sujet d’actualité dépassant la littérature. A côté des insuffisances de la politique financière commune, le domaine des affaires étrangères se caractérise également d’un manque de coordination et d’action commune. Ceci démontre la contribution de Roland Höhne sur la „politique arabe“ divergente des deux pays et sur leur genèse historique. Nous sommes particulièrement heureux de pouvoir offrir à nos lectrices et lecteurs exceptionnellement deux comptes rendus, un en français et un en allemand, sur l’œuvre de Karl Heinz Götze, Süsses Frankreich (S. Fischer 2010). Si Michel Delon lui atteste un „sens de la mesure et l’art de l’analyse équilibrée“ et est content d’avoir appris quelque chose sur la France, ceci indique le caractère exceptionnel de cette publication, aussi bien que le compliment de Heinz Thoma qu’il s’agisse d’un „excellent écrivain et matérialiste naturel“, dont les mérites dans ce livre sont, entre autre, d’avoir éclairci les „mythes culturels permanents“, dont les connaissances peuvent peut-être aussi servir en temps de crise (franco-allemande). 6 Dossier Jörn Steigerwald, Agnieszka Komorowska (eds.) Michel Houellebecq: Questions du réalisme d’aujourd’hui Jörn Steigerwald, Agnieszka Komorowska Introduction Michel Houellebecq est actuellement un des romanciers français les plus connus dans le monde entier. Ce degré de notoriété résultait au début de sa carrière moins de sa renommée en tant qu’auteur prestigieux ou écrivain intellectuel que du scandale qu’il provoqua lors de la publication des ses trois romans, à savoir Extension du domaine de la lutte, publié en 1994 aux Editions Maurice Nadeau, Les Particules élémentaires, publié chez Flammarion en 1998 et finalement Plateforme, également publié chez Flammarion en 2001. La réussite de vente de ces trois premiers romans va souvent de pair avec une reconnaissance de la part de la critique littéraire, qui considéra, pour ne mentionner que les prix les plus importants, Les Particules élémentaires comme le „meilleur livre de l’année“ (lauréat du prix Novembre) et donna le prix Interallié au quatrième roman de Houellebecq, La Possibilité d’une île. Cependant, il y eut toutefois une réaction triple de la critique et des lecteurs aux romans de Houellebecq, car la réussite de ses romans auprès du public et même son succès au niveau de la critique littéraire ne connaît pas un effet d’écho semblable auprès de la critique universitaire. On attribue peu de valeur esthétique aux romans de Houellebecq et on les regarde au fur et à mesure comme étant des fictions sociologiques. Cette situation du romancier Houellebecq changea de manière fondamentale avec la publication de son dernier roman, La Carte et le territoire, en 2010, lauréat du prix Goncourt la même année. Ce roman semble à première vue marquer un tournant dans la production romanesque de Houellebecq, car tous les ingrédients des romans antérieurs manquent dans ce dernier, à savoir la description de la vie sexuelle désastreuse des Français moyens et l’observation de la vie banale par des protagonistes désillusionnés etc. S’y ajoute une orientation nouvelle vers la réflexion esthétique dans le roman, qui concerne et la littérature et les arts, représentés par le protagoniste, l’artiste Jed Martin et son homologue, la figure de l’écrivain Michel Houellebecq. De plus, il semblerait que le narrateur ironise consciemment et volontairement les expectations des lecteurs qui attendaient plus un roman nouveau de Houellebecq, notamment un autre roman à scandale et moins un roman qui s’invente d’une nouvelle manière. L’exemple le plus remarquable de 7 Dossier cette mise en scène ironique est probablement la mort brutale de l’auteur Michel Houellebecq dans l’histoire, qui va de pair avec son enterrement encore plus grotesque, car un tel récit ne laisse plus aucune possibilité de substituer l’auteur aux protagonistes des romans, comme beaucoup de critiques avaient l’habitude de le faire. Bref: Au lieu d’un ‘Houellebecq’ nouveau, à savoir un roman dit ‘typique’ de Houellebecq, le