eJournals lendemains 33/129

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Narr Verlag Tübingen
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2008
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En guise d’avant-propos: Dix propositions pour une Nouvelle Bande Dessinée

2008
Thomas Amos
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5 Thomas Amos (ed.) Arrêt sur images: la bande dessinée Thomas Amos En guise d’avant-propos: Dix propositions pour une Nouvelle Bande Dessinée La crise de la bande dessinée, à constater depuis plus d’une décennie, persiste encore, et sans qu’on puisse discerner la fin. Chose paradoxale - c’est justement ce média qui, actuellement, semble perdre sa raison d’être dans un système culturel global dominé par cette primauté de l’image qui lui est inhérente: Une fois la bataille gagnée, l’iconic turn abandonne son ancienne avant-garde. Mais les choses sont plus complexes qu’elles ne paraissent. Issue, dans sa forme presque définitive, au début du XX e siècle aux Etats-Unis d’une culture populaire et commerciale, la bande dessinée arrive, enfin, après la deuxième guerre mondiale, en Europe. Consolidée après ’68 par l’intérêt porté à toute para-littérature, elle se voit attaquée, dans les années 90, par les nouveaux médias dont la vertu, plus directe, totale, interactive, lui dérobe, inévitablement, sa clientèle traditionnelle, les adolescents. Aujourd’hui, la socialisation du lecteur francophone ne se passe plus par Mickey Mouse, Tintin et Astérix, puis Métal hurlant, et celui qui n’a pas dévoré ces albums dans son enfance et sa jeunesse ne commencera guère à l’âge adulte. Dès maintenant, la bande dessinée est jugée passéiste, verdict le plus triste, par un public jeune habitué aux flots d’images. Les raisons de ce déclin sont inhérentes au média. Longtemps, les auteurs et artistes de la bande dessinée confirmaient, sans le vouloir, les préjugés tenaces contre le neuvième art. A récapituler deux exemples significatifs, pris des deux pays européens, les seuls qui disposent d’une infrastructure et culture considérables concernant la Bande dessinée, la France et la Belgique. Goscinny/ Uderzo créèrent des héros simplistes, sans individualité et, se tournant contre une hégémonie américaine présumée, démontrent, avec la figure du barde ligoté, la même hostilité face à l’art qu’ils y supposent. Cette forme de littérature est triviale parce que, loin d’être consciente de son propre pouvoir, si généreusement négligé, et elle veut être triviale. Citons comme autre exemple d’un conservatisme dangereux, la célèbre ligne claire, le style d’Hergé. Voilà des classiques bien poussiéreux. C’était assez tard que les auteurs et artistes de la bande dessinée réagissaient à la stagnation nuisible. Fixons comme date concrète de changement la fondation de L’Association à Paris en 1990 par David B., Jean-Christophe Menu, Stanislas, 6 Lewis Trondheim et autres artistes. Poursuivant un programme bien ambitieux, souvent excentrique, cette maison d’édition indépendante publie toute la nouvelle vague. Ici, le lecteur trouva (et trouvera, car L’Association existe encore, bien que plusieurs de ses fondateurs l’aient quittée entre-temps) un mélange originaire, soit de l’avant-garde, soit de recours innovateur à la tradition. La BD postmoderne, on dirait. Plusieurs séries en témoignent et surtout la revue Lapin (depuis 1992), porte-parole et champ expérimental, bref: une revue d’avant-garde. Le premier tour d’horizon sera en 1997 l’Hommage à Monsieur Pinpon: 1 82 artistes contribuent à un „hommage“, adressé à un certain Mars, de son vrai nom Marcel-Foulque, né en 1892, mort en 1965. Mais ce créateur si célèbre du personnage Monsieur Pinpon qui, paraît-il, publia de nombreux cartoons entre 1956 et 1965 dans Jours de France consistant toujours de trois cases, n’a jamais existé. Le lecteur, averti par un ton constamment ironique dans la préface, remarquera la tromperie en étudiant la contribution de Mars, signé par le duo Philippe Dupuy et Charles Berberian qui, avec leurs collègues, se moquent ici de toute conventionalité dans la bande dessinée. Rien pourrait mieux représenter l’esprit démodé et à vaincre des temps passés que ce personnage petit-bourgeois et son teckel, dessiné dans un style caricatural rappelant e. o. plauen. Mais l’étape la plus décisive est, jusqu’à aujourd’hui, la publication du volume Comix 2000 2 auquel participent 324 auteurs de 29 pays: avec une multitude abondante de techniques graphiques et de différentes narrations on trouve ici l’instantané le plus précis de la bande dessinée au seuil du troisième millénium. Et, dans la préface, un ton très inouï: „La bande dessinée est (au cas où on n’aurait pas encore remarqué) pour de bon un moyen d’expression majeur et universel, peut-être même le plus apte à savoir parler de notre époque.“ (7) L’époque dont on parle, c’est l’avenir. A suivre. * Les dix propositions pour une Nouvelle Bande Dessinée développées ci-dessous se comprennent comme stimuli pour un renouvellement. 1. La bande dessinée doit travailler, d’une intention auto-réflexive perpétuelle, l’image et ses relations au texte afin que cette imagerie en mouvement permanent puisse réagir immédiatement aux habitudes de perception et de représentation changeantes. 2. Média intermédial qu’elle est par excellence, la bande dessinée gagnera beaucoup en recourant aux autres médias, non pour les imiter, mais pour les citer et adapter, intégrer et influencer. 3. La bande dessinée, champ important de la para-littérature, possède comme celle-ci un large potentiel subversif et provocateur qui n’est pas à perdre. 7 4. Au lieu de rejeter toute tradition, la bande dessinée trouvera une source inépuisable dans l’art et la littérature de toutes les époques: amalgames et synthèses. 5. Due à sa position intercalée, la bande dessinée est destinée à être l’intermédiaire entre la high brow et la low culture. 6. Que la bande dessinée garde son caractère expérimental, propre depuis toujours à toute combinaison de mots et d’images. 7. De même, la bande dessinée doit évoluer ce geste ludique et se comprendre comme jeu. 8. La bande dessinée s’adresse au public le plus hétérogène, marque de toute grande littérature. 9. Basée sur l’image, la bande dessinée doit insister sur sa force onirique visant directement sur le subconscient. 10. La bande dessinée ne sera jamais achevée et destinée à un état de mutation permanent: d’où résultent ses possibilités les plus grandes. * L’éditeur de ce dossier tient à remercier Mme Muriel Beerblock (Heidelberg) et Dr. Helmut Bertram (Frankfurt) d’une révision linguistique des articles de même que David B. (Paris), artiste profilé qui y a participé avec deux dessins résumant en emblème la Nouvelle Bande Dessinée. 1 Association des Amis de la Vraie Bande Dessinée Française (A.A.V.B.D.F.) (eds.): Hommage à Monsieur Pinpon, 1997 [Paris, L’Association, hors commerce] 2 L’Association (ed.): Comix 2000. Paris: L’Association, 1999. La sélection a été effectuée par David B., Killoffer, Placid et Jean-Christophe Menu.