dernier roman présente un nouveau Houellebecq, c’est-à-dire un roman qui semble n’avoir aucune relation avec les romans antérieurs. Même si, ou plutôt parce que c’est le roman qui reçut le prix Goncourt, comme un, sinon le roman réaliste de nos jours. Le dernier roman de Houellebecq nous permet en conséquence de poser la question de savoir ce qu’est le réalisme des romans houellebecquiens et elle nous permet par ce biais de nous approcher de la question de savoir ce qu’est le réalisme d’aujourd’hui. C’est le point central sur lequel nous nous concentrons dans la préface ainsi que dans les contributions de ce dossier. En répondant à ces questions, nous essayons de montrer que tous les romans de Michel Houellebecq proposent une réponse à cette question - chacun à sa manière - en problématisant la condition humaine de la civilisation actuelle, ainsi qu’en reflétant les possibilités de l’écriture réaliste. D’où résultent deux questions plus précises: quelle relation y a-til entre le réalisme du XIX e siècle et le réalisme d’aujourd’hui et qu’est-ce qui caractérise le réalisme d’aujourd’hui? Pour mettre en évidence le statut et la réflexion du réalisme dans les romans de Michel Houellebecq, il faut tirer au clair la mise en scène de l’auteur, les histoires des romans et les narrations de ceux-ci. Pour cela, nous suivrons dans un premier temps la démarche de la recherche sur Houellebecq, qui commença par s’intéresser à l’auteur scandaleux, puis s’orienta vers l’auteur des romans scandaleux et se caractérise actuellement par son intérêt pour les stratégies narratives des romans. Dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur la publication des romans, c’est-à-dire sur les mises en scène des romans de Houellebecq en analysant les différents frontispices du roman Les particules élémentaires. Pour finir, nous nous focaliserons sur la description des choses dans La Carte et le territoire en tant que moment fondamental du réalisme qui oscille entre effet de réel et ‘epiphany’. 1. La recherche sur les romans de Houellebecq La recherche s’intéressa à Michel Houellebecq dès le moment de la publication de son premier roman, L’extension du domaine de lutte en 1994. Cependant, on s’occupa dans un premier temps moins de son roman en tant que fiction et plus de la personne de l’auteur. D’où résulte une concentration sur le „phénomène Houellebecq“ voire le „cas Houellebecq“, car ceux-ci permettent d’analyser les règles dans le champ littéraire de nos jours. 1 Ils s’ensuivent les questions de savoir quels sujets peuvent provoquer un scandale pour qu’on puisse obtenir l’attention des 8 Dossier médias et par ce biais du grand public; comment un auteur doit se présenter pour attirer l’attention du public, quelles possibilités a un éditeur voire une maison d’édition pour présenter un roman au public afin qu’un scandale éclate etc. La deuxième étape de la réception des romans de Michel Houellebecq, qui montre encore actuellement son efficacité, commença déjà avec la publication du premier roman, mais éclata de manière remarquable lors de la publication des Particules élémentaires et se concentra dès le début sur le roman scandaleux écrit par Houellebecq. Ce ‘scandale Houellebecq’ consiste selon la critique en son observation impartiale et cynique de la société contemporaine. Le premier roman, Extension du domaine de la lutte, décrit selon l’éditeur „l’odyssée désenchantée d’un informaticien entre deux âges, jouant son rôle en observant les mouvements humains et les banalités qui s’échangent autour des machines à café. L’installation d’un progiciel en province lui permettra d’étendre le champ de ses observations, d’anéantir les dernières illusions d’un collègue - obsédé malchanceux - et d’élaborer une théorie complète du libéralisme, qu’il soit économique ou sexuel“. 2 De plus, ce livre fut considéré par François Busnel dans L’EXPRESS comme „[…] un bouche à oreille obstiné qui, lentement mais sûrement, fait de l’ouvrage un objet messianique: c’est LE livre que toute une génération attendait“. 3 La gloire de Michel Houellebecq est alors le produit de sa compétence à observer les processus de sa société et - de plus - à tirer les conséquences de ses observations en donnant des analyses précises, mais désenchantantes. D’où résulte le fait qu’on doive le considérer comme l’auteur de sa génération, même si ses romans n’ont aucune valeur esthétique. 4 Or, ce sont exactement les déclarations choquantes qui provoquèrent le ‘scandale Houellebecq’ et qui attirèrent l’attention de la critique littéraire et du public. La constatation du narrateur dans le roman Extension du domaine de la lutte que „[l]a sexualité est un système de hiérarchie sociale“, 5 devint par la suite et selon une partie de la critique le théorème central des protagonistes houellebecquiens ainsi que de l’auteur. Partant de cette base socio-anthropologique, qui met l’accent sur le capital sexuel de l’homme, les romans suivants ne font qu’augmenter le „scandale Houellebecq“ en y ajoutant d’autres champs de batailles intellectuels: Soit qu’on trouve dans Les particules élémentaires l’idéologie d’une sexualité posthumaine qui s’oppose à notre culture sexuelle et aux mœurs corrompues de la société post-soixante-huitarde, ce qui conduit à la situation qu’on fit de l’auteur un préconisateur de l’eugénisme. Soit qu’on considérait Plateforme comme une description exacte, mais cynique du tourisme sexuel et par ce biais comme une analyse d’une société mondialisée et néo-libérale en se basant sur les paroles sexistes et racistes des figures masculines, qui se concentrent - encore une fois - sur la sexualité pitoyable des Européennes en la comparant à celle prometteuse des Asiatiques. Ce scandale nouveau provoqua toutefois des suites plus graves pour l’auteur, car les énonciations des protagonistes furent comprises comme étant celles de l’écrivain - qui avait fait des déclarations publiques semblables -, ce qui lui a valu d’être poursuivi en justice. 6 9 Dossier La considération de Michel Houellebecq comme auteur de romans à scandale met par conséquent moins l’accent sur l’écrivain, et s’intéresse plus au contenu de ses romans. Pourtant, dans bien des cas, l’intérêt pour le contenu soi-disant scandaleux 7 l’emporte sur celui des spécificités littéraires. Négligeant le discours de la narration au détriment de son histoire, une confusion entre littérature et écriture scientifique, notamment sociologique, s’installe. De cette manière, les romans sont lus à titre d’explication théorique de la société contemporaine. Tendance dont témoigne un article dans la revue des sciences humaines Le Débat, qui justifie son compte-rendu des Particules élémentaires en avançant qu’„[i]l arrive que la littérature en dise plus sur l’esprit du temps et sur le mouvement de la société que bien des ouvrages de sociologie.“ 8 Une sélection aléatoire de quelques revues, dans lesquelles ont été publiés des articles sur les romans de Houellebecq, confirme cette tendance: Revue Discours social; 9 Le Philosophoire 10 ou bien même Z - Zeitschrift Marxistische Erneuerung. 11 Ce qui pourrait être considéré comme un effet remarquable mais négligeable, à savoir la réception du roman contemporain dans le champ des sciences humaines, devient plus intéressant si on regarde de près la recherche littéraire sur les romans de Houellebecq. Un grand nombre de critiques s’occupe plus de l’écrivain que des fictions ou substitue l’auteur aux narrateurs et même aux protagonistes de ses romans, en analysant le monde houellebecquien comme une mise en scène lucide, mais cynique de notre société mondialisée et de notre civilisation néo-libérale. On examine ce monde en étudiant Houellebecq, sperme et sang, ou Le Monde de Houellebecq ou juste Houellebecq à la Une pour ne nommer que quelques études. 12 Ce qui unit ces études, c’est l’approche socio-politique voire socio-anthropologique qui met en relief la relation encore fixe et stable entre l’homme et l’œuvre, ce qui se fait voir de manière évidente si on envisage les titres des études qui se présentent soit comme „Houellebecq et …“ ou de „… et Houellebecq“. 13 La troisième étape de la recherche sur les romans de Houellebecq commence juste après l’année 2000 et se concentre dès le début sur la question du réalisme, ou pour être plus précis: on examine les romans houellebecquiens en tant que fictions qui s’inscrivent dans la tradition du réalisme voire du naturalisme du XIX e siècle, ou en tant que modèles romanesques d’un renouveau réaliste après le déclin de l’école du Nouveau Roman. 14 Ce regard permet de poser les questions de savoir dans quelle mesure les romans de Houellebecq doivent être considérés comme des fictions réalistes voire naturalistes, et non pas comme des romans de thèse socio-anthropologique d’un côté, et comment les romans sont construits d’un autre côté. S’y ajoutent les études qui posent la question de savoir à quelles traditions littéraires renvoient les romans de Houellebecq - la science fiction, la dystopie etc. - et de quelles techniques littéraires et narratives se servent les narrateurs des fictions - le regard moraliste, la non-fiabilité etc. 15 D’où résulte qu’on focalisait la différence mais aussi le rapport entre le niveau de l’histoire et celui de la narration dans les romans, une différence qui p. ex. est fondamentale pour Les Particules élémentaires. Ce roman se base sur la narration 10 Dossier d’un narrateur hétérodiégétique-intradiégétique, qui décrit en 2079 la situation lamentable des Français autour de 2000 pour légitimer la substitution de l’homme ancien par un nouvel être humain, reproduit d’une manière uniforme et génétique. 16 Néanmoins, cette approche des romans houellebecquiens se caractérise surtout par un regard rétrospectif, car on se pose plus la question de savoir comment on peut positionner ces romans dans les traditions du réalisme voire du naturalisme et on se demande moins si les romans de Houellebecq peuvent nous aider à nous approcher des questions du réalisme d’aujourd’hui. Cela nous semble être non seulement nécessaire, mais aussi fondamental pour la compréhension de l’histoire du roman français du XX e siècle, car ce roman se base sur le roman réaliste du XIX e siècle, même si ou surtout parce que les auteurs de XX e siècle s’opposent à ce modèle de fiction. Mais chaque opposition met aussi en relief la valeur et le pouvoir du réalisme. De plus, le succès du Nouveau Roman ou plus précisément du modèle de Robbe-Grillet du Nouveau Roman dans la critique universitaire, et par ce biais dans l’histoire littéraire, conduit à la situation que la discussion entre Alain Robbe-Grillet et Michel Butor sur les fictions d’Honoré de Balzac et sur le statut du réalisme, 17 datant des années 50 et 60, se déploie actuellement de nouveau, mais aussi de manière plus radicale. Bref: Les questions du réalisme d’aujourd’hui nous confrontent à notre perspective et à notre compréhension de la littérature du XX e , mais aussi du XIX e siècle. Mais elles mettent aussi en relief et la position que Houellebecq tentera d’obtenir dès son premier roman, et, ce qui est plus important, ce qu’il propose comme modèles du réalisme d’aujourd’hui, à savoir sa contribution à la question. 2. De la publication des romans houellebecquiens La publication d’un roman par un auteur s’effectue, on le sait bien, à divers niveaux: l’auteur donne un roman au public, il se rend public par l’acte de la publication, et il essaie d’obtenir une position dans le public. 18 Sauf qu’il faut faire attention, car Houellebecq est un des auteurs qui savent très bien, sinon trop bien ce qu’il faut faire pour attirer l’attention du public et - ce qui est plus important - comment on peut jouer avec les attentes du public voire des lecteurs. Or, Houellebecq se sert de la mise en scène de la vie privée telle qu’on la connaît dans l’autofiction sans l’adopter dans ses romans, car il écrit des romans et non pas des autofictions. 19 Mais il joue avec l’attente du lecteur voire du critique, ce qui émerge de manière visible si l’on regarde les frontispices des éditions des Particules élémentaires. La première édition chez Flammarion a le frontispice suivant: Publié chez le grand éditeur littéraire Flammarion, après un début chez Maurice Nadeau, le frontispice signale le 11 Dossier capital culturel voire symbolique de l’auteur qui vient de ces éditions, et souligne cet effet par la mise en forme presque classique de la couverture. S’y ajoute la déclaration qu’il s’agit d’un roman - et non pas d’un essai ou d’un récit socio-anthropologique - qui renvoie le lecteur à la fiction romanesque et non pas à la description de la réalité. Cependant, la réception du roman prit une autre voie qui fonda la renommée de Houellebecq en tant qu’auteur scandaleux. L’édition de poche de ce même roman, publiée en 2001, c’est-à-dire la même année que la première publication de Plateforme, stylise le roman et surtout l’auteur du roman d’une autre manière: Le frontispice met sous les yeux du lecteur une mise en scène spécifique qu’on pourrait désigner comme un piège tendu par la médiatisation de l’auteur. La couverture du roman affiche une photographie de l’auteur qui devint par la suite presque iconique. Il s’agit d’une image de l’auteur avec un sac plastique au bras et une cigarette à la bouche, mettant en relief la situation appauvrie et désastreuse du Français moyen, décrite dans le roman d’un côté, mais signalant l’observation consciente et cynique de sa part d’un autre côté. S’y ajoute l’inscription ‘Nouvelle Génération’ qui met l’accent sur l’actualité du roman et du romancier, qui représentent selon l’éditeur la génération actuelle des auteurs et réfléchissent ainsi à la situation actuelle de la société française. Cela allait de pair avec une attitude que l’auteur poursuivit dans de nombreuses interviews pour la presse écrite et la télévision en se présentant comme l’écrivain de sa génération. La publication du livre-débat Ennemis publics (2008) en collaboration avec Bernard-Henri Lévy marqua un point culminant de cette mise en scène de l’auteur et dénota en même temps une prise de position ironique vis-à-vis de ce jeu avec les médias. 20 L’édition actuelle de ce même roman, c’est-à-dire l’édition qui est publiée juste après la publication de son dernier roman La Carte et le territoire, a encore une fois un nouveau frontispice: Le changement est plus que visible: Au lieu d’une image de l’auteur Michel Houellebecq, on voit une scène stylisée qui rassemble deux personnes dans la même chambre, même si les deux sont séparées par le même espace. Si on considère la couverture comme une ‘illustration’ de la situation basale du roman, on remarque une mise en scène qui focalise les deux frères-protagonistes, Bruno et Michel, et leur vie dans une culture de la froideur. Le frontispice suggère une relation proche entre la narration du roman et l’esthétique de la Neue Sachlichkeit et sa Kult der Kälte, mise en évidence par une couverture qui fait plus qu’allusion à la peinture d’Oskar 12 Dossier Schlemmer. Reste la question de savoir dans quelle mesure cette couverture se réfère au roman et non pas à l’esthétique du dernier roman, La carte et le territoire, qui renvoie à plusieurs niveaux à cette esthétique de la Neue Sachlichkeit. 21 Bref, s’il y a un auteur qui rend absolument nécessaire la différenciation entre auteur et narrateur, c’est bien Michel Houellebecq: Car il n’est ni Bruno ni Michel, comme le suggère le frontispice de l’édition de poche de 2001, mais il n’est pas non plus le narrateur de ce même roman. Cependant, les trois couvertures du livre ne montrent pas seulement une connaissance des courants esthétiques du XX e siècle et des stratégies du self-fashioning de l’écrivain, mais aussi une conscience du problème du réalisme qui oscille entre description littéraire d’une réalité et création littéraire d’une réalité, à savoir une conscience des questions du réalisme d’aujourd’hui. 3. La description des choses Il nous semble assez remarquable que la critique universitaire qui se concentre sur la littérature contemporaine et par ce biais sur la question du réalisme d’aujourd’hui, ne s’occupe presque pas des romans de Michel Houellebecq. Le regard sur ‘le retour au réel’ et non pas sur le ‘retour au réalisme’ provoque une approche spécifique de cette littérature qui suit les traces du Nouveau Roman et de la Nouvelle Critique d’un côté et qui exclut tous les romans qui s’inscrivent dans la tradition soit du réalisme social soit du réalisme créaturel. L’étude détaillée La littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations de Dominique Viart et Bruno Vercier peut nous servir d’exemple: 22 Viart se penche dans les chapitres „écrire le monde“ et „écrire le réel“ sur les textes des auteurs comme François Bon et Olivier Rollin et avance qu’ils parviennent „à trouver les moyens d’écrire le réel sans sacrifier […] aux illusions ni aux faux-semblants de l’esthétique réaliste“. 23 Il semble considérer le réalisme comme une tradition littéraire du XIX e siècle qui se porte sur la description d’un monde réel et qui sert à expliquer la société et la condition humaine d’une certaine époque et non pas comme un modèle de la représentation de la réalité dans la littérature. D’où résulte une concentration sur l’effet de réel (Barthes) et l’aventure de l’écriture romanesque (Robbe-Grillet). Viart mentionne le nom de Houellebecq seulement une seule fois dans ce chapitre et de façon succincte, car il le considère comme un exemple plutôt négatif qui représente un „réel malade“ 24 et un „cynisme“. 25 Or, Viart et Vercier discutent l’œuvre de l’auteur dans un chapitre sur „Les individualismes contemporains“ 26 et non pas sous la perspective d’un retour au réel. Cet approche s’explique par la description plutôt prescriptive sinon normative 27 qu’ils donnent du retour au réel dans le roman contemporain qui exclut explicitement tout retour des romans à thèse de la tradition de Sartre. 28 Wolfgang Asholt et Bruno Blanckeman s’approchent des romans houellebecquiens de la même manière en focalisant le retour du réel d’un côté, mais ils les regardent d’un autre côté comme des exemples de la recherche des formes roma- 13 Dossier nesques: ils évaluent ainsi positivement ces romans. Asholt prend p. ex. le soin de mesurer la distance qui sépare ce retour dans les récits de François Bon, qui suivent les traces du Nouveau Roman, et dans les romans de Houellebecq, qu’il désigne par le terme d’„hyperréalisme“. 29 C’est dans une perspective semblable, que Bruno Blanckeman compte Michel Houellebecq parmi les auteurs „néo-réalistes“ qui „revisitent […] sur un mode critique les grands paradigmes de la tradition réaliste“. 30 Selon lui, la technique du „patchwork“ des discours publicitaires et scientifiques dans Les Particules élémentaires témoigne d’une recherche de „nouvelles stratégies mimétiques“ 31 qui insiste sur le souci de la forme. Cependant, les questions de savoir comment parler du réalisme d’aujourd’hui et comment définir le statut de l’effet de réel dans ce réalisme restent ouvertes. S’y ajoute le problème du réalisme qui connaît selon Erich Auerbach deux modèles diverses, notamment le réalisme social et le réalisme créaturel, et qui produisent deux manières différentes de la représentation du monde dans la littérature: Deux manières qui se font surtout voir dans la technique de la description littéraire. Or, la description des choses désigne un des pilastres du réalisme moderne, car elle sert à mettre en évidence l’effet de réel, décrit de manière magistrale par Roland Barthes. Selon Barthes, la description d’un détail ‘négligeable’ mais vraisemblable dans un espace précis produit un effet de réel. Cet effet désigne pour sa part un élément d’un texte littéraire, dont la fonction est de donner au lecteur l’impression que le texte décrit le monde réel et non pas un monde fictif. D’où résulte la différence catégoriale mais problématique entre description réaliste et description du réel. Néanmoins, cet effet de réel décrit par Barthes, connaît une tradition respectable, car il vient des romans de Gustave Flaubert, et une présence valable, car il fut une des bases textuelles pour le modèle du Nouveau Roman de Robbe-Grillet. Or, dans le dernier roman La carte et le territoire, les protagonistes Jed Martin et Michel Houellebecq abordent la question du réalisme d’aujourd’hui par la question de savoir comment on devrait décrire une chose. Il nous semble assez remarquable que c’est la figure de l’écrivain Houellebecq qui prend la parole pour réfléchir sur la description et sur le réalisme d’aujourd’hui, car il prolonge de cette manière sa stratégie de la mise en scène de l’auteur en changeant le niveau textuel: Au lieu de se présenter sur la couverture du roman, il entre en tant que figure fictive dans la narration. C’est dans un débat avec le héros du roman, l’artiste Jed Martin, que le protagoniste Michel Houellebecq s’explique sur les possibilités de la représentation du monde dans l’art et dans la littérature. Choisissant l’exemple d’un objet très banal et dépourvu de tout intérêt littéraire, à savoir un radiateur, l’artiste Martin avance la thèse que la littérature touche à des limites de représentation: Vous, je ne sais pas si vous pourriez faire quelque chose, sur le plan littéraire, avec le radiateur“ insista Jed. „Enfin si, il y a Robbe-Grillet, il aurait simplement décrit le radiateur… Mais, je ne sais pas, je ne trouve pas ça tellement intéressant…32 A première vue, la situation semble être claire: L’allusion au porte-parole du Nouveau Roman et l’invitation implicite à se positionner vis-à-vis de ce courant litté- 14 Dossier raire, provoquent d’abord une hésitation distanciée suivie d’un refus définitif de la part de l’écrivain: „Oublions Robbe-Grillet“. 33 De plus, le protagoniste Houellebecq préfère à une discussion théorique imaginer une esquisse d’un roman sur un radiateur qui puise dans le répertoire du roman de gare et conteste ainsi l’avantgarde littéraire. Il s’enthousiasme à l’idée d’„un thriller“ 34 avec une histoire stéréotypée et finit ses propos par l’exclamation: „Voilà un sujet magnifique, foutrement intéressant même, un authentique drame humain! “ 35 Comme le suggère le passage en italique, cette expression pourrait passer pour une citation digne d’une phrase de Balzac semblable à la fameuse exclamation finale du Père Goriot: „A nous deux maintenant! “. L’opposition entre Robbe-Grillet d’une part, et Houellebecq incarnant l’auteur réaliste du XIX e siècle, ennemi déclaré de ce type du Nouveau Roman, 36 d’autre part, met le décor en place. Or, même si l’auteur semble ironiser sur cette dichotomie entre réalisme historique et écritures dites d’avant-garde, c’est notamment dans cet écart que la discussion du réalisme chez Houellebecq se joue. Cela se fait voir encore plus précisément si on lit la scène plus attentivement. Selon la figure Houellebecq, Robbe-Grillet „aurait simplement décrit le radiateur“, pour qu’il puisse produire un effet de réel dans sa narration, un effet qu’il utilise pour problématiser le regard du narrateur voire du protagoniste et la dimension psychologique que constitue ce regard - comme le montrent les narrations des romans Le Voyeur et La jalousie de manière exemplaire. La constatation qu’il faut oublier Robbe-Grillet renvoie par contre à la distance entre ce modèle de l’écriture réaliste et celui auquel s’intéresse l’écrivain, mais aussi à l’artiste Jed Martin. Ils focalisent tous les deux les dimensions de la chose à décrire pour qu’elle devienne „un sujet magnifique, foutrement intéressant même, un authentique drame humain! “. D’où résulte un climax, qui part de la chose simple en essayant de comprendre la beauté de l’objet, suivie par l’analyse de la beauté de l’objet et finissant par la réflexion sur la relation entre la chose et l’homme, voire sur la prise de conscience de l’objet par et pour l’homme. Bref, la description des choses ne sert pas à produire un effet de réel, mais un effet d’épiphanie, décrit de manière fondamentale par James Joyce dans son roman A portrait of an artiste as a young man, mais aussi dans sa collection des récits Dubliners. 37 S’y ajoute une autre dimension de cette discussion entre les deux protagonistes, car elle se situe aussi sur un arrière-plan de l’histoire de la littérature française du XX e siècle. Il s’agit alors d’un renouveau de la discussion des années 50 et 60 sur le Nouveau Roman, menée entre Robbe-Grillet et Butor, qui se concentrait sur le réalisme de Balzac ainsi que sur la description des choses. C’est Butor, et non pas Robbe-Grillet, qui démontra qu’il vaut mieux ne pas réduire l’œuvre de Balzac à son roman Le Père Goriot, mais comprendre son œuvre comme un monde de fiction, ou presque comme un univers fictif, qui combine des récit historiques à des histoires réalistes et des narrations spirituelles ou fantastiques. 38 De plus, Butor souligne la valeur d’une description des choses qui porte moins sur l’effet de réel 15 Dossier et plus sur l’effet d’épiphanie, une approche qu’il suit à sa manière dans son récit Degrés. 39 Michel Houellebecq reprend la question du réalisme des années 50 et la radicalise en posant non seulement la question de savoir ce qu’est le réalisme, mais en mettant en relief qu’il vaut mieux se concentrer sur les questions du réalisme et surtout sur les questions du réalisme d’aujourd’hui. Et ses romans, nous semble-til au moins, sont ses approches de ces questions et non pas ses réponses. Au lieu de donner une ‘théorie’ du réalisme, comme le faisait Robbe-Grillet, il préfère modéliser ses romans réalistes chacun d’une manière diverse pour poser les questions du réalisme d’aujourd’hui et non pas pour y répondre explicitement. 1 Voir Thomas Steinfeld (ed.): Das Phänomen Houellebecq. Köln 2001; Jochen Mecke: „Der Fall Houellebecq: Zu Formen und Funktionen eines Literaturskandals“, dans: Giulia Eggeling, Silke Segler-Messner (ed.): Europäische Verlage und romanische Gegenwartsliteratur, Tübingen, 2003, 194-217. 2 Verso de la couverture du roman dans l’édition J’ai lu, Paris 2005. 3 Ibid. 4 Cette considération de l’œuvre de Houellebecq en tant que sociologie littéraire va souvent de pair avec une approche de l’auteur voire du narrateur. Selon de nombreux critiques, on n’a pas besoin de respecter la différence entre auteur et narrateur, car Houellebecq ne le fait pas non plus. 5 Michel Houellebecq: Extensions du domaine de la lutte. Paris 1994, 93. 6 Jérôme Meizoz: „Le roman et l’inacceptable: polémiques autour de Plateforme de Michel Houellebecq“, dans: Etudes de lettres 264, Vol. 4 (2003), 125-148. 7 Voir aussi Heinz Thoma: „‚Amertune’. Postmoderne und Ressentiment im Werk von Michel Houellebecq (mit Seitenblick auf Vorläufer: Huysmans, Céline, Drieu de la Rochelle)“, dans: Heinz Thoma, Kathrin van der Meer (eds.): Epochale Psycheme und Menschenwissen - Von Montaigne bis Houellebecq, Würzburg, 2007, 255-278, surtout 255. 8 Voir Pierre Varrod: „De la lutte des classes au marché du sexe. A propos de Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq“, dans: Le Débat 102 (1998), 182-190, cité d’après Wolfgang Asholt: „Deux retours au réalisme? Les récits de François Bon et les romans de Michel Houellebecq et Fréderic Beigbeder“, dans: Lendemains 107-108 (2002), 42-53, 49. 9 Voir Jean-François Chassay: „Apocalypse scientifique et fin de l’humanité: Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq“, dans: Revue Discours social. Nouvelle Série 8 (2002), 171-188. 10 Voir Lucas Degryse: „Violence et transformation génétique de l’humain: Une approche socio-biologique“, dans: Le Philosophoire 13 (2001) sans pages. 11 Michel Zander: „Sexualität und Ökonomie in der Kampfzone“, dans: Z - Zeitschrift Marxistische Erneuerung 42 (2000), 120-131. 12 Murielle Lucie Clément: Houellebecq, sperme et sang. Paris 2003; Gavin Bowd: Le Monde de Houellebecq. Glasgow 2006; Michel Houellebecq à la Une. Sous la direction de Murielle-Lucie Clément & Sabine van Wesemael. Amsterdam 2011. 13 Voir p. ex. la table des matières du volume Michel Houellebecq à la Une, rassemblant de nombreux articles qui soulignent cet intérêt en analysant des sujets ‘chez Houellebecq’,